II. BIOÉTHIQUE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES DE REPRODUCTION


A. INTERVENTION DE MME MADELEINE DALPHOND-GUIRAL, RAPPORTEUR POUR LE GROUPE CANADIEN SUR LES ENJEUX DE LA BIOÉTHIQUE, DE LA SCIENCE ET DE LA RECHERCHE : SURVOL DE LA SITUATION AU CANADA ET AU QUÉBEC

Convaincue, du fait de l'avancement de la science et des progrès saisissants de la technologie particulièrement au cours des dernières décennies, de l'importance de la question de la bioéthique, des enjeux qu'elle soulève et des difficultés qu'il faudra prendre en compte en les encadrant du mieux possible, elle a proposé de décrire ce qui s'est fait au Canada et au Québec, pour terminer sur une réflexion quant au mode d'encadrement idéal des techniques de reproduction assistée.

Une définition :

La rapporteur canadienne a préféré, en l'absence d'un consensus sur une définition de la bioéthique, se référer aux racines grecques du terme. Le premier élément, Bio , signifiant « vie » est un mot extrêmement lourd de sens puisqu'il n'existe toujours pas aujourd'hui de définition exacte de la vie, notamment à propos de son commencement chez l'homme. L'autre élément, éthique , signifie autant en grec qu'en latin tout ce « qui concerne les moeurs, la morale ». Il n'est pas besoin d'un long discours pour savoir que la morale est une notion extrêmement élastique. Il est donc nécessaire, en pratique, de trouver les paramètres qui permettent à l'homme de préserver son humanité avec toute la richesse qu'elle implique. Le concept du droit à la vie est très simple, mais il devient complexe dès qu'il faut déterminer à quel moment il débute.

Il y a cent ans, lorsqu'une femme ne pouvait amener à terme l'enfant qu'elle portait et qu'il venait au monde prématurément, on le mettait sur la porte du four, et s'il résistait à ce traitement il devenait alors un bon citoyen. Aujourd'hui c'est différend, on assiste à des batailles entre grand hôpitaux pour réussir à préserver vivant l'enfant né le plus petit possible. Il y a trente ans, c'était un kilo, aujourd'hui c'est 500 grammes, et Mme Dalphond-Guiral s'est dite convaincue que l'on réussira à faire vivre des enfants encore plus petits.

Quelles sont les décisions prise au Canada dans le domaine de la Bioéthique ?

En 1989, le gouvernement du Canada a nommé une Commission royale d'enquête sur les nouvelles technologies de reproduction, la Commission Baird, dont le mandat était d'enquêter sur les progrès, actuels et prévisibles, dans le domaine des techniques de reproduction et de faire des recommandations quant aux mesures à adopter. Dans son rapport final, déposé à l'automne 1993, la Commission recommandait au gouvernement fédéral d'interdire certaines activités, comme le clonage humain, la création d'hybrides animal-humain et la commercialisation de la maternité de substitution, et de mettre sur pied un organisme de réglementation indépendant pour régir les activités de procréation assistée qui seraient admissibles.

Dix ans après, des « petits pas » ont été faits. En 1995, le ministre canadien de la Santé demandait un moratoire volontaire sur bon nombre d'activités que la Commission royale avait recommandées, suscitant une déception certaine . En 1996, le gouvernement fédéral déposait un premier projet de loi, le C-47, Loi sur les techniques de reproduction humaine et de manipulation génétique , qui proposait une série d'interdictions fondée sur le moratoire volontaire. Suite à la dissolution du Parlement en 1997, le projet de loi est mort au Feuilleton. Peut-être était-il prématuré ?

Ce n'est qu'au printemps 2002 que la question de la reproduction assistée est revenue devant le Parlement fédéral, avec le dépôt du projet de loi C-56 concernant la procréation assistée, également « mort au Feuilleton » en raison de la prorogation 6 ( * ) de la session parlementaire. Ce n'est qu'au printemps 2003 que le texte législatif se retrouve à nouveau au menu parlementaire sous l'appellation C-13, Loi concernant la procréation assistée .

Grosso modo , le projet de loi, sur lequel le débat reprendra à l'automne à la Chambre des Commune, se propose d'interdire les pratiques inacceptables, telles que :

• La création d'un clone humain, que ce soit à des fins de reproduction ou thérapeutiques ; là dessus, le projet de loi est très clair ;

- la création d'un embryon in vitro à des fins autres que la création d'un être humain ou l'amélioration des techniques de reproduction assistée ;

- la création de combinaisons humain / non-humain à des fins de reproduction ;

- l'offre d'un incitatif financier à une mère porteuse ;

- la vente ou l'achat d'embryons humains ou l'offre des biens et des services en échange. Pendant la discussion, les débats ont mis à jour une inquiétude à propos du trafic d'ovules.
Le projet de loi autorise également la réglementation des activités de procréation assistée et la recherche connexe, telles que :

• La recherche effectuée pour mieux comprendre les causes de l'infertilité et améliorer les techniques de fertilité ;

• la recherche effectuée pour mieux comprendre les problèmes non liés à la fertilité, ce qui va entraîner toutes sortes de polémiques ;

• la recherche effectuée pour aider à trouver des traitements pour des maladies, soit la recherche sur cellules souches embryonnaires.

Compte tenu de son implication dans les questions de santé ce projet de loi C-13 va, à l'évidence, soulever des conflits de compétence entre les provinces et du fédéral. C'est une réalité canadienne qu'il va falloir résoudre de manière intelligente, dans le respect des compétences de chacun.

Mme Dalphond-Guiral a abordé ensuite l'état de la réflexion au Québec dans ce dossier.

La recherche sur les cellules souches et le clonage, qu'il soit reproductif ou thérapeutique, nécessitent des installations fort complexes, une haute technologie et des expertises très pointues qui ne se trouvent pas partout. Au Québec, seuls les centres hospitaliers universitaires, avec leurs centres de recherche, ainsi que quelques firmes privées peuvent disposer de telles installations. Il faut donc encadrer autant les institutions universitaires que les laboratoires privés.

Depuis un certain temps déjà, le Québec s'est doté de mécanismes très stricts qui encadrent la recherche et qui préviennent toute initiative déraisonnable. À cet effet, le Fonds de recherche en santé du Québec, le FRSQ, joue un rôle de pionnier et de maître d'oeuvre. De concert avec les conseils d'administration des hôpitaux universitaires et leurs centres de recherche, cet organisme a convenu d'un cadre réglementaire qui balise de façon très étroite le fonctionnement de la recherche dans ces institutions publiques. En l'absence d'un cadre réglementaire, le FRSQ ne finance pas ces centres.

Rôle du FRSQ

Jouant un rôle très important en matière de bioéthique, le fonctionnement du Fonds de recherche donne un éclairage particulier quant à la façon de faire québécoise.

Le FRSQ est un organisme parapublic de financement de la recherche en santé dont le rôle est de coordonner le développement de la recherche au Québec.

En 1998, le ministère de la Santé et des services sociaux, sous la direction du ministre de l'époque, Jean Rochon, a déposé le Plan ministériel en éthique de la recherche et en intégrité scientifique et a confié au FRSQ le mandat d'établir les standards de recherche et de s'assurer de la qualité de ses applications. Depuis 1998, le FRSQ a mis en place un système de contrôle d'assurance de la qualité avec des normes et des méthodes de vérification.

Afin d'assurer le maintien des plus hauts standards scientifiques, d'encadrement et d'éthique de la recherche, le FRSQ effectue un audit périodique de chacun des centres de recherche et des établissements publics de santé. Cette visite d'évaluation permet de veiller au bon fonctionnement des comités d'éthique et de s'assurer que le cadre réglementaire de la recherche soit véritablement implanté plutôt que de demeurer purement théorique. Il ne faut pas oublier que le financement des centres de recherche des hôpitaux par le FRSQ est conditionné au respect de ces standards.

Il est également intéressant de souligner que le Fonds de recherche en santé du Québec a contribué à la rédaction des directives canadiennes en matière d'éthique de la recherche sur le sujet humain et qu'avec ses chercheurs il a contribué activement à la préparation des lignes directrices énoncées en 2002 par les instituts canadiens de recherche en santé. Le FRSQ adhère aux principes énoncés dans le Code de Nuremberg et la Déclaration d'Helsinki.

Mme Dalphond-Guiral a souligné, en conclusion, que le sujet de la bioéthique est d'une importance majeure et ne doit en aucun cas être pris à la légère. Le laxisme en cette matière serait une tragédie puisque la science ne semble pas avoir prévu de faire relâche pour les mois et les années à venir. Le clonage et la manipulation génétique en général, sans parler de la litigieuse question des brevets, soulèvent des interrogations de toutes sortes et présentent des risques de dérapage élevés. En tant que législateurs, les parlementaires ont un rôle important à jouer afin d'assurer, avec l'aide de la communauté scientifique, médicale et les organismes sociaux oeuvrant dans le domaine, un encadrement adéquat des progrès de la science et de la technologie.

Comme la science outrepasse largement les frontières, le défi majeur est de déterminer la façon de s'entendre sur un consensus global ralliant les différents peuples, les différentes cultures et les différentes religions afin que la science ne puisse exploiter les lacunes d'un système international défaillant où les normes seraient hétéroclites et où les dérapages pourraient avoir de graves répercussions dans l'avenir. La mort prématurée de la brebis Dolly ne doit pas être considérée comme le fruit du hasard mais plutôt comme une mise en garde sur le fait que la science, la mieux intentionnée soit-elle, n'arrive pas toujours à identifier ses propres failles avant que des catastrophes se produisent. Les exemples sont nombreux dans une multitude de domaines.

Pour terminer, Mme Dalphond-Guiral a évoqué Montaigne qui disait, à juste titre : « Je voudrais qu'on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine et qu'on y requît tous les deux, mais plutôt les moeurs et l'entendement que la science » .

B. INTERVENTION DE M. MARC LAFFINEUR, DÉPUTÉ, RAPPORTEUR POUR LA SECTION FRANÇAISE, SUR LA SITUATION EN FRANCE : LA BIOÉTHIQUE ENTRE DEUX LOIS

M. Marc Laffineur a exposé à son tour la situation en France où l'on a pendant très longtemps considéré que c'était à l'éthique de régler les problèmes posés par la science. Mais l'évolution trop rapide de celle-ci a poussé les scientifiques à demander eux-mêmes au législateur de fournir des réponses aux questions qu'ils se posaient.

Les greffes d'organes et de tissus d'abord anecdotiques ont connu un développement rapide, soulevant au passage plusieurs questions : celle du consentement du donneur, mort ou vivant, sur lequel l'organe greffé a été prélevé et celles des critères de choix du receveur et sur l'information qui lui est due. Par la suite, la pratique grandissante des prélèvements d'organes sur donneur vivant ont soulevé d'autres questions concernant notamment les mineur soumis à la pression morale de leur entourage et, surtout, le risque de la commercialisation du don d'organes.

La révolution génétique, née en 1973 à la suite de la première greffe d'un gène sur une bactérie qui en modifiait la nature même, a ensuite posé de nouveaux problèmes aux chercheurs.

Une troisième raison à l'origine de l'intervention du législateur fut la procréation médicalement assistée : pour remédier au problème de la stérilité des couples désireux d'avoir un enfant, il fut d'abord recouru à l'insémination artificielle, technique simple qui consiste à recueillir, traiter et conserver le sperme, puis à l'introduire dans les voies génitales féminines. Mais l'insémination artificielle ne permettant pas de résoudre tous les cas de stérilité, on est passé au stade de la fécondation in vitro (FIV), technique plus élaborée qui consiste à prélever des ovocytes d'une femme au cours d'une intervention chirurgicale, à les mettre in vitro en présence de spermatozoïdes, puis après quelques heures de culture à réimplanter l'ovule ainsi fécondé dans l'utérus de la femme.

Cependant une dérive est rapidement apparue qui consistait pour différentes raisons à implanter l'ovule fécondé chez une autre femme que la « mère », donnant naissance au phénomène des « mères porteuses » très en vogue dans les années 80 mais porteur d'un nouveau problème d'éthique. Une soixantaine d'enfants sont ainsi nés en France de « mères porteuses ».

Les progrès de la science ont rapidement évolué vers des traitements destinés à stimuler l'ovulation chez la femme. Pour limiter les effets indésirables de ces traitements et éviter de procéder à des réimplantation répétées d'ovules fécondés in vitro - car l'opération n'était pas toujours couronnée de succès - on a vite pris l'habitude de prélever plusieurs ovules, de façon à pouvoir procéder à plusieurs FIV et multiplier ainsi les chances de succès sans avoir à répéter le processus de stimulation. La congélation est alors devenue un moyen de conservation normal des ovules fécondés en vue de les réutiliser, soit à la suite de l'échec d'une précédente tentative, soit pour donner naissance à un deux ou trois enfants de plus.

Mais une fois le projet parental satisfait, il peut rester des embryons congelés en surnombre, ce qui pose alors la question de leur utilisation et de leur statut.

Pour toutes ces raisons et à l'issue d'une longue réflexion concrétisée par la publication de plusieurs rapports, le Parlement français est intervenu pour légiférer une première fois en 1994. Le père de la loi est l'actuel ministre de la santé, Jean-François Mattéi, un généticien mondialement connu. Mais au delà des problèmes scientifiques se posent des questions philosophiques qui touchent aux croyances religieuses des chrétiens.

Ce sont en réalité trois lois qui ont été votées au cours de l'été 1994 pour tenter d'apporter une réponse à tous ces problèmes :

• Une loi relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales ;

• Une deuxième, sur le respect du corps humain ;

• Et une troisième loi relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.
Les lois du 29 juillet 1994 relatives au respect du corps humain, au don et à l'utilisation du corps humain, à l'assistance médicale, à la procréation et au diagnostic prénatal, ont d'abord fixé les principes généraux applicables au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain et les règles visant à protéger le donneur d'organe :
- concernant les prélèvements d'organes sur les personnes décédées, une présomption d'accord au prélèvement a été instituée si la personne décédée n'avait pas, de son vivant, fait connaître son refus explicite. La question de l'accord au prélèvement d'organes sur les personnes décédées semblait avoir ainsi été résolue puisque, statistiquement, le nombre des refus ainsi manifestés n'a jamais pas dépassé 1 % de la population. Il n'en fut rien dans la réalité, car en l'absence de volonté manifestée par la personne décédée, le médecin est tenu de recueillir le témoignage de la famille du décédé avant d'effectuer un prélèvement d'organe. Or, cette pratique a conduit à un blocage très important de la part des familles qui à 95 % opposent un refus à la demande de prélèvement ;

- le deuxième principe concernait l'interdiction de la commercialisation des organes. On sait qu'en France le don du sang est gratuit et les Français seraient choqués qu'il y ait la moindre commercialisation sur les prélèvements et sur les dons d'organes ;

- le troisième principe concernait la nécessité thérapeutique pour la personne, exception au principe de l'intégrité du corps humain, et le principe du consentement préalable. Ce dernier signifie une interdiction aux mineurs de faire un don d'organe, pour éviter toute pression morale les conduisant à donner un consentement non libre en cas de besoin d'organe par un parent ou un frère ou soeur, sauf pour les dons de moelle osseuse ;

- quatrième principe, très important, l'anonymat du don d'éléments ou de produits du corps humain consacre l'impossibilité pour le donneur de connaître l'identité du receveur ni le receveur celui du donneur. Il ne peut être dérogé à ce principe d'anonymat qu'en cas de nécessité thérapeutique ;

- le principe de sécurité sanitaire , enfin, autorise les recherches sur le donneur pour dépister l'existence de maladies, telles que le SIDA mais pas uniquement, qui pourraient contaminer le receveur.

Sur la question de la procréation médicalement assistée, le législateur a fixé particulièrement deux grands principes :

- en premier lieu l'interdiction des mères porteuses qui supprime tout risque de commercialisation en référence au principe de l'indisponibilité du corps humain ainsi défini : « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » ;

- le caractère exceptionnel du don de gamètes et d'embryons : le recours à un tiers donneur reste exceptionnel et limité aux cas où l'assistance à la procréation se révèle sans succès. On s'est aperçu de l'émergence d'une dérive qui laissait croire que le couples pourraient avoir des enfants tels qu'ils les idéalisaient, en ayant recours par exemple à des dons d'ovule de la part de mannequins ou à dons de spermatozoïdes par des prix Nobel pour obtenir l'enfant « parfait ». Le donneur doit donc faire partie d'un couple ayant procréé et le consentement des deux membres du couple donneur, ainsi que celui des deux membres du couple receveur doit être recueilli par écrit, sous le contrôle d'un juge ;
Par ailleurs, une définition de la situation juridique de l'embryon a été tentée : la loi ne fixe pas de statut de l'embryon mais en limite l'utilisation. Ainsi la conservation d'embryons doit être décidée par écrit, par le couple, en vue de réaliser leur demande parentale dans un délai de 5 ans.

L'expérimentation sur les embryons conçus in vitro est interdite. Mais à titre exceptionnel, le couple peut accepter par écrit que des études soient menées sur leurs embryons sous plusieurs conditions : respect d'une finalité médicale, absence d'atteinte à l'embryon et nécessité d'un avis conforme de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal. La loi du 29 juillet 1994 a autorisé la conservation des embryons mais la question des embryons surnuméraires reste posée.

Le diagnostic prénatal permet de faire sur l'embryon des recherches pour savoir s'il est atteint d'une affection d'une particulière gravité telle qu'une trisomie 21 ou une maladie génétique grave. Ce diagnostic permet à des parents en état de procréer normalement, mais dont le risque de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique très grave est élevé, d'éviter de recourir à un avortement thérapeutique et d'avoir la possibilité d'obtenir un don de gamètes.

Dans ses dispositions finales, la loi « relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humains » a prévu de faire l'objet d'un nouvel examen dans le délai de cinq ans après son entrée en vigueur pour tenir compte de l'évolution très rapide des techniques médicales.

Cette révision est en cours mais n'a pas encore été menée à son terme. Une première lecture du projet de loi « relatif à la bioéthique » a eu lieu devant l'Assemblée nationale en juin 2001, son passage devant le Sénat a ensuite été retardé par les élections de 2002 et la nomination d'un nouveau gouvernement, au sein duquel le Professeur Jean-François Mattei est désormais ministre de la Santé. Profondément modifié lors de son examen par le Sénat, en janvier 2003, le projet de loi est revenu devant l'Assemblée nationale, où il a été examiné en commission, et devrait rapidement être inscrit à l'ordre du jour.

Deux questions essentielles restent posées aujourd'hui, celle de l'expérimentation sur les embryons surnuméraires et celle du clonage.

Dans le cadre de la loi de 1994, les embryons surnuméraires pouvaient être conservés pendant cinq ans, délai à l'issue duquel d'ailleurs la loi devait être révisée. Au cours de la discussion du nouveau projet de loi et selon une évolution a peu près acceptée par tous, deux solutions pourraient être envisagées lorsque la fin du projet parental à leur origine n'autorise plus leur conservation : soit leur destruction, soit leur utilisation à des fins d'expérimentation.

La première solution met un terme à toute question philosophique, puisque l'embryon n'est donc de facto plus considéré comme une être humain ; un consensus semble donc se dégager sur la possibilité de pouvoir recourir à l'expérimentation en vue de guérir les maladies génétiques, tout en maintenant fermement le principe d'une interdiction totale de créer des embryons uniquement en vue de la recherche.

Le processus du clonage apparaît techniquement simple : le noyau d'une cellule est prélevé pour être incorporé à une autre cellule dont on a extrait le propre noyau. Quant à savoir s'il s'agit d'un véritable embryon ou d'une simple cellule transformée, aucune réponse n'a pu être encore apportée. Peut-on parler d'embryon à partir d'une manipulation génétique telle que celle-ci ? Les réponses sont divergentes. Si l'on considère que ce n'est pas un embryon, la question de l'expérimentation et la question du clonage thérapeutique sont alors automatiquement réglées.

Bien entendu, le clonage à fin de reproduction est non seulement rigoureusement interdit en France, mais il est de plus passible de vingt ans de prison. Mais si cette interdiction règle la question en France, elle ne s'applique pas dans tous les pays et, même si légiféraient contre le clonage reproductif, il n'est pas possible d'interdire le déroulement de telles expériences dans les eaux internationales. L'objectif du gouvernement est donc de mener à bien l'élaboration d'une convention visant à réprimer le clonage reproductif au niveau international.

En revanche, la question du clonage thérapeutique n'est pas réglée par ce projet de loi et reste toujours en débat. Si la recherche sur l'embryon est très prometteuse, le clonage thérapeutique ouvre également des perspectives très intéressantes, pour régler le problème des maladies génétiques notamment.

Ayant ainsi rapidement exposé les données d'une question complexe et technique mais aussi extrêmement importante pour l'avenir de la race humaine, M. Laffineur a considéré qu'il s'agit d'une question en perpétuelle évolution qui ne trouvera pas facilement de réponses et continuera à poser de nouveaux problèmes moraux auxquels le législateur devra apporter de nouvelles réponses.

Il a ajouté que le débat se poursuit en commission, notamment sur la possibilité d'élargir les dons d'organes aux membres d'une même famille, et sur la recherche d'une plus grande directivité concernant les prélèvements d'organes sur donneurs décédés. On s'oriente vers la possibilité de prélever les organes dès lors qu'aucune volonté contraire n'aura été fermement manifestée de son vivant par le donneur décédé. La gravité de la situation est réelle car si près de 7000 personnes sont actuellement en attente d'une greffe, dont 250 à 300 meurent tous les ans faute d'avoir reçu un organe sain, les greffes réalisées ne dépassent pas le millier.

Dans ces conditions, le clonage, qui permet d'obtenir des cellules différenciées - cellules cardiaques, rénales ou autres - en quelques jours, pourrait constituer une réponse appropriée au déficit chronique de greffons disponibles, avec l'avantage d'éviter les risques de rejet puisque les cellules proviendraient du donneur lui même.

Mais, a souligné M. Laffineur , une éventuelle autorisation du clonage thérapeutique présenterait un risque important car la frontière est très mince avec le clonage reproductif - qui reste formellement interdit - tant que l'on n'aura pas réussi à verrouiller le passage de l'un à l'autre.

Ayant ainsi très brièvement résumé les principales questions qui restent en suspens, il a terminé en rappelant que, comme souvent avec ce type de sujet, les interrogations sont plus nombreuses à la fin de la discussion qu'elles ne l'étaient au départ et il a proposé d'en débattre.

C. DÉBAT

Le sénateur Baudouin s'est interrogé, puisque le clonage reproductif est lui puni par une peine de vingt ans de prison, sur l'inscription dans la loi d'une définition claire et précise du clonage thérapeutique, en insistant sur l'identité du problème au Canada et en France.

M. Laffineur a rappelé que le clonage thérapeutique, ou expérimental, qui pour l'instant reste interdit en France même si le débat sur son autorisation éventuelle est toujours ouvert, reste en attente d'une définition préalable, exercice compliqué qui explique les très fortes hésitations à ce sujet. Il a précisé qu'après une première lecture du texte à l'Assemblée nationale, une réécriture extrêmement restrictive a été faite par le Sénat, qui interdit notamment l'expérimentation sur l'embryon et qui ne sera sans doute pas entièrement suivie par l'Assemblée nationale lorsque le texte y reviendra en seconde lecture. Il a ajouté, ayant lui même été très longtemps opposé en tant que médecin à cette expérimentation, qu'il faut bien savoir que l'embryon utilisé dans les implantations utérines - celui donc qui pourrait devenir sujet a expérimentation - est composé de cellules plus jeunes que celles expulsées par un stérilet, bien que personne ne propose de supprimer les stérilets. Le problème reste donc posé, sachant qu'à partir du moment où l'on décide de jeter les embryons au bout de cinq ans de conservation, cela signifie que le problème moral est réglé et rien n'empêche donc les expérimentations.

A M. Farrah qui l'interrogeait sur la quantum de la peine applicable au clonage thérapeutique en l'état actuel de la législation, M. Laffineur a répondu qu'en l'absence de cas avéré il appartiendrait aux tribunaux de décider.

Le Sénateur Baudouin a fait alors remarquer que si le législateur n'agit pas en la matière, cela signifie qu'il laisse aux tribunaux le soin de le faire à sa place, à l'exemple du règlement de la question de l'euthanasie aux Pays-Bas où par le biais des exceptions, les tribunaux ont commencé à légiférer. Au Canada, en fonction de la Charte des droits, les tribunaux ont toute liberté pour définir des règles sur le droit de vie que le Parlement tarderait ou se refuserait à prendre.

M. Laffineur a ajouté, sur le droit de vie, que le véritable problème qui se pose est de savoir si l'embryon est un être humain ou non, en renvoyant à l'exemple précédent du stérilet.

Répondant à Mme Shirley Maheu , il a précisé que cette question ne ressort pas d'une compétence européenne mais de celle des Etats de l'Union, ce qui est préférable face au sentiment anti-européen naissant dans l'opinion française, pour laquelle l'Europe intervient trop souvent dans des domaines qui ne sont pas de sa compétence - la question de la chasse en constitue un exemple particulièrement sensible - sans tenir compte des différences de culture.

Intervenant alors dans un débat entre parlementaires canadiens sur la répartition de compétence entre le niveau fédéral et le niveau provincial - la santé est une compétence prioritairement provinciale - le sénateur Baudouin a estimé que la définition du droit à la vie est une question pénale, donc de compétence fédérale, et que la Cour suprême n'acceptera jamais que cette définition puisse varier d'une province à l'autre.

Si la compétence nationale reste la règle dans un domaine aussi sensible et général que la définition du droit de vie, Mme Dalphond Guiral a fait part de sa crainte que cela risque au bout du compte de laisser la voie libre aux scientifiques de décider eux-mêmes ce qu'est le droit à la vie, qu'ils s'arrangeront bien avec la morale et qu'une fois les expériences réalisées tout retour en arrière sera difficile.

M. Laffineur s'est dit du même avis et a rappelé que la France a pris des initiatives pour essayer d'arrêter, sur le clonage notamment, une position internationale et qu'elle s'est opposée, en accord avec les autres pays européens, à ce que le génome humain - dorénavant complètement décrypté - puisse faire l'objet de dépôts de brevets. En revanche, elle a accepté la possibilité de breveter les découvertes qui ne font qu'utiliser ou mettre en oeuvre sur un plan technique telle ou telle séquence du génome humain.

Le sénateur Baudouin s'est félicité que le code criminel soit de compétence fédérale au Canada alors qu'il varie d'un Etat à l'autre aux Etats-Unis - la peine de mort en est l'exemple le plus connu - et qu'il est vraisemblable que la législation sur le génome humain sera étatique et non fédérale.

M. Laffineur a précisé qu'en outre, à la suite d'un débat résultant du vide juridique antérieur, le législateur français a interdit l'utilisation des embryons congelés en cas de fin du projet parental par suite du décès d'un membre du couple ou de divorce.

Mme Dalphond-Guiral s'est interrogée sur l'existence dans la législation française d'une limite d'age pour l'implantation d'un embryon chez une femme désireuse de procréer.

M. Laffineur a précisé que la loi de 1994, toujours en vigueur, ne dispose rien à cet effet mais que le débat existe et que cette question va devoir être tranchée, lors de la discussion du projet de loi, car il est évident que cela pose un problème moral, d'autant plus que l'expérience a déjà été tentée avec succès sur une femme de soixante-cinq ans, notamment en Italie.

En l'absence de nouvelle intervention, il a alors été proposé de mettre un terme au débat.

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* 6 "La prorogation est la cérémonie qui met fin à une session du Parlement. Elle a pour effet d'abolir toute affaire en cours dans l'une ou l'autre des deux chambres".

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