IV. JUSTICE ET SÉCURITÉ PUBLIQUE

M. Marcel-Pierre Cleach a ensuite proposé d'aborder la seconde partie de la matinée, consacrée au thème « Justice et Sécurité », et a présenté les intervenants : le sénateur de la Seine et Marne, Jean-Jacques Hyest, M. Bernard Pagès Procureur de la République à Nanterre, le lieutenant-colonel Dupouy, commandant une unité de Gendarmerie à Bastia, qui devrait rejoindre prochainement l'ambassade de France au Canada, et enfin le Sénateur Beaudoin, qui n'a pas besoin d'être présenté.

A. INTERVENTION DE M. JEAN-JACQUES HYEST, SÉNATEUR, RAPPORTEUR POUR LA SECTION FRANÇAISE, SUR LES PRINCIPALES ORIENTATIONS DE LA POLITIQUE FRANÇAISE

M. Jean-Jacques Hyest a précisé que son propos introductif avait pour objectif de présenter les principales orientations de la politique suivie par le Gouvernement depuis un peu plus d'un an.

Crise de l'institution judiciaire et hausse de la délinquance

Au cours des campagnes pour les élections présidentielle et législative de mai et juin 2002, le thème de la justice et de la sécurité a tenu une place très importante.

L'actuelle majorité a fait un double constat : la crise de l'institution judiciaire et la nécessité de lutter contre la hausse de la délinquance et de la criminalité.

En matière de justice, les points les plus problématiques étaient :

- l'insuffisance des moyens matériels et financiers de la justice malgré une hausse de son budget de près de 18 % entre 1998 et 2002, se traduisant par un engorgement et une trop grande lenteur des procédures ;

- l'incapacité du système judiciaire à faire face à la montée de la délinquance des mineurs et à l'augmentation de la « judiciarisation » des litiges de la vie quotidienne ;

- une insuffisante prise en compte des victimes ;

- et, enfin, une surpopulation des prisons, conjuguée à de nombreuses difficultés dans l'application des peines.
En matière de sécurité publique, le fait majeur a sans doute été la hausse de la délinquance. Le seuil de 4 millions de crimes et délits a en effet été franchi en 2001, suite à une hausse constante depuis 1997. Sur la longue durée, on constate une hausse continue de l'insécurité depuis 1950, le seuil de 1 million étant franchi en 1969, des 2 millions en 1977 et des 3 millions en 1982. Il n'y a eu, en dehors de la dernière année, que deux périodes de baisse : 1984-1988 et 1994-1997. Cette délinquance en progression quantitative est aussi en évolution qualitative. Elle est plus violente, elle implique plus souvent des mineurs et elle touche tout le territoire et non plus seulement certaines zones urbaines. Enfin, on constatait en parallèle une baisse du taux d'élucidation et de poursuite effective, contribuant à un sentiment d'impunité.

Les mesures adoptées depuis mai 2002

Fort de ce constat, la nouvelle majorité a pris une série de mesures regroupées dans deux textes principaux : deux lois d'orientation et de programmation sur la justice et la sécurité intérieure, définissant les grandes lignes de l'action du Gouvernement dans les cinq années à venir. Ces textes ont ensuite été déclinés dans plusieurs lois votés au Parlement au cours de l'année passée.

En matière de justice, la loi d'orientation et de programmation permettra d'accroître de manière très sensible les moyens de la Chancellerie. 3,65 milliards d'euros sur cinq ans ont été débloqués. Plus de 10 000 emplois nouveaux seront créés, ainsi que 3 300 postes de juges de proximité. Ces moyens nouveaux ont pour objectif de réduire le délai de traitement des affaires, d'améliorer le fonctionnement concret de la justice et de construire ou de rénover tribunaux et prisons. L'orateur n'a pas insisté sur ces points car la délégation a rencontré la veille M. Pierre Bédier et devait être reçue à la Cour d'appel d'Angers pour s'entretenir avec des magistrats des conditions d'exercice de leur métier.

Le second point très important est la création d'une justice de proximité assurée par des magistrats non professionnels pour les petits délits en matière civile ou pénale. Il s'agit en réalité de la « re-création » des « juges de paix » qui existaient avant 1958. Ces juges de proximité seront sélectionnés en fonction de leur expérience professionnelle et de leurs connaissances juridiques.

Un troisième ensemble de dispositions a été pris en matière pénale : droit pénal des mineurs, procédure pénale et aide aux victimes. Parmi les mesures les plus « médiatiques », notons la création de « centres éducatifs fermés » pour les mineurs et l'attribution, dans certaines conditions, de l'aide juridictionnelle aux victimes.

Enfin, en matière d'application des peines, M. Hyest a simplement mentionné la création du « bracelet électronique », qui est directement inspiré de l'expérience canadienne.

Il s'est voulu plus synthétique à propos de la sécurité intérieure. Deux mesures principales ont été prises. La première est la réorganisation du dispositif de sécurité intérieure. Au niveau national, ont été créés un Conseil de sécurité intérieure auprès du Président de la République et un ministère de la sécurité intérieure à qui ont été confiées la police et la direction opérationnelle de la gendarmerie, auparavant du ressort du ministère de la défense. Chaque force, qu'il s'agisse de la police ou de la gendarmerie, est en train de se réorganiser à travers notamment des redéploiement territoriaux afin de tenir compte des évolutions de la population et de la délinquance et, surtout, la création de forces communes d'intervention et d'investigation, les GIR (groupements d'intervention régionaux), au niveau régional.

Ces mesures de réorganisation sont soutenues par une dotation financière très importante : 5,6 milliards d'euros supplémentaires sur cinq ans et la création de 13 500 emplois.

Les problématiques judiciaires et de sécurité sont, en France, d'une très grande actualité et correspondent aux priorités du Gouvernement qui a pris de nombreuses mesures pour améliorer la situation. Ces questions continuent d'ailleurs de susciter un très vif débat pour savoir qu'elles sont les meilleures solutions à apporter. L'expérience canadienne en la matière, qui a constitué une importante source d'inspiration, suscite en France un très grand intérêt.

Il a laissé ensuite la parole à son homologue, l'Honorable Gérald Beaudoin.

B. INTERVENTION DE L'HONORABLE GÉRALD BEAUDOIN, SÉNATEUR, RAPPORTEUR POUR LE GROUPE CANADIEN, SUR LE SYSTÈME DE JUSTICE PÉNALE AU CANADA

L'honorable Gérald Beaudoin , Sénateur, rapporteur pour le groupe canadien , s'est d'abord référé à la Charte canadienne des droits et libertés, qu'il considère comme le plus grand événement sur le plan constitutionnel au Canada depuis l'adoption du fédéralisme, et s'est avoué très impressionné par le débat européen en cours sur le confédéralisme et le fédéralisme, à son avis la plus belle période européenne depuis des siècles, qui est en train de changer complètement le système européen, avec des incidences indirectes sur le plan mondial. Les Américains l'ont fait en 1787, sous la direction de Georges Marshall, qui est, à son avis, le plus grand juge de tous les temps, puisqu'il a créé le contrôle de la constitutionnalité des lois, un trait de génie qui a changé toute l'histoire du monde.

Le système de justice pénale au Canada est essentiellement composé d'un ensemble de processus qui interagissent pour s'occuper des auteurs d'actes criminels. Les processus diffèrent selon les catégories de délinquants : jeunes contrevenants, délinquants adultes, délinquants dangereux, délinquants souffrant de troubles mentaux, délinquants autochtones, délinquants engagés dans le crime organisé, etc. La liste n'est pas exhaustive. À la différence de ce qu'on observe dans beaucoup d'autres pays, les compétences législatives et gouvernementales à l'égard d'un grand nombre de ses éléments ne relèvent pas d'un seul ordre de gouvernement.

La notion de sécurité publique a fait l'objet d'interprétations variées et complexes. Pour assurer la sécurité publique, il ne faut pas compter exclusivement sur la répression, le châtiment, bien qu'on y ait eu recours lorsqu'il y avait lieu, par exemple dans des initiatives récentes comme celles qui portent sur le crime organisé et le terrorisme.

Les efforts de prévention du crime, axés sur les causes profondes de l'activité criminelle et des comportements antisociaux, ont été une importante priorité dans la protection de la sécurité publique au niveau des collectivités. Les programmes de réadaptation proposés aux délinquants pour les aider à résister à la tentation de récidiver sont au coeur d'une grande partie des efforts des autorités correctionnelles visant aussi bien les jeunes contrevenants que les délinquants adultes.

Enfin, les efforts de justice réparatrice - prévoyant que les délinquants assument la responsabilité de leurs actes, fassent amende honorable et restituent aux victimes ce qu'ils leur doivent - sont une autre façon d'assurer la sécurité dans la collectivité. Cette démarche trouve son origine dans les traditions et approches autochtones ou fondées sur la foi en matière de règlement des différends. Elle a suscité la controverse.

Les diverses initiatives fédérales récentes illustrent ces différentes façons d'aborder la sécurité et la sûreté publiques. L'honorable Gérald Beaudoin a proposé de traiter en premier du contexte constitutionnel dans lequel ces initiatives ont été prises, pour ensuite donner un certain nombre d'exemples concernant la prévention du crime, les jeunes contrevenants, les peines, l'incarcération et la réadaptation des délinquants adultes.

Contexte constitutionnel

Les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 décrivent les compétences accordées aux assemblées législatives et aux gouvernements aux échelons fédéral et provincial. Le paragraphe 91-27 donne au Parlement du Canada la compétence en matière de droit pénal, sauf en ce qui concerne la procédure pénale et l'établissement des tribunaux de juridiction pénale. Le paragraphe 92-14 confie aux assemblées législatives provinciales l'administration de la justice, y compris « la création, le maintien et l'organisation de tribunaux de justice pour la province, ayant juridiction civile et criminelle ». Le paragraphe 91-28 donne au Parlement du Canada la compétence à l'égard des « pénitenciers », où les délinquants purgent des peines de deux ans ou plus. Enfin, le paragraphe 92-6 confère aux assemblées législatives provinciales la compétence sur les « prisons publiques et maisons de réforme », où sont purgées les peines d'au plus deux ans moins un jour.

Prévention du crime

Les conséquences du crime pour la sécurité et la sûreté publiques préoccupent vivement les Canadiens. Les mesures classiques visant à renforcer la sécurité publique et à réduire le nombre de victimes s'appliquent une fois que le mal est fait. Elles comprennent la détection du crime, les enquêtes, les arrestations, les procédures judiciaires et la détermination de la peine. Depuis un certain nombre d'années, plusieurs croient que cette approche fondée sur la réaction ne suffit pas à réprimer la criminalité et à réduire le nombre de victimes. Nombreux sont ceux qui, prenant comme point d'appui un modèle médical, ont préconisé l'élaboration de programmes de prévention pour réduire la fréquence des comportements criminels.

Depuis 1994, la Stratégie nationale sur la sécurité communautaire et la prévention du crime s'appuie sur une approche de développement social afin de réduire l'incidence des comportements criminels en mettant l'accent sur les facteurs sous-jacents, comme les familles dysfonctionnelles, les taux d'échec scolaire, la toxicomanie, l'analphabétisme, le sous-financement des collectivités, le chômage et la pauvreté, autant d'éléments qui minent la sécurité de la collectivité. Il s'agit donc d'une approche axée sur la collectivité, encourageant les approches locales, inter-institutions, publiques et privées de la prévention. Elle comprend un Centre national de prévention du crime , qui conseille le gouvernement, qui diffuse de l'information et qui permet de constituer une base de données sur les pratiques exemplaires de prévention du crime.

Outre le Centre, la stratégie comprend quatre programmes de financement : programme d'action des entreprises ; programme de mobilisation des collectivités ; fonds d'investissement dans la prévention du crime ; programme de partenariat en prévention du crime. En ce qui concerne les éléments essentiels des projets financés en vertu de la Stratégie, notons qu'ils sont fondés sur la collectivité, répondent aux besoins locaux et comprennent une composante d'évaluation qui permet de mesurer leur efficacité et de voir s'ils atteignent les objectifs définis.

Cette brève description donne une idée de l'engagement des autorités fédérales à l'égard de la prévention du crime comme stratégie de réduction du comportement criminel et du nombre de victimes. Des initiatives analogues existent aux niveaux provincial et local. Comme ces stratégies ne sont en place que depuis assez peu de temps, il est trop tôt pour dire quels sont leurs effets sur la criminalité. Par contre, elles marquent une nette évolution par rapport à l'approche classique, réactive, des problèmes de justice pénale.

Jeunes contrevenants

C'est en 1908 que le Canada s'est donné une première loi portant exclusivement sur les jeunes contrevenants : la Loi sur les jeunes délinquants. Elle a été remplacée en 1982 par la Loi sur les jeunes contrevenants.

Cette nouvelle loi a elle-même fait l'objet de profondes modifications dans les années 1980 et 1990. Avant de décrire la loi la plus récente que le Parlement a adoptée au sujet des jeunes contrevenants, le sénateur Beaudoin a rappelé quelques principes de base :

- premièrement, les lois sur les jeunes contrevenants au Canada ont toujours porté surtout sur la procédure, c'est-à-dire qu'elles prévoient les modalités que le système de justice pénale doit respecter à l'égard des jeunes contrevenants. Les infractions pour lesquelles ils peuvent être inculpés et condamnés et purger une peine relèvent du Code criminel et d'autres lois qui s'appliquent aux délinquants adultes ;

- deuxièmement, bien que ces lois soient adoptées par le Parlement fédéral, leur application courante relève de tribunaux et d'autres institutions de compétence provinciale ;

- troisièmement, les lois sur les jeunes contrevenants adoptées par le Parlement ne s'appliquent qu'aux jeunes âgés de 12 à 18 ans. Les enfants de moins de 12 ans ne peuvent être inculpés d'une infraction pénale, tandis que les jeunes de plus de 18 ans sont inculpés et traités comme des adultes. Ces trois éléments sont des constantes de toutes les lois sur les jeunes contrevenants adoptées par le Parlement, y compris de la plus récente.
Dès son adoption, la Loi sur les jeunes contrevenants a fait l'objet d'une controverse chez un certain nombre de gouvernements et d'organisations dont les points de vue étaient inconciliables. Certains estimaient la Loi trop conciliante, laissant s'en tirer à trop bon compte des jeunes qui commettaient des crimes graves ou récidivaient. Par contre, d'autres jugeaient que la Loi était trop répressive et n'accordait pas la latitude voulue pour permettre la mise en oeuvre de programmes innovateurs au moyen desquels les jeunes contrevenants seraient détournés du système de justice pénale vers des mesures de remplacement dans la collectivité ou des initiatives de justice réparatrice. Malgré cette divergence de points de vue, on s'accordait pour dire que le système de justice pénale pour les jeunes souffrait d'un sous-financement chronique, les provinces devant assumer plus que leur juste part des dépenses, parce que le gouvernement fédéral contribuait moins qu'il ne s'était engagé à le faire au départ.

Le Parlement a adopté la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, qui est entrée en vigueur le 1er avril 2003.

Cette mesure législative a également été au centre d'une vive controverse. Des provinces comme l'Alberta et l'Ontario la critiquaient, lui reprochant d'être trop indulgente à l'égard des auteurs de crimes graves et des récidivistes. Par contre, le Québec, qui a une approche originale visant à garder le plus grand nombre possible de jeunes contrevenants à l'extérieur du système de justice pénale, déplorait que la nouvelle Loi compromette sa propre démarche et assujettisse un trop grand nombre de jeunes au système de justice pénale. Cette province est allée jusqu'à demander à la Cour d'appel du Québec de se prononcer sur la constitutionnalité de la nouvelle Loi. Le tribunal a jugé que certains de ses éléments étaient incompatibles avec la Charte des droits.

Tous ceux qui critiquent la nouvelle Loi s'entendent pour dire qu'elle est excessivement complexe et qu'elle sera difficile à appliquer par ceux qui doivent s'en servir concrètement. Le problème du sous-financement et du niveau des ressources disponibles fait toujours l'objet de mécontentement chez bon nombre de ceux qui s'occupent du système de justice pénale pour les jeunes.

Malgré sa complexité et la controverse qui l'a entourée, la nouvelle Loi ne marque pas une rupture radicale par rapport au dispositif législatif qu'elle remplace. Elle prévoit néanmoins un certain nombre de moyens de rechange pour réagir à certaines infractions et traiter avec les délinquants qui ont maille à partir avec le système de justice pénale pour les jeunes, des cas les plus anodins jusqu'aux plus graves.

Dans le cas des infractions mineures, les policiers jouissent d'une discrétion expresse et plus claire, qui leur permet de s'occuper des jeunes contrevenants sans les engager dans un système de justice pénale aux lourdes procédures. Elle prévoit également la possibilité de mesures de justice réparatrice comme les cercles de détermination de la peine et de guérison, des comités de justice communautaires et des conférences de « groupe familial » ou de concertation familiale. Ces techniques fondées sur la foi religieuse et la tradition autochtone visent à amener le jeune contrevenant à prendre conscience des conséquences de son comportement criminel et à présenter des excuses à la victime.

La Loi prévoit également des dispositions à l'égard des infractions plus graves et des récidivistes en permettant que les infractions soient considérées comme des infractions d'adulte.

Ces deux démarches étaient possibles sous le régime de la Loi antérieure, mais la nouvelle Loi renforce les dispositions à cet égard et facilite leur utilisation lorsque les circonstances s'y prêtent.

Détermination de la peine

Le Canada a un code pénal (le Code criminel) depuis 1892, année de son adoption par le Parlement. À l'époque, il contenait un certain nombre de dispositions portant sur la définition de la responsabilité pénale, les moyens de défense, les éléments des infractions pénales et la détermination de la peine, ainsi que sur les procédures et les appels. Le Code a fait l'objet de révisions en profondeur au milieu des années 1950, mais ces révisions se fondaient essentiellement sur les principes généraux qui se trouvaient dans le Code depuis le début. Malgré un certain nombre d'efforts avortés au fil des ans, le code pénal du Canada n'a pas fait l'objet d'une nouvelle codification reflétant l'évolution de la réalité sociale depuis la fin du XIXe siècle.

Une exception, cependant, à ce constat général : les dispositions sur la détermination de la peine. Le Parlement en est venu à adopter au milieu des années 1990 un projet de loi qui proposait une nouvelle codification complète des mesures du Code criminel sur la détermination de la peine. Le projet de loi est entré en vigueur en 1996.

Avant d'aborder divers aspects de cette nouvelle codification, il importe de bien saisir les éléments principaux du régime de détermination de la peine proposé aux juges. La gamme des peines possibles comprend l'absolution inconditionnelle, l'absolution conditionnelle, les mesures de rechange, les ordonnances de service communautaire, la probation, le sursis au prononcé de la peine, la condamnation à l'emprisonnement avec sursis, la restitution, l'indemnisation, les amendes et l'emprisonnement. Le juge qui prononce la peine peut imposer deux ou plusieurs peines, selon la nature de l'infraction et selon le délinquant, en fonction de la durée de la peine permise par le Code.

Le Code prévoit fort peu de peines minimum. La plus connue est la peine minimum d'emprisonnement à vie que peut entraîner le meurtre au premier ou au deuxième degré. Dans tous les autres cas, un maximum est fixé, mais aucun minimum : quatorze jours, six mois, deux ans, cinq ans, sept ans, quatorze ans, à vie.

Les modifications apportées au Code en 1996 ont réorganisé cette partie de la loi, codifié les préceptes applicables sous la forme de principes généraux et prévu de nouveaux types de peine.

L'objectif et les principes énoncés dans le Code reposent sur des pratiques établies depuis longtemps et une solide jurisprudence. Les peines visent à protéger la société en dénonçant les conduites illégales, en dissuadant les délinquants et d'autres personnes de commettre des infractions, en isolant au besoin les délinquants de la société, en facilitant la réadaptation des délinquants, en réparant le préjudice causé à la victime ou à la collectivité, et en aidant le délinquant à assumer la responsabilité du tort causé à la victime et à la collectivité.

Le principe fondamental de la détermination de la peine contenu dans le Code veut que la peine imposée par le juge soit proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Ce principe fondamental est étayé par d'autres principes : le rôle des circonstances aggravantes dans l'établissement de la durée de la peine, la similitude des peines imposées dans des circonstances similaires, l'imposition de peines qui ne sont pas exagérément sévères ou longues, la modération dans la privation de liberté, le recours, autant que possible, à toutes les autres mesures avant le recours à l'incarcération, notamment en ce qui concerne les délinquants autochtones.

Pour respecter ces objectifs et ces principes, les juges doivent considérer chacun d'eux et voir comment ils s'appliquent dans un cas donné pour arriver à déterminer la peine qui convient. En outre, ils doivent rédiger les motifs de leurs décisions en expliquant la façon dont ils ont appliqué les objectifs et principes à la détermination de la peine choisie.

Deux questions en cause dans ces mesures relativement nouvelles sur la détermination de la peine ont donné lieu à des controverses et des litiges : la modération dans l'imposition de peines d'incarcération aux délinquants autochtones et les condamnations à l'emprisonnement avec sursis. La Cour suprême du Canada a été saisie de ces deux questions et elle a maintenu les dispositions en cause.

Le Parlement a adopté le principe de la modération dans l'incarcération des délinquants autochtones pour réduire le taux d'incarcération disproportionné des Autochtones dans certaines régions du Canada. D'aucuns ont critiqué cette approche, disant qu'elle établit un processus distinct, fondé sur la race, pour la détermination de la peine des délinquants autochtones, ce qui vaudra à ceux-ci un traitement plus indulgent. Cette disposition n'est qu'une des nombreuses dispositions qui guident les juges pour qu'ils imposent la peine qui convient dans un cas donné.

La condamnation à l'emprisonnement avec sursis est une nouvelle mesure qui a suscité la controverse et semé la confusion. Il s'agit d'une peine d'emprisonnement de moins de deux ans à purger dans la collectivité si cela ne présente aucun risque. La seule restriction qui s'applique est que l'infraction en cause n'entraîne pas une peine minimum. Le Parlement du Canada a adopté cette mesure pour réduire le taux d'incarcération au Canada.

Cette mesure a été dénoncée par un certain nombre de provinces et d'organisations non gouvernementales parce qu'elle peut s'appliquer à la plupart des infractions pénales. Selon les critiques, elle ne devrait pas s'appliquer dans les cas où il y a perte de vie ou violence grave, ni aux autres infractions graves ou lorsqu'il y a récidive. Ils ajoutent qu'on ne peut la distinguer de la probation ou du sursis au prononcé de la peine, ce qui sème la confusion. Lorsqu'elle a étudié la question, la Cour suprême du Canada a dit que la condamnation à l'emprisonnement avec sursis doit contenir un élément punitif comme l'assignation à résidence ou d'autres conditions pour pouvoir s'appliquer légitimement et se distinguer d'autres mesures analogues.

Incarcération et réadaptation des délinquants

L'honorable Gérald Beaudoin a rappelé que le Parlement et le gouvernement fédéral ont compétence à l'égard des délinquants condamnés à des peines de prison de deux ans ou plus.

Le Parlement a adopté en 1992 la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Cette loi a modernisé et rationalisé le système déjà en place. Elle n'a pas établi de nouvelles institutions ni de nouvelles formes de libération sous condition de délinquants renvoyés dans la collectivité selon une formule ou une autre. Elle constitue le fondement législatif du Service correctionnel du Canada, de la Commission nationale des libérations conditionnelles et de l'Enquêteur correctionnel (ombudsman qui reçoit les plaintes des détenus).

Le Service et la Commission sont guidés dans leurs activités courantes par l'objectif et les principes prévus dans la Loi. Aussi bien dans le processus correctionnel que dans celui des diverses formes de mise en liberté sous condition, les deux institutions sont assujetties au principe primordial de la protection de la collectivité dans tout ce qu'elles font. Toutes leurs activités - admission, classification, transfèrement, traitement, réadaptation, formation, éducation, réinsertion sociale - sont soumises à cette considération première.

Le Service a des établissements de trois niveaux de sécurité
- maximale, moyenne et minimale - ainsi que des centres résidentiels communautaires (maisons de transition). Les détenus font l'objet d'une évaluation qui permet d'établir leur niveau de sécurité. Ils doivent être classés au niveau de sécurité qui convient pour être accueillis dans un établissement donné.

Plusieurs types de liberté sous condition sont à la disposition des détenus : placement à l'extérieur, permission de sortir, semi-liberté et liberté conditionnelle totale. Le détenu doit présenter un faible risque de récidive pour obtenir l'une de ces formes de liberté sous surveillance de l'autorité habilitée à les accorder, le Service lui-même ou la Commission nationale des libérations conditionnelles. Bien que la réadaptation et la réinsertion sociale soient des éléments et objectifs importants de ces mises en liberté sous condition, la protection de la collectivité demeure primordiale.

Le Service correctionnel du Canada est chargé du fonctionnement des établissements pénitentiaires classiques mais il a aussi, au cours des dix dernières années, amorcé des initiatives nouvelles qui ont elles-mêmes donné lieu à des controverses.

Pour répondre aux besoins particuliers du petit nombre de délinquantes sous responsabilité fédérale, le Service exploite à leur intention quelques établissements correctionnels de taille restreinte disséminés aux quatre coins du Canada plutôt qu'un grand établissement central. Ces établissements offrent des services et des programmes axés sur les femmes, au lieu des approches classiques du modèle correctionnel masculin.

Le réseau correctionnel fédéral se caractérise dans certaines régions par un nombre disproportionné de détenus autochtones. Beaucoup restent sous garde après leur date d'admissibilité à la libération conditionnelle pour un certain nombre de raisons, dont une préparation incomplète au retour dans la collectivité, l'absence de programmes adaptés dans la collectivité ou le fait que certains programmes disponibles ne sont pas adaptés à leur culture. Devant cette situation, le Service a conçu un certain nombre de programmes expressément destinés aux délinquants autochtones incarcérés dans ses établissements. En outre, il a ouvert ces dernières années plusieurs établissements à sécurité minimale, comme les pavillons de ressourcement, pour utiliser les coutumes et traditions autochtones afin de faciliter la réinsertion sociale des détenus.

Comme l'un de ses objectifs consiste à soutenir la réinsertion sociale des délinquants, le Service a implanté ces dernières années quelques établissements à sécurité minimale qui présentent l'aspect de maisons en rangée dans les quartiers de banlieue. Un certain nombre de délinquants doivent y vivre ensemble et se charger de leurs besoins courants au moyen d'un budget pré-établi. On essaie ainsi de faire vivre les détenus dans un cadre contrôlé qui est le plus près possible du mode de vie qui sera le leur lorsqu'ils retourneront dans la société sous une forme quelconque de liberté sous condition ou à la fin de leur peine. Cette initiative prête particulièrement à controverse chez ceux qui critiquent le système correctionnel fédéral.

Le sénateur Beaudoin a tenu à préciser, en conclusion, que chacune de ces initiatives innovatrices est administrée dans le respect de la valeur primordiale qu'est la sécurité publique. Les détenus qui passent d'un niveau de sécurité à un autre ou participent à ces initiatives originales doivent le mériter car ils peuvent perdre ce privilège s'ils enfreignent les règles.

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