CALCUTTA : FEUX DE BENGALE

Alors que Calcutta et le Bengale Occidental sont parfois réduits à quelques clichés -la misère, le communisme-, la délégation a été profondément impressionnée par son passage à Calcutta. Elle a découvert un Etat plus peuplé que la France, connaissant une stabilité politique remarquable et un développement économique intense. Elle a reçu un accueil exceptionnel de la part de l'ensemble des autorités de l'Etat. Elle est allée à la rencontre d'une société particulièrement vivante, ouverte, tolérante, éprise de culture humaniste, qui a donné à l'Inde certains de ses plus grands artistes et philosophes - Rabindranâth Tagore, Aurobindo, Satyajit Ray. Mais elle a pu mesurer aussi le déclin de la présence française et les regrets suscités par cette évolution.

Le Bengale Occidental en quelques chiffres

Unité

Période

Superficie

km²

88.752

Population

millions

2001

80,2

Rang en Inde

4 e

Poids dans la variation démographique

%

1971-2001

7,3

Croissance démographique relative

Inde = 1

0,8

Rang en Inde

21 e

Densité

hab/km²

2001

903,9

Rang en Inde

6 e

Espérance de vie à la naissance

années

1992-1996

62,4

Rang en Inde

7 e

Taux d'alphabétisation

% pop.

2001

69,2

Rang en Inde

6 e

Pop. Au-dessous du seuil de la pauvreté

%

1999-2000

27

Rang en Inde

12 e

Accès à l'eau potable

(%) des ménages

1991

82

Accès à l'électricité

(%) des ménages

1991

32,9

Taux de mortalité infantile

pour 1.000

1991

62

Indice du développement humain (IDH)

2001

0,59

Rang en Inde

8 e

(source : Mission économique de New Delhi)

1. Une remarquable stabilité politique

Le Bengale Occidental, situé à l'Est de l'Inde, est bordé par le Bangladesh, le Népal, le Bhoutan et les États indiens du Bihar, du Sikkim, de l'Orissa et de l'Assam.

Comme l'a expliqué à la délégation le Pr Suranjan DAS, Pro Vice-Chancellor à l'université de Calcutta, le Bengale Occidental occupe une place tout a fait originale en Inde. Malgré sa situation géographique, il n'a pas été touché par les violences communautaristes en 1947 lors de l'indépendance et la partition de l'Inde. Depuis lors, une tradition de fraternité bien ancrée dans la société bengali a permis, pour l'essentiel, d'éviter les violences entre hindous et musulmans.

Depuis 1977, l'État est gouverné de manière constante par une Union de la Gauche dirigée par le Communist Party of India-Marxist , qui a envoyé 43 députés au Parlement fédéral lors des dernières élections générales. Si, dans un premier temps, l'Union de la Gauche s'est attachée à consolider les droits civils au Bengale tout en défendant un modèle de développement strictement communiste, impliquant un refus d'accueillir les capitaux étrangers, cette situation a rapidement évolué. Dès les années 1980, des facilités d'établissement ont en effet été accordées aux investisseurs étrangers.

La gestion du Bengale Occidental se caractérise par un rôle particulièrement important dévolu aux panshayats , les conseils de district, dont le fonctionnement permet d'associer davantage la population dans le processus de développement. Ainsi, tous les projets de développement d'infrastructures sont décidés au sein des panshayats .

Actuellement composée de neuf partis, l'Union de la Gauche a été reconduite avec une écrasante majorité lors des élections de mai 2001. Depuis novembre 2000, le gouvernement est dirigé par M. Buddadheb BHATTACHARJEE, qui a succédé à M. Jyoti BASU, Ministre en Chef du Bengale Occidental pendant vingt-trois ans.

La délégation a pu avoir un long entretien, d'une grande densité, avec M. Buddadheb BHATTACHARJEE, personnalité exceptionnelle, ministre dans la plupart des gouvernements depuis 1977, auteur de traductions d'oeuvres de Bertolt BRECHT ou Gabriel GARCIA MARQUEZ, admirateur de Jean-Paul SARTRE. Celui-ci s'est déclaré partisan de réformes économiques importantes, soulignant que la planification centralisée avait échoué partout où elle avait été mise en oeuvre. Au cours d'une première période, l'Union de la Gauche a concentré son action sur la réforme agraire : 72 % des terres appartiennent aujourd'hui aux paysans. Plus récemment, d'importantes évolutions ont contribué à donner au Bengale Occidental un nouveau dynamisme économique :

- pour favoriser les investissements étrangers , les procédures de décision ont été simplifiées, les délais d'obtention des autorisations nécessaires au financement de projets ont été réduits, le rôle du West Bengal Industrial Development Corporation (l'Agence pour le Développement industriel du Bengale Occidental) a été renforcé. Des zones franches ont été créées : ainsi à Falta, les usines de la société franco-indienne Deltnal (groupe Delta Plus et Mallcom) fabriquent des chaussures de sécurité destinées à l'importation ;

- dans l' administration , le Gouvernement s'efforce de promouvoir une meilleure éthique de travail, afin d'accroître l'efficacité et de diminuer la corruption. Le nombre de jours chômés a été réduit et un contrôle du temps de travail comme du travail accompli a été instauré. Le Gouvernement s'est également attaché à limiter l'ampleur des mouvements sociaux ;

- en ce qui concerne les moyens de communication , la qualité du réseau routier a été nettement améliorée au cours des dernières années avec la construction d'autoroutes et de ponts. Pour compléter les deux ports existants -Calcutta et Haldia- un troisième sera prochainement construit à Kulpi. Cependant, le Ministre en Chef a souligné devant la délégation que le manque d'infrastructures de transport modernes demeurait une difficulté sérieuse à Calcutta, où la pollution est particulièrement développée. Deux nouveaux ponts sont en construction pour tenter d'améliorer la circulation ;

- d'importants investissements ont été consentis dans le secteur de l' énergie . Le Bengale Occidental est l'un des rares États de l'Inde à ne pas connaître de pannes d'électricité. La production est désormais supérieure à la demande et le Bengale approvisionne les États voisins pour une partie de leurs besoins.

La délégation en compagnie de M. Buddhadeb BHATTACHARJEE, Ministre en Chef du Bengale Occidental

2. L'économie du Bengale

En 1947, le Bengale était au premier rang des régions de l'Inde pour ce qui est de la production industrielle. Calcutta a ensuite souffert de la partition du pays, qui l'a privée de son arrière-pays producteur de jute et qui a provoqué un afflux de réfugiés, renouvelé en 1971, lorsque le Bangladesh est devenu indépendant.

Malgré ces difficultés, le Bengale est resté une région industrielle importante : la région d'Asansol-Durgapur à l'Ouest de Calcutta est appelée la Ruhr de l'Inde. Les grandes aciéries de SAIL, d'IISCO y ont des usines. Le complexe d'Haldia regroupe des industries chimiques et pétrochimiques.

Au cours d'une réunion interactive avec la chambre de commerce indienne et l'Agence pour le Développement du Bengale Occidental, la délégation a pu constater la très grande vitalité du secteur agro-alimentaire au Bengale. La présence dans l'État de six zones agro-climatiques permet la culture d'un très grand nombre de produits agricoles et horticoles. Ainsi, le Bengale Occidental assure 19 % de la production nationale de légumes, 21 % de la production de thé, 25 % de la production d'ananas. Il est le premier producteur national pour le riz et le deuxième pour la pomme de terre. 12.000 hectares sont consacrés à la culture des fleurs. L'agriculture mobilise trois actifs sur quatre et fournit près de 50 % de ses revenus à l'État. Au total, le Bengale Occidental produit plus de 8 % des produits alimentaires du pays .

L'aquaculture et la pisciculture représentent également un secteur à fort potentiel. Le Bengale Occidental est notamment le premier État producteur de crevettes en Inde. Dans la région des « Sunderbans », le Gouvernement a lancé un projet d'exportation de crabes à destination de l'Europe et de l'Asie du Sud-Est. Une zone spécialisée dans les techniques de conditionnement et d'exportation des produits de la mer est en cours de construction.

Calcutta est, derrière Madras, le deuxième centre indien pour l'industrie du cuir, avec plus de 15 % de la production nationale. 600 tanneries y sont installées, pouvant tanner jusqu'à 800 tonnes de peaux par jour.

En 2000-2001, le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication a enregistré un taux de croissance de 72 %, contre une moyenne nationale de 50 %. Les exportations dans ce domaine ont connu entre 1998 et 2000 une hausse de 75 %. A Salt Lake City (banlieue de Calcutta) a été créé un parc technologique accueillant 165 sociétés et employant 13.000 personnes. Un deuxième parc technologique, le Bengale Intelligent Park, a été construit et attire un grand nombre de compagnies étrangères. La construction d'un troisième parc technologique est en cours.

Le Bengale Occidental est par ailleurs remarquable par la qualité de ses ressources humaines. Ses institutions d'enseignement supérieur et ses centres de recherche forment des professionnels et chercheurs de haut niveau : il a parmi les États indiens le niveau le plus élevé de dépenses en matière d'éducation, avec 8.000 ingénieurs formés chaque année. La main d'oeuvre ne cherche pas à se déplacer dans le reste de l'Inde, grand avantage pour les sociétés qui la recrutent. A l'échelle de l'Inde, on estime que 20 % des étudiants des prestigieux Indian Institutes of Technology sont originaires du Bengale.

Au total, le Bengale Occidental est maintenant le quatrième Etat indien en ce qui concerne la croissance enregistrée depuis 1991, ce qui le place devant le Maharashtra (Bombay) et l'Andra Pradesh (Hyderabad). Un magazine français pouvait titrer il y a quelques mois : « Calcutta la rouge, eldorado pour les multinationales » 5 ( * ) .

La délégation en compagnie de M. Subrata MUKHERJEE, maire de Calcutta

3. Où est la France ?

Si la délégation a été impressionnée par le dynamisme du Bengale Occidental, par la volonté manifeste des autorités de susciter des investissements étrangers, elle n'a pu que constater la faiblesse -et même le déclin- de la présence française à Calcutta et au Bengale.

Sur le plan institutionnel, la France a progressivement réduit à sa plus simple expression sa présence à Calcutta. En 1991, elle a fermé son poste d'expansion économique. En 1999, elle a fermé son consulat général. Cette fermeture a été regrettée par un grand nombre des interlocuteurs de la délégation et singulièrement par le Ministre en Chef du Bengale Occidental, M. Budhaddeb BHATTACHARJEE, qui a souhaité la réouverture d'un consulat.

La fermeture du Consulat de Calcutta : chronique d'une erreur annoncée

En 1999, notre ancien collègue M. Jacques CHAUMONT avait effectué une mission en Inde au nom de la Commission des Finances. Dans son rapport 6 ( * ) , il avait exprimé les plus expresses réserves sur la fermeture du Consulat de Calcutta, qui venait d'être décidée :

« Il est permis de s'interroger sur l'opportunité de cette décision, présentée comme une mesure d'économie.

« D'une part, bien que le Nord-Est de l'Inde ne dépende pas en droit de cette chancellerie détachée, c'est en pratique à Calcutta que s'acheminent les habitants de cette région qui souhaitent prendre contact avec la France. L'existence de ce poste prend en compte les réalités concrètes de l'Inde, pays vaste comme l'Union européenne et trois fois plus peuplé, où les déplacements des individus restent lents et difficiles.

« D'autre part, même si l'image du dynamisme économique reste traditionnellement associée à Bombay et Bangalore, un frémissement d'activité est nettement perceptible à Calcutta. La présence des entreprises françaises s'y est renforcée au cours des dernières années, et cette tendance devrait s'amplifier à l'avenir.

« Fait significatif, les autres pays occidentaux disposent à Calcutta de représentations d'un niveau supérieur à notre chancellerie détachée. La suppression de celle-ci n'entraîne d'ailleurs qu'une économie négligeable, car le poste fonctionne avec des effectifs très réduits, dont seulement deux expatriés, l'un de catégorie B et l'autre de catégorie C.

«  Certes, votre rapporteur est convaincu de la nécessité de redéployer activement le réseau diplomatique et consulaire de la France dans le monde, et accepte sans états d'âme les inévitables fermetures de postes que cette politique implique. Mais en l'occurrence, la fermeture de la chancellerie de Calcutta paraît aller à l'encontre du transfert souhaitable de moyens des zones de présence « historique » de la France vers les nouvelles zones de dynamisme économique. Loin d'être supprimé, ce poste mériterait au contraire d'être renforcé, sous la forme d'un poste mixte commun au Ministère des Affaires étrangères et au Ministère de l'Economie et des Finances, tel celui qui vient d'être créé à Bombay. »

L'évolution récente du Bengale Occidental a démontré la profonde justesse de cette analyse.

Certes, en 2000, la France a rouvert une mission économique, d'abord animée par une seule personne, Mme Marie-Claude OLIVIER, unanimement appréciée par la petite communauté française de Calcutta, avant qu'un agent indien soit chargé de la seconder.

Une telle organisation -et les moyens qui lui sont consacrés- sont tout à fait insuffisants pour susciter l'intérêt et favoriser l'implantation d'entreprises françaises au Bengale Occidental.

Les entreprises françaises implantées dans la région sont peu nombreuses : Lafarge, Alstom (centre de production d'équipements électriques pour Alstom Projects India), SEMA/ATOS (unité de développement de services informatiques), Mallcom India et Deltnal (production de vêtements et de chemises de sécurité), Seureca (ingénierie pour les services de distribution d'eau sur financement par protocole), Stein Hurtey (conception de hauts fourneaux).

Aujourd'hui, la France est devancée, en termes de présence dans cet État, non seulement par les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, mais également par l'Allemagne, l'Italie et plusieurs autres pays européens.

Or, les opportunités d'investissement sont actuellement considérables, dans des domaines où notre pays dispose de compétences indiscutables.

A titre d'exemple, les interlocuteurs de la délégation ont indiqué que 30 % environ de la production de fruits et légumes étaient perdus, du fait de mauvaises conditions de conservation et de conditionnement. Aussi, le gouvernement du Bengale multiplie-t-il les actions en faveur des investissements étrangers en agro-alimentaire, avec une priorité affichée pour la conservation et la transformation des fruits et légumes.

De même, lors de son entretien avec la délégation, le Maire de Calcutta, M. Subrata MUKHERJEE, a longuement insisté sur la modernisation des installations d'alimentation d'eau de la ville. D'ores et déjà, un grand groupe français est impliqué dans cette opération, mais d'autres besoins devront encore être satisfaits à l'avenir. Il en est de même en matière d'infrastructures de transport.

Ainsi, de nombreuses opportunités existent au Bengale Occidental pour les entreprises françaises, mais les réalisations demeurent aujourd'hui limitées.

Sur le plan culturel, la France demeure présente à Calcutta à travers de nombreuses manifestations, notamment dans le domaine du livre et du cinéma. Certains interlocuteurs de la délégation ont cependant regretté un certain déclin des liens culturels entre la France et le Bengale. Ces relations ont connu une sorte d'âge d'or lorsque de nombreux professeurs français ont fréquenté Santiniketan, l'Université fondée en 1921 par Rabindranâth TAGORE. Après l'indépendance, le Centre culturel français de Calcutta a été un lieu de rayonnement exceptionnel où se rencontrèrent notamment Jean RENOIR et Satyajit RAY.

L'Alliance française de Calcutta connaît aujourd'hui une situation préoccupante. Alors qu'elle disposait de locaux anciens mais bien situés, ceux-ci ont brûlé en 1999. Depuis lors, l'Alliance est installée dans deux lieux différents, bruyants et peu fonctionnels : un espace administratif et un immeuble accueillant les salles de cours. Malgré cette situation, 1.300 étudiants ont suivi des cours en 2003.

Ce problème immobilier se double de difficultés de gestion importantes. En Inde, les alliances françaises sont des associations de droit local reconnues par l'Alliance française de Paris et disposant du statut de « charitable trust » ou « cultural society », enregistrées au registre des sociétés de chaque État. Un comité indien est responsable de la plupart des décisions concernant l'Alliance. A Calcutta, le fonctionnement de ce comité est aujourd'hui particulièrement problématique, de sorte que de nombreux adhérents, découragés par une situation d'immobilisme ont quitté l'Alliance pour créer une autre association d'Amis de la France.

Des initiatives ont récemment été prises pour que cesse cette situation qui, à travers l'Alliance, ternit l'image de la France. La délégation tient à saluer l'action du directeur de l'Alliance française à Calcutta, M. Nicolas BLASQUEZ, qui doit conduire son action dans des conditions particulièrement difficiles.

Au cours de son séjour à Calcutta, la délégation a eu le plaisir de rencontrer les représentants du centre culturel franco-indien de Chandernagor, qui a été chargé de faire vivre la mémoire de la période du comptoir français. Les responsables de ce centre ont souligné le succès que celui-ci rencontrait et souhaité que la coopération entre la France et l'Inde se renforce pour le développement de ses activités.

*

Il n'est que temps que notre pays mesure les opportunités économiques qu'offrent aujourd'hui le Bengale Occidental et Calcutta. Il ne tient qu'à nous de redonner corps à une proximité culturelle manifeste entre la France et le Bengale. La délégation a pu constater, par l'accueil qu'elle a reçu, que la France était attendue aujourd'hui au Bengale.

* 5 L'Expansion, juillet-août 2004, n°688.

* 6 « L'Inde en mouvement : une chance à saisir pour la France », rapport n° 476 publié au nom de la Commission des Finances (1998-1999).

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