B - MONTÉNÉGRO : QUELLE CHANCE POUR L'INDÉPENDANCE ?

Largement accepté en Serbie, l'Etat Commun ne suscite pas la même adhésion au Monténégro, conforté dans sa démarche indépendantiste par la reconnaissance internationale acquise à la fin des années quatre-vingt dix.

1. MYTHES ET RÉALITÉS DE L'INDÉPENDANTISME MONTÉNÉGRIN

Le séparatisme monténégrin ne tire pas directement parti de conditions géographiques, démographiques ou ethniques spécifiques. Petit territoire (13.812 km²), le Monténégro est, en effet, avec 672.000 habitants, moins peuplé que la province autonome de Voïvodine. La réalité d'un groupe ethnique monténégrin est également sujette à caution.

Lors de leur conquête des territoires balkaniques au VIIe siècle, les Serbes s'installèrent dans une vaste région qui s'étend de l'actuelle Belgrade aux côtes de l'Adriatique. Les victoires ottomanes de la fin du XIVème siècle séparent Serbes du nord placés sous domination directe de la Sublime Porte et Serbes du sud, protégés par le relief montagneux (massif du Durmitor). Isolés autour de Cetinje, au pied du mont Lovtchen, et placés au XVème siècle sous suzeraineté théorique des Turcs, les Serbes mettent progressivement en place une théocratie élective, destinée à fédérer les quelques trente tribus qui peuplent la région. Le XVIIIème siècle est marqué par l'établissement d'un pouvoir central fort et moderne, autour de la dynastie des NJEGOS. Pierre Ier, dont le règne s'étend de 1782 à 1830, promeut ainsi une assemblée représentative et une organisation judiciaire codifiée et novatrice. Sa politique étrangère est fondée sur la poursuite de l'alliance poussée avec la Russie et la lutte contre Istanbul, obtenant des Ottomans une reconnaissance de l'indépendance de son territoire en 1799. Le développement du pays, reconnu par la France et l'Autriche et dont le régime est désormais laïc, est poursuivi par ses successeurs Pierre II et Nicolas Ier. Ce dernier obtient du Congrès de Berlin de 1878 la reconnaissance internationale de sa principauté et des extensions territoriales au Nord, à l'Est (annexion de Podgorica) et au Sud (ports d'Antivari et Dulcigno). Le Monténégro est officiellement érigé en royaume en 1910. Allié aux serbes dans les guerres balkaniques et contre Vienne, son territoire est envahi par l'armée autrichienne en 1915, puis intégré au Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes (rebaptisé royaume de Yougoslavie en 1929) créé à l'issue du premier conflit mondial, sans autre forme de reconnaissance. Parenthèse faite du régime fantoche mis en place par les Italiens en 1941 7 ( * ) , le Monténégro ne retrouve son autonomie qu'en 1945, date à laquelle il devient une des six Républiques fondatrices de la Yougoslavie titiste.

La spécificité monténégrine tient de fait plus à son pragmatisme historique, à son autonomie préservée contre l'envahisseur (les Monténégrins sont alliés des Russes lors des guerres d'Illyrie contre les armées napoléoniennes) et au développement concomitant de structures politiques, économiques et juridiques propres, qu'à des critères ethniques, voire culturels 8 ( * ) . Le XIXème siècle a par ailleurs légitimé le décalage entre la taille de ce territoire et son écho sur la scène internationale. Cet orgueil national est un des arguments importants du courant indépendantiste, qui relève également que le Monténégro est la dernière République yougoslave à faire sécession. L'opposition frontale, pour partie opportuniste, de certains membres du gouvernement monténégrin au régime de Slobodan MILOSEVIC après les Accords de Dayton a réveillé ce sentiment, permettant d'ériger le Monténégro en contre-exemple d'une Serbie ultra-nationaliste et nostalgique, option largement autonomiste légitimée par la Communauté internationale au travers des aides financières étrangères accordées en 1999-2000.

La thèse indépendantiste dite « civique » se fonde sur cette perception politique, déniant toute valeur selon Milo DJUKANOVIC à un quelconque nationalisme romantique issu du XIXème siècle. Elle s'appuie paradoxalement sur le projet multi-culturel yougoslave mis en oeuvre par TITO. Yougo-nostalgiques mais prenant acte de l'action des serbes au Kosovo, les indépendantistes monténégrins mettent en avant l'harmonie trouvée au Monténégro entre les diverses communautés qui le composent. Le recensement de 2003 a en effet dénombré 71 % de Serbes (30 %) et de Monténégrins (40 %), 7 % d'Albanais (concentrés au sud du pays) et 14,6 % de Bosno-musulmans (résidant dans le sud) 9 ( * ) . Les scrutins ne mettent pas en avant de vote communautaire, les partis dits civiques (au premier rang duquel ont trouve le SDP du Président du Parlement, M. Ranko KRIVOKAPIC) captant l'essentiel des voix. Sur les 4 députés d'origine albanaise, 2 seulement sont affiliés à des formations spécifiquement albanaises. Les groupes bosniaques ne sont quant à eux pas représentés faute d'audience (le seuil électoral pour entrer au Parlement est fixé à 3 % des voix). Le conflit kosovar a d'ailleurs été l'occasion pour le gouvernement monténégrin de démontrer son attention aux minorités en accueillant 130.000 réfugiés albanais. Le Monténégro compte toujours 13.300 réfugiés et 18.000 déplacés. La langue albanaise est en outre officiellement enseignée au sein du système éducatif monténégrin, un département universitaire spécifique a également été ouvert à Podgorica. Le soutien des minorités au processus indépendantiste apparaît en conséquence logique, la perspective d'un poids plus important au sein d'un micro-Etat n'étant pas non plus à écarter de leurs motivations.

Le projet civique assimile encore la Serbie au régime de Slobodan MILOSEVIC. La collaboration délicate de Belgrade avec le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie comme les difficultés serbes à trouver un compromis sur l'avenir du Kosovo sont envisagées comme une manifestation d'un nationalisme peu en phase avec les réalités multiculturelles de l'ex-Yougoslavie et responsable du retard dans l'ouverture des négociations en vue de l'établissement d'un Accord de Stabilisation et d'Association avec l'Union Européenne. Par le prisme de l'Etat Commun, les erreurs de Belgrade sont supposées affaiblir le développement monténégrin, le maintien d'une Union étant perçu comme une compensation européenne à la probable perte du Kosovo. L'Etat Commun apparaît à cet égard doublement coûteux, tant au niveau de la modernisation du pays que sur le plan financier : la contribution budgétaire est notamment jugée trop importante au regard du poids relatif du Monténégro. La fourniture de 7.500 hommes à l'armée commune est ainsi vivement critiquée, l'image de l'ancienne armée yougoslave étant de surcroît négative auprès de la population locale depuis les guerres contre les Croates et les Bosniens. Le Monténégro souhaiterait en cas d'indépendance conserver un corps militaire limité à 1.000 hommes. L'absence de similitude entre les objectifs économiques des deux Républiques, les Monténégrins étant, à la différence des Serbes, les adeptes d'une libéralisation poussée, justifie également à leurs yeux l'abandon de l'Etat Commun et des intégrations séparées au sein de l'Union Européenne.

A coté de cette optique « citoyenne », majoritaire, le courant indépendantiste développe également une option plus ethnique. Sans verser dans le scientisme de certains groupuscules (on citera l'Académie Djuklienne ou l'ONG Racines) qui tentent de déterminer un Monténégrin ethniquement pur, alliant origines slaves et romaines, le gouvernement a rebaptisé l'enseignement du serbe « enseignement de la langue maternelle ». Le recensement de 2003 établit par ailleurs une distinction entre Serbes (30 % de la population) et Monténégrins (40 %). L'adhésion à la nationalité monténégrine n'est pas pour autant représentative : la principale figure de l'opposition anti-indépendantiste, Pedrag BULATOVIC, s'est lui-même déclaré Monténégrin pour souligner que tous les Monténégrins n'étaient pas sécessionnistes. Il convient d'ailleurs, au regard de ces chiffres, de s'interroger sur le résultat du prochain référendum d'autodétermination : l'adhésion à la nationalité monténégrine n'est pas majoritaire, un succès passe donc automatiquement par l'appui des minorités.

La dimension symbolique n'est pas non plus absente de ce débat. Rompant avec les exigences de l'Etat Commun, le Monténégro possède un nouveau drapeau depuis juillet 2003, alliant des éléments de l'ancien drapeau de la Principauté monténégrine à l'héraldique de la dynastie NJEGOS. Conscient de la capacité de nuisance de l'Eglise orthodoxe serbe, opposante au projet de scission, dans un pays pourtant peu pratiquant, bien que 75 % de la population se déclarent orthodoxes, le gouvernement a contribué à l'émergence d'une Eglise monténégrine, qui ne dispose pour l'instant que d'une faible audience (1/3 des fidèles).

(drapeau monténégrin)

* 7 Le Monténégro est en fait divisé en deux : la côte adriatique devient province du Cattaro, annexée par l'Italie, un Governatorato de Dalmatie satellite étant institué dans la partie restante. Bien que les termes d'indépendance ou de souveraineté soient ici galvaudés, le Président du Parlement Monténégrin, M. Ranko KRIVOKAPIC, a néanmoins daté, lors de ses entretiens avec le groupe d'amitié, l'absence d'autonomie entre 1918 et 1941.

* 8 Les valeurs fondatrices du peuple serbe font également partie du patrimoine culturel monténégrin, élaboré notamment sous Pierre II NJEGOS.

* 9 1% de d'habitants sont croates et 0,4 % Roms (seuls 10 % de ces derniers ont été recensés).

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