2. UNIS VERS L'INDÉPENDANCE ?

La vie politique au Monténégro est structurée autour de deux blocs cohérents : l'alliance indépendantiste DPS - SDP (issu de l'ancienne Ligue des communistes, le DPS de M. Milo DJUKANOVIC, actuel Premier ministre, est classé au centre-gauche comme la SDP d'inspiration social-démocrate) d'une part et l'opposition regroupée dans la coalition « Ensemble pour les changements » rassemblant le Parti Socialiste Populaire (SNP) de M. Pedrag BULATOVIC, frange anti-indépendantiste du DPS, autonome depuis 1997, le Parti Populaire (NS), proche de l'Eglise orthodoxe serbe et soutien de M. DJUKANOVIC jusqu'à la chute de Slobodan MILOSEVIC, et le Parti Populaire Serbe (SNS) parti ultra nationaliste serbe. Le clivage s'effectue autour de la question de l'indépendance du Monténégro, thème de campagne du DPS, à laquelle la coalition « Ensemble pour les changements » est hostile.

A ces deux blocs, s'ajoutait jusqu'en mars 2005 l'Alliance Libérale (LSCG) de M. Miodrag ZIVKOVIC (30 % des voix aux dernières élections présidentielles), parti ultra-indépendantiste militant pour la reconnaissance d'une véritable nationalité monténégrine, niant l'appartenance des monténégrins à l'ethnie serbe. Placée dans l'opposition et divisée, cette formation s'est auto-dissoute.

On notera également l'émergence du GP (Groupe pour le changement) d'inspiration libérale et dont les membres issus de la société civile s'attachent à démontrer la dimension annexe du problème du statut au regard des difficultés économiques (20 % de la population en dessous du seuil de pauvreté). Disposant d'un seul siège au Parlement, elle soutient la politique gouvernementale. A ces groupes, il convient d'ajouter les représentants de la minorité albanaise (la Ligue démocratique des Albanais du Monténégro et l'Union démocratique des Albanais du Monténégro de M. Ferhat DINOSA sont représentées par 2 députés).

La répartition des sièges au Parlement monténégrin (75 députés) est la suivante :

Indépendantistes : 45 sièges

Fédéralistes : 30 sièges

DPS - Parti démocratique des socialistes : 31

SDP - Parti Social Démocrate : 7

GP - Parti Civique : 1

DSCG - Ligue Démocratique des Albanais du Kosovo : 1

DUA - Union démocratique des Albanais : 1

Membres de l'ancienne Alliance libérale du Monténégro : 4

SNP - Paris socialiste du Peuple : 19

NS - Parti du Peuple : 5

SNS - Parti du peuple serbe : 6

Le DPS reste le parti majoritaire au Monténégro. En sont issus MM. Svetozar MAROVIC, Président de l'Etat Commun, Filip VUJANOVIC, Président du Monténégro et Milo DJUKANOVIC, Premier ministre, charismatique fondateur du DPS. M. DJUKANOVIC, figure emblématique de la lutte contre Slobodan MILOSEVIC à partir de 1997, occupe des fonctions au sein du gouvernement monténégrin (alternativement Premier ministre et Président de la République) depuis 1991 10 ( * ) . Jeune cadre de la révolution anti-bureaucratique lancée par Belgrade en 1988, soutien du régime lors du conflit opposant les Serbes aux Bosno-Croates, M. DJUKANOVIC développe après 1995 un discours critique sur la Yougoslavie sous domination serbe, prônant l'indépendance de sa République, comme seule garantie pour la coexistence pacifique des minorités la composant. Cette opposition ouverte se traduit par le blocus serbe de 1999, le développement de structures internes propres (douanes, police, monnaie), une scission au sein du DPS rejetant les fidèles de Belgrade, conduits par l'ancien Président de la République, Momir BULATOVIC, dans l'opposition et une forme de reconnaissance internationale.

Proeuropéenne, l'alliance DPS-SDP promeut une politique de réformes ambitieuses depuis deux ans dans le cadre des programmes de soutien de la Banque Mondiale et de l'OSCE. Ainsi, le deutsche mark puis l'euro ont été introduits comme moyen de paiement. Malgré le coût social de telles restructurations, le Premier ministre ne voit pas sa popularité directement atteinte. Il est toutefois opportun de s'interroger sur la capacité de M. DJUKANOVIC à conforter son poids politique après une éventuelle accession à l'indépendance du Monténégro, tant il semble tirer l'essentiel de son autorité de son discours à la fois modéré et ferme sur l'avenir à court terme des institutions communes et sur la situation transitoire dans laquelle est placée son pays. Ses partenaires du SDP, comme certains membres du DPS, ont d'ailleurs déjà contesté l'autorité du Premier Ministre lors de la signature de l'accord de Belgrade, lui reprochant sa prudence. La domination du DPS, et plus particulièrement celle de M. DJUKANOVIC, est de surcroît entachée par des affaires de corruption et de trafics (essentiellement de cigarettes, carburants et devises) dont le développement gangrène tout l'appareil d'Etat : le ministère de la Santé s'est ainsi retrouvé en 2003 au coeur d'une affaire de trafic de don d'organes. Un temps cité par des tribunaux italiens lors d'instructions visant un trafic de cigarettes, M. DJUKANOVIC reconnaît que la contrebande a permis au Monténégro de contourner les difficultés liées aux blocus des années quatre-vingt dix.

Si la vie politique monténégrine se structure autour des aspirations indépendantistes, la personnalité de M. DJUKANOVIC cristallise également nombre de rancoeurs chez ses anciens alliés de la Ligue des communistes ou du DPS. Le groupe d'amitié a pu noter au cours de ses contacts avec les membres de l'opposition que le discours anti-indépendantiste était souvent doublé d'attaques personnelles violentes contre le Premier ministre, suspecté de privilégier voire de confondre ses intérêts personnels avec ceux du Monténégro, la reconnaissance internationale de la petite République lui permettant d'acquérir une forme d'immunité.

(M. Milo DJUKANOVIC et Mme Monique PAPON)

privilégier voire de confondre ses intérêts personnels avec ceux du Monténégro, la reconnaissance internationale de la petite République lui permettant d'acquérir une forme d'immunité. Cette option ad hominem ne saurait cacher les ambiguïtés qui traversent l'opposition, tiraillée entre modérés partisans de l'Union d'Etats, ultra-nationalistes serbes et fidèles de l'ancien régime yougoslave, qui fragilisent une partie de sa crédibilité. Le boycott des deux derniers scrutins présidentiels, ou son absence aux débats parlementaires lors de la session 2003-2004, ne pose pas l'opposition en alternative crédible au gouvernement actuel. Les dernières élections municipales ont d'ailleurs souligné sa faible emprise dans des villes supposées pro-serbes. La relative passivité du modéré SNP, élément moteur de l'opposition, sur la question du référendum trahit une stratégie désormais fondée sur la prudence, acceptant la possibilité d'une scission avec la Serbie et la redéfinition concomitante de la donne politique sur la scène monténégrine. L'appel du SDP à un gouvernement d'union nationale avec les éléments modérés du SNP au lendemain du référendum, formulé devant le groupe d'amitié, confirme cette option. Le SNP laisse donc à la frange la plus radicale de l'opposition, appuyée par l'Eglise orthodoxe serbe, le soin de contester l'organisation du référendum. Pour autant, cet appel au maintien de l'Etat Commun ne représente pas une adhésion complète au projet européen présenté par M. Javier SOLANA, dont le rôle au sein de l'OTAN lors des bombardements de 1999 est toujours dénoncé.

* 10 M. VUJANOVIC a été Premier ministre de 1998 à 2002, puis Président du Parlement jusqu'à son élection à la tête de l'Etat le 11 mai 2003, après deux scrutins annulés faute de participation (le quorum de 50 % d'inscrits demandé a été finalement abrogé). M. MAROVIC a également occupé les fonctions de Président du Parlement.

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