I - LA BOLIVIE, VERS LA FONDATION D'UN ÉTAT SOCIAL COMMUNAUTAIRE

Créée en 1825 de toutes pièces par l'agrégation de territoires divers (Haut-Pérou, partie nord de l'ancienne vice-royauté de la Plata), la Bolivie s'est heurtée immédiatement aux ambitions de ses voisins avec lesquels elle est entrée en guerre à plusieurs reprises. Les conflits avec le Brésil (1860, 1903) lui ont fait perdre la moitié de son territoire, la guerre contre le Chili (1879) l'a privée de son accès à la mer -qu'elle ne renonce pas à récupérer-, et elle a dû céder le sud du pays à l'Argentine et au Paraguay (guerre du Chaco).

Longtemps réputée pour son instabilité politique (160 coups d'État depuis l'indépendance en 1825), la Bolivie ne connaît véritablement la démocratie que depuis 1982. Son économie est essentiellement agricole et minière, mais on assiste à une montée en puissance du secteur de l'énergie (gaz et pétrole) qui devrait constituer 20 % des exportations à l'horizon 2010, grâce à la vente de gaz naturel.

La Bolivie détient en effet les secondes réserves de gaz naturel d'Amérique du Sud, derrière le Venezuela. Elle est par ailleurs le 3 ème producteur de coca qui demeure une source de revenus importante (3,5 % du PIB), malgré une intensification des programmes d'éradication.

Pour autant, la Bolivie demeure le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud (70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté), souffrant de graves faiblesses structurelles (poids de la dette, dépendance vis-à-vis de l'aide extérieure et à l'égard des cours des produits de base, croissance faible pour réduire la pauvreté, chômage).

Le retour de la démocratie n'a donc pas permis de réduire les inégalités. De cet échec découle l'évolution que l'on observe aujourd'hui. Les laissés-pour-compte ont commencé à se faire entendre et en portant au pouvoir en décembre 2005 le Président Evo MORALES, un Indien aymara, ex-syndicaliste et leader des « cocaleros », les Indiens, qui représentent 64 % de la population, ont eu le sentiment, pour la première fois depuis 500 ans, d'accéder au pouvoir.

Confronté à une forte attente sociale et à des défis liés aux inégalités sociales, à la faiblesse de l'État et aux antagonismes entre élites blanches ou métisses et monde indien, Evo MORALES prône la « révolution démocratique ».

S'il a réussi en sept mois à mettre en place l'essentiel des éléments de son mandat (un plan national de développement, une Assemblée Constituante, un référendum sur les autonomies et la nationalisation du gaz), les principaux problèmes demeurent toujours un an après sa prise de fonctions : il s'agit d'une part de rédiger, d'ici fin août 2007, une nouvelle Constitution réglant notamment la question des autonomies, et d'autre part de parvenir à redistribuer la richesse nationale dans un contexte de forte attente sociale.

L'élection du 2 juillet 2006 a donné la majorité au MAS à l'Assemblée Constituante, qui, faute de disposer de la majorité des deux tiers pour réviser le texte constitutionnel comme prévu initialement, a voulu passer en force en imposant la majorité simple. Résultat : un tollé général et une réforme prioritaire bloquée pendant des mois. En outre, un référendum, à la même date, sur la décentralisation, a mis en exergue les velléités d'autonomie de quatre provinces de l'Est, par ailleurs de loin les plus riches du pays. Derrière la puissante province orientale de Santa Cruz, porte-drapeau du combat autonomiste, trois autres provinces -Tarija, Beni et Pando- ont dit massivement oui. Et si l'affaire tourne mal, c'est l'unité même de la Bolivie qui est en jeu.

Par ailleurs, le pays a connu de graves mouvements sociaux en octobre 2006 (luttes à Huanani entre les mineurs des coopératives et les mineurs État) et des affrontements violents en janvier 2007 à Cochabamba, la troisième ville de la Bolivie. Le préfet de la province, Manfred REYES VILLA, favorable à l'autonomie de cette région, venait d'annoncer la tenue d'un référendum sur la question, alors qu'en juillet le référendum national avait donné une majorité de non. Près de 10.000 mineurs et « cocaleros » ont investi la ville pour réclamer la démission du préfet « félon ». Bilan des affrontements : deux morts et une centaine de blessés.

Ainsi va la Bolivie, de maladresses présidentielles en difficultés structurelles, au milieu des tensions perpétuelles générées par l'Assemblée Constituante. Or le changement, pour réussir, requiert un consensus politique minimal.

Si Evo MORALES conserve encore une popularité confortable, de 50 % à 60 %, ses réformes -sauf la nationalisation du secteur pétrolier- ne passent pas facilement. L'Assemblée Constituante vient à peine de commencer ses travaux après des mois de blocage, et on voit mal comment le texte de la nouvelle Constitution pourrait être bouclé d'ici août 2007. Par ailleurs, la question de l'autonomie, malgré la victoire du non au niveau national au référendum de juillet dernier, continue de couper le pays en deux. Il est vrai qu'en 2003, le président Gonzalo SANCHEZ DE LOZADA distinguait déjà la Bolivie « del bloqueo », celle de la Paz, de la Bolivie « del trabajo », celle de l'Est. Mais loin d'atténuer ces antagonismes, le Président MORALES, pour certains, les aurait aggravés en pratiquant l'attaque frontale. Pour José MIRTENBAUM, directeur du département de sociologie de l'université de Santa Cruz, celui-ci aurait gardé, de son passé de syndicaliste, une certaine culture de la confrontation. Ce qui lui faisait dire : « Le problème de fond, c'est qu'Evo MORALES n'a pas encore enfilé son costume de président, il préfère celui de syndicaliste ».

1. Les entretiens de la délégation

Au cours de sa mission, dont les objectifs principaux étaient de s'informer sur les processus politique et économique en cours et de relancer la coopération interparlementaire, la délégation sénatoriale s'est rendue à Sucre , siège de l'Assemblée Constituante bolivienne, et à La Paz , où elle a reçu un excellent accueil de la part des autorités boliviennes.

Les principaux thèmes abordés au cours de ses entretiens ont porté sur la Constituante, la situation du lycée français, les hydrocarbures et la politique étrangère de la Bolivie.

A Sucre , la délégation a rencontré Mme Silvia LAZARTE, Présidente de l'Assemblée Constituante, M. Hector SANDOVAL, Président de la Cour Suprême, et Mme Martha ROJAS, doyenne du Tribunal Constitutionnel. Elle s'est également entretenue avec deux représentants de l'opposition : M. Carlos GOITIA (Podemos) et M. Jorge LAZARTE (Unidad Nacional).

L'étape de Sucre a été marquée par une cérémonie à la mairie au cours de laquelle les sénateurs ont été déclarés hôtes d'honneur de la capitale constitutionnelle de la Bolivie.

Lors de son entretien avec Mme Silvia LAZARTE, la délégation a entendu à un discours très militant de la Présidente sur la légitimité du MAS à accomplir des réformes, sans pour autant obtenir de précisions particulières sur le contenu de la future Constitution. En revanche, elle a pu assister à une séance de travail au cours de laquelle les Constituants ont constaté leurs désaccords sur la question fondamentale du vote (majorité simple ou aux deux tiers). La présence de notre délégation a été applaudie par tous les délégués du pays.

En l'absence du Président Evo MORALES, en visite à La Havane pour le sommet des non-alignés, la délégation s'est entretenue à La Paz avec le Vice-Président de la République, Alvaro GARCIA LINERA. Elle a également eu des entretiens avec le Président du Sénat, M. Santos RAMIREZ, avec le ministre de la planification du développement, M. Carlos VILLEGAS, avec le vice-ministre des hydrocarbures, M. William DONAIRE et avec le vice-ministre des Relations Extérieures, M. Mauricio DORFLER.

Si, à La Paz, les discours « révolutionnaires » de certains interlocuteurs ont été contrebalancés par des analyses posées de la part de plusieurs membres du gouvernement, l'impression générale qui s'est dégagée de ces entretiens était celle d'une situation politique et économique confuse, tenant à l'opacité sur la future Constitution et à la difficulté du Gouvernement à mener à bien ses négociations avec les entreprises étrangères sur la question du gaz. La délégation a été en effet le témoin direct, dans le bureau du Vice-Président de la République, de la démission du ministre des hydrocarbures, alors que le pays connaissait une nouvelle crise dans sa relation avec le Brésil.

LA BOLIVIE - LES DONNÉES DE BASE

Nom officiel : République de Bolivie

Superficie : 1 098 581 km²

Population : 9 millions d'habitants (39 % de moins de 15 ans ; 4,4 % de plus de 65 ans)

Capitale : La Paz (1 million d'habitants) : siège du gouvernement

Sucre (230.000 habitants) : capitale constitutionnelle

Villes principales : Santa Cruz (1,2 million d'habitants), capitale économique ;
El Alto (580.000 d'hab.), Cochabamba (620.000 d'hab.), Oruro (250.000 d'hab.)

Langues officielles : Espagnol, Aymara, Quechua

Monnaie : le Boliviano (1 BOB = 0,097 € au 22/11/06)

Fête nationale : 6 août (Indépendance, 1825)

Croissance démographique : 2,2 % par an (moyenne 1975-2002)

Espérance de vie : 63,7 ans à la naissance ; mortalité infantile : 56 pour 1.000

Taux d'alphabétisation : 86,7 %

Religions : catholicisme romain (95 %), Eglises protestantes (Evangélistes, Pentecôtistes...)

Indice de développement humain (Classement ONU) : 0,681 (114 ème rang)

PIB (2005) : 9,7 MD USD

PIB par habitant (2005) : 1.000 USD (2.700 USD en ppa)

Taux de croissance (2005) : 4,1 % (4,1 % en 2004)

Taux de chômage (2006) : 8,4 %

Taux d'inflation (2005) : 5,4 %

Solde budgétaire : (2005) : -2,1 %

Balance commerciale : 338,3 MUSD

Principaux clients : Brésil (35,3 %), Venezuela (12,1 %), Colombie (12 %), USA (11,6 %), Argentine (6,5 %)

Principaux fournisseurs : Brésil (21,9 %), Argentine (16,7 %), USA (13,8 %), Chili (6,9 %)

Part des principaux secteurs d'activités dans le PIB :

- agriculture : 16 % - industrie : 35,2 % - services : 52 %

Exportations de la France vers la Bolivie (14,4 M€ en 2005) : agroalimentaire, biens d'équipement, biens de consommation, notamment produits pharmaceutiques.

Importations françaises de Bolivie (10,5 M€ en 2005) : minerais (étain, zinc), produits agricoles et agroalimentaires (coeurs de palmiers, alcool éthylique, quinoa), cuirs travaillés.

Consulat (s) de France : section consulaire de l'Ambassade à La Paz ; Consulats honoraires à Cochabamba, Santa Cruz et Sucre.

Communauté française 2005 : 814 immatriculés (environ 1.050 au total, la moitié à La Paz)

Source - Ministère des Affaires étrangères

La possibilité de relancer la coopération interparlementaire franco-bolivienne a également été évoquée. C'est ainsi qu'au cours de l'entretien avec le Président du Sénat bolivien, le Président du LUART a souhaité que des relations s'établissent entre les Sénats des deux pays ou entre les Congrès. M. Santos RAMIREZ a approuvé cette proposition, dont le suivi devrait être assuré par le Comité des Affaires interparlementaires du Sénat bolivien, présidé par M. Gaston CORNEJO BASCOPE.

Un groupe de députés boliviens du MAS a également été reçu, à sa demande, par la délégation. Emmené par Mme Elisabeth SALGUERO, député de La Paz, présidente de la section interparlementaire du Parlement bolivien, ce groupe a présenté un projet de coopération comprenant : l'analyse comparative des systèmes parlementaires, la formation à la fonction parlementaire, la gestion des assemblées parlementaires et la présence des femmes. Mme SALGUERO a également proposé de discuter sur des thèmes économiques et environnementaux intéressant la Bolivie (eau et énergie). Elle a par ailleurs émis le souhait que des liens puissent s'établir entre les présidences des deux Parlements et que des échanges de parlementaires puissent avoir lieu. Le Président du LUART a précisé qu'un courrier des présidents des Chambres boliviennes à leurs homologues français était un préalable indispensable à ce type d'échanges.

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En bref, cette mission est intervenue à une période particulièrement complexe de la vie politique bolivienne, marquée par l'apprentissage du pouvoir par de nouveaux responsables, notamment indiens, et par la difficulté de mettre en oeuvre des réformes de fond dont l'application doit aboutir à une véritable « révolution sociale et culturelle ».

La délégation sénatoriale a ainsi pu mesurer et sentir l'effervescence politique et sociale du pays, comme les difficultés de mise en oeuvre des réformes. Elle a cependant trouvé chez la plupart de ses interlocuteurs le souci de parvenir à un certain équilibre tant dans le domaine des institutions politiques que sur le plan de la répartition des richesses.

Elle a pu constater, par ailleurs, le prestige et la sympathie dont la France bénéficie en Bolivie, plus particulièrement depuis que se sont établies des relations d'amitié et de confiance entre les Présidents des deux pays.

Les médias boliviens ont, en effet, largement rendu compte de la visite de la délégation sénatoriale et sollicité à de nombreuses reprises les commentaires du Président du LUART. Outre plusieurs articles dans la presse écrite, ses propos ont été diffusés sur les principales chaînes de télévision et sur les stations de radio.

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