B. ISRAËL AUX LENDEMAINS DU CONFLIT AU LIBAN CONTRE LE HEZBOLLAH : UNE PHASE DE DOUTE ET DE REMISE EN QUESTION

1. L'été 2006 : un conflit sur deux fronts

La deuxième guerre du Liban est déclenchée, en juillet 2006, alors que l'armée israélienne est déjà engagée sur un autre front, à la frontière Sud avec la bande de Gaza.

En effet, l'opération de représailles « Pluie d'été », qui se prolonge en novembre par l'opération « Nuage d'automne », est lancée le 28 juin 2006 dans le double objectif de faire cesser les tirs de roquettes sur Israël et de libérer le jeune soldat israélien de 19 ans, le caporal Gilad Shalit, enlevé le 25 juin par des groupes radicaux palestiniens .

Dans le même temps, le 12 juillet 2006 , huit soldats de Tsahal sont tués et deux autres sont enlevés , à l'issue d'une attaque menée par le Hezbollah près de la frontière israélo-libanaise. Simultanément, plusieurs localités du Nord d'Israël sont bombardées. L'armée israélienne riposte avec l'opération « Juste rétribution » (« Just Reward »), ensuite étendue et rebaptisée « Changement de direction » (« Changing direction »).

Outre l'objectif immédiat de récupération des deux soldats kidnappés - les réservistes Ehud Goldwasser, 31 ans, et Eldad Reguev, 26 ans -, il s'agit pour Israël de détruire les capacités militaires du Hezbollah, afin de garantir la sécurité de sa frontière nord contre la « menace terroriste ».

LE HEZBOLLAH

Littéralement « Parti de Dieu », le Hezbollah est un mouvement politico-militaire intégriste chiite libanais, créé en 1983, pendant la première guerre du Liban. Financé et armé par l'Iran, via la Syrie (principale puissance occupant le Liban entre 1976 et 2005), il s'illustre d'abord par des attentats de type « kamikaze » contre les positions américaines et françaises de la Force d'interposition, puis à partir de 1985, par des prises d'otages d'occidentaux (dont Michel Seurat, Jean-Paul Kauffmann et des journalistes d'Antenne 2).

Grâce à l'aura gagnée par la « lutte de libération » menée contre l'occupation israélienne du Sud-Liban et par son action sociale, relayées par sa chaîne de télévision, le Hezbollah a remporté quatorze sièges de députés aux élections de 2005 et deux ministères, s'inscrivant ainsi dans le champ politique libanais.

Prônant l'anéantissement d'Israël et du peuple juif, le Hezbollah, dont le chef est le Sheikh Nasrallah, est inscrit sur la liste noire des organisations terroristes par la communauté internationale.

Source : « Géopolitique d'Israël » de Frédéric Encel et François Thual, Points (2006)

Entre le 12 juillet et le 14 août, date d'entrée en vigueur du cessez-le-feu, plus de 3 970 roquettes et missiles sont tirés par le Hezbollah sur Israël, dont 901 atteignant des zones urbaines. Près d'un tiers de la population israélienne, soit 2 millions de personnes, était exposé à la menace des missiles. La ville de Haïfa, troisième métropole du pays, a été directement touchée : plus de 90 roquettes sont tombées sur la ville.

En se rendant à Haïfa, sept mois après le cessez-le-feu, la délégation a perçu les stigmates laissés par ce conflit et le traumatisme vécu par les populations du Nord d'Israël, ayant parfois éprouvé le sentiment d'être un peu abandonnées par le reste du pays. Toutefois, les municipalités ont déployé des efforts remarquables pour faire disparaître le plus rapidement possible les traces de démolition et recréer un climat de sécurité .

Le bilan humain de ces 33 jours de conflit s'établit, du côté israélien, à 160 morts, dont 43 civils ; plus de 4 200 civils ont été blessés par des tirs de roquettes et près de 2 800 personnes ont été traitées, pendant les bombardements et plusieurs mois après la fin du conflit, pour choc et anxiété. Du côté libanais, on compte plus de 1 100 morts et 3 000 blessés, en majorité des civils.

Au niveau des opérations militaires, 30 000 soldats israéliens ont participé à la guerre, 9 000 cibles ont été attaquées au Liban, notamment des infrastructures utilisées par le Hezbollah (lance-roquettes, zones de tirs, stocks d'armes, routes, installations radar, stations et dépôts d'essence...).

Les bombardements ont ralenti l'activité des entreprises du Nord d'Israël et le tourisme, entraînant un manque à gagner de près de 1,4 milliard de dollars, selon les estimations des autorités israéliennes. Au total, le coût de la guerre pour Israël est évalué à 5 milliards d'euros, dont 360 millions d'euros d'indemnisations dues aux habitants.

L'adoption le 11 août 2006, de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations-Unies , approuvée par l'unanimité des membres de ce conseil et ensuite par les Gouvernements libanais et israélien, aboutit au cessez-le-feu, fixé le 14 août au matin. Cette résolution comprend :

- la cessation totale des hostilités ;

- le retrait de toutes les forces israéliennes du Liban et le déploiement en parallèle de l'armée libanaise et de la FINUL ;

- l'application des précédentes résolutions 1559, 1680 et de l'accord de Taëf, appelant au désarmement du Hezbollah ;

- l'extension de l'autorité du Gouvernement libanais à tout son territoire ;

- aucune force paramilitaire, incluant le Hezbollah, ne doit se trouver au sud de la rivière Litani.

Si le soutien unanime de la communauté internationale en faveur de la souveraineté du Liban et du Gouvernement de Fouad Sinioria constitue un facteur d'optimisme en faveur de la sécurité d'Israël, la délégation a pu entendre, lors de ses entretiens avec des responsables politiques israéliens, les craintes liées au réarmement du Hezbollah, en dépit de la présence de la force internationale des Nations Unies (FINUL). A cet égard, il apparaît nécessaire, pour Israël, de sécuriser la frontière syro-libanaise.

Par ailleurs, la libération des deux soldats israéliens , dont l'enlèvement par le Hezbollah a déclenché les opérations militaires, doit être un impératif pour rétablir la confiance d'Israël envers l'autorité du Gouvernement libanais.

2. Les erreurs commises dans la gestion du conflit : la commission d'enquête Winograd pointe du doigt les responsables

La fin de l'offensive militaire au Liban cède la place, au sein de la population israélienne, à une phase de doute et à un climat d'autocritique , fragilisant la coalition gouvernementale .

En effet, cette guerre éprouvante a quelque peu altéré l'image d'invulnérabilité de Tsahal et le rôle protecteur de l'État. L'opportunité du conflit et la façon dont les opérations ont été menées font l'objet d'une remise en cause : l'opinion publique - notamment les réservistes - demande à ses dirigeants de lui rendre des comptes, a fortiori dans la mesure où les objectifs premiers, à savoir la libération des soldats enlevés, n'ont pas été atteints.

Sous la pression de la population, le Gouvernement d'Ehoud Olmert a voté, en septembre 2006, la création d'une commission d'enquête gouvernementale , présidée par le juge à la retraite Eliahou Winograd, chargée de se pencher sur les « râtés » de la guerre au Liban.

Les investigations de cette commission, remontant jusqu'au retrait unilatéral de l'armée israélienne du Sud-Liban en mai 2000, après 18 ans de guerre et d'occupation, ont pour objectif officiel de formuler des recommandations destinées à améliorer le processus de prise de décision en cas de futur conflit.

Comme elle l'avait déjà annoncé dans la presse un mois plus tôt 4 ( * ) , la commission d'enquête Winograd, dans son rapport d'étape rendu public le 30 avril 2007 5 ( * ) , impute au Premier ministre Ehoud Olmert, à son ministre de la défense, le travailliste Amir Peretz ainsi qu'à son chef d'État Major, le général Dan Haloutz, la responsabilité principale des échecs.

Ce rapport, établi sur la base de plus de 70 témoignages de responsables politiques et de militaires israéliens, fait état des « erreurs sévères » commises :

- il critique notamment Ehoud Olmert pour s'être laissé entraîner dans le conflit par l'État major, de façon précipitée, sans procéder aux consultations nécessaires, sans plan approprié, et en fixant des objectifs irréalistes ;

- la compétence d'Amir Peretz dans l'exercice de ses fonctions est directement mise en cause, la commission estimant que « sa présence à la tête du ministère de la Défense pendant la guerre a affecté la capacité du Gouvernement de bien répondre aux défis auxquels il était confronté » : « il n'a pas demandé à l'armée ses plans opérationnels et ne les a pas examinés. Il n'a pas vérifié le degré de préparation et d'entraînement de l'armée. Il n'a pas examiné la correspondance entre les objectifs et les modes d'action » ;

- enfin, la commission souligne « l'échec » du général Dan Haloutz « dans ses fonctions de commandant en chef de l'armée et d'élément clé de la direction politico-militaire » ; sans attendre ces conclusions, celui-ci avait assumé sa part de responsabilité en annonçant sa démission, le 17 janvier 2007 6 ( * ) .

Ces accusations, qui s'inscrivent dans la logique de transparence démocratique, dont Israël a toujours poussé très loin l'exigence , contribuent à affaiblir la coalition gouvernementale d'Ehoud Olmert, appelé à la démission. Elles viennent s'ajouter à la révélation de scandales, entachant la confiance des citoyens envers leurs dirigeants : en janvier 2007, le Président de la République, Moshé Katzav, inculpé pour agressions sexuelles sur employées subordonnées, est mis en congé temporaire de ses fonctions ; le Premier ministre est mis en accusation dans plusieurs enquêtes judiciaires, pour des affaires politico-financières 7 ( * ) .

* 4 Voir les réactions à ces déclarations dans la partie III « Les entretiens de la délégation ».

* 5 La version définitive du rapport est prévue pour le mois de juillet.

* 6 Il a été remplacé par le général de réserve Gabi Ashkénazy.

* 7 En janvier 2007, la justice ouvre notamment une enquête criminelle à son encontre, en raison d'indices laissant penser qu'il a pu user de son influence de ministre des Finances par intérim, en 2005, pour favoriser deux de ses amis dans la privatisation de la deuxième banque du pays.

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