D. LA PERSISTANCE D'UNE PROTESTATION POLITIQUE

L'annexion du Tibet à la Chine a suscité dès l'origine une réaction d'opposition qui a d'abord pris la forme d'une résistance armée ouverte avant de s'atténuer, compte tenu de l'inégalité du rapport de forces, en mouvements de protestation collectifs ou individuels.

1. La résistance armée tibétaine

L'existence d'une résistance armée tibétaine qui a duré plus de deux décennies est aujourd'hui largement oubliée en Occident, où prédomine l'image de Tibétains pacifistes suivant la voie de la non violence prônée par le Dalaï-Lama.

Pourtant, les rangs de la résistance tibétaine ont regroupé jusqu'à 80 000 combattants, sous la direction notamment du charismatique Gompo Tashi. Implantée dans l'Est du pays, l'Armée nationale volontaire de défense (ANVD) organisait des opérations de guérilla sur les routes du Kham et de l'Amdo. Un autre mouvement armé, issu des rangs de l'ANVD, s'est développé au Sud de Lhassa et a pris le nom de Tchoushi Gangdroug ou « Quatre fleuves, Six montagnes ».

L'ANVD et la Tchoushi Gangdroug ont été à l'origine du soulèvement de Lhassa en mars 1959, durant lequel leur action a été relayée par la population de la capitale. Après l'écrasement de la rébellion par les troupes chinoises, la Tchoushi Gangdroug a rendu officiellement les armes, à la demande du Dalaï-Lama. Mais l'ANVD a continué le combat.

Les résistants tibétains ont alors reçu le soutien des Etats-Unis, qui obéissaient à cette époque à une logique d'affrontement avec la Chine communiste. La CIA, dans le cadre de l'opération « Garden », les a formé aux techniques de guérilla et leur a livré des armes parachutées. La base arrière des opérations ainsi conduites avec l'aide américaine était située au Mustang, une région du Népal enclavée en territoire tibétain.

Le rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine à partir de 1971, marqué par la visite à Pékin d'Henri Kissinger et l'admission de la République populaire de Chine à l'ONU au siège occupé jusque là par Taïwan, a signifié la fin du soutien américain à la résistance tibétaine. En août 1974, à la demande de la Chine, l'armée népalaise détruisit les derniers refuges de celle-ci au Népal. La question du Tibet sombra alors dans l'oubli au plan international.

2. Les émeutes des années 1987-1989

La situation au Tibet a connu un apaisement après la fin de la « Révolution culturelle » et la mort de Mao Zedong en 1976. La fin des années 1970 et le début des années 1980 ont vu un retour à une relative normalité. Les méfaits commis au Tibet firent l'objet d'une reconnaissance officielle de la part du nouveau secrétaire général du parti communiste chinois, Hu Yaobang. En 1978, les Tibétains furent autorisés à voyager à l'extérieur et Lhassa fut ouverte aux étrangers. Des milliers de prisonniers furent libérés. Des négociations furent ouvertes avec le Dalaï-Lama, qui fut invité à envoyer au Tibet des délégations de ses représentants en 1979, 1980, 1982 et 1985.

Cette libéralisation a redonné espoir aux Tibétains. Mais un nouveau cycle de violences et de répression s'enclencha à la suite de l'annonce faite par le Dalaï-Lama devant le Congrès américain, le 21 septembre 1987, d'un plan de paix en cinq points. Le 24 septembre, les autorités chinoises répliquèrent par l'organisation à Lhassa d'un énorme procès public où 15 000 Tibétains furent convoyés dans un stade afin d'assister à la condamnation de huit de leurs compatriotes, dont deux furent exécutés. Le 27 septembre, une manifestation éclata à Lhassa qui fut sévèrement réprimée par les autorités chinoises après que les correspondants de presse occidentaux eurent été expulsés par précaution.

En dépit d'une forte présence policière et de l'arrestation de centaines de personnes, les émeutes continuèrent de se succéder à Lhassa. La première d'entre elles éclata le 5 mars 1988, durant la dernière journée du Monlam Chenmo, ou « festival de la grande prière », la plus importante fête religieuse du Tibet qui attire des milliers de pèlerins dans la capitale. Les émeutiers s'en prirent non seulement aux forces de l'ordre, mais aussi aux magasins tenus par des Chinois han. De nouvelles manifestations éclatèrent le 10 décembre 1988, jour anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme des Nations Unies.

Entre décembre 1988 et mars 1989, aucune mesure de répression ne fut assez forte pour étouffer complètement les actes de rébellion. Ce n'est que dans la nuit du 7 au 8 mars 1989 que les autorités chinoises, après trois jours de manifestations les plus sanglantes depuis le soulèvement de la population en 1959 et voyant que la situation était sur le point de leur échapper, instaurèrent la loi martiale à Lhassa et en expulsèrent tous les étrangers.

Ces événements mirent le Tibet sous les feux de l'actualité mondiale. D'une certaine manière, ils ont préfiguré le mouvement de protestation politique qui s'étendit à la Chine entière au printemps 1989, pour déboucher sur le massacre de la place Tian An Men.

3. Les prisonniers d'opinion aujourd'hui

Aujourd'hui, la loi martiale a été levée au Tibet et les étrangers y sont à nouveau bienvenus. Les émeutes de la période 1987-1989 ne sont plus qu'un souvenir. Pour autant, la situation est loin d'être normalisée au regard des droits de l'homme, puisque plus d'une centaine de Tibétains continuent d'être emprisonnés pour des faits d'opinion. Dans son dernier rapport annuel, le Centre tibétain pour les droits de l'homme et la démocratie 3 ( * ) recense 132 prisonniers politiques détenus dans les prisons au Tibet.

Le code pénal chinois prévoit des délits vagues et imprécis tels que « l'atteinte à l'ordre social » ou la « mise en danger de la sécurité nationale ». Sur cette base juridique incertaine, des Tibétains sont arrêtés et détenus pour avoir exprimé leurs opinions politiques, possédé des photos du Dalaï-Lama ou des drapeaux tibétains, distribué des tracts favorables à l'indépendance ou conservé des écrits provenant de la communauté exilée. Les droits de la défense sont méconnus lors des procès et la torture est de pratique courante lors de la détention.

Certes, le nombre des prisonniers d'opinion tibétains est bien plus faible aujourd'hui qu'il y a encore quelques années, et des libérations anticipées sont accordées régulièrement. A cet égard, les campagnes menées par les organisations internationales de protection des droits de l'homme et les observations présentées officiellement par les pays occidentaux sont d'une efficacité certaine. Mais de nouvelles arrestations continuent d'intervenir, contribuant à faire peser sur la population tibétaine ce que le Centre tibétain pour les droits de l'homme et la démocratie qualifie de « sentiment palpable de peur et d'auto censure ».

Un autre signe de la persistance d'une protestation politique réside dans le flux de réfugiés qui continue de fuir le Tibet pour gagner l'Inde, via le Népal le plus souvent. Leur nombre s'élève chaque année entre 2 500 et 3 000 personnes, de tous âges et de toutes conditions.

* 3 Le Centre tibétain pour les droits de l'homme et la démocratie est une organisation non gouvernementale basée à Dharamsala en Inde.

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