C. DES TENSIONS COMMUNAUTAIRES CHRONIQUES

Les tensions régionales et interethniques au Nigeria sont clairement renforcées par les appartenances religieuses et par la montée du fondamentalisme contestataire . La République fédérale du Nigeria se heurte ainsi, de façon chronique, à d'intenses luttes religieuses pour la désignation des principales autorités politiques, institutionnelles et militaires.

Comme le groupe d'amitié avait déjà pu l'observer en 1999, les chrétiens s'émeuvent régulièrement de la mention de la charia dans la constitution, du financement des mosquées par le gouvernement fédéral et par l'adhésion du Nigeria à l' Organisation de la Conférence islamique depuis 1986. Les musulmans, pour leur part, dénoncent la prédominance d' « infidèles » au sein des forces armées, l'utilisation comme langue officielle de l'anglais ainsi que l'appartenance du Nigeria au Commonwealth 4 ( * ) , présidé par la Reine du Royaume-Uni, chef de l'Église anglicane 5 ( * ) .

Le Nigeria est, de fait, le plus important pays musulman d'Afrique de l'Ouest. Plus de 50 millions de Nigérians, principalement concentrés dans la région du Nord, pratiquent un islam majoritairement sunnite. Au sein de la communauté musulmane, des mouvances intégristes s'appuient sur le mécontentement de la population vis-à-vis d'autorités politiques qu'ils perçoivent comme corrompues pour réclamer, depuis le début des années 1980, la création d'un État islamique nigérian et remettre en cause l'autorité historique des chefs traditionnels.

Parallèlement, les populations chrétiennes et animistes, numériquement minoritaires dans le pays, s'inquiètent de la radicalisation de la pratique de l'islam au Nord, de la prolifération des mouvances islamistes et de la progression d'une forme de « prosélytisme panislamique » vers le Sud du pays. En réaction, s'organise une forme de « prosélytisme évangéliste et pentecôtiste » au Sud, où pullulent les « assemblées de Dieu » notamment à Lagos et Port Harcourt comme la délégation a pu le constater sur place.

L'antagonisme croissant entre musulmans et chrétiens se traduit par des flambées de violences récurrentes. Néanmoins, un certain nombre d'observateurs considèrent que ces affrontements interethniques, au-delà des clivages religieux, sont également motivés par des rivalités politiques et des objectifs clientélistes : les autorités politiques nigérianes sont parfois suspectées d' instrumentaliser les tensions communautaires , le cas échéant en réprimant une mouvance rebelle pour l'exemple, afin de démontrer leur détermination à ne pas privilégier un groupe ethnique par rapport à un autre.

Du 27 au 30 juillet 2009, les forces de sécurité nigérianes se sont violemment opposées, dans quatre États du Nord du pays, à des membres de la secte haoussa « Boko Karam », se réclamant des Talibans d'Afghanistan, et dont le chef, M. Mohamed Yusuf, a été abattu en détention le 30 juillet.

Les rivalités ethniques obligent les autorités politiques à préserver des équilibres institutionnels particulièrement délicats , aussi bien dans le partage du pouvoir que des ressources et des richesses du pays. La composition du ticket présidentiel victorieux en 2007 en est la première illustration : M. Umaru Yar'Adua, de confession musulmane et ancien gouverneur de l'État de Katsina au Nord du pays, a été élu Président de la République, et M. Goodluck Jonathan, ancien gouverneur de l'État de Bayelsa, dans le Sud du pays, a été son colistier à la vice-présidence.

Les forces centrifuges exercées par les tensions communautaires constituent, avec la corruption et les pratiques clientélistes de type néo-patrimonial qui en découlent, une faiblesse consubstantielle de la fédération nigériane et un handicap majeur pour le respect du pouvoir central sur l'ensemble du territoire. Dans ces conditions, la détermination de la formule d'allocation du revenu Revenue Allocation Formula »), c'est-à-dire les quotients de répartition des revenus entre l'État fédéral, les États fédérés et les gouvernement locaux, cristallise les débats entre communautés en matière de redistribution des richesses tirées de l'exploitation des ressources naturelles : l'enjeu principal consiste, en effet, à préserver un équilibre fragile entre la région du Nord, à majorité musulmane et en déclin économique persistant, et le Sud, à majorité chrétienne qui détient la majeure partie des ressources du pays.

La sous-section 2 de la section 162 de la constitution de 1999 dispose :

« Le Président, après avis de la commission chargée des finances et de l'allocation du revenu, doit déposer auprès de l'Assemblée nationale des propositions concernant la répartition du revenu issu des comptes fédéraux. Dans la détermination de la formule d'allocation de ce revenu, l'Assemblée nationale doit tenir compte de différents facteurs de répartition, notamment ceux relatifs à la population des États, au principe d'égalité de traitement entre les États, au montant du revenu généré en interne par chaque État, à la superficie des terres disponibles, ainsi qu'à la densité de population ;

« La formule de répartition approuvée par l'Assemblée nationale doit garantir une allocation minimale de 13 % du revenu fédéral généré par l'exploitation des ressources naturelles au bénéfice des États fédérés d'où proviennent lesdites ressources naturelles [principe de dérivation] ».

Ce « principe de dérivation » était censé garantir aux États fédérés producteurs de pétrole une part additionnelle de la richesse générée par l'exploitation de leurs ressources naturelles afin de compenser les risques sanitaires et environnementaux associés à l'industrie pétrolière, en particulier dans la région du delta du Niger.

Ainsi, par suite de l'application du principe de dérivation, l'État pétrolier de Rivers reçoit près de trois fois plus de fonds fédéraux que l'État de Kano, situé au Nord du Nigeria, en percevant un fonds de dérivation de 5,9 milliards de nairas.

Malgré la mise en oeuvre effective du principe de dérivation depuis l'entrée en vigueur de la constitution de 1999, la formule d'allocation du revenu mise en oeuvre dans la fédération nigériane est régulièrement accusée de favoriser les trois principales ethnies qui ont traditionnellement dominé l'espace politique nigérian. Certains observateurs considèrent notamment que, dès lors qu'elle est essentiellement applicable aux revenus issus de l'exploitation du pétrole et néglige les autres ressources naturelles, notamment agricoles, la formule de répartition continue de désavantager, de façon significative, les ethnies des régions pétrolifères . L'exploitation des hydrocarbures fournit, en effet, plus de 95 % des exportations et 80 % du revenu fédéral .

* 4 Dont le Nigeria a été suspendu de 1995 à 1999.

* 5 « Le Nigeria : un partenariat bien compris », compte-rendu de la visite au Nigeria, du 4 au 10 octobre 1999, d'une délégation du groupe interparlementaire d'amitié France-Afrique de l'Ouest.

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