Territoires numériques de campagnes

Bertrand SIMON
C.E.C.E.

Ce titre semble mystérieux. Il recouvre une interrogation sur les changements induits par nos perceptions du territoire électoral, liée à la multiplication des usages de l'Internet dans les campagnes. Les 3 et 4 novembre 2008, de nombreux Français ont modifié leurs photos sur Facebook en les remplaçant par celle de Barack Obama, afin d'illustrer leur soutien à un candidat à une élection à laquelle ils ne participaient pourtant pas. La globalisation se traduit donc par une modification de la territorialisation de l'enjeu électoral. Ainsi, elle instaure l'ubiquité comme norme.

La notion de « territoire » étant difficile à définir, notre analyse privilégiera l'aspect électoral du territoire. Ainsi, nous retiendrons la définition suivante : le territoire est l'espace conquis par l'administration étatique.

Cette définition donne des frontières aux territoires. Le droit électoral construit un espace géographique ne coïncidant pas nécessairement avec celui-ci. La notion de « territoire numérique » a vu le jour à la fin des années 90. Le territoire numérique est un territoire virtuel séparé du territoire réel, ou autonome mais lié au territoire réel. Le cyberespace abolit les frontières. Il bouleverse la temporalité. L'ubiquité permanente permet d'agir partout simultanément.

Le territoire ne doit toutefois pas être identifié aux câbles et serveurs. Ces derniers ne constituent que la condition de son existence. En outre, les initiatives citoyennes donnent naissance à de multiples territoires numériques.

Des échanges d'informations et d'idées s'y déroulent. Les interactions entre les utilisateurs constituent le territoire. Nous devons donc nous intéresser aux acteurs et aux relations qu'ils entretiennent. Au sein du territoire numérique, les représentations du monde, des idées, des opinions et des analyses constituent les biens échangés par les acteurs. Ces derniers se regroupent par affinités autour d'un idéal ou d'un intérêt commun. Les échanges donnent naissance à une communauté d'acteurs, le territoire numérique.

La crédibilité, la popularité, la pertinence et la fréquence des contenus apportés par l'utilisateur constituent les critères. Autant de territoires numériques existent que de points de vue. Par ailleurs, la société digitale se comprend en relisant Leibniz. En effet, ce dernier a développé le langage binaire. Dans sa philosophie, la monade est une substance exprimant l'univers. La hiérarchisation permet de comprendre les liens entre les internautes. En outre, la comparaison de son point de vue et l'agrégation de celui-ci à des points du vue similaires se réalisent dans le cyberespace.

Le territoire numérique n'est donc pas ni un espace, ni un temps, ni un lieu. Il n'est pas l'objet de la construction politico-administrative.

Le territoire numérique et le territoire électoral entretiennent plusieurs liens. En apparence, ils s'opposent. Sur le territoire électoral, la communication est contrôlée par les candidats, tandis que la communication est ouverte à l'ensemble des individus dans le territoire numérique. En outre, ils se concurrencent. A titre d'exemple, la captation du vote juif lors de l'élection présidentielle américaine s'est faite en exposant des citoyens israéliens pro-Obama sur le site judesforobama.com. Toutefois, la relation s'avère complémentaire. Obama mêle une stratégie numérique à une stratégie territoriale consistant à frapper aux portes. Le territoire numérique permet l'organisation des militants dont l'action s'exerce dans le territoire électoral réel.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Je vous remercie de cet éclairage. Je cède immédiatement la parole à Bernard MALIGNER.