Colloque -



Table des matières


Actes

Quatrième édition des Rencontres organisées
par le Centre d'études comparatives des élections (CECE)
sur le thème du processus électoral

Jeudi 22 janvier 2009
Palais du Luxembourg

Systèmes électoraux : effets et espaces

Allocutions d'ouverture

Jean-Jacques HYEST,
Président de la Commission des Lois du Sénat

Messieurs les Présidents, Messieurs les Ambassadeurs, Chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Le Sénat est honoré d'accueillir -pour la quatrième année consécutive- ce colloque sur le processus électoral.

Je tiens en premier lieu à remercier le Professeur Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES, directeur de l'IPAG de Paris 2 et Bernard OWEN, secrétaire général du Centre d'Études comparatives des élections, pour leur contribution à l'organisation de cette rencontre et pour le programme original qu'ils nous proposent aujourd'hui.

Je salue aussi tous les intervenants -dont certains viennent de loin, je le sais- et les experts qui animeront nos travaux ce matin et cet après-midi.

Cette année, la journée est plus spécialement consacrée à la dimension spatiale du processus électoral : c'est un thème d'une brûlante actualité, au moment où le redécoupage des circonscriptions législatives fait couler tant d'encre !

C'est aussi un thème très judicieux, car la géographie est une composante essentielle de tout système électoral, à quelque niveau d'élection qu'on se place.

Le Sénat y est évidemment très sensible, car nous sommes en charge de la représentation parlementaire des collectivités territoriales, entendues à la fois comme des collectivités humaines et comme les territoires sur lesquels les gens vivent.

Cet après-midi, vous allez également aborder plusieurs thématiques qui, là encore, posent la question du cadre géographique et spatial dans lequel s'exercent - ou pourraient s'exercer - nos différents échelons de citoyenneté : citoyenneté locale, citoyenneté nationale et, de plus en plus, citoyenneté européenne.

C'est une des grandes questions que pose le vote par internet, en « virtualisant » l'espace électoral et en permettant aux électeurs de s'affranchir des lieux et des distances.

Je laisse de côté le débat un peu rituel sur la fiabilité de ces systèmes ou leur éventuel impact sur l'absentéisme. Mais plus profondément, s'est-on assez interrogé sur les effets proprement politiques que pourrait induire une élection à la fois « dématérialisée » et « délocalisée » ?

Il y a là, me semble-t-il, un vaste terrain de réflexion politique qui mériterait d'être mieux balisé.

Ensuite, la question de la participation électorale des diasporas : permettez-moi, là encore, de faire référence au Sénat français, qui représente aussi, de manière exclusive jusqu'à présent, les Français de l'étranger au Parlement.

Certes, la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a modifié la donne, en créant aussi des députés des Français de l'étranger, mais cette mesure n'a pas encore pris effet.

Et sur ce terrain, l'expérience du Sénat, bien rodée depuis 1946, offre un solide modèle aux États étrangers qui ne se sont pas encore dotés d'un tel système.

Comme vous le constatez, beaucoup de vos réflexions rejoignent celles auxquelles les sénateurs -notamment le Président de la commission des Lois !- sont régulièrement confrontés...

Ainsi, vos travaux jettent un éclairage nouveau et complémentaire sur les nôtres, avec le même objectif de parvenir à la meilleure « gouvernance électorale » possible.

Avant de céder la parole aux experts qui se succéderont à cette tribune toute la journée, je conclurai en vous souhaitant, en mon nom personnel et au nom du nouveau Président du Sénat, Gérard LARCHER, la bienvenue au Sénat.

Excellents travaux à tous !

Bernard OWEN,
Secrétaire général du C.E.C.E.

Les systèmes électoraux ont fait l'objet de nombreuses controverses. Après plusieurs siècles d'efforts, l'objectif relatif à l'établissement du suffrage universel a été atteint. Aujourd'hui, les systèmes électoraux pourraient être réduits à des calculs mathématiques. Cependant, l'électeur constitue un être vivant. Tout changement du système électoral influe donc également sur la psychologie de l'électeur. Cette notion, délaissée par la science politique et le droit constitutionnel, est désormais étudiée par les géographes. En effet, l'électeur doit être replacé dans son environnement, familial et professionnel notamment.

Structure d'influence électorale et structure d'accueil pour le vote contre le gouvernement : le cas Européen

Bernard OWEN, C.E.C.E., Université Panthéon-Assas Paris 2

Des mécanismes modifient la perception de l'enjeu politique par le citoyen. Ainsi, la structure d'accueil pour le vote contre le gouvernement constitue le premier de ces mécanismes. Le système électoral du scrutin proportionnel limite l'accentuation, en sièges, du parti obtenant le plus grand nombre de suffrages. Afin de pouvoir gouverner, des coalitions de partis émergent. En Belgique, après la seconde guerre mondiale, le parti libéral appuie tantôt les forces du parti socialiste, tantôt celles du parti démocrate-chrétien. Lorsque cet appui a cessé, les deux grands partis se sont unis pour former un gouvernement de grande coalition. Néanmoins, les électeurs n'y trouvent pas leur compte. Ils votent donc en faveur d'un parti linguistique ou d'un parti extrémiste.

Toutefois, un petit parti est vulnérable. En effet, le positionnement d'un parti par rapport aux institutions influe sur les votes obtenus par un parti. Nous assistons donc à des caricatures de régime parlementaire. Ainsi, le parti de Jörg Haider a perdu plus de la moitié de son audience électorale après sa participation au gouvernement.

La structure d'influence électorale constitue un autre mécanisme existant dans un système proportionnaliste. Ainsi, l'Eglise et les confédérations syndicales constituent des soutiens nécessaires. Par ailleurs, en cas de rupture de coalition, une vacance du pouvoir a alors lieu. Ainsi, les gouvernements ne disposent pas d'une majorité parlementaire et se limitent à traiter les affaires courantes.

Aux Etats-Unis, le vote indirect a été très critiqué. En outre, une majorité des Américains s'est tournée vers une structure d'accueil pour le vote contre le gouvernement. Ainsi, chaque crise politique est dépassée par l'alternance. Par ailleurs, les Américains ont tenté d'introduire le scrutin proportionnel, sans succès. Ils ont compris que le système majoritaire était plus adapté à leur société pluriculturelle.

Chaque société s'appuie généralement sur un parti progressiste et un parti conservateur. Cependant, de nombreux efforts et progrès doivent encore être accomplis !

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES
Professeur à l'Université Paris II

Le second volet de l'introduction sera davantage axé sur l'aspect territorial. Ainsi, je cède la parole à Michel BUSSI.

Faire voter les kilomètres carrés ?

Michel BUSSI
Université de Rouen

Les géographes s'intéressent assez peu au fait politique, surtout lorsque celui-ci comporte un aspect électoral. Les géographes s'intéressent cependant de plus en plus aux évolutions des coopérations et des territoires. Ainsi, Jacques Levy s'est opposé à faire voter des « kilomètres carrés ». En effet, le principe « un homme, une voix » semblerait remis en cause.

Je propose d'exposer en quelle mesure nous avons besoin de territorialiser le vote. Ce débat est particulièrement actuel dans le contexte du redécoupage des circonscriptions électorales. J'aborderai la fonction de représentation et celle de cohésion territoriale, puis des solutions pour trancher le problème.

La fonction de représentation garantit l'égalité démocratique des citoyens. La vision de cohésion stipule que tous les espaces doivent avoir le sentiment d'être représentés. Clisthène avait découpé l'Attique en trois territoires : la ville, la côte et l'intérieur. Les élus étaient les représentants de territoires discontinus et devaient rassembler les voix de trois catégories sociales différentes.

La démocratie nécessite-t-elle encore des territoires ? De nombreuses voix négatives se font entendre. Ainsi, le vote par internet permet à l'électeur de se détacher du territoire. En revanche, trois éléments plaident en faveur des territoires. La métropolisation de la société est le premier élément. Ainsi, les territoires peu peuplés peuvent être représentés. A titre d'exemple, le système des grands électeurs aux Etats-Unis permet à des Etats peu peuplés de compter dans le vote. L'adhésion volontaire à des territoires de coopération constitue le deuxième élément. Ainsi, les petits territoires négocient une part de pouvoir supérieure à ce qu'ils auraient pu exiger, eu égard à leur territoire et leur population. A titre d'exemple, le Luxembourg est surreprésenté au sein de l'Union Européenne. Troisièmement, la représentation des minorités doit être assurée. Les effets de ségrégation montrent que certains territoires participent peu à la décision nationale. En s'appuyant sur les territoires, cette question politique peut être résolue.

Six solutions se présentent à l'opposition entre égalité géographique et égalité démographique.

· Modifier le découpage électoral

Certaines minorités et certains territoires peuvent ainsi être davantage représentés.

· Jouer sur le mode de scrutin proportionnel et la représentation des minorités

L'implantation territoriale des minorités est importante. Le mode de scrutin peut être changé pour diminuer l'influence de partis extrémistes.

· Instaurer des quotas électoraux

Des circonscriptions sont créées pour les minorités. Cependant, le risque est de promouvoir le radicalisme et le communautarisme. Le vote intercommunautaire permet donc de minimiser ces effets.

· S'appuyer sur le principe « Un homme, deux voix, plusieurs territoires »

Plusieurs modes de scrutins sont cumulés pour une élection. Le Japon, le Mexique et la Russie ont adopté un tel système, basé sur le système allemand. Il est cependant étranger à la culture française.

· Instaurer la double majorité démographique et géographique

Cette solution est complexe et efficace pour éviter la tyrannie géographique ou la tyrannie démographique. Elle est utilisée au sein de l'Union Européenne, mais également au sein des coopérations intercommunales en France.

· Créer la double assemblée : la chambre des électeurs et la chambre des territoires

Une chambre basse, telle que l'Assemblée Nationale française, représente les électeurs, sur le principe de l'égalité démographique la plus stricte. La chambre haute, telle que le Sénat, représente les territoires. Cette solution est évidemment mise en oeuvre dans les Etats fédéraux. La chambre des territoires progresse, dans la mesure où de plus en plus d'Etats se décentralisent. Toutefois, une question se pose : quels territoires doivent être représentés ?

En conclusion, le vote des kilomètres carrés ne constitue pas une vision archaïque. De la souveraineté nationale à celle de l'opinion individuelle, l'agrégation des voix s'opère toujours in fine dans un cadre spatial. Le philosophe ALAIN disait : « Si l'écrasement des minorités est injuste dans la circonscription, par quel miracle devient-il juste au Parlement ? »

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Je vous remercie de la richesse de votre intervention. Cette dernière montre que la question est pluridisciplinaire. Je cède la parole à Antoine PANTELIS.

Evolutions du système électoral en Grèce

Antoine PANTELIS
Faculté de Droit, Université d'Athènes

Je limiterai mon étude au dernier demi-siècle. La Grèce est le pays de la proportionnelle renforcée. C'est un système majoritaire de partis. Il permet au premier parti en voix de disposer de la majorité absolue des sièges au Parlement monocaméral. Chaque parti doit atteindre 17 % des voix pour obtenir des sièges dans le cadre de la seconde répartition des sièges. Ainsi, le système politique grec fonctionne d'une manière bipartisane, malgré la présence du parti communiste, qui rassemble 10 % des voix. L'article 54 alinéa premier de la Constitution, issu de la réforme constitutionnelle de 2001, stipule que « le régime électoral et les circonscriptions électorales sont fixés par une loi en vigueur à partir des deuxièmes élections suivantes, sauf s'il est prévu qu'elle entre en vigueur immédiatement après les premières élections suivantes par une disposition expresse votée à la majorité des deux tiers du nombre total de députés ». Les deux grands partis peuvent donc s'entendre pour modifier la loi. Ainsi, la nouvelle loi électorale a été appliquée aux élections de 2007. Elle respecte le principe de proportionnelle renforcée. En outre, les partis doivent rassembler 3 % des voix. L'exclusion de petits candidats doit cependant être évitée afin de garantir le droit de tous à l'élection. Enfin, la loi de 2004 prévoit que 260 sièges du Parlement sont répartis au niveau national à la proportionnelle intégrale. Les quarante autres sièges sont répartis à la majorité relative ; le premier parti au niveau national les remporte tous.

Un électeur peut désigner un ou plusieurs candidats. Si les élections législatives ont lieu 18 mois après d'autres, le système de liste prévaut. Après les élections de 2007, le gouvernement a changé la loi. Ainsi, la prime au premier parti a été augmenté : il disposera désormais de 50 sièges. En outre, les coalitions ne peuvent remporter ces sièges. J'estime que cette disposition est inconstitutionnelle. En effet, la Constitution stipule que « la manifestation libre et inaltérée de la volonté populaire en tant qu'expression de la souveraineté populaire est garantie par tous les organes de la République, qui sont tenus de l'assurer en toute circonstance. » En outre, une majorité minoritaire aux yeux de tous peut-elle gouverner ?

Comment une coalition est-elle caractérisée ? Les lois électorales grecques d'autrefois précisaient que chaque formation et coalition sont déterminées par la première chambre de la Cour de Cassation. Cependant, la nouvelle loi de 2008 ne prévoit aucun critère utilisable par la Cour de cassation. Celle-ci se limite donc à accepter les déclarations de partis. Une coalition se présentera donc comme parti simple pour éviter de ne pouvoir se présenter.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Les partis déposent-ils des statuts ?

Antoine PANTELIS

Pour créer un parti, il suffit de déposer une déclaration au premier procureur de la Cour de Cassation.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Les systèmes électoraux grecs ne cessent de me surprendre. Je cède la parole à Jean-Marie DENQUIN.

Effets des modes de scrutin divergents : cantonales et législatives 1946-1958

Jean-Marie DENQUIN
Université Paris X Nanterre

J'ai préféré consacrer mon exposé à la IV ème République, de 1946 à 1958. Les modes de scrutin influent de plusieurs manières sur les régimes politiques. Ils conditionnent la répartition des sièges dans l'assemblée. Cependant, le nombre de voix obtenues par les candidats dépend-il du mode de scrutin ? Un vote « utile » a-t-il lieu, déclenché par l'estimation des chances de succès d'un candidat ? La réponse est généralement positive, quoique difficilement démontrable. En effet, le mode de scrutin choisi est exclusif de tout autre. Ainsi, deux modes de scrutin ne peuvent être simulés pour une même élection. En outre, l'implication des électeurs est toujours stimulée par un enjeu.

Le mode de scrutin influe sur les votes. Les votes diffèrent qualitativement, à savoir dans leur contenu psychologique. Les changements quantitatifs sont néanmoins plus importants. Un nombre de voix obtenues par une liste de candidats au scrutin proportionnel égal à celui des voix obtenues par les candidats séparément au scrutin majoritaire démontrerait que le mode de scrutin n'influe pas sur les votes. Une telle analyse est possible en France, où le scrutin majoritaire uninominal à deux tours et la proportionnelle départementale coexistent. La construction d'un tel modèle fait intervenir une variable supra-individuelle : le parti. Les candidats au scrutin de liste ou uninominal peuvent ainsi être comparés. L'élection ne se réduit toutefois pas à la dimension idéologique. Les électeurs votent en effet également selon les personnes. Le mode de scrutin est neutre par rapport aux comportements électoraux si et seulement si le nombre de voix obtenues par la liste d'un parti au scrutin proportionnel dans une circonscription est identique à la somme des voix obtenues au scrutin majoritaire par des candidats identiques de ce même parti dans les circonscriptions correspondantes.

Ce modèle ne peut être directement testé. En effet, il implique la comparaison d'une réalité avec un résultat simulé. Cependant, durant la IV ème République, trois élections législatives et quatre élections cantonales se sont déroulées. Une étude similaire ne peut être entreprise dans le cadre de la Vème République. Toutefois, de nombreuses variables perturbent la seule prise en compte du mode de scrutin. La première variable est chronologique. Ainsi, un décalage de quatre mois entre une élection législative et une élection cantonale peut influer sur le vote de l'électeur. Deuxièmement, l'élection législative ne comprend qu'un seul tour, contrairement à l'élection cantonale. Or, certains électeurs choisissent ainsi de ne se déplacer seulement qu'au deuxième tour de l'élection cantonale. Troisièmement, le taux d'abstention peut différer du simple au double entre les deux élections. Un mode de scrutin neutre nécessite une identité des résultats en pourcentage, mais également une identité des électeurs. Quatrièmement, seule la moitié des cantons s'exprime lors d'une élection cantonale. Cinquièmement, la pertinence d'un rapprochement entre les chiffres dépend de la fiabilité des étiquettes politiques. Ainsi, lors de l'élection de 1949, le RPF a chapeauté des candidats issus d'autres partis. Les additions de voix demeurent donc toujours sujettes à caution. Sixièmement, les partis politiques ne présentent pas le même nombre de candidats.

En 1951, le parti communiste a obtenu des résultats électoraux très proches aux élections législatives et cantonales ; il en est de même pour la SFIO et le MRP. Ce constat témoigne d'une réelle stabilité. L'influence du mode de scrutin est présente, mais ne saurait être isolée sur la base des chiffres des élections de 1951. Ces observations montrent que les statistiques dont nous disposons sont impropres à la mise en exergue de réalités. De plus, le critère des résultats identiques aux divers modes de scrutin est manifestement trop exigeant. Enfin, l'élection constitue une question posée à l'électeur. Elle ne saurait être réduite à sa dimension idéologique, car un électeur peut répondre différemment à plusieurs questions.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Je vous remercie d'avoir brillamment mené cet exercice intellectuel. Je cède la parole à Guillaume BERNARD.

La représentation du tiers aux Etats Généraux

Guillaume BERNARD
Sciences Po. Paris

J'évoque les Etats Généraux du XVI ème siècle. Comment cette institution réalise-t-elle une représentation fidèle du royaume ? Le déclin de la féodalité explique l'entrée de représentants du tiers dans les Etats Généraux. Le système fut finalisé lors des Etats Généraux de 1560 à Orléans. Tout d'abord, nous montrerons que la représentation politique réalisée dans le cadre des Etats Généraux passe par la précision des circonscriptions reconnues comme légitimes pour députer. L'analyse du concept de représentation et ses implications sur le lien unissant le député à ses commettants constituera notre seconde partie.

Les disputes entre les députés se manifestèrent sur la limite des circonscriptions représentées, et sur le caractère royal ou féodal de celles-ci. Des conflits eurent lieu entre deux gouvernements, au sein de la chambre du Tiers. Ces conflits étaient relatifs au rattachement de territoires et à la hiérarchie entre les circonscriptions. En outre, certaines élections furent annulées, n'ayant pas été ordonnées par le Roi. Par ailleurs, la concurrence doctrinale entre circonscriptions royales et féodales était féroce. Toutefois, ces deux conceptions s'appuient sur des circonscriptions judiciaires. Celles-ci incarnent le droit à représenter.

La représentation politique est la légitimité par la fonction. Comment est envisagée la représentation ? Quelle était la nature juridique du lien unissant le représentant à ses commettants, et quelles en étaient les implications sur les parties ? La théorie médiévale de la représentation politique s'appuie sur deux conceptions. D'une part, la tête représente le corps. D'autre part, les élus reçoivent de leurs mandants des pouvoirs précis. La représentation parfaite fut admise au XVI ème siècle. Ainsi, la personnalité juridique, ensemble de droits et devoirs, fut attribuée aux communes. Par ailleurs, la nature juridique de la députation consiste en une procuration de droit judiciaire. Le lien entre le représentant et le représenté est financièrement gratuit. Un député aux Etats Généraux ne peut donc être payé. En outre, il doit voter conformément aux instructions qui lui ont été données.

La différence entre les Etats Généraux et les Parlements contemporains réside en ce que les électeurs désignent, dans le premiers cas, des conseillers du roi ; dans le second cas, des personnes délibérantes. En outre, les députés aux Etats sont liés par leur procuration, tandis que le mandats des députés contemporains n'est pas de type impératif.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Cette communication fut stimulante. La judiciarisation de la société contemporaine semble être en retard sur celle de l'Ancien Régime.

Territoires numériques de campagnes

Bertrand SIMON
C.E.C.E.

Ce titre semble mystérieux. Il recouvre une interrogation sur les changements induits par nos perceptions du territoire électoral, liée à la multiplication des usages de l'Internet dans les campagnes. Les 3 et 4 novembre 2008, de nombreux Français ont modifié leurs photos sur Facebook en les remplaçant par celle de Barack Obama, afin d'illustrer leur soutien à un candidat à une élection à laquelle ils ne participaient pourtant pas. La globalisation se traduit donc par une modification de la territorialisation de l'enjeu électoral. Ainsi, elle instaure l'ubiquité comme norme.

La notion de « territoire » étant difficile à définir, notre analyse privilégiera l'aspect électoral du territoire. Ainsi, nous retiendrons la définition suivante : le territoire est l'espace conquis par l'administration étatique.

Cette définition donne des frontières aux territoires. Le droit électoral construit un espace géographique ne coïncidant pas nécessairement avec celui-ci. La notion de « territoire numérique » a vu le jour à la fin des années 90. Le territoire numérique est un territoire virtuel séparé du territoire réel, ou autonome mais lié au territoire réel. Le cyberespace abolit les frontières. Il bouleverse la temporalité. L'ubiquité permanente permet d'agir partout simultanément.

Le territoire ne doit toutefois pas être identifié aux câbles et serveurs. Ces derniers ne constituent que la condition de son existence. En outre, les initiatives citoyennes donnent naissance à de multiples territoires numériques.

Des échanges d'informations et d'idées s'y déroulent. Les interactions entre les utilisateurs constituent le territoire. Nous devons donc nous intéresser aux acteurs et aux relations qu'ils entretiennent. Au sein du territoire numérique, les représentations du monde, des idées, des opinions et des analyses constituent les biens échangés par les acteurs. Ces derniers se regroupent par affinités autour d'un idéal ou d'un intérêt commun. Les échanges donnent naissance à une communauté d'acteurs, le territoire numérique.

La crédibilité, la popularité, la pertinence et la fréquence des contenus apportés par l'utilisateur constituent les critères. Autant de territoires numériques existent que de points de vue. Par ailleurs, la société digitale se comprend en relisant Leibniz. En effet, ce dernier a développé le langage binaire. Dans sa philosophie, la monade est une substance exprimant l'univers. La hiérarchisation permet de comprendre les liens entre les internautes. En outre, la comparaison de son point de vue et l'agrégation de celui-ci à des points du vue similaires se réalisent dans le cyberespace.

Le territoire numérique n'est donc pas ni un espace, ni un temps, ni un lieu. Il n'est pas l'objet de la construction politico-administrative.

Le territoire numérique et le territoire électoral entretiennent plusieurs liens. En apparence, ils s'opposent. Sur le territoire électoral, la communication est contrôlée par les candidats, tandis que la communication est ouverte à l'ensemble des individus dans le territoire numérique. En outre, ils se concurrencent. A titre d'exemple, la captation du vote juif lors de l'élection présidentielle américaine s'est faite en exposant des citoyens israéliens pro-Obama sur le site judesforobama.com. Toutefois, la relation s'avère complémentaire. Obama mêle une stratégie numérique à une stratégie territoriale consistant à frapper aux portes. Le territoire numérique permet l'organisation des militants dont l'action s'exerce dans le territoire électoral réel.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Je vous remercie de cet éclairage. Je cède immédiatement la parole à Bernard MALIGNER.

Cartographie du contentieux électoral

Bernard MALIGNER
CERSA Université Panthéon Assas Paris 2

Le contentieux électoral n'intéresse que peu d'individus. Je souhaite vous faire part d'une synthèse de mes recherches relatives à l'établissement d'une carte française du contentieux électoral. Je présenterai successivement les élections législatives de 2007 et les élections municipales et cantonales de 2008.

Abordons la cartographie des contentieux des élections législatives. La France entière est envahie par les présomptions d'illégalité. Ainsi, le Conseil Constitutionnel a traité des questions relatives à l'ensemble des 577 circonscriptions électorales. Deux décisions collectives du Conseil Constitutionnel de 2007 portent sur la répartition des sièges entres les circonscriptions. La première concerne 123 circonscriptions dans 39 départements ; la seconde porte sur 346 circonscriptions dans 75 départements. Le contentieux est donc considérable.

La cartographie du contentieux électoral montre un développement considérable de l'analyse des comptes de campagne. Ainsi, 592  réclamations ont été exprimées lors des élections législatives 2007. Cependant, de fortes disparités existent entre les départements. Aucune réclamation n'a été exprimée dans 44 départements représentant 169 circonscriptions. Dans 35 départements, il n'a été présenté qu'un seul recours. Les résultats de 2 circonscriptions ont été contestés dans 7 départements. Dans 10 départements, les résultats de 3 circonscriptions ont été critiqués ; dans 2 autres, 4 élections de députés ont été contestées. En revanche, le nombre de contestations est élevé dans trois départements : 7 résultats ont été remis en cause. De surcroît, les élections de 13 députés ont été contestées dans les Bouches-du-Rhône, alors que ce département compte 16 circonscriptions. Le contentieux des élections législatives apparaît concentré en Ile-de-France et en Provence-Alpes-Côte d'Azur.

507 recours relatifs aux élections législatives ont été déposés. Ils ont été présentés par la Commission nationale des comptes. Lors des précédentes élections législatives, 161 saisines avaient été présentées. Les règles de financement de campagne ont été bafouées dans 564 circonscriptions. Dans quinze des seize circonscriptions du département des Bouches-du-Rhône, les comptes de campagne de 38 candidats ont été mis en cause. La Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne et Paris présentent des résultats similaires.

Le contentieux des élections municipales et cantonales n'est pas véritablement significatif. Ainsi, seuls 83 scrutins cantonaux ont été contestés. Dans les communes de plus de 9 000 habitants, 130 élections ont été contestées en première instance. Au total, 250 des 36 783 élections communales ont été contestées. Cependant, les élections dans les chefs-lieux des départements du sud de la France sont davantage contestées que les autres.

Abordons à présent la cartographie du contentieux en appel devant le Conseil d'Etat. Les élections municipales des maires et adjoints de 121 communes ont été examinées à la date du 9 janvier 2009. 63 départements sont concernés. Dans l'Oise, l'Hérault et la Gironde, plus de quatre élections ont été contestées. En outre, de nombreuses contestations sont exprimées dans des villes de moins de cent habitants. Enfin, rappelons que ces chiffres ne correspondent pas à chaque fois à des irrégularités avérées.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Je vous remercie de la précision de vos propos. La contestation semble démontrer un caractère héliotropique. En outre, les rivalités des villages sont mises en exergue. Je cède immédiatement la parole à Jean BAECHLER.

Elections et territorialité

Jean BAECHLER,
Membre de l'Institut

Il convient de se méfier des fausses évidences. Le rapport entre élections et territorialité impose que des circonscriptions électorales soient des territoires. En outre, il est admis que les résultats doivent refléter la volonté des électeurs. Ces deux affirmations sont fausses, dans la mesure où elles stipulent que la territorialité est une contrainte. Quelle est la finalité des élections en démocratie ? Pourquoi la territorialité est-elle perçue comme une contrainte ?

Dans une démocratie, toute position de pouvoir doit être justifiée par un objectif commun à tous ceux qui obéissent, et occupée par des acteurs délégués par les obéissants pour les conduire au succès, en vertu de leurs compétences supposées à cette fin. Nous devons donc définir ce qu'est un objectif commun. Les obéissants-délégants sont les citoyens d'une politique, c'est-à-dire d'un groupe d'humains réunis par l'Histoire et par le sort, et décidés à rechercher ensemble les conditions communes du bonheur de chacun.

Abordons les conditions communes du bien-être commun. La paix est la résolution non violente des conflits. Elle doit être atteinte par la justice, le Droit, la loi et l'équité. Ainsi, les positions de pouvoir à pourvoir sont celles indispensables à la réalisation du bien commun. En outre, les délégants ne peuvent être que les citoyens définis en tant qu'intéressés au bien commun. Ils doivent donc disjoindre l'intérêt commun de leur intérêt personnel. Enfin, les délégués sont les individus les plus compétents aux yeux des délégants, afin de réaliser le bien commun et non les intérêts particuliers.

Deux contraintes sont imparables. Le bien commun n'est pas susceptible d'une définition univoque. Ainsi, il n'existe que des interprétations variées du bien commun et des modalités de sa réalisation. Le bien commun est donc frappé d'une incertitude. L'incompétence éventuelle des candidats ne peut être appréciée pleinement par les délégants. Les citoyens sont donc condamnés à choisir entre plusieurs interprétations incertaines et parient sur les compétences des candidats. L'élection est donc une technique permettant aux citoyens de parier. D'autres techniques existaient dans certaines démocraties : la cooptation, l'ancienneté et le tirage au sort.

La territorialité apparaît comme une nuisance et une contrainte. En effet, l'Histoire, la géographie et les problèmes caractérisent le territoire. Les citoyens sont donc encouragés à substituer à l'intérêt commun l'intérêt particulier du territoire qu'ils habitent. En outre, les délégants inclinent à se prononcer en calculant le bénéfice qu'ils sont censés tirer de leur choix. Enfin, les délégués ont intérêt à se présenter comme défenseurs d'intérêts particuliers. La territorialité des élections constitue donc un risque de corruption pour la démocratie. Cette dernière devient alors un marché politique, où sont échangés des appuis aux politiciens contre les bénéfices retirés par les citoyens.

La seule alternative au découpage de circonscriptions électorales est l'établissement d'une seule circonscription. L'adoption du scrutin proportionnel serait alors nécessaire, mais elle présente des défauts. En outre, la proximité entre les délégants et les délégués favorise la connaissance réciproque, facilite les choix et diminue l'incertitude. Bien que le progrès technique change ces données de manière radicale, la circonscription unique ne saurait être la solution. Cependant, l'annulation des coûts de transaction pourrait favoriser une disjonction radicale entre territoires et circonscriptions. Une circonscription constituerait donc un pool d'électeurs. Deux possibilités s'ouvrent alors : chaque circonscription reflète exactement la composition de la population générale de la politique, ou le tirage au sort fixe la composition d'une circonscription. Les deux solutions peuvent être utilisées simultanément.

Toutefois, les territoires constituent des réalités dont les habitants ont des intérêts communs. Cependant, tout groupement d'humains présente des intérêts communs. Du principe de subsidiarité découle le fait que tout groupe humain définit des intérêts communs dépassant les intérêts individuels. Les sociétés humaines résultent donc de l'intégration de groupes variés.

A l'échelle européenne, il conviendrait d'envisager des circonscriptions non territorialisées, car les circonscriptions nationales masquent les intérêts communs.

Jean-Michel LEMOYNE DE FORGES

Votre contribution est toujours enrichissante. Je vous en remercie vivement.

Travaux de l'après-midi : Présentation générale

Jean-Claude MASCLET,
Professeur à l'Université Panthéon Sorbonne Paris I

Les propos tenus nous montrent des évolutions fondamentales du droit électoral. Elles se manifestent à travers divers points de vue historiques, statistiques, numériques, de géographes et tirés d'expériences étrangères. Le droit de vote et l'égalité du suffrage ne faisaient l'objet que d'une seule approche, purement juridique. Aujourd'hui, l'égalité ne peut être comprise sans considération de l'aspect sociologique. La représentation, pour être plus égalitaire, doit davantage tenir compte des diverses réalités démographiques.

L'observation d'un scrutin électronique au Venezuela

François DEPAS

Je souhaite aborder les résultats d'une mission d'observation au Venezuela, réalisée en 2005 et 2006.

Durant la phase du briefing, nous étudions les conditions du processus électoral et de sécurité du pays. Rappelons que le Venezuela compte 27 millions d'habitants. La population est diverse : elle comprend notamment les paysans, les indiens et les urbains de Caracas. En 1999, une nouvelle constitution a vu le jour. Elle stipule le caractère fédéral de l'Etat. Ce dernier s'appuie sur 23 Etats fédérés. En outre, le pouvoir électoral est détenu par une instance indépendante, le CNE. Conformément à une loi de 1998, elle met progressivement en place le vote électronique.

Nous avons rendu visite aux ONG locales d'observation locale des élections. Nous préparons ensuite notre propre observation. Ainsi, nous accueillons trois équipes de binômes d'observateurs à court terme et leur distribuons le matériel de communication. Suite à notre mission de reconnaissance, les missions et les circonscriptions électorales sont réparties.

Deux jours avant le vote, le personnel et le matériel font l'objet de vérifications. Chaque bureau de vote s'appuie sur un président, deux assesseurs et un secrétaire. Ces quatre personnes prêtent serment. L'armée leur délivre alors le matériel. Elle assure donc la logistique du processus. L'opérateur de machine constate le bon fonctionnement de la machine, toujours deux jours avant le vote. L'ensemble du matériel est alors gardé par l'armée.

32 331 des 33 000 centres de vote étaient déjà automatisés en 2006. 671 restaient manuels. Cependant, le vote demeure manuel lorsque le nombre d'électeurs est inférieur à cent. A 5 heures 30, la machine est mise en oeuvre, sous la responsabilité du président du bureau de vote. Un acte stipule que le nombre de bulletins est nul. Les électeurs se présentent ensuite au bureau de vote. Rappelons qu'un cinquième de la population est analphabète. En outre, la population est très jeune. L'électeur est authentifié sur un registre du bureau de vote. Le président lui explique le fonctionnement de la machine électronique. Après avoir voté, l'électeur place le récépissé de vote dans une boîte. En sortant, son petit doigt est teinté d'une encre indélébile.

Le vote doit être effectué en trois minutes. Ce délai est reconductible. Au bout de six minutes, le vote est perdu. Des cartons encadrent la machine, afin de garantir le secret du vote. A tout moment, les électeurs peuvent solliciter l'aide d'un membre de leur famille ou du bureau de vote. De même, des représentants des partis proposent leur aide.

A 18 heures, soit dix heures après l'ouverture du bureau, l'acte de vote se termine si aucun électeur ne fait plus la queue. Les résultats du vote et le nombre de votes sont alors imprimés. Ils sont remis au président. Le nombre de votes comptabilisés est comparé pour vérification avec le nombre de votants. La machine est ensuite branchée sur une ligne de communication dédiée aux élections. Les résultats de chaque machine sont envoyés au centre de totalisation à Caracas. Si aucune communication n'est possible, un porteur des forces armées transmet la clé USB scellée contenant les résultats à un centre de vote connecté.

Une phase d'audit des machines a ensuite lieu. En 2004, 1% des machines a été contrôlé ; en 2008, ce chiffre s'élève à 54%. Plus de la moitié des machines est donc désormais vérifiée, conformément au souhait de l'opposition.

Le lendemain du vote, nous établissons un bilan préliminaire et recueillons l'avis des observateurs que nous avons déployés. En 2006, 1 825 machines sont tombées en panne. 1 600 ont été remplacées.

Les audits des machines ne peuvent être réalisés que par des experts. En outre, un nouveau code d'observation a été mis en place par l'OSCE notamment. Par ailleurs, le rôle joué par l'opérateur en télécommunications est important, dans la mesure où le Venezuela est sur la voie d'une totale numérisation du processus électoral.

Le vote électronique permet de dépasser la défiance de la population. Cependant, cette défiance est transférée des gouvernants vers la machine. La transparence est donc nécessaire : elle appelle la réalisation d'audits, afin que le verdict des urnes soit accepté. En outre, le vote électronique présente des caractéristiques de fiabilité et de rapidité. Enfin, il est nécessaire d'informer les électeurs pour que ces derniers acceptent et comprennent cet outil.

Jean-Claude MASCLET,

Professeur à l'Université Sorbonne Paris I

Je vous remercie de cet intéressant exposé. De nombreux enseignements sont à tirer des expériences sud-américaines. Je cède immédiatement la parole à Michel LAFLANDRE.

Vote par Internet : l'urne planétaire...

Michel LAFLANDRE,
Service des relations internationales du Sénat

Ce sujet a déjà été évoqué lors d'une précédente édition. Aujourd'hui, je perçois un certain scepticisme quant au vote électronique. Je pense toutefois que le vote par Internet a un avenir. Ainsi, la déterritorialisation résulte de l'ouverture d'un nouvel espace par l'Internet. Le cyberespace est donc une notion pouvant être validée.

Le vote par Internet est un avatar moderne du vote par correspondance. Le vote-papier par correspondance est ou a été un système largement pratiqué en France et à l'étranger. Le vote par correspondance est :

· utilisé en France dans les élections politiques jusqu'en 1975 ;

· largement pratiqué dans les élections administratives, professionnelles, consulaires,

· au point d'être devenu le mode exclusif de votation dans certaines élections non politiques ;

· la voie classique d'expression du suffrage politique dans plusieurs pays (en Suisse, par exemple) ;

· il survit dans une élection politique française pour les Français de l'étranger.

Dès lors, existe-t-il une différence entre le vote-papier par correspondance et le vote par Internet ? J'estime que la démarche est la même.

La suppression en 1975 du vote par correspondance dans les élections politiques a été une mesure inspirée par le « principe de précaution ». La mesure a ainsi été largement décriée par de nombreux électeurs.

Abordons la déterritorialisation de l'acte de vote induit par le vote par Internet. Jusqu'alors, nous nous sommes intéressés essentiellement aux raisons justifiant le recours au vote par Internet. Nous n'avons donc pas encore suffisamment réfléchi à qui il s'adressait. En France, les Français de l'étranger constituent le premier groupe intéressé par un vote par Internet. Le Sénateur Louis DUVERNOIS affirme qu' « à l'étranger, le principal obstacle à l'expression du suffrage des citoyens français est la distance les séparant du bureau de vote ». De nombreux pays ont mis en place des expérimentations. En 2003, les Etats-Unis ont lancé une expérimentation pour les Américains de l'étranger servant sous les drapeaux. En 2008, lors des primaires, les expatriés démocrates ont pu voter en ligne pour choisir leur candidat à l'élection présidentielle. Concernant le vote par Internet des Français de l'étranger, le Sénateur Richard YUNG estime que le tabou du vote par Internet devra être brisé pour favoriser la participation.

Le décret n°2006-285 du 13 mars 2006 prévoit que les Français inscrits sur les listes électorales consulaires peuvent voter par voie électronique. Sa mise en place a toutefois compliqué le processus pour les électeurs, dans la mesure où on a multiplié les précautions car  les fraudes étaient exagérément craintes. Ainsi, une préinscription et une confirmation d'inscription étaient nécessaires. L'établissement d'un certificat électronique et une didentification de l'électeur suivaient. L'expérimentation du vote par Internet a donc constitué un échec. Ainsi, 28 000 des 525 000 électeurs seulement avaient choisi de voter par Internet. Néanmoins, la réflexion se poursuit. Les moyens techniques doivent être améliorés, mais l'idée n'est pas intrinsèquement mauvaise.

Par ailleurs, il convient d'abolir la distance entre l'électeur et l'urne. Ainsi, les personnes handicapées ou à mobilité restreinte, les personnes hospitalisées et les individus incarcérés sont des publics concernés. Les électeurs votant par procuration trouvent également un intérêt au vote par Internet.

Le vote par Internet permet de réduire l'abstentionnisme, notamment celui des jeunes. De plus, la technique semble bien proportionnée à l'exercice de la citoyenneté européenne. En effet, les intérêts politiques y transcendent les intérêts nationaux. L'UE a donc d'ores et déjà testé de nombreuses formules de vote par Internet.

En conclusion, le vote par Internet s'illustre par une équation C(yber espace) = 3D + 3T. Les trois « D » sont la déterritorialisation, la délocalisation et la dématérialisation. Les trois « T » sont la simplicité, la rapidité et l'efficacité.

Jean-Claude MASCLET

Je vous remercie de cet exposé optimiste quant au développement du vote par Internet. Je cède la parole à Anne ESAMBERT.

La participation électorale des diasporas

Anne ESAMBERT,
Service des relations internationales du Sénat

Le droit de vote et d'éligibilité est, à n'en pas douter, l'un des fondements de la citoyenneté d'un État démocratique. Mais qu'en est-il des ressortissants d'un pays qui vivent hors des frontières nationales ?

De la quasi-absence de droits politiques à l'élection de représentants dédiés au Parlement, les réponses varient d'un pays à l'autre.

A l'heure du village global et de la communication instantanée grâce aux nouvelles technologies de l'information, la tendance est néanmoins quasiment partout à l'élargissement des droits politiques des diasporas, sous la pression d'associations d'expatriés de mieux en mieux organisées et puissantes. Les citoyens de plus en plus mobiles conçoivent en effet de moins en moins qu'on les prive d'un de leurs droits les plus fondamentaux, sous prétexte qu'ils ne résideraient pas de façon permanente sur le territoire de leur pays d'origine.

Je vous propose d'examiner quelles sont les raisons qui conduisent les États à accorder ou à ne pas accorder le droit de vote à leurs expatriés, ce qui nous conduira à établir une typologie des États. Dans une deuxième partie, nous nous pencherons sur la participation effective des diasporas aux élections et en particulier sur le cas de la France. En partant de l'évolution des taux de participation des Français de l'étranger aux différents scrutins auxquels ils sont invités à s'exprimer, nous examinerons les propositions de l'Assemblée des Français de l'étranger, l'instance de représentation de premier degré des Français établis hors de France, pour améliorer la participation électorale.

· De l'opportunité d'accorder le droit de vote aux expatriés

· De l'évolution de la participation électorale des Français établis hors de France et des moyens de l'améliorer

De l'opportunité d'accorder le droit de vote aux expatriés

Octroyer ou non la qualité d'électeur à ses ressortissants établis à l'étranger - c'est-à-dire pour être tout à fait clair, leur permettre d'exprimer leur vote depuis leur pays de résidence sans avoir à se déplacer dans leur pays d'origine - est pour un Etat une question fondamentale qui l'oblige à interroger le lien qui le relie à sa diaspora. L'octroi du droit de vote n'est en effet pas une question anodine. Cela signifie donner droit au chapitre à des citoyens qui ont fait le choix, délibéré ou non, définitif ou non, de quitter le pays.

C'est la raison pour laquelle, les situations varient beaucoup d'un Etat à l'autre, entre ceux qui n'ont pas prévu d'intégrer leurs expatriés à la vie politique nationale, et ceux, à l'autre extrémité du spectre, qui vont jusqu'à accorder des droits politiques à des personnes qui n'ont jamais habité dans le pays de leurs parents. D'autres enfin ont parachevé l'édifice démocratique en prévoyant une représentation politique de leurs ressortissants établis à l'étranger (France, Italie, Portugal, Croatie, Algérie, Sénégal...).

De nombreux cas de figure existent également selon le mode opératoire prévu: certains Etats n'autorisent que le vote par correspondance, d'autres comme la France n'admettent que le vote physique dans un des bureaux de vote ouverts à cet effet à l'étranger (ou par procuration) mais refusent le vote par correspondance, d'autres enfin, ont mis en place des procédures de vote électronique. Les cas varient enfin selon les scrutins auxquels les expatriés sont admis à participer : élections européennes, présidentielles, législatives ou locales, référendums.

Compte tenu de cette diversité de situations, il est assez difficile d'établir une typologie des États. En outre, il n'existe aucune étude exhaustive sur les droits politiques des communautés de nationaux vivant à l'étranger. La tentative de classement que je vais vous proposer repose en partie sur l'enquête menée en novembre 2006 par le service de législation comparée du Sénat sur la représentation institutionnelle des citoyens expatriés. Cette enquête portait sur onze pays de l'Union européenne. J'ai également puisé des informations précieuses sur le site des Européens dans le monde www.euromonde.eu et sur un site libanais www.elections-lebanon.org . Enfin, je suis reconnaissante au travail effectué par Aziz BELAOUDA auprès des représentations consulaires étrangères à Paris, lorsqu'il était stagiaire à la division de la présence dans le monde du Sénat au nom de laquelle je m'exprime aujourd'hui.

Au total, les États peuvent grosso modo se classer en quatre catégories :

1. Les États qui ne reconnaissent pas (encore) la qualité de citoyens à leurs expatriés

On l'a vu, accorder le droit de vote à des citoyens qui ont fait le choix de s'établir à l'étranger n'est pas une question anodine. Surtout lorsque la diaspora représente une partie non négligeable de la communauté nationale. C'est particulièrement le cas des pays ayant connu des exodes importants, soit pour des raisons économiques, soit à la suite de guerres civiles ou de conflits régionaux.

Les arguments des États qui s'opposent au droit de vote de leurs diasporas sont de trois ordres :

Certains États craignent que la participation des expatriés, aux scrutins nationaux (présidentiel et/ou législatif) ne soit un facteur de déstabilisation de l'équilibre politique et/ou confessionnel actuels ;

D'autres affirment que les expatriés ne participent pas à la vie nationale au même titre que les résidents dans la mesure où ils ne font pas leur service militaire, ne s'acquittent pas des impôts sur les personnes physiques et n'effectuent pas de séjours réguliers sur le territoire national ;

Une troisième catégorie d'opposants avancent l'argument des difficultés et des obstacles techniques : difficulté de recensement des expatriés ; complexité et coût élevé de l'organisation d'élections à l'étranger ; impossibilité d'organiser une propagande électorale, etc.

Pour ces différentes raisons, le Liban s'est longtemps opposé à l'organisation d'élections hors de son territoire. Les Libanais résidant à l'étranger et inscrits sur les listes électorales libanaises sont en effet estimés à environ 500.000, soit 1/6e de l'électorat libanais. Ces électeurs potentiels ont quitté le pays à partir des années 50 et sont d'égale répartition confessionnelle.

A la suite du lobbying actif de l'association « Lebanese Dream - Intichar », la loi électorale du 8 octobre 2008 a octroyé aux résidents libanais à l'étranger le droit de participer aux prochaines élections parlementaires (de 2013) à condition d'être inscrits sur les listes électorales. Ils pourront ainsi voter dans les bureaux de vote prévus à cet effet dans les ambassades et consulats, dans les 10 jours qui précéderont le scrutin au Liban.

Les 2,8 millions de Coréens du Sud vivant à l'étranger pourraient également bientôt bénéficier du droit de vote pour les élections générales et présidentielles, conformément à un avis récent (octobre 2008) de la Commission électorale nationale de la République de Corée du Sud . Cette position, en adéquation avec celle rendue par la Cour constitutionnelle en juin 2007, mettrait fin à une carence démocratique de la Corée du Sud, héritée du régime militaire. Le vote pourrait s'exercer dans les représentations diplomatiques à l'étranger, ou par voie électronique. Il s'appliquerait également aux quelque 10.000 marins embarqués outre-mer. Les grands partis se sont prononcés en faveur du droit de vote des Coréens de l'étranger. Il reste maintenant à savoir si le Parlement coréen, majoritairement conservateur, décidera de suivre ou non l'avis de la Commission électorale, sachant d'une part qu'il n'y trouverait pas forcément son intérêt, et, d'autre part, que la Corée du Nord a une législation plus avancée : si les citoyens nord-coréens vivant à l'étranger n'ont pas non plus le droit de vote, la plus forte minorité nord-coréenne à l'étranger, qui réside au Japon, dispose en effet d'une représentation spécifique à l'Assemblée populaire suprême de la RPD de Corée.

En Europe, il est significatif que les deux seuls pays qui mettent des obstacles au droit de vote de leurs diasporas soient deux grands pays d'émigration : l'Irlande et la Grèce. En Irlande , où la diaspora est estimée à 80 millions de personnes (descendants compris) - sur 4,24 millions d'habitants -, le code électoral subordonne le droit de vote au fait de résider de manière habituelle dans le pays et seules les personnes qui partent vivre à l'étranger avec l'intention - manifestée par écrit - de revenir dans les dix-huit mois sont considérés comme remplissant la condition de résidence.

En Grèce , qui compte 4 millions d'expatriés (pour une population de 11 millions), la Constitution a été modifiée en 2004 pour prévoir le vote des émigrés. Toutefois, le gouvernement refuse toujours de modifier le droit électoral en conséquence, malgré le lobbying actif du conseil des Grecs de la diaspora, émanation des 3.500 associations grecques dans le monde. L'imminence d'une loi sur le vote des Grecs de l'étranger, réveille les ambitions des autoproclamés leaders de l'hellénisme immigré d'autant plus que quelques sièges de députation pourraient être affectés à sa représentation.

Néanmoins, comme tous les autres citoyens européens, les citoyens irlandais et Grecs résidant dans un pays de l'Union européenne ont le droit de voter pour le Parlement européen dans leur pays de résidence.

Le vote aux élections nationales au Liechtenstein est conditionné à la résidence dans le pays.

Pour les ressortissants israéliens , nicaraguayens ou turcs qui vivent loin de leur patrie, l'exercice des droits politiques reste synonyme de longs déplacements, puisqu'ils ne peuvent voter que dans leur pays d'origine. Cela revient en fait à considérer que les États leur permettent d'exercer leurs droits de citoyen à condition qu'ils en assument les frais.

De même, rares sont les citoyens d'Afrique résidant loin de leur pays d'origine à pouvoir prendre part aux élections nationales. L' Angola entamera en 2009 la préparation du registre électoral des citoyens nationaux de la diaspora pour leur participation aux prochaines législatives.

Notons que ni l' Inde, ni le Chili qui disposent de fortes communautés émigrées, n'autorisent le vote à l'étranger de leurs expatriés.

2. Les États pour lesquels le « bon » expatrié est celui qui limite son expatriation dans le temps

Pour certains pays, l'octroi du droit de vote est subordonné à l'existence d'un lien très étroit entre le citoyen résidant à l'étranger et son pays d'origine.

Ainsi, au delà de cinq années passées à l'étranger, un ressortissant canadien perd son droit de vote. La limite de cinq ans ne s'applique pas aux employés d'une administration publique fédérale ou provinciale, aux employés d'un organisme international dont le Canada est membre, aux membres des Forces canadiennes et aux civils travaillant dans une école des Forces canadiennes. Seul le vote par correspondance est prévu.

Les Britanniques de l'étranger disposent du droit de vote aux élections législatives depuis 1985, mais le perdent au bout de quinze ans passés hors du Royaume-Uni. Ce délai a largement varié : il a été porté de cinq à vingt ans en 1989 puis ramené à quinze ans en 2000. Ils exercent leur droit par correspondance ou par procuration mais ils doivent au préalable se faire inscrire sur les listes électorales de la circonscription où ils votaient avant leur départ et renouveler cette inscription chaque année.

Au Danemark , au delà de quelques catégories d'expatriés strictement déterminées par la Constitution (fonctionnaires en poste à l'étranger, personnes travaillant dans un organisme international), seuls peuvent prendre part au vote (dans les consulats et ambassades) les expatriés qui ont quitté leur pays depuis moins de deux ans et qui ont exprimé le souhait de revenir au Danemark.

La même condition s'applique pour les Australiens résidant à l'étranger pour pouvoir prendre part aux élections nationales.

La Suède fixe à dix ans la période pendant laquelle ses citoyens établis à l'étranger peuvent voter (mais cette période est renouvelable sur demande). Les intéressés peuvent voter soit par correspondance, soit en personne dans les bureaux de vote des ambassades et des consulats. La Norvège et l' Islande limitent également cette possibilité à respectivement dix et huit ans, mais les citoyens qui ont quitté leur pays depuis plus longtemps peuvent demander leur rattachement à une liste électorale nationale.

Enfin, depuis 1985, les Allemands de l'étranger bénéficient du droit de vote aux élections législatives sous réserve d'être inscrits sur les listes électorales de la commune où ils résidaient avant leur départ. Toutefois, les citoyens qui vivent dans un pays qui n'est pas membre du Conseil de l'Europe perdent ce droit au bout de 25 ans.

3. Les États pour lesquels tous les expatriés sont des citoyens à part entière

De très nombreux pays considèrent leurs expatriés comme des citoyens à part entière et les autorisent à prendre part aux scrutins nationaux depuis leur pays de résidence, quelle que soit la durée de leur expatriation.

Lorsqu'ils ouvrent à leur diaspora, comprise dans le sens le plus large, la possibilité de prendre part aux élections nationales, les gouvernants poursuivent trois types d'objectifs :

· le premier et le plus immédiatement utile dans la perspective d'une échéance électorale disputée, c'est l' élargissement de leur base électorale .

I. On l'a vu en Italie à l'occasion des élections législatives de 2006 : pour la première fois, grâce à Sylvio Berlusconi, le vote par correspondance était ouvert aux Italiens de l'étranger qui ont considérablement influencé les résultats du scrutin en permettant, dit-on, la victoire de Romano Prodi...

è De même, les principaux candidats à la dernière élection présidentielle française n'ont pas sous-estimé le potentiel électoral des 823.000 citoyens français inscrits sur les listes électorales à l'étranger : outre une adresse spécifique aux Français de l'étranger par le biais d'une lettre envoyée par courrier électronique où ils multipliaient les promesses particulières (création de députés des Français de l'étranger, gratuité de l'enseignement scolaire à l'étranger, etc.), ils ont tous effectué des déplacements ou envoyé leurs capitaines de campagne dans les principaux pays d'établissement de nos concitoyens (Grande-Bretagne, Suisse, Allemagne, États-unis).

- Ouvrir le droit de vote aux ressortissants établis à l'étranger, c'est aussi renforcer la légitimité et la stabilité du système démocratique en prenant en compte la composition de la communauté nationale dans toute sa diversité et en permettant à tous les citoyens où qu'ils se trouvent d'exercer leur citoyenneté.

è Aux États-unis , quelque six millions d'expatriés peuvent ainsi voter par correspondance aux élections présidentielles et parlementaires en étant inscrits dans leur dernier État de résidence. Cependant, seule une petite fraction s'est prêtée à l'exercice par le passé. En effet, voter à l'étranger est souvent un processus compliqué du fait des exigences variées des États américains concernant le vote par correspondance. En outre, l'acheminement du courrier par les services postaux locaux est parfois si lent que dans certains pays, les Américains reçoivent leur bulletin de vote par correspondance trop tard pour pouvoir l'utiliser. Ainsi, sur les 993.000 bulletins de vote expédiés par la poste lors de la dernière élection, seulement 330.000 ont été comptés, soit seulement 5,5 % des électeurs potentiels.

è Républicains et démocrates peuvent également voter par correspondance ou par Internet aux élections primaires organisées par leur parti.

- Enfin, en reconnaissant aux expatriés le droit de participer à ses scrutins nationaux, un État ne fait que renforcer les liens avec ses émigrés , ce qui lui permet de prendre mieux en compte les problématiques et les intérêts de ses différentes communautés expatriées dans le monde.

è Au Soudan , depuis 1958, les émigrés peuvent voter aux élections présidentielles et législatives. L'émigré doit être enregistré au consulat et payer une taxe spéciale. Il doit aussi avoir envoyé au moins 500 $ par an sur un compte au Soudan.

Quelques pays vont encore plus loin en accordant des droits politiques à des personnes qui n'ont jamais habité dans le pays de leurs parents . C'est le cas de la Belgique (depuis 1998 pour les élections parlementaires), de la Finlande, de la France (pour l'élection présidentielle et les référendums), de l'Italie, du Luxembourg, de l'Autriche (depuis 1990), du Portugal, de l'Espagne (pour les élections législatives) ou de la Suisse. Sous réserve de l'inscription préalable sur les listes électorales.

Mais si les expatriés votent pour les élections présidentielles et les référendums en Iran , en Arménie ou en Égypte , ils ne prennent pas part aux élections législatives. La France était dans ce cas jusqu'à la réforme constitutionnelle de juillet 2008 qui prévoit l'institution de députés représentant les Français établis hors de France. En outre, la

4. Les États prévoyant une représentation politique de leurs ressortissants établis à l'étranger

De plus en plus nombreux sont les États, qui, non contents de permettre la participation électorale de leurs diasporas aux scrutins nationaux et aux référendums, ont créé des postes de parlementaires dédiés à leurs communautés expatriées.

La France a fait oeuvre de pionnière en la matière, suivie par le Portugal et l'Italie : en France , 12 sièges de sénateurs sur 345 sont réservés aux Français de l'étranger (et bientôt 8 à 12 sièges de députés). C'est en 1946 que la Constitution a prévu pour la première fois la représentation parlementaire des Français établis hors de France.

Les Italiens de l'étranger disposent quant à eux de 12 députés sur 630 et de 6 sénateurs sur 315.

Au Portugal , sur les 230 sièges du parlement unicaméral, deux sièges sont réservés aux Portugais résidant en Europe et deux pour ceux d'Outre-Mer.

En Croatie , le nombre de sièges réservés aux Croates résidant hors des frontières est fonction de leur taux de participation. Ils peuvent faire entrer jusqu'à 12 élus au Parlement.

En Pologne , qui compte près de 15 millions de citoyens résidents à l'étranger (pour une population résidente de 40 millions), tous les émigrés sont automatiquement inscrits dans la circonscription n°1 de Varsovie, la capitale pour élire un député (sur 400).

De plus en plus de pays d'Afrique mettent en place une représentation parlementaire de leurs diasporas. Ainsi de l' Algérie où huit des 380 députés représentent les 3 millions d'Algériens de la diaspora (2 pour la France du Nord, deux pour la France du Sud, un pour le reste de l'Europe, un pour l'Afrique dont les pays arabes, un pour le Moyen Orient, un pour le reste du Monde) ou du Sénégal où 4 sénateurs représentent les Sénégalais de l'extérieur.

Enfin, il convient de noter que la plupart des pays disposant d'une diaspora importante, prévoient la défense des intérêts de cette diaspora à travers un ministère dédié et/ou des conseils représentatifs ou des assemblées consultatives tels que le Parlement des Grecs vivant à l'étranger (300 députés élus par les grecs de l'étranger) ou l'Assemblée des Français de l'étranger (155 membres élus au suffrage universel direct par les Français établis hors de France).

5. Des modalités de vote variables selon les pays

Les modalités du vote sont généralement un facteur déterminant du taux de participation effective des expatriés. La plupart des pays demandent à leurs ressortissants de se rendre à l'ambassade ou au consulat le plus proche du pays de résidence pour remettre leur bulletin de vote en personne dans l'urne, ce qui occasionne souvent de longs déplacements et favorise l'abstentionnisme : Algérie, Arménie, Australie (sauf pour les élections fédérales), Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Finlande, France, Pologne, Portugal (pour les élections présidentielles), République tchèque...

Il en est de même pour les États latino-américains : Argentine, Brésil, Honduras, Colombie, Pérou, Venezuela.

D'autres n'autorisent que le vote par correspondance : Allemagne (sauf pour les élections européennes), Canada, États-unis, Italie (sauf pour les élections européennes), Portugal (pour les élections législatives et européennes), Royaume-Uni (sauf pour les élections européennes), Suisse.

D'autres encore, pour favoriser une plus grande participation de leurs diasporas proposent les deux modes opératoires : Autriche, Belgique (pour les élections législatives fédérales pour lesquelles le vote est obligatoire), Japon, Lettonie, Luxembourg (vote obligatoire), Norvège, Pays-Bas, Slovénie, Suède, Tunisie.

Néanmoins, le taux de participation étant généralement décevant, certains pays ont introduit ou envisagent l'introduction du vote en ligne :

l ainsi, l' Australie a eu recours au vote en ligne en 2007 pour ses soldats déployés en Irak et en Afghanistan, ce qui a fait passer le taux de participation de l'armée de 20 à 75 %.

l L'Autriche, l'Estonie, la Finlande, la Norvège, le Royaume-Uni (seuls 15.000 électeurs britanniques ont pris part aux dernières élections législatives), la Suisse, le Canada et les Pays-Bas (où le taux de participation des expatriés était de 5% environ aux dernières consultations électorales) ont également introduit le vote en ligne, et les Philippines et la Roumanie le feront en 2009.

Notons que la France autorise le vote par procuration bien que cette formule un peu obsolète n'ait été retenue par aucun de nos partenaires européens, sauf en complément d'un vote par correspondance en Belgique, aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, où il est d'ailleurs en régression. Elle n'a pas été retenue non plus par les nouvelles démocraties d'Europe du Centre-Est, dont beaucoup se sont pourtant inspirés des pratiques administratives et politiques françaises dans l'établissement de leur Constitution et de leur système d'administration.

De l'évolution de la participation électorale des Français établis hors de France et des moyens de l'améliorer

Malgré les nombreux dispositifs prévus pour favoriser le vote des expatriés aux élections nationales, la participation effective à ces scrutins est généralement décevante. Que ce soit aux élections nationales ou aux élections européennes, les expatriés ne se mobilisent pas autant que les résidents nationaux.

L'évolution de la participation des Français de l'étranger aux divers scrutins auxquels ils sont conviés est à cet égard assez représentative et préoccupante. En effet, bien que le nombre de Français de l'étranger inscrits sur les listes électorales consulaires ne cesse d'augmenter depuis 1981, le taux relatif de participation électorale ne cesse de baisser qu'il s'agisse des élections à l'AFE ou lors des « scrutins à l'étranger » (élection présidentielle et référendum - et, de 1979 à 1999, élections du Parlement européen 1 ( * ) ).

Même si le phénomène d'abstention croissante est commun à la plupart des démocraties occidentales, il prend des proportions alarmantes dans le cas des élections françaises à l'étranger, en particulier à l'AFE. En effet, malgré diverses mesures mises en place au fil des années pour favoriser la participation électorale des Français expatriés (assouplissement des formalités d'inscription, augmentation du nombre de bureaux de vote, introduction du vote électronique, etc.), la tendance ne fait que se confirmer.

1. La baisse continue du taux de participation des Français de l'étranger aux scrutins à l'étranger

Le taux de participation des Français établis hors de France au second tour des élections présidentielles françaises ne cesse de diminuer depuis 1981. Il est ainsi passé de 78,8% en 1981, à 64% en 1988, 53% en 1995, et 44,2% en 2002. Aux dernières élections de 2007, les Français établis hors de France ont été deux fois moins nombreux, en proportion, à prendre part au vote (42,13%) que les résidents nationaux (84%).

Certes, cette baisse doit être relativisée au regard de la très forte augmentation du nombre de votants en valeur absolue - le nombre des inscrits a plus que doublé entre 2002 et 2007 (près de 822.000 en 2002 contre 385.615 en 2002) - mais la tendance reste préoccupante.

La même tendance est perceptible aux élections de l'AFE (ex CSFE). Ainsi, entre 1994 (renouvellement de la série B du CSFE : Europe, Asie et Levant) et juin 2006 (renouvellement de la même série de l'AFE), la participation a chuté de plus de dix points, passant de 28,17% à 14,25%, alors même qu'un dispositif de vote électronique avait été mis en place aux élections de 2006 dans le but d'encourager la participation des électeurs. Aussi étonnant que cela puisse paraître, seuls 13,6% d'entre eux ont choisi cette modalité de vote.

Aux élections européennes (auxquelles les Français établis en dehors de l'UE pouvaient participer jusqu'en 1999), le taux de participation dans les centres de vote établis à l'étranger est passé de 44% en 1979, à 31,70% en 1989, 25,38% en 1994, et 17,96% en 1999.

Enfin, ils n'ont été que 13,8% à s'exprimer par référendum en 2000 sur le quinquennat, contre 42,15% en 1992 sur le Traité de Maastricht.

2. Des causes multiples et sans doute complexes

Un rapport récent (sept. 2008) de la commission temporaire de la participation électorale des Français établis hors de France constituée au sein de l'Assemblée des Français de l'étranger, pointe trois séries de causes :

- des causes techniques : listes électorales parfois erronées et souvent insuffisamment réactualisées (ceux des expatriés qui changent d'adresse sans en informer le consulat restent inscrits sur les liste et grossissent les rangs des « abstentionnistes »), absence de vote par correspondance postale pour l'élection présidentielle et le référendum, vote par Internet trop complexe en 2006, éloignement et insuffisance des bureaux de vote, etc.

- des freins d'ordre psychologique et politique : la faible notoriété de l'AFE et son absence réels de pouvoirs, ainsi que l'ambiguïté du rôle de l'élu, ont trop souvent pour corollaire, selon le rapport, un manque de considération de la part des autorités et une absence de visibilité des élus par les ressortissants de la circonscription.

- Une réelle carence d'information .

3. Les propositions de l'AFE pour améliorer la participation électorale

Elles sont de quatre ordres :

- Faciliter l'exercice du droit de vote

- Donner de réels pouvoirs à l'AFE et un véritable statut à ses conseillers

- Adopter des mesures d'ordre symbolique et de visibilité

- Mettre en oeuvre une véritable politique d'information.

è Faciliter l'exercice du droit de vote

Pour faciliter l'exercice du droit de vote, l'AFE suggère de généraliser le vote par correspondance à toutes les élections auxquelles participent les Français établis hors de France. A l'heure actuelle, ce mode de vote (interdit depuis 1975 sur le territoire national en raison des fraudes qu'il avait engendrées) n'est autorisé à l'étranger que pour les seules élections à l'AFE - il est d'ailleurs plébiscité par 90% des inscrits. La commission juge que sa généralisation constituerait une réponse satisfaisante à la contrainte liée à l'éloignement du bureau de vote, à la fois dans sa forme postale et dans sa forme électronique.

Pour étayer sa proposition, l'AFE souligne que le vote par correspondance est la règle chez tous ceux de nos voisins qui autorisent le vote de leurs expatriés aux élections législatives (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni...). Pour l'Italie, c'est même le seul mode de vote autorisé pour les élections à l'étranger.

Pour améliorer le vote par correspondance, il est aussi suggéré de prévoir, dans les pays où il existe, une enveloppe de retour en « port payé » (système « T » ou équivalent), comme c'est le cas en Espagne ou en Italie.

A défaut, l'AFE propose d'alléger les formalités du vote par procuration en permettant notamment une procédure électronique d'établissement des procurations et en augmentant les tournées consulaires pour relever les procurations.

La commission suggère également d'adapter le nombre de bureaux de vote au nombre d'électeurs prévus et d'associer les conseillers de l'AFE au choix de leur localisation en raison de leur connaissance du terrain.

S'agissant du vote électronique, il a été expérimenté en juin 2003 aux États-unis pour les élections à l'AFE et généralisé en juin 2006 à toute la zone B (Europe, Asie, Levant), avec des bonheurs divers. Lors de la 1ère expérimentation, la méthode, choisie par 60% des votants, a permis d'enrayer la baisse de la participation. En revanche, la seconde expérience s'est avéré un échec. A trop vouloir garantir la sincérité des résultats et le secret du vote, les organisateurs du scrutin ont rendu la procédure excessivement complexe, dissuadant 70% des électeurs ayant fait le choix du vote électronique à y recourir.

En conséquence, la commission temporaire de l'AFE suggère d'introduire une procédure de vote par correspondance électronique simple, rapide et sûre, doublée d'un système de relance par courriel incitant les électeurs à prendre part au vote, et d'étendre cette modalité de vote à tous les scrutins à l'étranger.

è Donner de réels pouvoirs à l'AFE et un véritable statut à ses conseillers

Pour donner à l'AFE la reconnaissance et les moyens d'une véritable assemblée, la commission temporaire propose - reprenant une idée du sénateur Christian COINTAT - de créer une collectivité publique d'outre-frontière dans laquelle l'AFE serait une assemblée délibérante, dotée de compétences décisionnelles et maîtresse de son budget.

è Adopter des mesures d'ordre symbolique et de visibilité

De façon plus symbolique, la commission suggère de faire coïncider les élections à l'AFE avec des élections sur le territoire national et de créer une carte d'électeur spécifique pour les Français inscrits sur les listes consulaires.

è Améliorer l'information

Enfin, pour améliorer l'information, l'AFE propose de mettre en place un programme permanent d'information civique des Français de l'étranger pour les inciter à s'inscrire au registre mondial et sur les listes électorales d'une part, et de consacrer un budget spécifique, à l'instar de l'Italie, à l'information des électeurs d'autre part. Elle s'appuie sur l'exemple de l'Italie qui à chacune des élections organisées à l'étranger, mène des campagnes intensives d'information et de sensibilisation, tant dans la presse nationale italienne que dans les journaux du pays d'accueil.

Ces préconisations ont été largement suivies par la Direction des Français de l'étranger du MAE dans un plan de communication rendu public en septembre 2008 en prévision de l'élection de l'Assemblée des Français de l'étranger de juin 2009.

Conclusion

Pour conclure, j'aimerais citer Joëlle GARRIAUD-MAYLAM, sénateur représentant les Français établis hors de France, qui dans un rapport de 1999 sur le vote des Français aux élections européennes, écrivait:

« En accordant au lendemain de la Libération le droit de vote à ses ressortissants expatriés, la France avait fait preuve de  générosité mais aussi de prescience. Elle avait en effet précédé un mouvement amorcé avec la Charte des Nations Unies de 1948 et amplifié par les principales sources du droit international public : l'affirmation du principe de l'intangibilité des droits civils et politiques des nationaux. »

On peut se demander pourquoi c'est un pays de faible émigration comme la France qui dispose probablement aujourd'hui de l'édifice le plus abouti de représentation et d'implication politique de sa diaspora (avec une assemblée représentative créée il y a 50 ans, des sénateurs créés il y a 63 ans, et, bientôt, des députés).

La réponse revient au ministre des Affaires étrangères et européennes, et président en exercice de l'Assemblée des Français de l'étranger :

« Les 2,3 millions de Français de l'étranger constituent l'atout-maître de la stratégie d'influence de la France sur la scène internationale. »

Jean-Claude MASCLET

Je vous remercie de votre présentation. Vous avez su illustrer le problème relatif à la participation électorale. Je cède immédiatement la parole à Denis GIRAUX.

Du découpage territorial au démembrement du droit de suffrage : le cas Letton

Denis GIRAUX,
Université Panthéon Assas Paris 2

En 2004, les trois pays baltes ont intégré l'Union Européenne. Au sein même de l'Europe, ces trois Etats sont très peu connus. Une étude globalisée serait imprécise : c'est pourquoi je présenterai le cas letton uniquement. Les données historiques et démographiques seront exposées. J'aborderai ensuite la prudente politique d'intégration suivie depuis 1991 et les multiples enjeux de cette intégration.

Ce territoire fut longtemps convoité par de puissants voisins. Ainsi, il n'est pas exagéré de parler d'un traumatisme. La quête mémorielle n'est pas sans risques : les lettons ont parfois été les acteurs de leur malheur. En 1201, Riga est fondée. Devenu port hanséatique, la ville est l'enjeu d'affrontements avec et entre les Russes, les Allemands, les Polonais et les Suédois. Cependant, au XIX ème siècle, un sentiment national letton émerge. Les intellectuels rêvent alors d'une indépendance. Le 18 novembre 1918, l'indépendance est proclamée, sans toutefois ni pouvoir convaincre la population ni sans pouvoir défendre le territoire de l'armée rouge. En 1940, Staline envahit la Lettonie, alors que le pays était soumis à une dictature depuis 1934. Les populations juive et rom se voient réserver un sort funeste par l'Allemagne, lorsque celle-ci envahit à son tour la Lettonie. En 1945, Staline déporte massivement et installe de nombreux colons en Lettonie, afin de pérenniser l'accès aux mers chaudes. En 1991, le nombre de russophones est donc élevé en Lettonie.

En Lettonie, les citoyens côtoient les non-citoyens. Ces derniers n'ont pu ou voulu accéder à la citoyenneté lettone en 1991. 82 % des 2,3 millions d'habitants sont des citoyens. En outre, la Lettonie ne reconnaît pas la double nationalité. La plupart des minorités utilisent quotidiennement la langue russe, et non leur langue « d'origine ». Par ailleurs, l'ambassade de Lettonie a été incapable de me fournir une implantation des minorités en Lettonie. Géographiquement, l'octroi d'un droit de vote ne constitue donc pas une menace politique pour les autorités. L'article 114 de la Constitution, apparu en 1998, stipule que « les personnes qui appartiennent à une minorité ethnique ont le droit de préserver et de développer leur langue, ainsi que leur identité ethnique et culturelle ». Toutefois, le nouvel article 4 de la constitution stipule que la langue lettone est la seule langue officielle en Lettonie. En 1934, une politique linguiste volontariste a été menée en faveur du letton, alors que seuls 77 % de la population maîtrisaient cette langue.

Depuis 1918, la Lettonie pratique donc l'une des politiques linguistiques les plus protectionnistes en Europe. Les incidences linguistiques sont fâcheuses. Ainsi, la Cour Européenne des droits de l'Homme a validé le fait qu'un candidat au Parlement national dispose d'une capacité linguistique. En revanche, les modalités du test ne furent pas jugées juridiquement adéquates. La doctrine est surprise par l'évocation du respect des conditions d'équité procédurale et de certitude légale, qui constituent un nouveau fondement à partir duquel la Cour entend sanctionner « les violations grossières du droit à des élections libres ». Le glissement de l'égalité à l'équité n'est pas sans conséquences. Le terme d' « équité » n'est donc plus apparu dans la jurisprudence de la Cour.

Par ailleurs, les autorités politiques lettones tolèrent les défilés d'anciens Waffen-SS, alors qu'elles pourchassent les communistes. L'irrespect des minorités en Lettonie inquiète les autorités européennes. La loi sur la citoyenneté précise que la langue lettone, les principes constitutionnels, l'histoire et l'hymne doivent être connus. Ainsi, de nombreux individus refusent d'entreprendre les démarches nécessaires à l'acquisition de la citoyenneté lettone. A partir de 1991, les individus nés de parents non lettons doivent demander la citoyenneté ; ils ne l'obtiennent pas automatiquement.

Depuis l'ouverture à l'Europe, la Lettonie constitue un pays d'émigration. Souvent, les individus non lettons sont parfois davantage lettons que les citoyens Lettons. La Lettonie ne peut donc rester une zone de non-droit, au sein d'une Europe respectueuse de ses minorités. L'étatité doit donc être attribuée à tous ses habitants.

Jean-Claude MASCLET

Votre exposé fut passionnant. Je vous en remercie.

Qu'en est-il des sondages de l'élection présidentielle des

Etats-Unis ?

Carine MARCE,
TNS - Sofres

La notion de territoire est particulièrement importante dans le cadre de l'élection présidentielle américaine. En effet, le système des grands électeurs implique de disposer d'une majorité de territoires. Ainsi, Bush a été élu en 2000 sans disposer de la majorité du vote populaire.

Les instituts de sondage doivent donc prendre en compte cinquante Etats pour pronostiquer le nom du vainqueur. Les sondages nationaux ont toujours placé Barack Obama en tête des intentions de vote. De plus, la popularité du candidat Obama semble supérieure à celle de son rival. La crédibilité sur le thème de l'économie et sur celui de l'honnêteté personnelle semble également supérieure pour Obama. D'après ces sondages, il apparaissait ainsi évident que Barack Obama serait élu.

Le nombre de 270 grands électeurs constitue le seuil de la majorité absolue. En général, le système amplifie la victoire d'un candidat. Notez également que le nombre de grands électeurs par Etat diffère. Ce système semblait défavorable au candidat démocrate, dans la mesure où les petits Etats conservateurs sont proportionnellement surreprésentés.

En 2000 et 2004, les élections illustrent l'importance du territoire. En termes de superficie, le pays vote très majoritairement républicain.

A la veille de l'élection présidentielle de 2008, la situation semble favorable à Barack Obama. Dix Etats semblent indécis, pour un total de 128 grands électeurs. En outre, ces Etats avaient voté en faveur du parti Républicain lors des deux dernières élections. Le camp républicain a donc espéré emporter le vote de ces Etats. Ajoutés aux votes du Colorado et de la Pennsylvanie, Mc Cain aurait remporté l'élection présidentielle. Par ailleurs, d'après les sondages, la Floride fut longtemps indécise. Ce territoire est d'autant plus important qu'il est celui disposant du plus grand nombre de grands électeurs. Au final, Obama a largement remporté l'élection, avec 365 grands électeurs.

L'effet territoire doit donc être rappelé lorsque les Etats-Unis sont évoqués. En 2000, il a conduit à l'élection d'un président minoritaire en termes de vote populaire ; en 2008, il a conduit à une surreprésentation du vote populaire.

Jean-Claude MASCLET

Je vous remercie de votre intervention. Il eut été indigne de ne pas évoquer les statistiques durant notre colloque.

Echanges avec la salle

Pierre Muller, Association « Ordinateurs de vote »

Le développement des machines à voter est entravé par notre action. Je souhaite compléter la présentation de Monsieur LAFLANDRE. Que pouvons-nous observer dans un vote électronique ? Seuls des écrans sont disponibles.

Michel LAFLANDRE

Je suis habitué aux réflexions contradictoires. Certes, des irrégularités ont été constatées. Néanmoins, je constate que les élections durant lesquelles le vote par correspondance est pratiqué ne sont pas sur-contestées. S'il apparaît difficile de contrôler les votes enregistrés par les machines, il n'est toutefois pas certain que les fraudes s'en trouvent accrues. La machine n'inspire pas confiance, mais elle n'est pas nécessairement trafiquée. Par ailleurs, n'oubliez pas que les fraudes réussissent sur le vote traditionnel, quand la volonté est là. En outre, je remercie vos associations pour les précieuses informations qu'elles nous fournissent. Enfin, je rappelle qu'aucun responsable politique n'a définitivement abandonné le vote électronique.

Michel POPOV, Société française de Sciences Sociales des Religions

J'analyse les contenus des perceptions électorales. Ainsi, les individus s'intéressent davantage à leur cadre de vie qu'auparavant. Au niveau européen, l'Europe politique a cédé la place aux Etats-Unis d'Europe. Enfin, le traité de Maastricht a été approuvé à 51 % des suffrages grâce à une manipulation du vote des Dom-Tom.

François LOGEROT, président de la Commission nationale des comptes de campagne

Je souhaite préciser que le code électoral nous impose de saisir le Conseil Constitutionnel dans le cadre des élections législatives. Cependant, les 507 saisines doivent être mises en rapport avec les 7 400 candidats. Par ailleurs, j'ai été surpris de l'absence de modification des circonscriptions interrégionales pour les élections européennes. Ces dernières nécessiteraient un collège électoral véritablement européen. Enfin, je trouve paradoxal que la représentation à l'Assemblée Nationale des Français de l'étranger ne s'opère que cette année.

Bernard OWEN

Concernant l'élection européenne, la France a été découpée en huit circonscriptions afin de ne pas favoriser le Front National, alors que le système s'appuie sur un scrutin proportionnel.

Bernard MALIGNER

Le rapport de l'OSCE sur les machines de vote est indigne du travail des observateurs. Il se borne à évoquer les différends journalistiques. En outre, nous ne relevons aucun cas de jurisprudence au Conseil Constitutionnel sur un dysfonctionnement des machines de vote.

Jean-Claude MASCLET

L'existence des circonscriptions interrégionales s'inspire du processus engagé dans les autres pays européens. Par ailleurs, personne n'affirme que les systèmes de vote électronique sont totalement fiables. Toutefois, nul ne peut affirmer que ces systèmes sont très médiocres. La défiance est saine dans la mesure où elle appelle à un meilleur contrôle. La résistance ne doit toutefois pas conduire au rejet de ce système. Je rappelle que de nombreux Etats du monde utilisent le système de vote électronique. Celui-ci peut conduire à revitaliser et à enraciner davantage la démocratie. Enfin, l'expérience d'autorités indépendantes peut équilibrer l'optimisme des industriels.

De la salle

Les systèmes électoraux nationaux en Europe constituent-ils un blocage pour l'européanisation ? Qu'adviendra-t-il des Britanniques se présentant aux élections locales dans le sud de la France ?

Bernard OWEN

Après deux guerres mondiales, l'Europe revient de loin. La stratégie des petits pas est la bonne. Ainsi, l'Europe finira par représenter une force politique. Cependant, des problèmes doivent encore être résolus, en Belgique et en Lettonie par exemple.

Réflexions finales

Jean-Claude COLLIARD,
Commission de Venise, Université Panthéon-Sorbonne Paris I

Le débat relatif aux machines électroniques m'interpelle. En revanche, le vote par Internet constitue un problème, dans la mesure où j'estime en effet qu'un tel vote est davantage celui d'un consommateur que celui d'un citoyen. Cependant, si les machines étaient erratiques, cela se saurait. De même, le trucage généralisé ou au cas par cas paraîtrait surprenant.

La question de l'espace a longuement été débattue aujourd'hui. Le principe de la représentation nationale implique que chaque député est national, et non député de tel ou tel département. La question de la représentation nationale ne comporte donc qu'un intérêt limité.

La représentation est essentiellement basée sur des critères démographiques. Je tiens à préciser que les Français de l'étranger ont toujours pu voter aux élections législatives en s'inscrivant dans une circonscription. Cependant, il est exact qu'ils n'étaient pas représentés comme Français de l'étranger. En outre, en attribuant des sièges à des députés représentant les Français de l'étranger, la représentation des départements sera bouleversée.

Une réflexion sérieuse sur la représentation a donc enfin été engagée. En outre, les élections sont organisées par le Ministère de l'intérieur, alors qu'elles pourraient l'être par une autorité indépendante. La question de la parité semble réglée, mais d'autres problèmes surgissent. La question de la représentativité sociale de l'assemblée n'est en effet plus évoquée. Enfin, la représentation des minorités visibles pose problème : dans quelle mesure une minorité est-elle visible ? De plus, la représentation d'une minorité impliquerait que l'électeur ressente cette identité de manière profondément essentielle, au-delà de ses idées politiques.

De mauvaises solutions existent pour les minorités et les expatriés. Ainsi, le système libanais aboutit au choix des représentants des communautés minoritaires par les représentants de la communauté majoritaire. En outre, la prise en compte des expatriés au Liban bouleverserait les équilibres politiques ; les expatriés ne sont donc pas pris en compte.

Cette journée fut extrêmement intéressante. Je remercie Bernard OWEN de l'organisation de ce colloque.

Document rédigé par la société Ubiqus - Tél. 01.44.14.15.16 -
www.ubiqus.fr - infofrance@ubiqus.com


* 1 Depuis 2003, il n'est plus possible pour les Français établis hors de France de voter dans les consulats pour les élections du Parlement européen, les Français de l'étranger n'étant rattachés à aucune des huit circonscriptions crées en France à cet effet. Pour participer aux élections européennes, les Français établis hors de France doivent donc soit être inscrits sur une liste électorale en France, soit habiter dans un Etat de l'Union européenne et voter dans leur pays de résidence pour une liste de ce pays. Ce qui exclu environ 300.000 Français qui ne remplissent pas ces conditions.