II. Etude de trois phénomènes

Dans les trois phénomènes cités en introduction, faut-il voir l'action des ONG ayant favorisé l'émergence « d'élites Internet » ?

WikiLeaks est une sorte de ligne de fuite de la démocratie. C'est une initiative collective dont le but est de publier des documents classés secrets ou confidentiels, produits par les pouvoirs et transmis par des correspondants volontaires et anonymes. La publication intervient généralement après une longue investigation et le recoupement des sources. WikiLeaks a commencé par le compte rendu historique des faits de guerre en Afghanistan ( war logs ) et la révélation des télégrammes diplomatiques ( cable gate ). Une telle démarche repose sur une analyse du fonctionnement des régimes politiques prenant son origine dans l'idéologie d'un Internet libre et autogéré, conçu comme un outil d'intelligence collective placé au service de la démocratie. Pour WikiLeaks, tous les régimes politiques auraient tendance à la rétention d'information, assimilable à de la conspiration. Julian Assange, son fondateur, pointe ainsi la nécessité de réconcilier politique et éthique. C'est finalement l'autonomisation du politique par rapport à la religion, la morale ou l'éthique, permise par Machiavel, qui est remise en cause. Si le secret est possible et que l'Etat fait référence à la raison d'Etat en opposition au droit des citoyens, nous courrions le risque de déconnecter la pratique politique de toute réflexion éthique. Un Etat vivant sur le secret serait un Etat qui pourrait dériver vers l'injustice. Le fonctionnement de WikiLeaks repose sur une volonté de créer l'attention en plaçant un sujet au centre du débat public, une demande de transparence et la mobilisation de l'opinion public et des médias.

The Anonymous est un groupe informel issu de la culture des hackers. Par définition, on ne sait qui ils sont. Ils se revendiquent 9 000. Leurs faits d'armes sont une intervention contre l'église de scientologie, puis en faveur de WikiLeaks contre les médias ayant cessé de soutenir le site ou ayant bloqué ses transactions bancaires. Ils utilisent des méthodes de pirate, dont le denial of service , qui met un service hors d'usage en le submergeant de requêtes. Ils se sont récemment illustrés en Tunisie en tentant de limiter la censure exercée par le gouvernement et la guerre de l'information. On retrouve une préoccupation semblable de garantir à tous un libre accès à un Internet exempt de censure. The Anonymous frappent donc ceux qui cherchent à censurer ou dissimuler l'information.

Mon troisième exemple est l'Internet tunisien. Ces dernières semaines, de nombreux articles ont évoqué une « twitter revolution » et prétendu que les medias sociaux auraient réveillé les Tunisiens. En réalité, c'est avant tout le poids d'une situation insupportable qui les a fait descendre dans la rue. Cela étant, il est vrai que la Tunisie compte 11 millions d'habitants, dont 3,6 millions d'internautes ; sur ce nombre, environ 1 970 000 sont membres de facebook -soit plus de 50 %- dont 70 % ont entre 18 et 34 ans. Les conditions d'une utilisation de facebook comme outil de diffusion de contenus dans le cadre de la révolution de Jasmin étaient ainsi réunies. Cette jeunesse instruite mais désoeuvrée par le chômage utilise facebook comme moyen de communication principal, au point que le gouvernement Ben Ali a préféré ne pas en interdire l'accès, mais pointer les leaders pour signaler ensuite des dysfonctionnements. Le problème est que les employés de facebook ne peuvent vérifier tous les signalements. Face à la censure, on observe une volonté d'accéder à une information transparente. L'intérêt pour les documents sur la corruption en Tunisie publiés sur WikiLeaks en témoigne, même si au fond, ils n'apprennent rien de nouveau à la population.