Sondages et démocratie

Monsieur Hugues PORTELLI , Sénateur du Val d'Oise


La commission des Lois du Sénat nous a mandatés, Jean-Pierre SUEUR et moi-même, pour analyser les évolutions législatives nécessaires en matière de sondage électoraux, la loi actuelle remontant à 1977 sans avoir connu depuis lors de modification notable. Notre rapport a été approuvé par la commission des Lois et fait l'objet d'une proposition de loi qui devrait être examinée en février.

Nous recommandons tout d'abord de définir le sondage, de manière générale, comme une interrogation conduite auprès d'un échantillon représentatif de la population française, respectant des règles méthodologiques et de publication (préciser les conditions de l'interrogation, les biais posibles, la représentativité de l'échantillon, etc.).

Dans la catégorie des sondages politiques, le sondage électoral proprement dit porte plus spécifiquement sur les intentions de vote de la population. Considérant que la plupart des citoyens ne sont pas dans l'esprit de se poser la question à un an de l'élection et que les sondages politiques pèsent sur les comportements électoraux, nous proposons que tous les sondages politiques entrent dans les compétences de la commission et se voient appliquer les règles établies. Les résultats bruts d'un sondage électoral, par exemple, doivent être rectifiés en fonction du poids des catégories socioprofessionnelles, des critères territoriaux, de résidence et en tenant compte de la mémoire du vote de la personne sondée. Si les résultats des sondages électoraux sont généralement corrigés, ceux des sondages politiques ne le sont pas. Il arrive qu'à la télévision, les téléspectateurs soient interrogés sur un homme politique en train d'être interviewé. Au fur et à mesure que l'émission avance, leur avis devient de plus en plus positif puisque ceux qui la suivent en entier en sont souvent les plus partisans. Dans ce cas, le sondage n'est pas représentatif d'un échantillon corrigé de la population française. C'est pourquoi nous préconisons de rendre transparentes les méthodes des instituts de sondage sur la rectification des résultats bruts, ainsi que les noms des financeurs, commanditaires et publieurs. Nous recommandons également de publier toutes les questions posées afin de mettre en évidence la logique du questionnaire. Enfin, lorsqu'un institut intègre des questions politiques dans d'autres sondages, la manière dont elles sont intégrées à ces sondages mérite d'être explicitée.

Concernant la commission des sondages, composée de neuf magistrats et de deux personnalités expertes, nous proposons de réduire le nombre de magistrats à six et de porter le nombre d'experts à cinq pour renforcer la qualité de l'expertise. Nous souhaitons également que la commission soit dotée de plus de moyens d'intervention, dont un pouvoir de sanction et de transmission des dossiers au Parquet en cas de violation de la législation.

Au niveau du droit électoral, il serait souhaitable d'éviter les interférences, par exemple en uniformisant les horaires d'ouverture de bureaux de vote. Cette disposition n'étant pas applicable en pratique, ne serait-ce qu'en raison des différences de modes de vie entre milieu rural et urbain, nous recommandons de maintenir l'interdiction de publier des sondages à partir du vendredi minuit précédant l'élection jusqu'à la fin du scrutin afin de laisser un temps de réflexion au citoyen pour se forger son opinion.

De la salle

Il me semble que maintenir en l'état l'interdiction de publier les résultats des sondages pendant les 36 ou 48 heures précédant l'élection pose deux problèmes. Le premier est la création d'une inégalité, relevée par la Cour Européenne des Droits de l'Homme, dans la mesure où les internautes peuvent consulter les résultats sur les sites des médias étrangers. Le second problème est que l'accès à une information de dernière minute peut être pertinent pour les électeurs qui n'ont pas arrêté leur choix. Ainsi, le 20 avril 2002, les médias portugais ont annoncé l'arrivée de Jean-Marie Le Pen en deuxième position. Si la télévision française avait pu en faire état, le résultat du vote s'en serait trouvé modifié. Existe-t-il des raisons impérieuses de maintenir l'interdiction de publication ?

Hugues PORTELLI

Il me semble préférable de préserver un temps de réflexion libre et de ne pas submerger les citoyens d'informations jusqu'au dernier instant. Par ailleurs, l'accès à Internet se généralise tant que l'inégalité de l'information me semble plus un argument recevable.

De la salle

Lors des dernières élections présidentielles en Côte d'Ivoire, le président sortant a commandité une dizaine de sondages en un an auprès des plus grands instituts de sondage français et d'une société de conseil en communication politique qui, tous, donnaient le commanditaire vainqueur au premier tour. Les instituts de sondage français sont-ils tenus de respecter la législation française pour leurs activités hors de France ? Il semble par ailleurs qu'un sondage ait été sous-traité à un institut ivoirien sans compétence ni notoriété, mais dont les résultats ont été repris par la presse française et utilisés par le candidat battu pour contester sa défaite et dénoncer une fraude.

Hugues PORTELLI

La responsabilité des instituts de sondage n'est pas susceptible d'être mise en cause, y compris en France. La commission des sondages vérifie la méthodologie utilisée et rend publique les violations manifestes. Seule la publication irrégulière des sondages peut faire l'objet de sanctions. C'est avant tout une question de déontologie.