EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs

Depuis le début de l'épidémie du covid-19, nous assistons chaque semaine à des commandes de matériel médical par le Gouvernement à l'autre bout du monde.

Parfois, les collectivités territoriales les plus touchées par le virus se substituent au Gouvernement en commandant elles-mêmes le matériel dont elles ont besoin, et doivent ensuite faire face à des réquisitions de l'État lors des livraisons. Cette situation est insupportable.

Alors que l'épidémie est loin d'être terminée, les services de réanimation dans les hôpitaux sont saturés, le personnel est épuisé. À cela s'ajoute la pénurie de matériel qui oblige aujourd'hui les soignants à l'économiser, le réutiliser, mettant ainsi en danger leur santé et celle des patients.

En effet, après la pénurie de masques, de tests de dépistage, de médicaments il y a quelques semaines, nous ne pouvons que constater que la France est totalement dépendante et extrêmement fragilisée sur le plan sanitaire, ce qui représente un véritable danger pour la santé de nos concitoyens.

La situation actuelle liée à l'épidémie du covid-19 impose de prendre des décisions de bon sens économique : notre pays doit conserver, si ce n'est récupérer, une souveraineté sanitaire. Notre dépendance vis-à-vis de l'Asie est devenue insupportable et préjudiciable. La crise sanitaire actuelle en atteste.

La France, 6 e puissance économique mondiale, est incapable de produire sur son territoire des masques, des combinaisons de protection, des tests biologiques, du gel hydroalcoolique et des respirateurs. Cette situation est le résultat de trente années de politique industrielle qui ont consacré la délocalisation et la réduction des coûts de production.

Pourtant, des entreprises sur le territoire français ont encore un savoir-faire industriel et pourraient contribuer à inverser la tendance. Trois entreprises en particulier ont besoin de l'intervention de la puissance publique pour continuer à produire.

L'entreprise de Luxfer à Gerzat était, jusqu'en 2019, la seule en Europe à fabriquer des bouteilles d'oxygène à usage médical. Aujourd'hui, nous ne connaissons pas l'état des stocks en France, ces bouteilles seront certainement utiles dans les jours et mois qui viennent. Pourquoi risquer une pénurie prochaine alors que la solution est à portée de main ?

La situation tendue des marchés de la santé et de la protection, sur fond de concurrence féroce des pays à faible coût de main d'oeuvre, s'est traduite par une baisse des volumes de production. Cette situation a amené la maison-mère de Luxfer à réorganiser ses sites de production et à mettre fin à la production sur le site de Gerzat.

Aujourd'hui, cette PME est à l'arrêt et ses 136 salariés au chômage. Cependant, les machines et le savoir-faire humain demeurent présents, de même que la volonté, pour une partie des salariés, de reprendre leur activité. Ceux-ci ont d'ailleurs travaillé à un plan permettant de relancer la production en seulement neuf semaines.

La société Famar connaît une situation similaire, entreprise spécialisée dans la production pharmaceutique, et notamment de la Nivaquine, un antipaludique à base de chloroquine, une des molécules dont l'utilisation est envisagée et déjà utilisée par certains médecins pour le traitement du covid-19, notamment en phase initiale de la maladie.

La société, basée près de Lyon, est actuellement en redressement judiciaire. Il est essentiel de veiller à ce que, eu égard aux enjeux, celle-ci ne soit pas liquidée ou reprise par un fonds vautour qui spéculerait sur le prix de vente de cette molécule ou par un repreneur qui chercherait à en délocaliser la production.

Enfin, l'entreprise Péters Surgical à Bobigny, conceptrice, fabricante et distributrice de dispositifs médicaux (sondes, sutures chirurgicales, renfort de parois, colles chirurgicales et instruments coelioscopiques), leader européen du dispositif médical à usage unique pour le chirurgien, tourne à plein régime depuis le début de la crise pour fournir les hôpitaux en sondes de « Montin » destinées aux services de réanimation. En conséquence, la production a dû être organisée sept jours sur sept pour répondre à la demande urgente. En quelques jours, l'usine est passée de 7 000 unités quotidiennes à près de 45 000 en moyenne.

Pourtant, un plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant 60 licenciements sur les 134 salariés avait été annoncé le 4 septembre dernier, à la demande de son actionnaire, la société d'investissement Eurazeo.

Ces trois entreprises sont indéniablement des secteurs stratégiques et, encore plus particulièrement, dans cette période de crise sanitaire.

Ainsi, la présente proposition de loi propose la nationalisation des trois entreprises précitées, seule manière pour l'État de disposer d'un contrôle effectif de ces actifs stratégiques et de leurs productions afin d'assurer son indépendance sanitaire.

Le dispositif proposé est fortement inspiré du dispositif propre aux entreprises industrielles de la loi de nationalisation de 1982.

L'intérêt de celui-ci est d'avoir fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel (n° 81-132 DC) sécurisante juridiquement pour le mécanisme retenu alors qu'il convient d'agir dans un temps très court.

Ainsi, l' article 1 er fixe la liste des trois entreprises qui sont nationalisées, soit les sociétés Luxfer Gas Cylinders S.A.S., Famar France et Péters Surgical.

L' article 2 prévoit que la nationalisation se fait par le transfert des actions à l'État en échange d'obligations souveraines.

L' article 3 précise que les détenteurs d'actions reçoivent ces obligations dans un délai d'un mois après la publication de la loi, qu'elles génèrent un intérêt à taux fixe et que celui-ci est indexé sur le taux moyen de l'échéance constante à dix ans (TEC 10) des obligations assimilables du Trésor émises par l'État en 2019, sans pouvoir être inférieur à zéro.

L' article 4 définit le mode de calcul de la valeur d'échange des actions qui est assis sur les résultats de l'entreprise au second semestre 2019 afin de neutraliser les effets éventuels de la crise économique induite par l'épidémie.

L' article 5 prévoit que les entreprises nationalisées seront administrées, pendant une période pouvant aller jusqu'à six mois, par un administrateur général plénipotentiaire. Il s'agit ainsi de doter chaque entreprise d'une gouvernance simple disposant d'une grande flexibilité permettant de prendre rapidement toutes les mesures d'organisation industrielle propres à transformer ou à amplifier l'activité de chaque entreprise pour faire face à la crise. C'est en particulier le cas pour Luxfer dont l'activité devra être redémarrée sur une période de deux mois.

À l'issue de cette période de six mois, chaque entreprise est administrée par un conseil d'administration. Les organes représentatifs du personnel demeurent en fonction durant ces deux périodes et jusqu'à leur renouvellement régulier.

L' article 6 précise que les entreprises nationalisées sont soumises, pour leur gouvernance, aux dispositions de la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public.

L' article 7 explicite les modalités de désignation du président du conseil d'administration, qui exercera également les fonctions de directeur général.

L' article 8 soumet les entreprises nationalisées aux dispositions législatives et réglementaires du code de commerce. La proposition de loi n'entend pas faire de ces entreprises des établissements publics industriels et commerciaux considérant que si elles ont vocation à être nationalisées, l'État pourra ou non faire le choix d'acquérir 100 % de leurs actions.

Enfin, l' article 9 prévoit un gage de charge considérant que l'acquisition des actions nécessaires à la prise de participation majoritaire de l'État induira une dépense nouvelle pour celui-ci, bien que celle-ci prenne la forme d'un instrument de dette.

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