EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels dite « loi Fauchon » a eu pour objet de limiter le risque pénal principalement pour les décideurs publics et privés. Rappelons que la condamnation pénale du premier magistrat de la ville après l'incendie du « 5-7 » à Saint-Laurent-du-Pont en 1970 a amorcé un mouvement de pénalisation à l'encontre des élus locaux en matière de responsabilitéì pour des faits non intentionnels.

Une première tentative pour endiguer la montée du risque pénal avait étéì opérée par la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, laquelle imposait aux magistrats d'examiner in concreto le comportement du prévenu (art. 121-3 du code pénal) et plus particulièrement d'établir que l'élu « n'a pas accompli les diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi lui confie » (art. L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales). Devant le succès mitigé de ces dispositions, le Parlement s'est livré à une nouvelle discussion des textes applicables en 2000 1 ( * ) .

Désormais, le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal dans sa rédaction actuelle prévoit qu'« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

Quant au quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, il dispose que « les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont crééì ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de facon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »

Ainsi la loi distingue deux catégories d'auteurs parmi les personnes physiques. Les auteurs directs qui continuent à répondre d'une faute d'imprudence simple, ordinaire et les auteurs indirects dont la responsabilité sera plus difficile à engager puisqu'il faudra pour cela établir soit une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence, soit une faute caractérisée.

Le but annoncé du législateur était de rompre avec la théorie de l'équivalence des conditions appliquée par le juge pénal et permettant de condamner toutes les personnes ayant concouru, de près ou de loin, au dommage. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels constitue un difficile numéro d'équilibre. Ainsi que l'avaient noté certains auteurs, « la loi du 10 juillet 2000 marque la volonté de “dépénaliser” les fautes les moins graves ; mais elle entend également éviter que cette “dépénalisation” ne s'accompagne de l'impossibilité, pour la victime, d'obtenir la réparation de son dommage » 2 ( * ) .

Certes, il n'est pas question de revenir ici globalement sur ce dispositif de la loi Fauchon. Ainsi que l'écrivait Alain SAFFAR : « la loi trouve elle-me^me un équilibre entre la volontéì, d'un co^té, de ne pas pénaliser à l'excès la vie sociale, d'une manière générale, qu'elle soit publique ou privée, et tous les comportements et, de l'autre, de faire en sorte que les gens qui sont dans des postes à responsabilités puissent les exercer : ils ont des pouvoirs particuliers pour cela et ils doivent assumer ces responsabilités. La loi trouve un équilibre entre ces deux écueils et il n'est pas envisagéì d'en changer pour l'instant » 3 ( * ) .

En revanche, il est clair que cette réglementation constitue un obstacle dans le règlement de l'affaire de l'amiante, véritable drame sanitaire (3 000 décès par an avec des estimations de 100 000 morts d'ici 2025), à tel point que le regretté sénateur Pierre FAUCHON a lui-me^me déclaré : « Il est tout à fait certain que, si la loi s'avère mal faite, il faut la corriger. Je serais le premier à proposer de le faire ».

Or, jusqu'à présent, les tribunaux ont estiméì que la loi Fauchon empêchait de reconnaitre la responsabilitéì pénale des personnes poursuivies. Paradoxalement donc, le juge civil peut reconnaître que l'employeur a commis une « faute inexcusable », et le juge pénal refuser de reconnaitre qu'il a commis une « faute caractérisée ».

Le bon sens ne saurait se satisfaire de cette solution et ce d'autant qu'en Italie, le 13 février 2012, au terme d'un procès qui a duréì trois ans, le tribunal de Turin a condamnéì à 16 ans de prison deux anciens dirigeants de la sociétéì Eternit.

On notera également que la mission d'information de 2006 sur les risques et les conséquences de l'exposition à l'amiante 4 ( * ) proposait de modifier les dispositions légales pour réaffirmer l'obligation de respecter les règles particulières de sécurité et de prudence 5 ( * ) .

Pourquoi ce qui est possible en Italie ne l'est-il pas en France ? Deux éléments ont été mis en évidence par les praticiens : le parquet jouit d'une plus grande indépendance en Italie et la loi Fauchon constitue un frein pour un procès sur l'amiante.

Dans ces conditions, il convient de modifier la loi et de prévoir qu'en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, la responsabilitéì de l'auteur indirect du dommage peut être engagée même en l'absence d'une violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité. En effet, cette violation « manifestement délibérée » d'une réglementation est une faute pour le moins difficile à établir puisqu'il faut que la personne ait été au courant de la loi et l'ait violée délibérément.

Telles sont les dispositions de la proposition de loi que nous vous demandons d'adopter.


* 1 Loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels

* 2 Cf. Nathalie GUILLEMY. INRS. TS. 11-01

* 3 Cf. Rapport d'information n° 37 (2005-2006) fait au nom de la mission commune d'information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, par MM. Gérard DÉRIOT et Jean-Pierre GODEFROY, enregistré à la Présidence du Sénat le 20 octobre 2005. Ce rapport est consultable à l'adresse : http://www.senat.fr/rap/r05-037-1/r05-037-1_mono.html

* 4 Rapport n° 2884, fait au nom de la mission d'information sur les risques et conséquences de l'exposition à l'amiante par M. Jean Lemière, Assemblée nationale.

* 5 Voir dans le me^me sens : Rapport d'information n° 2090 de 2009 intituleì « Les victimes de l'amiante : une prise en charge originale mais perfectible » par M. Guy Lefrand, Assemblée nationale.

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