EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le préambule de notre Constitution proclame que « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ». Depuis quarante ans, dans notre pays, cette proclamation est restée formelle ; cette promesse n'a pas été tenue.

Nous avons pris l'habitude de vivre dans des sociétés de chômage de masse. En France, plus de trois millions de français ne peuvent obtenir l'emploi auquel ils aspirent. Cette privation d'emploi est devenue un “risque acceptable”, une donnée macroéconomique, le revers d'un modèle économique présumé vertueux.

Pourtant le chômage est un poison lent qui mine nos sociétés et notre modèle social. Il est une machine à broyer les individus, à détruire les familles et une immense perte collective.

A l'heure où la crise de la COVID-19 a montré l'ampleur des besoins sociaux non-couverts et que la transition écologique à venir va nécessiter la mobilisation de toute la société, le chômage apparaît plus que jamais comme une absurdité.

La présente proposition de loi est un premier jalon en vue d'une nouvelle conquête sociale : la garantie de l'emploi pour tous les Français. Elle vise en priorité les chômeurs de longue durée, c'est-à-dire ceux qui sont privés d'emploi depuis plus d'un an. Ils représentent en France une part stable et élevée de près de 40% des demandeurs d'emploi.

Le chômage de longue durée est synonyme d'exclusion sociale pour les personnes qui y sont confrontées et de perte de richesse pour la société. Il provoque évidemment des dommages « psychosociaux », qui découlent de la perte de lien social vécue par le chômeur mais il entraîne aussi des coûts macroéconomiques qui correspondent à la baisse de la consommation, à la perte en capital humain des salariés privés d'emploi et à la sous-utilisation du capital productif.

Le chômage fait également peser des coûts sur les finances publiques, à travers les dépenses directes d'assurance chômage, les frais d'accompagnement et d'administration, les pertes indirectes de recettes publiques en matière de cotisations sociales et d'impôts et les dépenses sociales contre la pauvreté. L'ONG ATD Quart Monde a ainsi estimé, en 2015, les coûts du chômage « d'exclusion » à 36 milliards d'euros par an pour la puissance publique. Ce montant représente ce que la collectivité consacre aux personnes privées d'emploi sur une longue durée et qui s'en trouvent plongées dans la précarité. Soit 15 400 euros par personne et par an. Probablement sous-estimé, ce coût du chômage de longue durée ne doit pas être utilisé pour dénoncer les personnes précaires mais pour motiver un changement de paradigme dans nos politiques publiques.

Nous proposons, ainsi, à chaque personne au chômage depuis plus d'un an et qui en fait la demande, une offre d'emploi, à temps choisi, payée au SMIC horaire.

Ces emplois donnent les mêmes droits et devoirs qu'un CDI classique. L'objectif ici est de fournir un emploi à toutes les personnes durablement exclues du marché du travail. Si ce dispositif croît en l'émancipation par le travail, il n'impose rien.

Cela permettra d'éviter à une partie de la population de s'enliser dans la trappe à pauvreté qu'est le chômage de longue durée, et augmentera les possibilités pour les personnes concernées par ce dispositif de pouvoir ensuite rebondir vers un emploi mieux rémunéré.

Jamais expérimentée en France, cette garantie à l'emploi vert pour lutter contre le chômage de longue durée s'inspire de nombreux dispositifs précédents comme les emplois jeunes, les dispositifs d'insertion par l'activité économique, les Civilian Conservation Corps mis en place par Roosevelt lors du New Deal ou encore de la très riche expérimentation Territoires zéro chômeurs de longue durée.

Cette dernière a montré que la lutte contre le chômage n'était pas qu'une question budgétaire. Avec la mobilisation de tout un territoire, il est possible de proposer un emploi à toutes les personnes qui en sont privées durablement et qui le souhaitent.

A côté de cette mobilisation des territoires, il convient de s'orienter vers des emplois tournés vers des secteurs nécessaires à la reconstruction écologique et au renforcement du lien social.

Cette proposition vise donc à la fois à la réduction des fractures territoriales et sociales et au renforcement de la lutte contre la crise environnementale.

L'article 1 er pérennise le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) et prévoit son extension graduelle à l'ensemble du territoire national, via la multiplication par cinq du nombre de territoires couverts tous les deux ans, à partir des cinquante nouveaux territoires habilités en 2021. Il réduit par ailleurs pour les personnes de moins de 25 ans la durée minimale de privation d'emploi requise pour être éligible de 1 an à 6 mois, et le critère de durée minimale de résidence sur le territoire de 6 à 3 mois, pour intensifier la lutte contre le chômage des jeunes.

Cet article répond ainsi à la nécessité de proposer un emploi à ceux qui en sont durablement privés, notamment dans le contexte actuel de crise économique et de précarisation de larges segments de la population, tout en répondant aux enjeux liés à la reconstruction écologique et sociale du pays. L'objectif est ainsi de créer en six ans 650 000 emplois durables.

L'article 2 vise l'objectif de 100 000 contrats supplémentaires relevant de l'insertion par l'activité économique (IAE) d'ici à 2023. L'IAE a en effet démontré son efficacité pour l'inclusion des personnes les plus éloignées de l'emploi, le plus souvent allocataires de minima sociaux ou chômeurs de longue durée.

L'article 3 entend développer les emplois verts au sein de l'Etat, de l'économie sociale et solidaire (ESS) et dans les collectivités locales et les associations, via la réactivation de 200 000 emplois aidés CUI-CAE, mais uniquement ciblées sur les « éco-activités » soit des activités qui produisent des biens ou services ayant pour finalité la protection de l'environnement ou la gestion des ressources. Actuellement, ces activités mobilisent 1,8 % des emplois. Elles concernent l'agriculture biologique, la protection de la nature, des paysages et de la biodiversité, le recyclage des déchets et le traitement des eaux usées, la récupération des eaux, la recherche et développement ou encore l'ingénierie des énergies renouvelables.

De nouvelles filières nécessitant de nouvelles compétences vont devoir se déployer dans les prochaines années ; mais d'ores et déjà, un certain nombre d'emplois, nécessitant une courte formation, peuvent être rapidement créés localement, en fonction des besoins identifiés dans chaque bassin de vie.

Nous pensons que l'État, les collectivités locales, le champ de l'ESS ainsi qu'associatif doivent s'engager dans une démarche innovante, inclusive et solidaire permettant d'adapter réellement « l'emploi à la transition écologique », tout en offrant aux Français des perspectives et opportunités nouvelles, notamment en faveur des personnes les plus éloignées de l'emploi aujourd'hui.

Tout comme le précédent, l'article 4 participe de l'adaptation de l'emploi à la transition écologique, dans le secteur marchand cette fois-ci, par la relance sous conditions renforcées des CUI-CIE. Il s'agit ainsi de repenser le dispositif des CUI-CIE pour en faire un levier d'incitation supplémentaire à la décarbonation des modes de production : les contrats uniques d'insertion et les contrats initiative-emploi ne pourront plus bénéficier qu'à des emplois qualifiés de verts selon une taxonomie établie en lien avec les partenaires sociaux et à des employeurs qui ont atteint la neutralité carbone ou qui sont engagées dans la décarbonation de leurs activités. Pour pouvoir engager une personne sous contrat CUI-CIE, un employeur devra fournir son rapport de gestion annuel qui, au sens de l'article 173 de la loi de transition énergétique pour la croissance verte, doit inclure l'empreinte carbone de leurs activités.

Alors que les CUI-CIE sont actuellement circonscrits aux DOM, il étend également la prescription des CUI-CIE à la France métropolitaine, afin de permettre la concrétisation de 50 000 « CUI-CIE verts ». L'objectif de cet article est double : renforcer pour les personnes en difficultés d'insertion professionnelle les opportunités d'emplois et rendre ces emplois compatibles avec les objectifs climatiques nationaux.

Le second titre de la présente proposition de loi, traitant du financement du dispositif, permet de préciser les modalités de ce dernier dont le coût peut être évalué ex ante à environ 17 milliards en estimation médiane. Alors qu'il aurait été possible d'inscrire formellement une simple hausse de la TVA à due concurrence de la mesure, les auteurs du texte proposent de la financer par un dispositif crédible. C'est pourquoi les quatre premiers articles sont financés par les mesures suivantes, déjà portées par le groupe socialiste, écologiste et républicains.

La philosophie d'ensemble de ces modalités de financement est fondée sur la solidarité : ce sont les acteurs économiques qui contribueraient, au titre de leur responsabilité sociale, au financement du dispositif. De plus, les grandes fortunes contribueraient également dans une perspective de responsabilité environnementale et de compensation de leur empreinte carbone.

L' article 5 annule la baisse de dix milliards des impôts de production mise en oeuvre par le Gouvernement dans le cadre du plan « France Relance », contre l'avis de l'intégralité des analystes économiques. S'il s'agit d'impôts perçus par les Collectivités, la mesure s'est traduite par une compensation des collectivités par l'État et le rétablissement de la situation antérieure fera donc gagner à l'État autant de crédits budgétaires de compensation.

L' article 6 met en place un impôt de solidarité sur la fortune sous la forme d'un Impôt de solidarité sociale et climatique sur le capital (I2S2C) afin de mettre à contribution les ménages les plus aisés. La suppression de l'Impôt de solidarité sur la fortune du Gouvernement ne pouvait se justifier que si cette suppression avait eu pour effet de stimuler fortement l'économie, au point de pouvoir générer des gains en termes d'emploi et de pouvoir d'achat pour l'ensemble de la population. Rapport après rapport, étude après étude, la décision prise par le Président de la République apparaît être indubitablement un échec. La suppression de l'ISF, qui constituait une forme d'imposition populaire au rendement particulièrement dynamique, répondait avant tout à des motifs idéologiques.

Avant sa suppression, il était possible de déduire de l'ISF un nombre relativement conséquent de placements financiers. Les auteurs du présent texte proposent de réserver ces déductions à des structures économiques qui seraient labellisées. Il s'agit de créer un agrément octroyé par l'Etat, pour une période de plusieurs années renouvelables, aux entreprises socialement et écologiquement responsables. Un décret en Conseil d'Etat fixerait les critères à retenir pour l'obtention de cet agrément.

Couplé à cela, l' article 7 supprime la flat tax mise en place parallèlement à la suppression de l'ISF. La création de cette flat tax n'a pas eu les effets escomptés sur la croissance économique. Il se justifie d'autant plus que France Stratégie a remis son rapport d'octobre 2021 et souligne que les gains fiscaux, issus de la mise en la place de la flat tax n'ont pas porté leurs fruits : « l'instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU) n'a pas conduit les entreprises dont les actionnaires ont bénéficié du PFU à connaître une évolution de l'investissement significativement différente de celle des autres ». Le PFU a favorisé l'augmentation et la concentration des dividendes. En effet, en 2017, 0,1 % de contribuables percevaient la moitié des dividendes, soit 7,6 milliards d'euros. En 2019, 0,1 % des contribuables en perçoit les deux tiers, soit, compte tenu de la forte hausse des versements, 14,9 milliards d'euros. Cette disposition génère des inégalités fiscales et une baisse de recettes pour l'État, et il n'atteint pas les résultats pour lesquels il a été créé.

Ces deux articles devraient rapporter conjointement, en estimation plancher, environ 5 milliards d'euros à l'État.

Enfin, l' article 8 vise à augmenter le taux de la taxe sur les transactions financières afin d'équilibrer budgétairement le dispositif proposé.

Ces articles permettent de présenter un financement détaillé de la proposition de loi. Il s'agit d'un financement brut du dispositif. Sa mise en oeuvre pourrait, en fait, conduire à un gain net pour les pouvoirs publics. En effet, comme l'a montré l'étude d'ATD quart monde mentionnée plus haut, la fin de la privation d'emploi de longue durée est, per se , vertueuse. Elle pourrait assurer une économie de près de 36 milliards d'euros liée aux coûts directs et indirects de la pathologie sociale que constitue le chômage de longue durée.

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