EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, le parrainage des élus locaux est nécessaire pour être candidat à l'élection présidentielle.

C'est une spécificité qui s'explique par notre histoire constitutionnelle.

Le Président de la République était désigné par les deux Chambres sous les III° et IV° Républiques. Le retour du Général De Gaulle marque la fin de ce mécanisme, en 1958. Déjà dans son discours de Bayeux, du 16 juin 1946, le Général appelle à l'indépendance de l'élection du Président vis-à-vis des Chambres. Il n'impose pas le suffrage universel direct, mais il met en place une solution de compromis à travers un collège électoral. Les parlementaires continuent à voter pour le Président mais le collège est élargi à l'ensemble des élus locaux soit un collège d'environ 80 000 personnes quelque peu plus représentatif du paysage politique français.

L'attentat du Petit Clamart précipite les événements et c'est en 1962, dans des conditions chaotiques, que le Général de Gaulle, par la voie du référendum de l'article 11, instaure l'élection au suffrage universel direct du Président, assurant ainsi sa légitimité populaire.

Les élus locaux restent présents dans la désignation des candidats puisque le principe du parrainage est retenu afin d'écarter les candidatures farfelues.

En effet, l'article 3 de la loi 62-1292 du 6 novembre 1962 1 ( * ) précise : « Quinze jours au moins avant le premier tour de scrutin ouvert pour l'élection du Président de la République, le Gouvernement assure la publication de la liste des candidats.

Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées, dix-huit jours au moins avant le premier tour de scrutin, à titre individuel ou collectif, par au moins cent citoyens membres du Parlement, membres du Conseil économique et social, conseillers généraux ou maires élus. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les cent signataires de la présentation, figurent des élus d'au moins dix départements ou territoires d'outre-mer différents.

Le Conseil constitutionnel doit s'assurer du consentement des personnes présentées. Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste ne sont pas rendus publics » .

Dans le même esprit, la loi prévoyait une clause de représentativité nationale , exigeant au moins 30 départements ou collectivités d'outre-mer différents.

Enfin la liste des parrainages demeurait anonyme.

La règle des 100 signatures a bien limité le nombre de candidats pour les élections de 1965 (6 candidats) et de 1969 (7 candidats), mais moins bien en 1974 (12 candidats). Le problème de la fantaisie et de la multitude des candidatures est donc posé à nouveau. (à noter, par exemple, la candidature cocasse de Marcel Barbu, en 1965 à la première élection présidentielle ...)

C'est une des raisons pour laquelle Valery Giscard d'Estaing a souhaité, par la loi du 25 avril 1976, faire passer le seuil à 500 signatures d'élus locaux. La réforme ne fut pas un succès puisque le nombre de candidats passera de 10 jusqu'à 16 candidats en 2002.

Après les appels traditionnels ménageant le suspense sur le non recueil du nombre suffisant des parrainages, la loi du 25 avril 2016 instaure la publication, deux fois par semaine, du nom des parrains. Ce qui évite tout « appel au secours » infondé de la part de certains candidats.

Depuis cette réforme des 500 parrainages et leur publicité, force est de constater que l'engagement des élus s'amoindrit : de 16 444 signatures en 1981 à 13 427 signatures en 2022 (seule l'élection de 2002 fait exception avec une mobilisation de 17 815 parrainages). En 2017, le nombre de parrainages est de 14 296, soit environ 1000 parrainages de plus que cette année !

La distinction entre le parrainage et le vote est difficilement perçue par les élus locaux et leurs administrés malgré les assurances de Laurent Fabius 2 ( * ) , Président du Conseil Constitutionnel, en ces termes : « Il n'y a pas de solution parfaite. La formule actuelle, qui repose essentiellement sur les maires, les élus les plus appréciés de la population, subit le handicap d'une confusion dans l'opinion entre le parrainage et le vote. Parrainer un candidat n'est pas le soutenir. Sans doute faudrait-il mieux l'expliquer, à nos concitoyens comme aux élus eux-mêmes. »

La mobilisation des maires est donc très faible consacrant ainsi une sorte d'abstentionnisme du parrainage. 25 % des maires se sentent concernés alors que chacun aurait pu penser que leur était confiée une noble prérogative à accomplir dans le respect des usages républicains.

La crainte d'être « situé » politiquement, en fonction de son choix par ses administrés, le risque de représailles au niveau des subventions, le phénomène des pressions de la part des candidats ou de leurs sympathisants peuvent expliquer cette réticence.

On remarque que nombre de maires refusent de parrainer un candidat parce qu'ils ne souhaitent pas porter, seuls, cette responsabilité vis-à-vis de leur conseil municipal. Si certains consultent, d'autres préfèrent s'abstenir de peur de semer la zizanie au sein de leur équipe, laquelle est le plus souvent composée de personnalités aux convictions politiques diverses. Les membres des équipes peuvent appartenir à des sensibilités différentes ce qui ne les empêche pas, au niveau local, d'agir ensemble dans l'intérêt du bien communal.

Si chaque adjoint ou conseiller municipal ou d'arrondissement disposait de cette prérogative, cela permettrait de ne pas identifier, le choix d'une candidature en la personne du seul premier magistrat. Seraient ainsi assurés un pluralisme de l'expression et une réduction des risques de fracture des équipes municipales.

C'est pourquoi, nous proposons de confier les parrainages à l'ensemble du collège actuel défini à l'article 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 auquel s'ajouterait l'ensemble des conseillers municipaux, environ 504 000 personnes, ce qui représenterait environ, au total, 550 000 élus parrains possibles. (un peu moins dans la mesure où certains conseillers municipaux peuvent déjà donner leur parrainage sous une autre « casquette » : parlementaire, par exemple). (Article unique)

Afin de tenir compte de l'élargissement du collège des élus, il est proposé d'augmenter le nombre de parrainages de 500 à 5 500 en tenant compte du ratio actuel d'un collège des élus représentant environ 42 000 personnes.

Il n'est pas nécessaire de modifier le critère de la représentativité géographique. Car l'élargissement du collège n'a pas en soi de conséquence sur l'origine géographique des parrainages.

Certes plus que le nombre de signatures c'est le recueil d'un grand nombre de signatures qui peut poser des problèmes techniques, imposant au Conseil Constitutionnel la collecte et la vérification de leur légalité dans un temps forcément bref.

La question avait été soulevée par le Comité Balladur, en 2007, puis par la Commission Jospin créée en 2012, à propos du parrainage citoyen. Le principe de distribuer un formulaire de parrainage à l'ensemble des élus locaux avait été retenu. Rappelons que la Pologne examine 100 000 signatures pour une population de 38 millions d'habitants, l'Autriche 6000 pour un peu moins de 9 millions d'habitants.

Le problème ne parait pas insurmontable en France.

La principale difficulté porte sur l'hypothèse d'une élection anticipée en cas de vacance ou d'empêchement de la Présidence (cinquième alinéa de l'article 7 de la Constitution), auquel cas les délais sont très contraints : rappelons que l'élection doit avoir lieu vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après l'ouverture de la vacance ou la déclaration du caractère définitif de l'empêchement, et la publication des candidats quinze jours au moins avant le premier tour de scrutin, les présentations devant parvenir au plus tard le troisième mardi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures.

Hormis cette hypothèse, la question devrait être facilement gérée. La dématérialisation des signatures est en route. L'article 3 de la loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l'élection du Président de la République prévoit, en effet, qu'« à compter d'une date fixée par décret, et au plus tard à compter du 1 er janvier 2027 », c'est-à-dire avant les élections de 2027, il devra être possible d'envoyer par voie électronique les présentations au Conseil constitutionnel. Concrètement, il devrait être possible de prévoir une identification par le biais de France Connect, comme cela est déjà le cas pour de multiples procédures, ce qui permettra d'éviter de revérifier manuellement l'identité des membres du collège des élus. (article unique)

Afin de raccourcir autant que possible la période pendant laquelle une élection anticipée poserait problème, la proposition de loi permet la date limite à laquelle la procédure de présentation par voie électronique doit être disponible, en fixant la date du 1 er janvier 2024.

L'entrée en vigueur de notre proposition serait donc différée en conséquence à cette date (article unique)

Tel est l'objet de cette proposition de loi organique


* 1 Cette loi modifie L'ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à l'élection du Président de la République est remplacée par les dispositions suivantes ayant valeur organique.

* 2 Laurent Fabius, | DANIEL FOURAY / OUEST-FRANCE. 04/03/2022 à 20h41.

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