EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs

Les autrices et les auteurs proposent de renforcer la Sécurité sociale autour de trois points : une Sécurité sociale Solidaire, avec la suppression des barrières financières d'accès aux soins et le remboursement intégral des dépenses de santé, une Sécurité sociale Universelle avec l'intégration des bénéficiaires de l'Aide Médicale d'Etat au régime général d'Assurance maladie, et une Sécurité sociale Démocratique avec le rétablissement des élections des administratrices et administrateurs de la Sécurité sociale.

Depuis sa création, l'évolution de notre système de Sécurité sociale vers une perte du pouvoir des représentant•es syndicalistes, un transfert du financement des cotisations sociales vers l'impôt et la CSG, et enfin avec une mainmise de l'Etat via la loi de financement de la Sécurité sociale ont contribué à remettre en cause l'un des piliers de la solidarité de notre pays. La pandémie de Covid-19 a mis en tension notre système de santé et entrainé une dégradation de la situation économique, une aggravation de l'état de santé mentale de la population et un renforcement des inégalités sociales de santé en mettant en évidence le niveau des restes à charge des patient•es en cas d'hospitalisation.

L'organisation de notre système de santé français autour d'une Assurance Maladie Obligatoire (AMO), mutualisée car financée par une cotisation assise sur les revenus, sans sélection du risque individuel, et autour d'une assurance maladie complémentaire (AMC) facultative à la charge personnelle de chaque citoyenne et citoyen, couvrant la part des soins non pris en charge par l'AMO, le ticket modérateur, crée un lien entre la situation financière de chacun•e et le niveau de protection maladie dont il ou elle bénéficie.

A l'origine conçu pour « modérer » l'excès de consommation de soins, le ticket modérateur est désormais imposé aux patient•es hospitalisé•es y compris pour des soins vitaux liés au Covid-19. Cette situation n'est plus acceptable d'autant que le reste à charge des patient•es, qui correspond à la part non remboursée par l'Assurance maladie obligatoire, varie en fonction de la nature du risque, de l'acte ou du traitement, de l'inscription ou non de la personne en Affection Longue Durée (ALD) et du respect ou non du parcours de soins, entrainant une illisibilité et un renoncement aux soins.

Selon le baromètre d'opinion de la DREES en 2020, 72% des personnes interrogées souscrivent à l'opinion qu'« il n'y a pas de raison de limiter les dépenses de santé car la santé n'a pas de prix », 77% « qu'il est normal que l'on dépense plus pour la santé » et 64% « qu'il est plus important de maintenir au niveau actuel les prestations et remboursements d'assurance maladie que de réduire le déficit de la Sécurité sociale » .

La crise sanitaire a révélé les conséquences des politiques d'austérité menées depuis trente ans par les gouvernements successifs et démontré la nécessité de revoir notre modèle de Sécurité sociale du 21eme siècle afin de garantir une prise en charge au plus haut niveau par la solidarité nationale.

Les conséquences des politiques de « maîtrise des dépenses de santé »

Les politiques publiques ont tenté de réduire les dépenses de santé en utilisant différents leviers : limiter l'offre de soins en réduisant les capacités d'accueil des hôpitaux par des réductions de personnel et des fermetures de lits, réguler les tarifs des professionnels de santé tout en laissant se développer les dépassements d'honoraire, et responsabiliser financièrement les patient•es en imposant un reste à charge obligatoirement non remboursable.

Ce principe du copaiement, reprend la théorie économique de l'aléa moral, selon laquelle chaque personne doit prendre en charge une partie du prix de ses dépenses médicales afin que celles-ci apparaissent coûteuses et ainsi inciter à ne réaliser que les actes vraiment « nécessaires ». C'est en vertu de ce raisonnement que le « ticket modérateur » puis le « forfait hospitalier » ont été mis en place et encore récemment le « forfait patient urgences ». Plus tard, alors que le ticket modérateur était de plus en plus pris en charge par les complémentaires santé, l'Etat a institué les « franchises médicales » que les complémentaires santé n'ont pas le droit de rembourser : un montant entre 0,50 euro et 2 euros sur les médicaments, transports et actes paramédicaux, plafonné à 50 euros par an, et une « participation forfaitaire » de 1 euro sur toutes les consultations. De même, la prise en charge des congés maladie par la Sécurité sociale est limitée : le remboursement par la Sécurité sociale n'est que de 50% du salaire brut journalier et il fait l'objet d'un délai de carence de trois jours.

En pratique, ces dispositifs censés « responsabiliser financièrement les patients » ne sont pas toujours efficaces d'un point de vue sanitaire. Par exemple, l'absence de couverture peut conduire au report ou au renoncement aux soins, ce qui augmente le risque de développer des pathologies graves et financièrement coûteuses. Les malades bénéficiant d'une meilleure prise en charge ont une consommation en soins courants légèrement supérieure à celle des autres mais rien n'indique que cette consommation soit excessive par rapport à leurs besoins réels, ils ont, par ailleurs, le même recours aux soins hospitaliers. Enfin, la mise en place d'un délai de carence pour rembourser les congés maladie ne réduit pas le nombre de jours total d'arrêt mais engendre moins d'arrêts courts et plus d'arrêts longs. La pertinence de la responsabilisation financière est donc largement discutable et s'opère par une réduction discrète de la prise en charge sociale des dépenses de santé, dans le cas où les entreprises n'appliqueraient pas la subrogation. C'est notamment le cas dans le secteur de l'aide à domicile où la période de carence représente une forte perte de revenus.

Actuellement, les patient•es cotisent à la Sécurité sociale et sont soumis à de multiples contributions sociales : la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS). En sus de leurs cotisations et contributions sociales, elles et ils financent certaines dépenses de santé. Ainsi, en cas d'hospitalisation, il est demandé aux assuré•es sociaux de régler le ticket modérateur de 20%, auquel s'ajoute un forfait journalier de 20 euros par jour d'hébergement. A ces dépenses se greffent les dépassements d'honoraires, les baisses de taux de remboursement de médicaments, les déremboursements de médicaments accessibles en vente libre en officine, les tarifs limités de remboursement des prestations et produits médicaux.

En France, les bénéficiaires du dispositif de l'affection longue durée (ALD) sont remboursés à 100% pour toutes les prescriptions liées à leur maladie chronique. Malgré ce dispositif, ces patient•es doivent toujours supporter des frais importants qui peuvent s'élever jusqu'à 1 700€ de reste à charge moyen pour 10% d'entre eux.

Un remboursement à 80% des dépenses par la Sécurité sociale qui masque mal des disparités et un reste à charge élevé pour les ménages

Selon l'étude 2021 de la DREES 1 ( * ) sur les dépenses de santé en 2020, l'Assurance maladie obligatoire prend en charge 79,8% des dépenses de consommation de soins et de biens médicaux, les organismes complémentaires 12,3% et le reste à charge des ménages s'élève à 6,5%.

La Sécurité sociale rembourse 92,8% des soins hospitaliers et 92,0% des transports sanitaires contre seulement 69,2% des soins de ville, 73,8% des médicaments et 45,3% des autres biens médicaux. La répartition de la dépense par type de soins est très contrastée et démontre que les soins de ville représentent la première dépense pour les ménages et les médicaments 28,5% du reste à charge des ménages. En 2020, ce reste à charge en santé est estimé à 13,6 milliards d'euros , soit 202 euros par habitant•e. Depuis 10 ans la part du reste à charge diminue avec la forte progression du nombre de personnes en affection longue durée.

Ces chiffres soulignent le rôle central de la Sécurité sociale tout en masquant une tendance réelle à la privatisation de la prise en charge des soins de ville, compensée en partie par une meilleure prise en charge de certaines maladies chroniques. En effet, la plupart des soins primaires (consultations en ville, médicaments, analyses médicales) ne sont pris en charge qu'à hauteur de 70% au maximum de leur tarif conventionné. Les soins dentaires (en particulier les prothèses) et les prothèses optiques ou auditives sont particulièrement mal remboursés par la Sécurité sociale, et ce malgré l'entrée en vigueur du 100% santé sur certains actes ce qui nécessite l'adhésion à une complémentaire santé. Le ticket modérateur crée ou aggrave les inégalités sociales de santé, par les conséquences qui en découlent sur le parcours de soins et de santé.

Dans la note du Conseil d'analyse économique du 12 avril 2014 sur Refonder l'assurance-maladie, Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole, estimaient que : « la maitrise des dépenses de soins hospitaliers ne peut être obtenue par une participation des patients : ils ont vocation à être intégralement pris en charge par l'assurance maladie. Dans cette perspective, le ticket modérateur de 20% et les participations forfaitaires associées à un séjour hospitalier sont à la fois inefficaces et non conformes à un objectif de solidarité. C'est pourquoi nous proposons une couverture à 100% des soins hospitaliers, dans le respect du panier de soins solidaires et pour les tarifs conventionnels. Pour l'année 2010, le HCAAM a calculé qu'une suppression du ticket modérateur, des participations forfaitaires et du forfait hospitalier reviendrait à une perte de recettes de 2,6 milliards d'euros . » Et de conclure que : « le manque à gagner induit par cette mesure peut être couvert par l'économie sur le système de santé qui serait obtenue par l'arrêt des subventions aux contrats collectifs ».

La suppression du ticket modérateur permettrait d'améliorer l'accès aux soins primaires de toutes et tous, et des populations les plus en difficulté en particulier, facilitant la dispense totale d'avance des frais dont ils bénéficient.

Le retrait progressif de l'Assurance maladie au profit des complémentaires santé

Didier Tabuteau qualifiait en 2010 dans un article de la revue Droit Social de « métamorphose silencieuse » le retrait progressif de l'Assurance Maladie Obligatoire (AMO) au profit des complémentaires santé dans la prise en charge des dépenses courantes de santé.

Les complémentaires santé longtemps facultatives, sont désormais considérées comme indispensables par les pouvoirs publics : depuis le début des années 2000, les personnes les plus modestes voient le prix de leur complémentaire santé pris en charge en tout ou partie, par l'Etat, en fonction de leur niveau de revenu.

Les gouvernements successifs, reconnaissant ainsi les insuffisances de l'Assurance maladie, ont décidé de subventionner les complémentaires santé des personnes aux revenus modestes plutôt que d'augmenter les recettes de la Sécurité sociale et le niveau de remboursement effectué par l'Assurance maladie. Depuis 2020, la Complémentaire Santé Solidaire a remplacé les anciennes aides à la complémentaire santé, et dans 90% des cas les personnes éligibles choisissent la Sécurité sociale comme gestionnaire, ce qui démontre la confiance collective dans ce modèle social.

Dans les entreprises, depuis 2013, la complémentaire santé est devenue obligatoire avec l'adhésion à un contrat collectif d'entreprise. Seuls les inactifs, les jeunes, les stagiaires, les retraité•es, les indépendants, et les fonctionnaires sont contraints de s'assurer à titre individuel et volontaire à leurs propres frais et à un prix plus élevé.

Aujourd'hui les personnes les plus précaires qui ne peuvent pas s'offrir d'assurance maladie complémentaire, sont aussi celles qui renoncent le plus aux soins, en raison d'un risque à charge trop élevé rapporté à leurs revenus.

Selon la Drees, 89% des personnes les plus pauvres ont une complémentaire santé contre 95% en population générale. Les retraité•s qui, eu égard à leur âge, ont les cotisations les plus élevées, les personnes en situation de handicap ou souffrant de maladies chroniques qui ne peuvent pas travailler, les chômeurs et les travailleurs indépendants qui doivent prendre une complémentaire santé individuelle au prix fort et non déductible des impôts.

Face aux inégalités dans l'accès aux complémentaires santé et dans les couvertures qu'elles proposent ainsi qu'au coût pour les assuré•es sociaux et l'Etat, nous portons le projet d'un remboursement de la Sécurité sociale à 100% des dépenses de santé.

L'évolution des mutuelles, de l'économie sociale à un marché de l'assurance

Depuis le 1 er janvier 2021, les soins et les équipements en audiologie, optique et dentaire sont remboursés à 100%. Mis en place lors du 1 er quinquennat d'Emmanuel Macron, ce dispositif relève d'un certain leurre qui joue sur une ambiguïté lexicale. En effet, dans le détail, ce 100% Santé correspond en réalité à un panier de soins a minima conditionné à l'adhésion d'un contrat avec une complémentaire santé. Ce remboursement à 100% exclut les 4 millions de personnes qui n'ont pas de couverture complémentaire dont de nombreuses personnes retraitées.

L'accès aux soins conditionné à l'adhésion à une complémentaire santé pose la question de la nature de ces organismes et des évolutions en cours depuis plusieurs années dans la Mutualité, désormais plus proche du mode assurantiel dans son fonctionnement malgré ses valeurs historiquement proches du mouvement social. Les économistes de la santé Jean-Claude Barbier, Michael Zemmour et Bruno Théret détaillent l'évolution des mutuelles dans leur ouvrage « Le système français de protection sociale » : « Relevant de l'économie sociale, les mutuelles et les institutions de prévoyance pouvaient par le passé organiser des formes de solidarité entre leurs adhérents (cotisations proportionnelles au revenu, couverture uniforme des adhérents...). Mais l'évolution de la réglementation financière et le droit européen de la concurrence ont conduit le secteur à fortement évoluer depuis les années 2000. Les petits Ocam (Organismes complémentaires d'assurance maladie) ont disparu et les grands organismes se sont regroupés ; pour survivre, ils adoptent les pratiques de leurs concurrents (concurrence par les prix, différenciation des contrats...). Aussi, la différence entre les trois types d'Ocam s'est largement estompée, certains groupes réunissent par exemple des mutuelles et des assurances privées, et la solidarité entre assurés s'est affaiblie. »

Ces évolutions ont entrainé une superposition du traitement des dépenses de santé par des organismes différents (la Sécurité sociale et les complémentaires) ayant pour conséquence une complexité qui nuit à l'accès aux soins et à la bonne gestion des cotisations des assuré•es sociaux. A cela il faut ajouter les frais de gestion des Ocam beaucoup plus élevés que ceux de l'assurance maladie, qui bénéficie d'économie d'échelle et qui n'a pas à dépenser des sommes importantes en marketing pour acquérir de nouveaux assuré•es. Selon Nicolas Da Silva, économiste de la santé à l'université Sorbonne Paris Nord, au regard du volume de soins couverts, les frais de gestion des complémentaires sont « quatre à six fois supérieurs à ceux de la Sécurité sociale ». Ce système à deux étages était historiquement justifié par la liberté de s'assurer, mais cet argument a perdu du poids maintenant que la complémentaire est généralisée et quasi obligatoire. Il faut néanmoins différencier dans les frais de gestion ce qui relève effectivement des frais d'acquisition, des frais de gestion des sinistres, et des frais d'administration. Les politiques d'austérité ont entrainé la réduction des « frais de gestion » de l'Assurance maladie lors des Contrats d'Objectifs et de Performances successifs entrainant la fermeture de nombreux points d'accueil des Caisses Primaires d'Assurance maladie et la suppression de postes de conseillers.

Il serait donc plus juste de remplacer progressivement les Ocam par la Sécurité sociale, pour les dépenses d'assurance santé, quitte à laisser aux Ocam le soin de développer les autres activités pour lesquelles ils ont une expertise, à savoir la prévoyance, la prévention de risques spécifiques à une population, l'organisation de réseaux de soins, les services de confort et la gestion des établissements médicaux-sociaux.

Les préconisations du rapport de Haut Conseil pour l'Avenir de l'Assurance maladie, une première étape nécessaire

C'est dans ce contexte, que le 14 janvier 2022, missionné par le gouvernement, le Haut Conseil pour l'avenir de l'Assurance maladie (HCAAM) a rendu public son rapport concernant les quatre scénarios d'évolution de l'articulation entre Sécurité sociale et Assurance maladie complémentaire.

Le premier scénario propose des réformes visant à répondre à certaines limites du système actuel, sans modifier son architecture, les trois suivants proposent de clarifier l'articulation entre Sécurité sociale et assurances maladie complémentaires : l'instauration d'une assurance privée obligatoire, universelle et mutualisée (scénario 2), l'augmentation des taux de remboursement de la Sécurité sociale (scénario 3) et une liberté plus grande de définition des niveaux et contenus des garanties proposées par les assurances privées dans le cadre d'un décroisement entre les domaines d'intervention de la Sécurité sociale et des assurances privées (scénario 4).

Si le HCAAM ne privilégie aucun des scénarios, le scénario 3 visant la mise en place d'une « Grande Sécu » attire notre attention et rejoint notre projet d'une prise en charge des dépenses de santé intégralement par la Sécurité sociale. Ce scénario 3 profiterait à toutes les catégories d'acteurs (salarié•es, indépendant•es, inactifs et retraité•es), en raison de leur état de santé dégradé et de leurs revenus plus modestes, les retraité•es et les inactifs seraient les plus grands gagnants. Ainsi selon le rapport du HCAAM, « les retraités faisant partie des 20% des Français les plus modestes y gagneraient en moyenne 700 euros ( 60 euros par mois), du fait notamment d'une baisse moyenne de 780 euros par an de leur cotisation AMC. ».

Ce scénario répondrait en partie à nos objectifs de renforcer l'équité verticale dans le financement de chacun selon ses moyens, de limiter les renoncements aux soins et leurs conséquences délétères au niveau sanitaire en offrant à tous et toutes une couverture à 100%, de garantir l'accès financier aux soins à l'ensemble de la population alors que l'absence de couverture complémentaire est un facteur important de renoncement aux soins, de restituer aux ménages, sous forme d'augmentation de leur pouvoir d'achat, une fraction importante des charges de gestion des complémentaires, de simplifier le système et de le rendre plus lisible et transparent.

L'extension du champ d'intervention de l'Assurance maladie dans la prise en charge des frais de santé coûterait selon le Haut Conseil pour l'avenir de l'Assurance maladie 22,4 milliards d'euros par an aux finances publiques. Le HCAAM propose de financer ces 22,4 milliards d'euros par une hausse des prélèvements obligatoires, via les cotisations patronales ou la CSG notamment et par les gains réalisés sur les frais de gestion actuels des complémentaires santé ( 7,6 milliards d'euros ).

Le scénario de « Grande Sécu » du HCAAM de remboursement par la Sécurité sociale des dépenses de soins à 100% et la suppression du ticket modérateur constituent donc une première étape indispensable mais insuffisante pour répondre à l'ensemble des difficultés d'accès aux soins.

Notre projet de Sécurité sociale du 21eme siècle et de remboursement des dépenses de santé à 100% par l'Assurance maladie

Face aux évolutions de la Sécurité sociale, nous portons le projet d'une Sécurité sociale du 21eme siècle qui renoue avec ses trois principes fondateurs :

• un financement exclusif sur les cotisations sociales,

• une démocratie sociale avec le retour des élections des administratrices et administrateurs de la Sécurité sociale, et,

• une mise au service de la transformation de la société et du progrès en garantissant une prise en charge à 100% des besoins.

Concernant les dépenses de santé, notre projet de prise en charge intégrale à 100% par l'Assurance maladie va plus loin qu'une simple extension du périmètre de remboursement.

Il s'agit également de refonder radicalement l'offre de soins en mettant fin aux dépassements d'honoraires, en supprimant l'ensemble des barrières financières d'accès aux soins (abrogation du ticket modérateur, des franchises médicales, des participations forfaitaires, du forfait hospitalier et du forfait patient urgences), en rétablissant la démocratie au coeur du système de santé et en renouant avec un financement par la cotisation sociale.

Contrairement au projet d'Etatisation intégrale de l'Assurance maladie, il s'agit pour nous de rétablir et de promouvoir le rôle politique de l'Assurance maladie au coeur du système de santé avec le rétablissement des élections et étendre les représentant•es au sein du Conseil d'administration de l'Assurance maladie, lieu d'exercice privilégié de la démocratie sanitaire.

Le mouvement actuel de fiscalisation massive des ressources de la Sécurité sociale au travers de mesures d'exonérations colossales des cotisations patronales remet en cause notre modèle. D'autant qu'en parallèle on assiste à un accroissement massif de la CSG qui pèse lourdement sur le pouvoir d'achat des salarié•es.

Notre projet implique donc de renouer avec la dimension salariale de la Sécurité sociale. La cotisation sociale, autrement dit, le salaire socialisé, constitue à nos yeux le mode de financement essentiel d'une Assurance maladie étendue comme salaire indirect des travailleuses et travailleurs du pays. Alors qu'en 2006, les cotisations sociales représentaient 50% du financement de la branche Assurance-Maladie, les impôts-TVA 10% et la CSG 37%, en 2020, les cotisations sociales ne représentaient plus que 34% des recettes, les impôts-TVA 30% et la CSG 34%. Désormais, le financement de la Sécurité sociale ne repose plus majoritairement sur les cotisations mais sur les recettes fiscales.

Le remboursement à 100% par l'Assurance maladie nécessite de revoir en parallèle la tarification à l'activité dans les établissements de santé, de réguler l'installation des médecins, de rétablir les gardes les nuits et les weekends pour la médecine de ville, de développer les centres de santé, de modifier les règles de détermination des prix des médicaments, de créer un pôle public du médicament et des produits de santé, et de consacrer les moyens suffisants à l'éducation, la promotion et la prévention en santé.

1. Pour une Sécurité sociale solidaire : supprimer les barrières financières et les dépassements d'honoraire, étendre le périmètre de remboursement aux aides techniques et remplacer la notion de panier de soins par celle de « soins prescrits »

La crise sanitaire a mis en lumière les conséquences sanitaires, sociales et économiques des renoncements aux soins. L'accès aux soins primaires nécessite de supprimer les barrières financières d'accès aux soins, nous proposons donc d'abroger le ticket modérateur, les franchises médicales, les participations forfaitaires, le forfait hospitalier et le forfait patient urgences. Cette suppression permettrait également de flécher clairement le système de santé sur les soins primaires, en limitant l'utilisation des soins à l'hôpital qui entraine l'engorgement des urgences hospitalières et de renforcer la solidarité et la justice sociale, garants de notre pacte social et républicain.

Nous proposons également de supprimer les dépassements d'honoraires qui constituent une cause de renoncement aux soins pour nombre de nos concitoyennes et concitoyens, alors même qu'en 2020, 67% des spécialistes se sont installés en secteur 2. Les dépassements d'honoraires n'ont jamais été aussi élevés qu'en 2021 avec près de 3,5 milliards euros déboursés par les assuré•es sociaux.

En parallèle, nous proposons d'associer les organisations des professionnelles de santé afin de revaloriser les actes notamment en optique, en dentaire et en soins auditifs afin de garantir un remboursement de l'ensemble des soins relevant de la santé.

La notion de panier de soins est une notion qui enferme les prescriptions dans des limites étroites et qui nient les progrès médicaux. Le financeur ne doit pas définir la nature des soins remboursés. Le panier de soins renvoie à l'idée d'une prise en charge minimale, nous lui préférons celle d'un remboursement de l'ensemble des soins prescrits et médicalement justifiés. Il faut rembourser tout ce qui est pertinent du point de vue des soins et de la qualité de vie des malades.

Actuellement, l'estimation du « service médical rendu » dont dépend l'autorisation de mise sur le marché d'un médicament et de son niveau de remboursement relève de la technostructure de la Cnam et de la Haute Autorité de Santé. Cette estimation devrait revenir à l'émanation des assuré•es sociaux eux-mêmes : le conseil d'administration de la Cnam. Le périmètre de ce qui est remboursable doit être établi selon des règles transparentes. Le Conseil d'Administration de la Cnam devra alors faire le tri entre le nécessaire et le superflu. Dès lors qu'ils sont prescrits et efficaces, les soins doivent être remboursés à 100% par l'Assurance maladie. Cela vaut y compris pour le dentaire, l'optique et l'auditif. En revanche, les médicaments inutiles n'ont pas de raison d'être remboursés par la Sécurité sociale.

Les aides techniques et particulièrement les fauteuils roulants représentent un reste à charge extrêmement élevé pour les familles (coût moyen à la charge de l'assuré.e pour un fauteuil électrique entre 1 800 € et 6 000 €) avec un remboursement de la Sécurité sociale de seulement 600 euros . Ces dépenses particulièrement lourdes pour les familles doivent être prises en charge à 100% par l'Assurance maladie tout en garantissant aux personnes le libre choix du fauteuil, et la possibilité de cumuler plusieurs aides techniques afin de tenir compte de ses besoins selon sa situation et ses habitudes de vie.

2. Pour une Sécurité sociale Universelle : intégrer l'Aide Médicale d'Etat au régime général d'Assurance maladie

Actuellement les personnes étrangères sans papiers en France relèvent du dispositif de l'Aide Médicale d'Etat dont le budget est fixé chaque année dans la mission santé du budget de l'Etat. L'Aide Médicale d'Etat est un instrument de santé publique qui permet aux personnes étrangères résidant en France de pouvoir se soigner dignement. Elle permet en outre d'éviter un surcoût pour la collectivité, généré par des soins tardifs. Le budget annuel de l'Aide Médicale d'Etat ne représente que 1% des dépenses de santé et est parfaitement maitrisé comme le soulignent conjointement les Inspections générales des Finances et des Affaires sociales.

Le 17 février 2021, le gouvernement de Jean Castex a décidé de durcir les conditions en créant des obstacles supplémentaires à l'accès aux soins d'un public déjà fragilisé. Les associations membres de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers s'étaient exprimées contre le durcissement des conditions d'accès à la santé pour les ressortissant•es étranger•ères résidant en France. Alors que les gouvernements successifs n'ont eu de cesse de raboter le périmètre des dépenses de santé prises en charge ou d'introduire des barrières financières ou administratives pour l'accès aux soins, le taux de non recours à l'AME est actuellement de 50%, avec les risques que l'on peut imaginer en termes de santé publique.

La crise engendrée par la pandémie de Covid-19, qui révèle encore davantage les inégalités sociales de santé, doit inciter le gouvernement à adopter une politique de santé publique adaptée aux besoins de l'ensemble des personnes résidentes en France. La santé est notre bien le plus précieux et le droit à la santé doit être garanti pour l'ensemble de la population. C'est la raison pour laquelle nous proposons d'intégrer les personnes étrangères au régime général de Sécurité sociale afin de lutter contre le non recours aux soins et les inégalités sociales de santé et de garantir une protection maladie inclusive et véritablement universelle pour les personnes en précarité.

Cette proposition est partagée par de nombreuses institutions, qui recommandent depuis plusieurs années d'inclure l'AME dans le régime général de sécurité sociale : le Conseil économique et social en 2003, l'Inspection générale des affaires sociales et de l'inspection des finances en 2007 et 2010, le Conseil national du sida, le Conseil national de politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes en 2017. La fusion des dispositifs de l'AME et du régime général de la sécurité sociale permettrait un accès aux droits simplifié pour toutes et tous et éviterait une approche spécifique et stigmatisante pour les plus précaires et les étrangers.

L'intégration des bénéficiaires de l'AME au régime général faciliterait le travail des professionnels de santé, du social et des caisses d'assurance maladie qui traitent ces demandes en devant appliquer des règles complexes et différentes pour des populations aux profils similaires, ce qui induit notamment des ruptures de droit pour les personnes qui passent d'un statut à l'autre. Faciliter l'accès aux soins par un meilleur accès aux droits, permet d'éviter des surcoûts liés aux retards des soins et protège l'hôpital : le coût de la prise en charge d'une maladie qui atteint le stade de l'urgence est beaucoup plus élevé que celui de son traitement au long cours : plus on tarde à soigner une pathologie, plus les traitements seront lourds, donc coûteux, comme le montrent plusieurs études en France et en Europe. Selon l'une d'entre elles menée dans 3 pays européens, les économies vont de 9 à 69% selon les pathologies et les pays.

3. Pour une Sécurité sociale réellement démocratique : rétablir les élections des administratrices et des administrateurs des caisses

Face aux évolutions subies par la Sécurité sociale ces dernières années avec la mainmise des conseils d'administration par des technocrates formés par la haute administration convertis au libéralisme économique, la mainmise du Parlement sur le budget de la Sécurité sociale avec la fiscalisation des recettes, il nous semble indispensable de rétablir la démocratie sociale à l'origine de la création de la Sécurité sociale.

Il ne saurait y avoir de démocratie sociale sans recours au suffrage universel, par conséquent le rétablissement des élections d'administratrices et d'administrateurs au sein des organismes de Sécurité sociale est indispensable.

Cette volonté ne doit pas se limiter à un simple retour aux ordonnances de 1945 mais tenir compte de l'évolution de la Sécurité sociale en ouvrant l'accès aux fonctions d'administrateurs aux associations représentantes d'usagers du service public de Sécurité sociale.

Avec quels financements ?

La proposition de remboursement à 100% des dépenses de santé par l'Assurance maladie est réalisable. Le coût de notre proposition est de 24,5 milliards d'euros.

Si l'on reprend le rapport du HCAAM le scénario 3 qui prévoit la suppression des tickets modérateurs, les autres formes de participations forfaitaires des patient.es, la prise en charge à 100% du « RAC 0 » en optique, dentaire et audioprothèse, la prise en charge des dispositifs médicaux de la liste des produits et prestations remboursables, la suppression des exonérations de la C2S, est estimée à 18,8 milliards d'euros . Auquel il faut ajouter le manque à gagner pour la Sécurité sociale de Taxe Solidarité Additionnelle, de CSG et CRDS soit 3,5 milliards d'euros à ajouter pour un montant total de 22,3 milliards d'euros.

L'extension du périmètre de remboursement de l'Assurance maladie avec une prise en charge à 100% des véhicules pour personnes porteuses d'un handicap physique ( 150 millions d'euros en 2020 pour un taux observé de remboursement en moyenne de 15%, soit 1 milliard d'euro à 100%), l'intégration de l'Aide Médicale d'Etat dans le régime général de l'Assurance maladie ( 1,057 milliards d'euros en 2021) dont le montant est en progression chaque année, et en tenant compte de l'inflation. Le montant total des dépenses d'un remboursement intégral par l'Assurance maladie peut être estimé à 24,5 milliards d'euros.

Ce montant est largement inférieur si l'on tient compte des effets directs ou indirects d'un remboursement à 100% par l'Assurance maladie des dépenses de santé. Ainsi par exemple, les exonérations fiscales et les exemptions de cotisations sociales dont bénéficient actuellement les contrats responsables des complémentaires santé disparaitraient. En 2011, le HCAAM estimait à 5,6 milliards d'euros le montant total des aides publiques à l'acquisition des complémentaires santé dont 3,6 milliards pour les aides attribuées aux contrats collectifs obligatoires. Ce montant de 3,6 milliards d'euros serait donc à déduire du coût de notre proposition ( 24,5 milliards - 3,6 milliards = 21,4 milliards d'euros ).

De la même manière, la prise en charge à 100% des soins par l'Assurance maladie permettrait d'améliorer la prise en charge en amont des pathologies et d'éviter que les renoncements aux soins entrainent des pathologies aggravées et donc des traitements et des actes plus coûteux. Ainsi en 2021, du fait des restrictions d'activité et de la peur liée à la crise sanitaire, la fréquentation des cabinets de médecins généralistes a chuté de 40 %. L'Assurance maladie a envoyé un message aux 11 millions de malades chroniques pour qu'ils consultent afin d'éviter des soins retardés plus onéreux. On estime par exemple qu'un euro investi en prévention de la santé au travail représente 13 euros de bénéfice. On peut donc envisager une augmentation du recours aux soins avec le remboursement à 100% des soins prescrits mais également une diminution des consultations aux urgences des soins retardés.

Le remboursement des dépenses de santé à 100% par l'Assurance maladie remet en cause le remboursement des soins par les organismes complémentaires ce qui va nécessairement accroitre les besoins en personnels de l'Assurance maladie. Selon les projections du HCAAM, le chiffre d'affaires des organismes complémentaires va se contracter de 70% soit 27 milliards d'euros . Une nouvelle convention collective, négociée avec l'ensemble des représentant•es des personnels, doit garantir une reprise, par l'Assurance maladie, des 30 000 salarié•es chargé•es dans les complémentaires de la gestion des remboursements.

Les complémentaires santé ne sont pas destinées à disparaître. Au contraire, on aura toujours besoin de la Mutualité et de ses forces pour démocratiser l'ensemble du système de santé, promouvoir la santé et le bien être sous toutes ses formes. La prise en charge à 100% des dépenses de santé par l'Assurance maladie, doit permettre aux mutuelles de se réinventer et de se concentrer sur leurs missions de prévention et promotion de la santé, d'organiser et développer les centres de santé, et d'assurer la gestion des établissements médicaux et médicaux-sociaux.

Nous proposons de financer la prise en charge à 100% des dépenses de santé par l'Assurance maladie via le rétablissement des cotisations patronales à la branche maladie. Depuis 2015, le Crédit Impôt Compétitivité Emploi avait exonéré les employeurs de 6 points de cotisations sociales pour soi-disant « baisser le coût du travail et améliorer la compétitivité ». Le CICE et sa transformation en réduction pérenne des cotisations maladie pour les employeurs n'ont eu aucun effet sur la création d'emplois en France. Pire ils ont contribué à aggraver la situation des comptes publics avec une perte de recettes pour l'Etat et pour la Sécurité sociale.

Nous proposons donc de rétablir les 6 points de cotisations sociales des employeurs à la branche maladie et ainsi de dégager 22 milliards d'euros de recettes supplémentaires pour la Sécurité sociale afin de financer le 100% Assurance maladie. Le financement de la Sécurité sociale par la cotisation, principe fondateur de notre système social, sera ainsi pleinement remis en vigueur.

L'article 1 supprime les tickets modérateurs, les participations forfaitaires, les franchises, le forfait hospitalier et le forfait patient urgences.

L'article 2 supprime les dépassements d'honoraires.

L'article 3 prévoit l'intégration de l'aide médicale d'état dans le régime général de la Sécurité sociale.

L'article 4 réintroduit les élections des administratrices et administrateurs aux caisses de Sécurité sociale.

L'article 5 prévoit le gage financier avec le rétablissement des cotisations patronales à la branche Assurance maladie.


* 1 Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques.

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