EXPOSÉ DES MOTIFS

Madame, Monsieur,

Le réchauffement climatique est une réalité aux effets déjà tangibles sur le vivant et sur les écosystèmes.

Depuis le sommet de la terre à Rio en 1992, les rapports et études se sont multipliés faisant état de ce risque majeur pour nos sociétés et la poursuite de la vie humaine sans pour autant que les dirigeants, à tous les niveaux, prennent la mesure des changements à opérer.

Ce risque est tel qu'il se présente sous formes multiples, le plus souvent en cascade, liés aux catastrophes naturelles de plus en plus rapprochées et de plus en plus puissantes ainsi qu'aux crises auxquelles elles conduisent sur les déplacements de population, la production alimentaire, la hausse du prix des aliments ou de l'énergie, ou encore la malnutrition et l'accroissement de la pollution de l'air comme des océans ainsi que l'effondrement de la biodiversité...

Récemment, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a rendu public son sixième rapport qui confirme non seulement l'ensemble de ces dangers mais également l'urgente nécessité de changer de braquet puisque des solutions existent.

Ainsi, selon ce rapport, les émissions anthropiques totales nettes des gaz à effet de serre (GES) ont continué d'augmenter au cours de la période 2010-2019. Elles n'ont même jamais été si importantes. Pour limiter la hausse des températures à 1.5°C, celles-ci doivent pourtant être réduites de moitié d'ici 2030.

Loin des objectifs de l'Accord de Paris, si rien n'est fait, le réchauffement climatique pourrait atteindre 2,7°C à la fin du siècle. D'ores et déjà, les 1.5 °C semblent inatteignables.

Si des efforts ont été réalisés pour réduire les émissions de CO2, les auteurs du rapport dénoncent une inadéquation des moyens mis en oeuvre face à la rapidité des changements, qui marque un "manque de volonté politique" avec, pour exemple, le non-respect des engagements de Glasgow 2021 lors de la COP 26 en matière de doublement des budgets pour lutter contre le réchauffement.

Fait intéressant, les auteurs du rapport notent également que les ménages dont les revenus se situent dans les 10% les plus hauts sont à l'origine de 34 à 35% des émissions mondiales de GES. A l'inverse, ceux dont les revenus se situent dans les 50% inférieurs contribuent seulement à hauteur de 13 à 15%.

Cette étude conforte ainsi les chiffres de l'étude publiée par Oxfam en novembre 2021 qui indiquait que l'empreinte carbone des 1% les plus riches du monde sera 30 fois supérieure à celle compatible avec la limitation du réchauffement à 1,5 °C d'ici 2030, fixée lors de l'Accord de Paris. Ce, alors même que la moitié la plus pauvre de la population mondiale n'est responsable que de seulement 10% des émissions de CO2 mondiales.

La lutte contre les dérèglements climatiques et celle pour la justice sociale doivent donc s'articuler et se résoudre dans un même mouvement. Il s'agit bien de reconnaître que c'est le système capitaliste qui est à l'origine de ces dérèglements en pillant les ressources et en asservissant les hommes dans une unique logique de l'accumulation du capital et des profits de court terme. C'est ce système de production qu'il convient de renverser pour trouver des solutions à la fois pour le climat mais également pour le progrès social. Pour ce faire, le rôle de l'État doit être réaffirmé comme tenant du respect de l'intérêt général.

Selon les experts, il nous reste ainsi seulement trois ans pour inverser la courbe et permettre des conditions vivables pour l'humanité.

Cette réorientation est par ailleurs d'autant plus urgente qu'au-delà des déclarations d'intention, les politiques menées sous le précèdent quinquennat ont bafoué l'ensemble de ces impératifs. Les préconisations du Haut Conseil pour le Climat, créé en 2018, ont été largement ignorées. De même les conclusions de la convention citoyenne n'ont pas été reprises « sans filtre » par le Gouvernement malgré l'engagement du président de la République. Elles ont, également, été vidées de substance par les débats parlementaires dans le cadre des lois de finances successives et du plan de relance, mais également dans le cadre des débats autour de la loi dite Climat Résilience.

Le Haut conseil pour le climat a ainsi déploré un pilotage incohérent qui d'un côté met de l'argent pour la transition écologique et de l'autre fait des investissements défavorables au climat.

Ce sont d'ailleurs ces choix politiques qui ont conduit à la condamnation de la France pour inaction climatique dans le cadre de ce que l'on a appelé « l'affaire du siècle ». Le tribunal administratif de Paris dans son jugement du 14 octobre 2021 a enjoint l'État à réparer les conséquences de ses manquements dans la lutte contre le changement climatique. Le dépassement du plafond des émissions de gaz à effet de serre en 2015-2018 devra ainsi être compensé d'ici le 31 décembre 2022.

Déjà dans un jugement du jeudi 19 novembre 2020, le Conseil d'État avait rendu une première décision dans l'affaire de Grande-Synthe, en considérant que les objectifs fixés dans les lois obligent l'État à les respecter.

L'État se doit donc de prendre toutes les mesures nécessaires pour les atteindre.

Par ailleurs, la Charte de l'environnement reconnait en son article premier, le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Cet article à portée constitutionnelle doit enfin être respecté.

La puissance publique doit donc engager l'élaboration d'une véritable stratégie nationale pour lutter contre le changement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Pour ce faire, différents leviers existent, ils ont d'ailleurs été largement identifiés par la convention citoyenne.

En vertu du principe de pollueur payeur défini à l'article 4 de la Charte de l'environnement constitutionnellement reconnue, qui dispose que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi », il faudrait agir d'abord sur les plus gros pollueurs et les faire participer à leur juste mesure à la transition écologique.

A ce titre, selon le rapport d'Oxfam, la fiscalité environnementale française est constituée de 46 instruments fiscaux pour un rendement de 56 milliards d'euros en 2018, ce qui représente un peu moins de 5% des prélèvements obligatoires. 83% de cette fiscalité environnementale concerne l'énergie et se compose surtout de taxes à la consommation : taxes sur les énergies dont la Taxe Intérieur de Consommation sur les Produits Energétiques (TICPE), qui s'applique au pétrole utilisé pour le transport et les chauffages, la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN), la taxe intérieure de consommation sur le charbon (TICC), et les taxes sur l'électricité dont la CSPE.

Dans ce paysage, la TICPE génère à elle seule 33 milliards de recettes, soit 62% des impôts liés au climat. La première urgence réside bien dans une affectation de ces ressources vers les besoins de financement de la transition écologique.

Par ailleurs, en prenant exemple sur les taxes de consommation des énergies fossiles : la trentaine de dérogations représentent un manque à gagner d'environ 10 milliards d'euros pour l'État. Les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre comme les raffineries, l'agriculture, le transport routier et le transport aérien bénéficient de subventions qui accentuent leurs pollutions et grèvent le budget de l'État dont les dépenses pourraient financer la transition écologique.

Le plan de relance n'a pas permis pour ces secteurs d'engager la transition écologique puisque celui-ci ne s'est pas appuyé sur de nécessaires contreparties environnementales. Le Haut Conseil pour le Climat a d'ailleurs déploré cette approche en demandant notamment de conditionner les aides publiques destinées aux secteurs sinistrés à « des plans précis » en faveur du climat.

Déjà en 2019, l'étude portée par l'Institut de l'Économie pour le Climat (I4CE) pointait qu'il manquait 15 à 18 milliards d'euros par an pour respecter la trajectoire du second budget carbone (2019-2023). En prenant en compte le plan de relance, il faudrait encore entre sept à neuf milliards supplémentaires d'argent public d'ici à 2023 pour respecter les objectifs climatiques du pays.

Pour respecter la SNBC sur la période 2024-2028, ce serait même 14 Md€/an de dépenses supplémentaires de l'Etat seraient nécessaires

C'est dans ce sens que propose d'aller cette proposition de loi par l'intermédiaire de plusieurs outils.

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L'article premier traite des contreparties environnementales aux financements publics pour les entreprises soumises à l'obligation de performance extra financières.

Il s'agit, conformément aux articles R. 225-104 et R. 22-10-29 du code de commerce, des entreprises dont le total du bilan ou du chiffre d'affaires ainsi que le nombre de salariés dépassent les seuils suivants :

• Pour toute société cotée : 20 millions d'euros pour le total du bilan ou 40 millions d'euros pour le montant net du chiffre d'affaires et 500 pour le nombre moyen de salariés employés au cours de l'exercice.

• Pour toute société non cotée : 100 millions d'euros pour le total du bilan ou le montant net du chiffre d'affaires et 500 pour le nombre moyen de salariés.

Nous parlons donc des très grandes entreprises.

Ces entreprises ont l'impact carbone le plus important mais également les moyens de transformation les plus grands. Il est donc normal d'accroître leurs obligations.

Actuellement, le bilan carbone demandé se limite aux émissions de scope 1 (c'est à dire les émissions directes liées à la fabrication du produit) sans finalité de réduction contraignante alignée sur les objectifs de l'Accord de Paris. Ce bilan simplifié ne prendrait ainsi pas en compte les émissions indirectes liées à la consommation énergétique ou à l'utilisation des produits et services (scope 2 et 3), contrairement aux normes internationales de reporting déjà en vigueur. Par ailleurs, aucun objectif ou trajectoire de réduction n'est demandé aux entreprises concernées.

Pourtant, faute de contrepartie, les entreprises ne seront pas dans l'obligation de transformation. Sans objectifs de réduction contraignants et moyens associés, de telles dispositions la cantonne à un simple exercice de communication.

Enfin, aucune sanction n'est prévue pour les entreprises qui bénéficient des aides en cas de non-respect de la loi.

Partant de ce constat, les ONG ont fait des propositions pour établir une véritable éco conditionnalité. Nous les portons par l'article 2 de cette proposition de loi.

Il est proposé que les entreprises soient tenues de publier :

Ø Un bilan carbone renforcé et standardisé couvrant les scopes 1, 2 et 3 sans prise en compte dans le calcul des émissions évitées et compensées

Ø Une stratégie climat par un plan d'investissement adossée à une trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre, définie par le Commissariat général du développement durable, en concertation Haut Conseil pour le climat

Ø Un plan d'investissements permettant de mettre en oeuvre cette stratégie

Par ailleurs, l'article prévoit qu'en cas de non-respect de l'obligation de publication ou de l'objectif de réduction fixée, l'entreprise soit sanctionnée, a minima à hauteur du montant de l'aide perçue et le cas échéant, majoré. Il s'agit d'une conditionnalité ex post qui ne bloque pas le décaissement de l'aide mais instaure un vrai principe de redevabilité.

Enfin cet article prévoit que les entreprises qui procèdent à des délocalisations hors territoire européen ne puissent plus prétendre à ces aides en affirmant le principe que la lutte pour le climat et la lutte sociale sont intimement liées. Aussi, les délocalisations outre leurs conséquences sociales désastreuses sont aussi des impasses environnementales puisqu'elles participent au grand déménagement du monde.

L'article deux traite des plus petites entreprises visées par l'article L. 229-25 du code de l'environnement qui sont soumises à l'obligation de produire un rapport sur les émissions de gaz à effet de serre.

Cet article soumet à cette obligation, non plus les entreprises de plus de 500 salariés, mais celles de plus de 50 salariés.

D'autre part, il propose d'inclure les émissions indirectes au bilan d'émission de gaz à effet de serre de scopes 2 et 3, soit celles qui sont issues de la consommation énergétique ou de l'utilisation des produits énergie.

Cet article a également pour objet de conditionner les aides publiques au respect de la trajectoire fixée par ces entreprises. Les sanctions sont plafonnées non plus à 10 000 euros, mais à 2 % du chiffre d'affaires, hors taxes, du dernier exercice clos.

L'article trois traduit les annonces tardives de la Ministre de la Transition écologique lors de la COP 26 concernant le soutien à l'exploration et l'exploitation des énergies fossiles. Il est en effet impératif d'engager une profonde réallocation des crédits budgétaires envers des activités ayant vocation à décarboner le système productif. Pour cette raison, le présent article avance la fin du soutien à l'exploration et à l'exploitation de nouveaux gisements pétroliers de 2025 à 2023 et propose l'arrêt du soutien à l'exploration et à l'exploitation de nouveaux gisements gaziers dès 2030 au lieu de 2035. Il s'agit ainsi de tenir compte des préconisations à la fois du Haut conseil pour le climat mais également des propositions de la convention citoyenne pour le climat sur la fin du soutien public aux énergies fossiles.

L'article quatre propose de fixer une échéance à fin 2025 pour mettre fin à plusieurs dépenses fiscales clefs défavorables à l'environnement.

Dans le cadre de l'exercice de “budget vert”, l'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont recensé les dépenses défavorables à un objectif environnemental, dont les dépenses fiscales, essentiellement dans le domaine énergétique et des transports.

Pour permettre à la France de se doter d'un budget réellement « vert », cet article fixe une échéance à fin 2025 pour la suppression des principale dépenses fiscales considérées comme défavorables à l'environnement et relevant du droit interne, à savoir :

- Le remboursement partiel de la TICPE en faveur des agriculteurs qui pèsent pour 1 420 millions d'euros en 2020 dans les finances publiques

- Le remboursement d'une fraction de TICPE sur le gazole utilisé par les transporteurs routiers de marchandises qui pèsent pour 1 510 millions d'euros en 2020 pour les finances publiques ;

- L'exonération de TICPE sur l'ensemble des « vols intérieurs » dont l'estimation du coût pour les finances publiques représente 500 millions d'euros.

Alors que ces dépenses fiscales sont pour le moment principalement orientées vers des énergies et des technologies polluantes, en prenant ces exemples pour un coût fiscal de plus de 3 milliards d'euros, supprimer à terme ces niches devrait permettre de dégager les ressources nécessaires pour accompagner les secteurs et les salariés vers la transition écologique.

Puisque l'une des conclusions du rapport du GIEC est bien que le coût de l'action est moins important que le coût de l'inaction, cette proposition de loi souhaite poser une première pierre vers des politiques publiques qui permettent concrètement à notre pays de respecter ses obligations contractées à la fois au plan international et national de réduction pour le passage à une société décarbonée.

Par conséquent, les crédits ainsi économisées et issus de dépenses fiscales peu ciblées, doivent être alloués à aux acteurs en première ligne pour réaliser la transition adéquate de leurs moyens de production. En effet, il est possible à titre d'exemple, d'aider les maraichers et les agriculteurs à opérer la transition vers des véhicules électriques car ils ont recours à des véhicules moins lourds et nécessitant une moindre puissance ou en poursuivant, notamment pour les plus grandes exploitations, les efforts quant à la production énergétique en valorisant les déchets organiques destinées à la production de biogaz. Une réponse appropriée au détournement du gaz russe mais qui ne représente à ce jour que 2% de la consommation française soit près de 6 térawattheures.

Ainsi, les politiques publiques mises en place n'ont pas prévu, au-delà des exonérations fiscales, un soutien suffisant à ces mêmes secteurs pour leur permettre de réorienter leur production vers des pratiques plus soutenables d'un point de vue écologique.

Des efforts de recherche doivent être particulière encouragés dans les secteurs de l'industrie, de l'agriculture, du bâtiment et des transports pour accompagnés la transition afin qu'elle soit juste écologiquement mais aussi socialement et pertinente économiquement.

Les politiques publiques ne peuvent en effet se contenter d'être punitives au travers les instruments fiscaux, elles doivent être volontaires et engager les financements nécessaires à la bifurcation écologique et la sortie des énergies fossiles. Il conviendrait ainsi de prévoir une loi de programmation pour le financement global de la transition écologique adossés à des moyens et à des objectifs de performance qui pourrait s'incarner dans un fonds de transition écologique.

Enfin, l'article cinq souhaite renforcer le rôle du Haut Conseil pour le climat dans l'élaboration de la loi de finances.

Cet article vise à renforcer la compatibilité entre les textes de loi et notamment la plus fondamentale, la loi de finances avec la stratégie nationale bas-carbone, notamment concernant les budgets carbones.

En confiant cette mission au Haut Conseil pour le climat, sous réserve qu'il dispose des moyens adéquats, il s'agit également d'organiser une étude indépendante du Gouvernement sur la conformité des politiques menées par celui-ci avec ses engagements climatiques.

Pour ce faire, cet article prévoit que le projet de loi de finances ne puisse pas être présenté devant le Parlement en cas d'avis défavorable du Haut Conseil s'il n'intègre pas des modifications prenant en compte les remarques de ce dernier. En effet, faute de portée concrète de ses avis, le rôle de cette instance récente risque d'être purement consultatif et sans conséquence.

L'article prévoit ainsi que lorsque le Haut Conseil pour le Climat émet un avis défavorable sur tout ou partie d'un projet de loi de finances présenté par le Gouvernement, celui-ci transmet un projet modifié ou, à la demande du Haut Conseil pour le Climat, justifie le maintien du projet initial.

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