EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La déclaration de Cork 2.0 pour « Mieux vivre dans les zones rurales » de 2016 ainsi que la résolution du Parlement européen du 3 octobre 2018 sur la prise en compte des besoins spécifiques des zones rurales, montagneuses et isolées ont appelé à la mise en place rapide d'une feuille de route en faveur des territoires ruraux.

Le 30 juin dernier, la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions a permis de présenter la « vision à long terme pour les zones rurales de l'UE - Vers des zones rurales plus fortes, connectées, résilientes et prospères à l'horizon 2040 ».

Il s'agit d'élaborer un Agenda rural européen conçu comme le pendant de l'Agenda urbain pour l'Union européenne lancé en 2015 par la Commission européenne, les États membres et les villes.

Un tel Agenda rural européen doit être l'affirmation de l'ambition européenne en faveur du développement des territoires ruraux constitués de la campagne, de petites villes et de villes moyennes. Il doit donner le cadre politique et les orientations opérationnelles d'une future politique spécifique de développement des territoires ruraux répondant à leur diversité et à la dimension multisectorielle de leurs réalités économiques et sociales.

Aussi, à travers cette résolution européenne, l'ambition de la chambre des territoires doit être d'inviter la Commission européenne à mieux prendre en compte les questions rurales dans les politiques publiques européennes et les fonds européens et rétablir ainsi une relation d'égalité entre urbains et ruraux dans la mise en oeuvre des politiques de l'Union.

En effet, dès 2015, l'Union européenne a lancé l'Agenda urbain avec pour objectifs principaux : améliorer la réglementation pour mieux prendre en compte les besoins des villes dans les politiques européennes, favoriser les échanges entre les autorités urbaines, les États-membres et la Commission européenne, et faciliter l'accès des villes aux fonds européens. Cet engagement s'est traduit par un travail coordonné des États membres pour articuler leurs politiques de développement urbain.

Aussi, l'Agenda urbain a-t-il eu pour effet de porter une attention particulière aux enjeux urbains dans les outils financiers de la politique de cohésion européenne et s'est traduit au niveau national par la mise en oeuvre des Pactes État-métropoles.

Si cet appui aux développements des villes peut s'expliquer par une certaine conception de l'organisation de la société et apporter des solutions aux conséquences négatives de la concentration urbaine et de la compétition internationale, c'est un nouveau contexte, né principalement de la crise sanitaire et des confinements successifs, qui doit dessiner aujourd'hui l'action de la Commission. La mise en place de cet Agenda rural européen est donc l'occasion unique de sortir plus forts de la pandémie, de transformer nos économies et de créer des possibilités et des emplois à partir de nos territoires ruraux.

L'appétence des Européens pour le monde rural s'est révélée, confirmant des tendances déjà observables. Symbole de ce nouvel engouement, le marché immobilier en milieu rural a connu un fort dynamisme. En France, des études ont par exemple montré que 92 % des Français trouvaient le monde rural attractif et agréable à vivre (+20 % en deux ans) ; ils étaient même 72 % à avoir la sensation que le monde rural connaissait un renouveau (+29 % par rapport à 2018).

Néanmoins, ce nouveau mouvement de population a aussi mis en évidence les différentes inégalités et fractures qui existaient entre ruraux et urbains, notamment en matière de mobilité, d'accès aux soins, d'accès aux services, d'accès au numérique, alors que le télétravail permet d'offrir de nouvelles opportunités de développement et de concrétiser des projets d'installation dans les campagnes.

Ainsi, les inégalités d'accès aux soins mettent en avant les inégalités géographiques d'espérance de vie. Selon l'étude réalisée par l'INSEE, les habitants du rural vivent deux ans de moins que ceux des villes. Les hommes ayant 2,2 ans de moins d'espérance de vie à la naissance contre 0,9 ans chez les femmes.

Il en résulte que l'accès aux soins et l'adoption de comportements favorables à la santé sont deux conditions nécessaires à l'amélioration de la santé des populations, se traduisant par le recul de la mortalité à tous les âges et donc par une augmentation de l'espérance de vie.

Aujourd'hui, un sentiment d'abandon exacerbé par la multiplication des déserts (médicaux, numériques...) est exprimé à de multiples reprises par les habitants ruraux excédés par ces inégalités de traitement vis-à-vis des habitants des zones urbaines et métropolitaines.

Par ailleurs, alors que le besoin de la réindustrialisation de l'Europe s'est révélé à l'aune de cette crise sanitaire, les territoires ruraux présentent tous les atouts pour devenir les lieux privilégiés de cette nouvelle stratégie, notamment en raison des disponibilités foncières, plus facilement mobilisables que dans les métropoles, et des ressources humaines présentes, nécessaires pour développer des écosystèmes industriels performants sur le plan international, comme l'attestent de multiples exemples.

Ces vertus et potentiels de nos territoires ruraux sont autant de relais de croissance déterminants pour l'attractivité et la vitalité de l'Union européenne. Les ruralités disposent ainsi des ressources naturelles qui leur permettront d'être au coeur de l'économie verte et d'être ainsi l'acteur majeur de la transition énergétique, véritable secteur d'avenir.

C'est pourquoi, il apparaît essentiel que le Commission européenne engage la rédaction d'un Agenda rural européen capable de constituer une feuille de route stratégique devant être déclinée dans chaque État-membre en tenant de leurs caractéristiques et de leurs problématiques propres. Il doit offrir des outils concrets permettant aux territoires ruraux de choisir les orientations qui leur conviennent, en renforçant leur pouvoir d'initiative et de mobilisation des acteurs ruraux, en soutenant et accompagnant les initiatives locales, en permettant l'équilibre rural-urbain et en garantissant l'égalité des droits de tous les citoyens et l'équité des moyens et des pratiques entre tous les acteurs et territoires.

Cet Agenda rural européen doit faire partie des objectifs stratégiques de la relance de l'Union européenne et doit à ce titre s'intégrer rapidement dans le Plan de relance pour l'Europe.

Il s'agit bien d'encourager une relance économique par le local et de répondre aux attentes des citoyens de l'Union à l'heure où les européens montrent un attachement de plus en plus prononcé pour le monde rural.

Porter une politique ambitieuse vis-à-vis des territoires ruraux c'est, en outre, répondre au sentiment d'abandon déjà exposé qui se révèle toujours plus vif dans nos campagnes, sentiment qui a pu s'exprimer au Royaume-Uni lors du Brexit ou en France avec l'avènement du mouvement social des Gilets Jaunes, et partout en Europe par la montée des populismes.

La nécessité d'une telle politique à travers un Agenda rural européen répond également au souhait des parlementaires européens qui ont adopté dès 2018, une résolution sur la prise en compte des besoins spécifiques des zones rurales, montagneuses et isolées en demandant sa mise en place.

En outre, l'Agenda rural doit constituer une réponse efficace aux attentes des citoyens ruraux de l'Union. Ainsi, il s'agit de mettre en place des mesures perceptibles par les habitants en garantissant l'accès à un socle de services universels à moins de 30 minutes de trajet, en élaborant un vaste plan de soutien du commerce rural pour la revitalisation des petites villes et bourgs-centres et en mettant en place une politique de logements répondant aux exigences sociales et environnementales.

Une attention particulière doit être également accordée aux populations les plus vulnérables, les moins visibles et les plus précaires vivant en milieu rural notamment sur la question de l'inclusion des femmes dont le rôle dans l'économie des zones rurales est plus important qu'il n'y paraît car malheureusement souvent sous-évalué dans une économie rurale pour partie informelle. En particulier, leurs capacités d'initiatives et d'actions pourraient être amplifiées notamment dans les secteurs d'activités économiques et associatifs.

Les besoins de la jeunesse rurale doivent être mieux pris en compte tant en termes de mobilités que d'accès à l'emploi et notamment aux emplois qualifiés. Il est primordial pour l'attractivité de nos territoires ruraux qu'ils répondent à ces défis dans leurs politiques de développement rural, d'emploi, d'éducation et de formation (notamment l'accès à l'enseignement supérieur).

Il s'agit également pour l'Union européenne de questionner ses propres programmes comme la Politique agricole Commune (PAC) qui doit, entre autres, accentuer son soutien aux petites exploitations à taille familiale, aux productions locales durables et tenir compte des nouveaux défis alimentaires, de production, de régulation foncière tout en intégrant les urgences climatiques.

La diversité des campagnes européennes offre une opportunité à saisir pour construire une Europe résiliente en s'appuyant sur des acteurs locaux habitués à relever, par la coopération, les défis d'un monde en mutation. Il devient donc urgent de mettre en place un Agenda rural européen assorti d'objectifs politiques ambitieux et perceptibles par les habitants, afin de renforcer la dynamique innovante des territoires ruraux, d'organiser une coopération intelligente entre territoires et de stimuler la mobilisation des citoyens dans le cadre de stratégies de développement local.

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