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N° 173

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

PROJET DE LOI

autorisant l'approbation de l' accord sous forme d' échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume - Uni de Grande - Bretagne et d' Irlande du Nord (ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la Commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux , établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d'un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche , et une annexe),

PRÉSENTÉ

au nom de M. Manuel VALLS,

Premier ministre

Par M. Laurent FABIUS,

ministre des affaires étrangères et du développement international

(Envoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le traité de Cantorbéry signé le 12 février 1986 entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, concernant la construction et l'exploitation par des sociétés privées concessionnaires d'une liaison fixe transmanche, autorise la construction et l'exploitation du tunnel sous la Manche par des sociétés privées concessionnaires et donne délégation à une commission intergouvernementale (CIG) pour suivre au nom de la France et du Royaume-Uni l'ensemble des questions relatives à la construction et à l'exploitation de ce tunnel.

Son article 10 prévoit que la CIG doit notamment « élaborer ou participer à l'élaboration de tout règlement applicable à la Liaison Fixe, y compris en matière maritime et d'environnement, et en assurer le suivi. » C'est sur cette base que la CIG a procédé à la transposition des directives européennes impactant la liaison fixe transmanche.

La directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil du 21 novembre 2012 établissant un espace ferroviaire unique européen prévoit d'une part, à son article 55, que la régulation économique du marché ferroviaire est exercée par un unique organisme de contrôle par Etat membre et d'autre part, à son article 29, que les Etats membres mettent en place un cadre de tarification applicable à un gestionnaire d'infrastructure.

La transposition de la directive 2012/34/UE nécessite donc l'abrogation du règlement de la Commission intergouvernementale concernant l'utilisation du tunnel sous la Manche du 23 juillet 2009 qui confie notamment dans son article 12 les compétences de régulation à la CIG alors qu'il existe déjà un régulateur en France, l'Agence de régulation des activités ferroviaires (ARAF) et au Royaume-Uni, l' Office of Rail and Road (ORR). Elle doit également être mise en oeuvre par le biais de mesures de transposition en droit national.

L'objet du présent règlement binational est en conséquence d'abroger le précèdent règlement binational du 23 juillet 2009 afin de transférer les compétences de régulateur de la CIG à l'ARAF et à l'ORR, de prévoir les procédures de coopération entre les deux régulateurs et de préciser dans son annexe un cadre de tarification binational s'imposant à l'intégralité de la concession de la liaison fixe transmanche.

Principales dispositions de l'accord, composé de huit articles et une annexe :

Préambule

Après avoir rappelé la base juridique du règlement binational, le préambule mentionne et résume les articles de la directive 2012/34/UE auxquels ce règlement se réfère dont l'article 26 qui enjoint aux États membres de permettre au gestionnaire de l'infrastructure de « commercialiser les capacités de l'infrastructure disponibles et d'en faire une utilisation effective et optimale ». Cet article, qui est l'un des fondements de l'autorisation des concessionnaires à moduler leurs prix en fonction du jour de la semaine ou de l'heure de la journée, se retrouve dans le projet de cadre de tarification (voir ci-dessous).

Le préambule signale ensuite les dispositions relatives à la mise en oeuvre nationale qui ont été ou doivent être adoptées. Sans elles, le Royaume-Uni et la France se retrouveraient en infraction du fait de l'abrogation du règlement binational du 23 juillet 2009.

Enfin, le préambule met en exergue la disposition de la directive 2012/34/UE qui porte sur la coopération internationale entre les régulateurs et montre en quoi cette coopération internationale revêt une importance particulière dans le cas du tunnel sous la Manche. L'objectif est d'expliquer le contexte des dispositions du règlement sur ce point et, en particulier, les raisons de les traiter dans un acte binational plutôt que de les laisser aux deux législations nationales.

Article 1 er

Cet article transfère expressément les fonctions de régulation de la CIG aux régulateurs nationaux et précise que chacun est compétent pour la partie du tunnel située sur le territoire de l'Etat dont il relève.

Article 2

Le premier paragraphe de cet article énonce l'obligation pour la CIG de communiquer aux régulateurs nationaux toute l'information qu'elle a pu détenir dans l'exercice de ses fonctions de régulateur économique. Le second paragraphe précise que la CIG et les organismes de contrôle échangent les informations nécessaires à l'exercice de leurs fonctions.

Article 3

Cet article concerne la coopération entre les régulateurs économiques nationaux.

Il s'inspire largement du texte de l'article 57, paragraphes 2 et 3, de la directive 2012/34/UE, appelle les précisions suivantes :

Premièrement, les dispositions générales de la directive 2012/34/UE sur la coopération entre organes de régulation seront, en tout état de cause, transposées par les législations britannique et française. Il n'y a pas de raison pour que la majeure partie de cette législation ne s'applique pas au tunnel. Par conséquent, l'article 57 n'a pas besoin d'être reproduit en totalité dans le règlement binational.

Deuxièmement, la nature particulière du tunnel sous la Manche et des concessionnaires, - d'un point de vue matériel et administratif l'un et l'autre sont à cheval sur le territoire de deux Etats - exige des dispositions visant à renforcer l'obligation de coopération sans pour autant remettre en cause l'indépendance des régulateurs prévue par la directive 2012/34/UE. Pour cette raison, l'obligation d'« étroite coopération » ne se limite pas à l'objectif d'« assistance mutuelle », mentionné à l'article 57, paragraphe 2, de la directive 2012/34/UE. C'est pourquoi l'article exige expressément des dispositions pratiques pour s'assurer, dans la mesure du possible, que les décisions des organismes de contrôle soient clairement concordantes sur l'ensemble de la Liaison Fixe.

Article 4

Cet article traite des autres fonctions de la CIG et de sa relation, dans ce cadre, avec les régulateurs économiques nationaux.

Il y est expressément précisé que la CIG conserve son rôle général, prévu à l'article 10 du Traité de Cantorbéry, de supervision « au nom et pour le compte des deux gouvernements, de toutes les questions relatives à la construction et à l'exploitation du Tunnel ».

Etant donné que la directive 2012/34/UE exige que les régulateurs économiques soient indépendants dans l'exercice de leurs fonctions, cet article prévoit explicitement que la CIG ne sera pas impliquée dans le processus de décision des organes de régulation. Ceci ne veut pas dire que la CIG et ses membres ne pourront pas être consultés par les organes de régulation, ni leur faire connaître leurs observations ou leur fournir des informations. De fait, comme mentionné ci-dessus, le second paragraphe de l'article 2 demande que les organes de régulation échangent leurs informations, et le deuxième paragraphe de l'article 3 leur permet explicitement de consulter la CIG sur toute question.

Article 5

Cet article clarifie le rôle des autorités juridictionnelles saisies d'un recours contre une décision prise par la CIG avant le transfert de sa compétence aux régulateurs nationaux.

Dans ce cadre, la mesure transitoire prévoit que la CIG continue de traiter l'ensemble des recours éventuels.

Article 6

Cet article introduit une annexe concernant le cadre de tarification et a pour objectif de transposer l'article 29 de la directive 2012/34/UE. Ce cadre de tarification s'appliquera sur l'ensemble de la concession.

Article 7

Cet article abroge le règlement binational du 23 juillet 2009 qui prévoit notamment que la CIG possède la compétence de régulation économique de la liaison fixe transmanche.

Article 8

Cet article prévoit les modalités d'entrée en vigueur du règlement dès la notification, par chaque gouvernement, de l'accomplissement des procédures internes requises.

Annexe au règlement binational : cadre de tarification

Article 1

Cet article est pris en application de l'article 29, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE. Il prévoit notamment que les activités de navettes ne doivent pas être considérées comme des activités d'entreprise ferroviaire et sont donc exclues du cadre de tarification, conformément aux dispositions de l'article 2, paragraphe 9, de la directive.

Article 2

L'article mentionne tout d'abord que les règles de tarification sont établies par le gestionnaire de l'infrastructure. Cette disposition est rendue directement nécessaire par l'article 29, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE.

Il applique en outre l'article 8, paragraphe 4, de la directive 2012/34/UE, en vertu duquel les États membres peuvent demander aux gestionnaires d'infrastructure d'équilibrer leurs comptes sans financement de l'État.

Ceci s'explique par le fait que le Traité de Cantorbéry et l'accord de concession exigent précisément que le tunnel soit financé sans recourir à des fonds publics.

Article 3

Cet article réitère les principes énoncés dans la législation européenne en la matière : équité, non-discrimination et transparence du cadre de tarification.

Article 4

Le premier paragraphe de cet article reprend l'article 31, paragraphe 3, de la directive 2012/34/UE sur le tarif minimum qui doit correspondre au coût directement encouru. Il s'inspire beaucoup de la formulation de cette disposition.

Le deuxième paragraphe reprend l'article 32, paragraphe 3, de la directive 2012/34/UE sur le recouvrement des coûts à long terme. Dans le cas du tunnel, la possibilité d'effectuer ce recouvrement est une question qui se pose avec une acuité particulière. La formulation s'inspire largement de celle de l'article, sans mentionner explicitement les conditions qu'il énonce (car elles sont considérées comme remplies dans le cas du tunnel), mais en les appliquant à la situation spécifique du tunnel - par exemple, en énonçant clairement qu'elles ne s'appliquent qu'aux « activités ferroviaires », et non aux navettes - et au contexte dans lequel le paragraphe est rédigé.

La directive 2012/34/UE ne comporte pas de définition des « coûts à long terme », et il est apparu nécessaire de procurer au gestionnaire de l'infrastructure et à ses clients un plus grand degré de certitude en fournissant des éclaircissements sur ce que les Etats entendent par « coûts à long terme » pour ce qui concerne la liaison fixe transmanche.

Ainsi, il est précisé au paragraphe 3 que les coûts à long terme doivent être répartis sur toute la durée de la concession. Ce principe régit la politique de tarification actuelle du gestionnaire de l'infrastructure et garantit une certaine égalité de traitement entre les différents utilisateurs aux différents moments de la vie du tunnel. Il est aussi indiqué clairement que les États estiment que les tarifs pratiqués doivent permettre au gestionnaire d'infrastructure de faire face aux coûts relatifs au financement de l'investissement, y compris le coût de la dette et de son remboursement et une rémunération raisonnable du capital investi, ainsi que les coûts relatifs au fonctionnement, à la maintenance et au renouvellement de ces investissements. Ce principe est essentiel pour attirer l'investissement privé dans le cadre de grands projets d'infrastructure.

Le paragraphe 4 met en oeuvre l'article 32, paragraphe 1, de la directive 2012/34/UE relatif aux majorations. La raison pour laquelle il ne reproduit pas ce dernier (à l'exception de l'emploi du terme « majorations »), est qu'il n'a pas pour objectif de transposer cette disposition : cette transposition est laissée aux législations nationales. Il précise que le cadre de tarification n'interdit pas les majorations. Bien que les concessionnaires et les deux gouvernements soient actuellement d'accord pour estimer que les concessionnaires ne demandent pas et n'ont pas besoin de demander des majorations, la situation pourrait changer à l'avenir. Le paragraphe 4 autorise par conséquent que des majorations soient facturées, sans toutefois l'exiger.

Le paragraphe 5 prévoit que les redevances d'utilisation peuvent inclure une redevance au titre de la rareté des capacités ainsi que le prévoit l'article 31, paragraphe 4, de la directive 2012/34/UE.

Les paragraphes 6 à 8 portent sur les réductions. Ils appliquent les articles 33, paragraphes 2 à 5, et 26 de la directive 2012/34/UE.

Article 5

Cet article décrit de façon plus détaillée comment le gestionnaire d'infrastructure doit calculer les redevances. En particulier, il contient des prescriptions sur la manière dont les coûts à long terme peuvent être recouvrés, au moyen des redevances à répartir entre les utilisateurs du tunnel. L'article rappelle les principes généraux et exige que les concessionnaires tiennent compte de la manière dont les coûts à recouvrer sont liés aux activités des entreprises ferroviaires concernées.

L'article interdit également les doubles recouvrements.

Article 6

Afin de mettre en oeuvre la disposition de l'article 30, paragraphe 8, de la directive 2012/34/UE, cet article exige expressément que le gestionnaire d'infrastructure mette en place une méthode d'imputation des coûts.

Telles sont les principales observations qu'appelle l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord. Le présent texte a pour objet d'étendre la compétence territoriale de l'ARAF jusqu'à la portion de la liaison fixe transmanche qui relève du territoire de la France. Ces compétences relevant du domaine législatif, l'accord devra donc être soumis au Parlement en vertu de l'article 53 de la Constitution.

PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport du ministre des affaires étrangères et du développement international,

Vu l'article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord (ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la Commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux, établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d'un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche, et une annexe), délibéré en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État, sera présenté au Sénat par le ministre des affaires étrangères et du développement international, qui sera chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord relatif au règlement concernant la liaison fixe transmanche (ensemble un règlement transférant la compétence de régulation économique ferroviaire de la Commission intergouvernementale aux organismes de contrôle nationaux, établissant les principes de la coopération entre ceux-ci et portant établissement d'un cadre de tarification pour la liaison fixe transmanche, et une annexe), signées à Paris le 18 et le 23 mars 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Fait à Paris, le 13 novembre 2015

Signé : MANUEL VALLS

Par le Premier ministre :

Le ministre des affaires étrangères et du développement international

Signé : LAURENT FABIUS

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