N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 22 décembre 2004

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 janvier 2005

PROPOSITION DE LOI

tendant à faire du 21 mars une journée nationale de lutte contre le racisme , l' antisémitisme et la xénophobie ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Nicole BORVO COHEN-SEAT, Éliane ASSASSI, Josiane MATHON, M. François AUTAIN, Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Pierre BIARNES, Michel BILLOUT, Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Robert HUE, Gérard LE CAM, Mme Hélène LUC, MM. Roland MUZEAU, Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA, et Jean-François VOGUET,

Sénateurs.

( Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Droits de l'homme et libertés publiques.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le rapport que publie tous les ans, le 21 mars, la Commission consultative des droits de l'homme montre, année après année, une évolution inquiétante du racisme rampant et brutal.

Ce rapport instauré par la loi du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, dite « loi Gayssot », comprend également un sondage d'opinion indiquant la même tendance : une persistance des idées racistes, antisémites et xénophobes, d'autant plus inquiétantes qu'elles se trouvent banalisées au fil des ans.

Cette situation se reflète aussi dans d'autres études qui notent également une aggravation de toutes les formes de discriminations, qui se traduisent de plus en plus fréquemment par des atteintes à la dignité, la remise en cause des droits fondamentaux, notamment en matière d'égalité, d'emploi, d'embauche, de logement, de scolarisation, d'accès aux soins...

Ainsi, force est de constater que, le poison raciste ne donnant pas lieu à une information et à une réplique à la hauteur nécessaire, notamment de la part de l'État, des institutions et des services publics, les discours et affirmations de bonnes intentions restent sans effet.

Il y a une trentaine d'années, l'ONU, en souvenir du massacre de Sharpeville en Afrique du Sud, avait proclamé le 21 mars Journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. Il serait souhaitable que le Gouvernement décide de célébrer cette journée avec l'importance qui devrait lui être consacrée.

Cette initiative se situant après la célébration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, concrétiserait sa volonté et sa détermination d'oeuvrer dans ce sens, en créant les meilleures conditions pour favoriser toutes les expressions visant à combattre les fléaux du racisme et de la xénophobie. Elle est d'autant plus légitime que vient d'être décidée la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité.

Le racisme, on le sait, prend sa source dans l'extension du chômage, de la précarité, dans l'échec scolaire, dans l'exclusion, dans l'angoisse du lendemain pour soi-même, liée à l'absence de perspectives pour les enfants. La mise en concurrence des travailleurs, dans un tel contexte, ouvre toute grande la voie à la recherche du bouc émissaire. L'insécurité et la délinquance, s'ajoutant à l'accroissement des inégalités et des exclusions (personnes sans droits, sans abri, sans papiers), créent un terreau qui ne peut que se fertiliser pour le développement des idées et des idéologies de repli sur soi et de haine.

S'il convient d'agir pour faire reculer ces causes, il ne faut pas sous-estimer, pour autant, l'efficacité de la dissuasion résultant des poursuites pénales. Car le racisme n'est pas une opinion mais un délit et il doit être sanctionné comme tel. Notre pays s'est doté d'une législation qu'il convient d'ailleurs encore de renforcer afin qu'aucun discours sur « l'inégalité des races » ne reste impuni.

C'est par les discriminations que le racisme se répand aujourd'hui sournoisement dans la société, encouragé par les campagnes politiques justifiant la préférence nationale. Comme s'il existait un délit de faciès, voire de lieu d'habitat, qui constituerait un handicap à l'embauche et plus généralement à l'insertion sociale. Instaurer le 21 mars comme Journée nationale de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie permettrait, entre autres, à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, aux pouvoirs malheureusement insuffisants, de faire connaître son action et de sensibiliser davantage la population à la lutte contre toutes les discriminations.

Mais si les lois antiracistes doivent être appliquées dans toute leur rigueur, il est nécessaire d'encourager une telle réplique dans le domaine des idées. Cela implique une mobilisation du système éducatif, des services publics, des moyens audiovisuels, contre toutes les intolérances répandues par le racisme et la xénophobie, en favorisant le débat et l'action contre les mentalités, les préjugés, les comportements discriminatoires et en donnant les moyens à cette action civique.

Si le racisme plonge ses racines dans l'aggravation de la crise, des inégalités et des exclusions - qu'on le veuille ou non, discrimination sociale et discrimination raciale sont partie liée - pour proliférer, il lui a fallu être traité comme une idée parmi d'autres et légitimé par certaines dispositions législatives ainsi qu'une politique ségrégative donnant prise à la suspicion, faisant le lit des propos et de l'idéologie haineuse de l'extrême droite.

A notre époque d'accélération foudroyante des moyens de transports et de communications, l'aspiration des hommes à la libre circulation est devenue une exigence qui monte de tous les continents. Les récentes lois sur l'immigration et le code de la nationalité - en dépit de certains aspects positifs -, en n'apportant pas une rupture franche avec les dispositions antérieures, sont loin de favoriser l'intégration des populations immigrées.

Les migrations sont un des grands défis de notre temps et doivent être coordonnées entre les peuples et les États, à partir d'une coopération respectueuse des droits fondamentaux de la personne humaine.

Cette conception du droit et des choix librement consentis nécessite aussi de créer des possibilités humaines et matérielles du retour volontaire, par une politique de coopération avec les pays d'immigration, notamment dans le cadre de programmes de formation, des projets de création d'emplois et de développement, contribuant ainsi à l'établissement de nouveaux rapports Nord-Sud excluant toute politique de domination.

Il y a besoin d'une nouvelle politique de l'immigration, d'une législation fondée sur le respect humain et la dignité, réaffirmant sans ambiguïté le droit du sol et le droit d'asile comme des principes fondamentaux. L'intégration doit se faire sur la base de l'égalité des droits et d'une véritable citoyenneté sur les lieux de travail et de résidence dans l'esprit des valeurs de la République. Cela implique le respect mutuel pour une vie en commun riche et harmonieuse au sein de la Nation française.

L'enfant ne naît pas raciste. L'éducation et l'amélioration des conditions de vie sont fondamentales pour développer l'esprit de tolérance, le respect mutuel, la solidarité.

D'ores et déjà, il faut se féliciter que nombre d'initiatives antiracistes aient vu le jour, en particulier dans le cadre du 21 mars et de la Semaine d'éducation contre le racisme. Le 21 mars peut ainsi devenir, par un engagement de la volonté nationale, grâce à un large éventail de moyens impulsés par les pouvoirs publics, l'occasion d'agir partout dans le sens de la Convention internationale contre les discriminations, ratifiée le 21 décembre 1965 par l'Assemblée générale (résolution 2106) et dont notre pays est signataire, qui stipule :

« Les États parties s'engagent à prendre des mesures immédiates et efficaces, notamment dans les domaines de l'enseignement, de l'éducation, de la culture et de l'information, pour lutter contre les préjugés conduisant à la discrimination raciale et favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre Nations et groupes raciaux ou ethniques, ainsi que pour promouvoir les buts et principes de la Charte des Nations unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la Déclaration des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale et de la présente convention. »

Sous le bénéfice de ces observations, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante :

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le 21 mars est reconnu comme Journée nationale d'action contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie.

Article 2

Dans tous les établissements d'enseignement, les enseignants consacrent une partie de la journée à des exposés et des discussions sur ces thèmes.

Article 3

Les services publics, avec des moyens appropriés, contribuent dans leur sphère respective aux objectifs proclamés pour cette journée. Le service public de l'audiovisuel a notamment la charge de réaliser et diffuser des programmes dénonçant le racisme.

Article 4

Les collectivités territoriales, en liaison avec les associations, veillent à promouvoir, sous les formes les plus diverses, les idéaux des droits de l'homme, contenus dans la devise de la République française : liberté, égalité, fraternité.

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