N° 207

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 février 2006

PROPOSITION DE LOI

tendant à instaurer des pénalités financières réellement dissuasives à l'encontre des partis politiques ne respectant pas l' article 4 de la Constitution en ce qui concerne l' égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux ,

PRÉSENTÉE

Par M. Jean Louis MASSON,

Sénateur.

( Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Élections et référendums.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'article 4 de la Constitution fait obligation aux partis politiques de faciliter un « égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » . En la matière, la France reste cependant la « lanterne rouge en Europe » (La Croix, 6 janvier 2006). Certes, depuis le vote de lois contraignantes en faveur de la parité, la situation s'est normalisée pour les élections européennes, régionales et municipales et dans une moindre mesure pour les élections sénatoriales à la proportionnelle.

Toutefois, pour les élections où il n'y a aucune contrainte (cas des élections sénatoriales au scrutin majoritaire) et pour celles où il n'y a que de légères incitations financières (cas des élections législatives), force est de constater que beaucoup de partis politiques se comportent avec une regrettable désinvolture. À juste titre, le Président de la République vient donc de souligner que la parité est « une exigence démocratique et civique qui ne peut plus attendre » (Le Figaro, 5 janvier 2006).

Or, il serait tout à fait illusoire de spéculer sur la bonne volonté des partis politiques pour faire avancer les choses. En effet, faisant allusion aux élections législatives de 2002 et à la préparation des futures élections législatives de 2007, certains dirigeants de grands partis nationaux affirment sans aucune gêne qu'ils préfèrent payer des pénalités financières plutôt que de respecter une logique paritaire lors de la désignation de leurs candidats.

Ainsi, l'UMP est le parti qui paye (et de très loin !) les plus fortes pénalités financières pour non respect de la parité (4,26 millions d'euros en 2002, devant le PS avec 1,65 et l'UDF avec 0,67). Malgré cela, les responsables de l'UMP persistent dans leur refus de la parité ; selon eux, si le parti avait respecté la parité en 2002, il aurait « probablement perdu les élections... Nous préférerons toujours payer des pénalités que de perdre des élections ! » (Le Figaro, 6 janvier 2006).

Les pénalités financières à l'encontre des partis qui ne respectent pas la parité lors de la désignation de leurs candidats aux élections législatives sont donc manifestement insuffisantes et n'ont eu qu'une très faible portée lors des élections de 2002. De ce fait, à l'issue de celles-ci, les femmes ne représentaient toujours que 12,3 % des députés.

Dans le cas des élections sénatoriales au scrutin majoritaire, il n'y a même pas de mesure incitative et il n'est pas étonnant que le bilan soit encore pire. Parmi les sénateurs élus au scrutin majoritaire en septembre 2004, les femmes ne sont que 4,4 %. À titre de comparaison, parmi les sénateurs élus en même temps au scrutin proportionnel avec obligation de parité, il y avait au contraire 34,9 % de femmes.

Dans une démocratie, le Parlement est la plus haute instance élective et on ne peut accepter ces distorsions de parité sous prétexte que la situation serait satisfaisante dans d'autres scrutins de moindre importance (européennes, régionales, municipales). Pour cette raison, c'est le mécanisme même des incitations financières qui doit être revu.

L'aide publique de l'État aux partis politiques se répartit en deux fractions sensiblement égales : - la première fraction est proportionnelle au nombre de voix obtenues par les candidats du parti aux législatives ; - la seconde fraction est proportionnelle au nombre de députés et de sénateurs déclarant chaque année s'y rattacher. Les pénalités introduites par la loi du 6 juin 2000 portent sur la première fraction de l'aide publique de l'État. Pour chaque parti, elles sont proportionnelles à l'écart entre le pourcentage de candidats et de candidates présentés.

Le bilan des élections législatives de 2002 montre que ces dispositions incitatives sont peu efficaces car elles ne sont pas assez fortes. De plus concernant seulement la première fraction, elles favorisent la parité parmi les candidats mais pas parmi les élus (question écrite n° 1266 de M. MASSON ; JO Sénat du 5 septembre 2002).

Les petits partis politiques ayant peu d'espoir d'avoir des élus ont respecté la parité des candidatures car la première fraction est pour eux la seule ressource publique (50,2 % de femmes pour les candidats de Lutte Ouvrière, 49,2 % pour les Verts, 48,3 % pour le Front National, 46,5 % pour le Mouvement pour la France...). Par contre, les grands partis sont motivés par les enjeux de pouvoir et privilégient les notables en place. Pour eux, la seconde fraction de l'aide publique (proportionnelle au nombre d'élus) est nettement plus importante que la première. De ce fait, ils rendent leurs arbitrages en faveur de candidats hommes considérés (à tort ou à raison) comme mieux impliqués (seulement 43,8 % de femmes pour les candidats du Parti Communiste, 34,6 % pour le Parti Socialiste, 19,9 % pour l'UDF, 19,7 % pour l'UMP qui est bon dernier).

Le bilan de la parité au niveau des élus est encore pire qu'au niveau des candidatures. En effet en 2002, les femmes ont représenté 19,9 % des candidats de l'UMP, mais seulement 10,1 % des députés. Au PS, elles ont représenté 36,1 % des candidats et seulement 17,8 % des députés. Ce décalage énorme entre le taux de candidates et celui d'élues n'est pas lié à la moindre capacité électorale des femmes. Il s'explique uniquement par le fait que les grands partis ont systématiquement affecté les femmes dans les circonscriptions les plus mauvaises, si ce n'est perdues d'avance.

À titre d'exemple, l'Observatoire de la parité a pris pour référence le résultat des cinq candidats de la droite parlementaire lors du premier tour des élections présidentielles de 2002. Le total correspondant (calculé en pourcentage des suffrages exprimés) est appelé « indice de vote à droite » et caractérise la tendance politique de chaque circonscription. Or, en Lorraine, région traditionnellement ancrée à droite, les circonscriptions où des hommes étaient candidats pour l'UMP avaient un indice de vote à droite de 31,2 %, contre seulement 22,5 % pour les circonscriptions où l'UMP présentait des femmes. Dans le Nord - Pas de Calais, région traditionnellement ancrée à gauche, les circonscriptions où le Parti Socialiste présentait un homme avaient un indice de vote à droite de 23,4 %, contre 34 % pour les femmes.

Un écart de 10 % sur l'indice de vote à droite correspond à une différence de 20 % entre deux adversaires de droite et de gauche. Or, la plupart des députés ont été élus avec une avance beaucoup plus réduite. Non seulement, la moindre réussite des femmes candidates ne met pas en cause leur capacité, mais compte tenu des circonscriptions qui leur sont affectées, on peut même s'étonner de leur succès.

Ainsi, les grands partis multiplient les promesses en faveur de la parité mais ne les respectent pas et face à ce constat, une véritable dissuasion est nécessaire. Elle doit se traduire tant pour ce qui est de la parité parmi les candidats qu'en matière de résultat parmi les élus. La présente proposition de loi comporte donc trois mesures :

- Renforcer le caractère dissuasif des pénalités financières pour non respect de la parité parmi les candidats : Le système actuel n'était pas suffisamment incitatif à l'égard des partis politiques, il conviendrait de doubler le montant des pénalités ;

- Supprimer totalement le versement de la première fraction dans le cas des partis qui préfèrent payer des pénalités plutôt que d'appliquer la parité : Lorsqu'un parti présente moins d'un tiers de femmes, cela signifie qu'il se moque éperdument de la parité et donc de l'article 4 de la Constitution. Il devrait alors être privé de la première fraction des aides financières de l'État ;

- Pénaliser les partis politiques qui ne respectent la parité qu'en apparence : Il s'agit des partis qui affectent systématiquement les femmes dans les circonscriptions qui pour eux, sont perdues d'avance. Un abattement de 50 % sur la deuxième fraction de l'aide publique devrait être infligé à tout parti ayant moins d'un cinquième de femmes parmi les parlementaires qui s'y rattachent.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

I. - Dans le premier alinéa de l'article 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, les mots : « d'un pourcentage égal à la moitié de cet écart » sont remplacés par les mots : « d'un pourcentage égal à cet écart ».

II. - Au début du deuxième alinéa du même texte, les mots : « Cette diminution n'est pas applicable » sont remplacés par les mots : « Le présent article n'est pas applicable ».

Article 2

Après le premier alinéa de l'article 9-1 du même texte, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque pour un parti ou un groupement politique, le nombre de candidats de l'un ou l'autre sexe ayant déclaré se rattacher à ce parti ou groupement, représente moins du tiers du total des candidats, la première fraction qui devrait lui être attribuée en application des articles 8 et 9 est supprimée ».

Article 3

Après l'article 9-1 du même texte, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art... - Lorsque le nombre de membres du Parlement inscrits ou rattachés à un parti ou à un groupement politique ne comprend pas au moins un cinquième d'élus de chaque sexe, le montant de la seconde fraction qui lui est attribué en application des articles 8 et 9 est diminué de moitié. Cette diminution n'est pas applicable aux partis et groupements politiques pour lesquels l'écart entre le nombre d'élus de chaque sexe est inférieur ou égal à deux.»

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