N° 290

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 avril 2006

PROPOSITION DE LOI

tendant à l' abrogation du contrat « première embauche » et du contrat « nouvelles embauches »,

PRÉSENTÉE

Par Mme Nicole BORVO COHEN-SEAT, MM. Roland MUZEAU, Guy FISCHER, Mmes Éliane ASSASSI, Marie-France BEAUFILS, MM. Michel BILLOUT, Robert BRET, Yves COQUELLE, Mmes Annie DAVID, Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, M. Thierry FOUCAUD, Mme Gélita HOARAU, MM. Robert HUE, Gérard LE CAM, Mmes Hélène LUC, Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Bernard VERA, Jean-François VOGUET, Pierre BIARNÈS et François AUTAIN,

Sénateurs.

( Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Emploi.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Notre pays est confronté à une crise économique et sociale devenue insupportable aux françaises et aux français, et aux jeunes en particulier. Ils ne tolèrent plus la dégradation continuelle de l'emploi à laquelle ils sont soumis au nom de la rentabilité financière. Le chômage et l'exclusion du travail demeurent massifs. Le taux de chômage atteint 22,8 % pour les moins de 26 ans, et jusqu'à 40 % dans certains quartiers.

Aujourd'hui, la précarité n'est plus uniquement le chômage, c'est également le travail. La multiplication des contrats précaires et des contrats aidés, comme la modération salariale, plongent les salariés dans la précarité et trop souvent dans la pauvreté. On compte 2,5 millions de travailleurs pauvres et 1 SDF sur 3 a un emploi. Le chômage ne doit pas servir de prétexte à une généralisation de la précarité : il faut au contraire résorber l'emploi instable (CDD, intérim, temps partiel contraint) qui représente 3 offres d'embauches sur 4 de nos jours.

Profitant de ce contexte, le gouvernement a répondu aux pressions du MEDEF en faisant passer en force, au mépris du travail parlementaire, son projet de loi pour « l'égalité des chances » et le Contrat Première Embauche, nouveau contrat de travail dérogatoire destiné à tous les jeunes de moins de 26 ans.

La volonté de passer en force était patente : pas de négociation avec les partenaires sociaux, utilisation du 49-3 à l'Assemblée nationale et marche forcée au Sénat.

Ce contrat soulève de légitimes inquiétudes et est rejeté massivement par les jeunes. Depuis deux mois maintenant, la mobilisation de toute la jeunesse de notre pays, rejointe par les salariés, les retraités et les chômeurs, en témoigne.

Ensemble, ils rejettent cette perspective d'un contrat de travail au rabais, avec une période d'essai de deux ans et sans motivation du licenciement. Ils rejettent un contrat de travail spécifique qui institutionnalise la précarité de leur emploi et fragilise leur avenir.

Ils dénoncent avec raison une mesure qui contrevient aux législations et règlements internationaux, dont la Charte sociale européenne, ou encore la Convention 158 de l'Organisation internationale du travail ; mais également qui instaure une discrimination entre salariés en fonction de l'âge.

Si aujourd'hui une initiative législative doit intervenir rapidement pour répondre aux attentes sociales, telles qu'elles s'expriment maintenant depuis plusieurs semaines, il ne peut s'agir que de l'abrogation du CPE. Même réaménagé, ce contrat va à l'encontre de l'exigence moderne de sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels. Seule sa suppression est acceptable, pour permettre l'ouverture de véritables discussions avec les partenaires sociaux sur des bases neuves qui écartent la création d'un nouveau contrat spécifique pour les jeunes.

L'abrogation du Contrat première embauche doit logiquement s'accompagner de l'abrogation de l'ordonnance instaurant le Contrat nouvelles embauches. Ces deux dispositifs qui comportent chacun la période d'essai de deux ans et l'absence de motivation du licenciement, sont jumeaux.

Déjà le CNE avait fait de la France le pays où le marché du travail devenait le plus déréglementé et le moins protecteur pour ses salariés parmi l'ensemble des pays européens. Or les auteurs de la proposition de loi rappellent qu'aucun lien n'a jamais été établi entre le développement de la flexibilité et la baisse du chômage.

Par ailleurs, le Contrat nouvelles embauches, en vigueur depuis plus de 6 mois maintenant, n'a pas fait la preuve de son effectivité économique, puisque aucun infléchissement notoire du chômage n'a été constaté, et que ce contrat s'est uniquement substitué à des embauches qui auraient été effectuées dans tous les cas.

Le CNE, comme le CPE, méconnaît certains droits élémentaires du travailleur, allant même jusqu'à les mépriser. Une période d'essai étendue change en effet considérablement la nature de la relation salariale, en limitant, par exemple, toute capacité d'expression du salarié, rendant impraticable le droit de grève et très difficile l'exercice du droit syndical.

Le CPE et le CNE contribuent également à renverser la norme centrale du travail salarié en France, le CDI, au profit d'autres formes de contrats, qui étaient devenues l'exception. En permettant un retour au contrat journalier qui dominait jusqu'au début du XXe siècle, le CPE et le CNE balaient deux siècles de progrès en matière du droit du travail, deux siècles qui avaient d'abord vu disparaître le contrat de louage de services, puis reculer le contrat journalier au profit de contrats plus longs jusqu'à ce que le CDI soit instauré comme norme en 1979.

Le CPE et le CNE ne sont pas des mesures supplémentaires, mais bel et bien une rupture radicale dans notre tradition politique et sociale. Cette désorganisation sans précédent des rapports salariaux, au profit exclusif des entrepreneurs, n'est pas acceptable.

La présente proposition de loi qu'il vous est proposé d'adopter vise donc à supprimer ces deux formes dégradées du contrat de travail qui soumettent les travailleurs, dans leur ensemble, à la précarité généralisée. Ce sont d'autres chemins qu'il faut emprunter pour sortir la France de l'impasse du chômage et de la précarité.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article 8 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances est abrogé.

Article 2

L'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat de travail « nouvelles embauches » est abrogée.

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