N° 326

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2005-2006

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 mai 2006

PROPOSITION DE LOI

tendant à favoriser les progrès de la parité lors des élections législatives et des élections sénatoriales au scrutin majoritaire ,

PRÉSENTÉE

Par M. Jean Louis MASSON,

Sénateur.

( Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Élections et référendums.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France compte parmi les pays européens où la place des femmes dans la vie politique reste la plus réduite. Certes, depuis quelques années, la promulgation des lois en faveur de la parité a permis de normaliser la situation pour les élections européennes, les élections régionales, les élections municipales et dans une moindre mesure, les élections sénatoriales à la proportionnelle. Toutefois, le bilan des élections législatives et celui des élections cantonales montrent qu'en l'absence de dispositions contraignantes, les partis politiques ne font rien pour améliorer la situation. En la matière, il est donc illusoire de spéculer sur leur bonne volonté pour faire avancer les choses.

Ainsi, les modestes pénalités financières à l'encontre des partis qui ne respectent pas la parité lors de la désignation de leurs candidats aux élections législatives, n'ont eu qu'une très faible portée. À l'issue des élections législatives de 2002, les femmes ne représentaient toujours que 12,3 % des députés.

Dans le cas des élections sénatoriales au scrutin majoritaire, il n'y a même pas de mesure incitative et il n'est pas étonnant que le bilan soit encore pire. Parmi les sénateurs élus au scrutin majoritaire en septembre 2004, les femmes ne sont que 4,4 %. À titre de comparaison, parmi les sénateurs élus en même temps au scrutin proportionnel avec obligation de parité, il y avait au contraire 34,9 % de femmes.

Dans une démocratie, le Parlement est la plus haute instance élective et on ne peut accepter ces distorsions de parité sous prétexte que la situation serait satisfaisante dans d'autres scrutins de moindre importance (européennes, régionales, municipales). C'est donc avec un objectif de dynamique paritaire que la présente proposition de loi propose trois mesures correctives :

- Rétablir le scrutin proportionnel avec obligation de parité pour les élections sénatoriales dans les départements élisant trois sénateurs ;

- Obliger les candidats aux élections législatives et aux élections sénatoriales au scrutin majoritaire à avoir un suppléant de sexe opposé ;

- Instaurer des pénalités financières fortes à l'encontre des partis politiques dont l'effectif des parlementaires comporte un déséquilibre entre les sexes.

* Rétablir la proportionnelle avec obligation de parité dans les départements élisant trois sénateurs.

Le scrutin proportionnel avec obligation de parité s'est appliqué pour la première fois aux élections sénatoriales de 2001. Étaient concernés tous les départements élisant au moins trois sénateurs. Les résultats ont été spectaculaires car la proportion de femmes dans la série correspondante a triplé. Accessoirement, les sénatrices élues avaient une moyenne d'âge nettement plus faible que les sénateurs, ce qui a entraîné un net rajeunissement (questions écrites n° 1267 de M. MASSON, JO Sénat du 5 septembre 2002 et n° 47823 de Mme ZIMMERMANN, JO AN du 30 novembre 2004).

Cependant, un véritable combat d'arrière-garde a ensuite été mené par la majorité sénatoriale pour rétablir le scrutin majoritaire dans les départements élisant trois sénateurs. Cette logique rétrograde ayant pour but de privilégier les ententes entre notables en place fut entérinée par une loi de juillet 2003. De ce fait, le renouvellement sénatorial de 2004 s'est traduit par un progrès de la parité plus limité que s'il n'y avait pas eu cette modification.

Ainsi, parmi les 21 sénateurs élus en 2004 dans les départements ayant trois sièges, il n'y a eu qu'une seule femme, soit 4,8 %. Le maintien du scrutin proportionnel aurait au contraire permis d'en avoir sept ou huit (sur la base du taux de parité de 34,9 % constaté à la proportionnelle). Le bon sens justifie donc le rétablissement au plus vite de la proportionnelle avec obligation de parité dans les départements élisant trois sénateurs.

* Obliger les députés et les sénateurs élus au scrutin majoritaire à avoir un suppléant de sexe opposé.

Le maintien d'un scrutin uninominal majoritaire pour les élections législatives et pour les élections sénatoriales dans les petits départements ne permet pas d'imposer une logique de parité stricte. Les principes constitutionnels de liberté de suffrage et de liberté de candidature s'y opposent. Ce n'est pas une raison pour ne rien faire. Des petites avancées peuvent en effet être obtenues en appliquant la parité au tandem candidat-suppléant (questions écrites de Mme ZIMMERMANN, n os 48662 et 59451 ; JO AN des 19 octobre 2004 et 8 mars 2005).

À l'issue des élections législatives de 2002, parmi les 577 députés, 233 seulement avaient un suppléant de sexe opposé. C'était le cas de 167 députés hommes sur 506, soit 33 % et de 66 députés femmes sur 71, soit 93 %. On constate ainsi que même au niveau des suppléants, la mauvaise volonté des partis politiques contribue à pérenniser des distorsions anachroniques.

En raison des nominations ministérielles, des décès et de divers aléas de la vie publique ou privée, de nombreux députés et sénateurs sont remplacés en cours de mandat par leur suppléant. Pendant la législature 1997-2002, 62 suppléants sur 577 (soit 10,7 %) sont ainsi devenus députés. Si chaque candidat avait obligatoirement un suppléant de sexe opposé, la prédominance des hommes parmi les parlementaires élus ferait que les suppléants devenant à leur tour parlementaires seraient en grande majorité des femmes.

Tout au long de chaque mandat, il en résulterait une augmentation progressive de la proportion de femmes. Un autre effet d'entraînement s'ajouterait sur le long terme car l'expérience montre que quand un suppléant remplace un parlementaire décédé, il est souvent choisi comme candidat par son parti lors de l'élection suivante.

* Instaurer une pénalité financière forte sur la deuxième fraction de l'aide publique aux partis politiques.

L'aide publique de l'État aux partis politiques se répartit en deux fractions sensiblement égales :

- la première fraction est proportionnelle au nombre de voix obtenues par les candidats du parti aux législatives ;

- la seconde fraction est proportionnelle au nombre de députés et de sénateurs déclarant chaque année s'y rattacher.

La loi du 6 juin 2000 a introduit des pénalités financières devant inciter les partis politiques à promouvoir la parité lors du choix de leurs candidats aux législatives. Ces pénalités portent sur la première fraction de l'aide publique de l'État et pour chaque parti, elles sont proportionnelles à l'écart entre le pourcentage de candidats et de candidates présentés.

Le bilan des élections législatives de 2002 montre que les dispositions incitatives de la loi du 6 juin 2000 se sont avérées très peu efficaces. L'explication en est qu'en l'absence de mesures juridiquement contraignantes, les incitations n'ont un impact que si elles sont fortes et dissuasives. Or, les pénalités financières pour non respect de la parité sont assez modestes. De plus concernant seulement la première fraction, elles ne favorisent la parité que parmi les candidats et non parmi les élus (question écrite n° 1266 de M. MASSON ; JO Sénat du 5 septembre 2002).

Les petits partis politiques ayant peu d'espoir d'avoir des élus ont respecté la parité des candidatures car la première fraction est pour eux la seule ressource publique (50,2 % de femmes pour les candidats de Lutte Ouvrière, 49,8 % pour les Verts, 48,9 % pour le Front National, 47,2 % pour le Mouvement pour la France...). Par contre, les grands partis sont motivés par les enjeux de pouvoir et privilégient les notables en place. Pour eux, la seconde fraction de l'aide publique (proportionnelle au nombre d'élus) est nettement plus importante que la première. De ce fait, ils rendent leurs arbitrages en faveur de candidats hommes considérés (à tort ou à raison) comme mieux impliqués (seulement 43,9 % de femmes pour les candidats du Parti Communiste, 36,1 % pour le Parti Socialiste, 19,9 % pour l'UMP, 19,7 % pour l'UDF).

Le bilan de la parité au niveau des élus est encore bien pire qu'au niveau des candidatures. En effet en 2002, les femmes ont représenté 19,9 % des candidats de l'UMP, mais seulement 10,1 % des députés. Au PS, elles ont représenté 36,1 % des candidats et seulement 17,8 % des députés. Ce décalage énorme entre le taux de candidates et celui d'élues n'est pas lié à la moindre capacité électorale des femmes. Il s'explique uniquement par le fait que les grands partis ont systématiquement affecté les femmes dans les circonscriptions les plus mauvaises, si ce n'est, perdues d'avance.

Ainsi, l'Observatoire de la parité a pris pour référence le résultat des cinq candidats de la droite parlementaire lors du premier tour des élections présidentielles de 2002. Le total correspondant (calculé en pourcentage des suffrages exprimés) est appelé « indice de vote à droite » et caractérise la tendance politique de chaque circonscription. Or, en Lorraine, région traditionnellement ancrée à droite, les circonscriptions où des hommes étaient candidats pour l'UMP avaient un indice de vote à droite de 31,2 %, contre seulement 22,5 % pour les circonscriptions où l'UMP présentait des femmes. Dans le Nord-Pas-de-Calais, région traditionnellement ancrée à gauche, les circonscriptions où le Parti Socialiste présentait un homme avaient un indice de vote à droite de 23,4 %, contre 34 % pour les femmes.

Un écart de 10 % sur l'indice de vote à droite correspond à une différence de 20 % entre deux adversaires de droite et de gauche. Or, la plupart des députés ont été élus avec une avance beaucoup plus réduite. Non seulement, la moindre réussite des femmes candidates ne met pas en cause leur capacité, mais compte tenu des circonscriptions qui leur sont affectées, on peut même s'étonner de leur succès.

Les grands partis multiplient les promesses en faveur de la parité mais ne les appliquent pas en pratique. Face à ce constat, une véritable dissuasion est nécessaire et elle doit se traduire par une obligation de résultat au niveau des élus. Un objectif de parité serait qu'il y ait au moins 20 % de femmes au Parlement. Ce seuil doit être considéré comme incontournable et entraîner à défaut, de lourdes sanctions financières pour les partis contrevenants. En la matière, un abattement d'un tiers sur la deuxième fraction de l'aide publique serait un minimum.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

I- Dans le premier alinéa de l'article L. 295 du code électoral, les mots « quatre sénateurs » sont remplacés par « trois sénateurs ».

II- Dans le premier alinéa de l'article L. 294 du même code, les mots « trois sénateurs » sont remplacés par les mots « deux sénateurs ».

Article 2

I- Les deuxième et troisième phrases du premier alinéa de l'article L. 155 du code électoral sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « Cette déclaration doit être accompagnée de l'acceptation écrite du remplaçant, lequel ne peut être du même sexe que le candidat et doit remplir les conditions d'éligibilité exigées des candidats ».

II- La dernière phrase du premier alinéa de l'article L. 299 du code électoral est ainsi rédigée : « Cette déclaration doit être accompagnée de l'acceptation écrite du remplaçant, lequel ne peut être du même sexe que le candidat et doit remplir les conditions d'éligibilité exigées des candidats ».

Article 3

Après le deuxième alinéa de l'article 9-1 de la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque le nombre de membres du Parlement inscrits ou rattachés à un parti ou à un groupement politique ne comprend pas au moins un cinquième d'élus de chaque sexe, le montant de la seconde fraction qui lui est attribué en application des articles 8 et 9 est diminué d'un tiers. Cette diminution n'est pas applicable aux partis et groupements politiques pour lesquels l'écart entre le nombre d'élus de chaque sexe est inférieur ou égal à un ».

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