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N° 96

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 novembre 2009

PROPOSITION DE LOI

autorisant le partage de l' autorité parentale dans le cas de l' adoption simple de l' enfant du concubin ou du partenaire de pacte civil de solidarité ,

PRÉSENTÉE

Par Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Marie-Christine BLANDIN, Dominique VOYNET, M. Jean DESESSARD, Mmes Jacqueline ALQUIER, Michèle ANDRÉ, MM. Alain ANZIANI, Yannick BODIN, Mmes Bernadette BOURZAI, Claire-Lise CAMPION, M. Jean-Louis CARRÈRE, Mme Jacqueline CHEVÉ, MM. Yves CHASTAN, Roland COURTEAU, Mme Christiane DEMONTÈS, MM. Yves DAUDIGNY, Charles GAUTIER, Claude JEANNEROT, Mme Bariza KHIARI, M. Serge LAGAUCHE, Mmes Françoise LAURENT-PERRIGOT, Claudine LEPAGE, MM. Rachel MAZUIR, Jean-Jacques MIRASSOU, Robert NAVARRO, Mme Renée NICOUX, MM. Jean-Marc PASTOR, Jean-Claude PEYRONNET, Mme Gisèle PRINTZ, MM. Jean-Pierre SUEUR, Simon SUTOUR, Mme Catherine TASCA, MM. Richard YUNG, et Jean-Pierre MICHEL,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L'impossibilité pour les couples non mariés d'adopter découle de plusieurs dispositions du code civil.

En ce qui concerne l'adoption plénière, l'article 343 du code civil réserve l'adoption par un couple aux conjoints mariés depuis plus de deux ans, tandis que l'article 346 prévoit, quant à lui, que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n'est par deux époux.

Ces dispositions interdisent donc aux couples de partenaires ou de concubins d'adopter en tant que tel : l'établissement d'un double lien de filiation est réservé aux conjoints.

Cependant, une personne non mariée peut valablement formuler une demande individuelle d'adoption simple.

L'article 343-1 du code civil prévoit en effet que l'adoption simple peut être demandée par toute personne âgée de plus de vingt-huit ans. À cet égard, la Cour européenne des droits de l'homme a sanctionné le refus d'agrément en vue de l'adoption opposé à une femme célibataire en raison de son orientation sexuelle (arrêt E.B. c . France du 22 janvier 2008). Cette position a d'ailleurs été confirmée, suite au refus persistant du conseil général du Jura de délivrer l'agrément en vue de l'adoption, à une enseignante homosexuelle, par une décision du tribunal administratif de Besançon du 10 novembre 2009.

C'est dans ce cadre juridique que les juges sont régulièrement saisis d'une situation précise : une personne dépose une requête en adoption simple de l'enfant naturel de son concubin ou du partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité (PACS).

Cette hypothèse soulève une question importante : une personne peut-elle adopter l'enfant de son partenaire ou de son concubin et obtenir du juge l'établissement à son égard d'un lien de filiation, sans que les droits d'autorité parentale du parent naturel ne soient remis en cause ?

Cette question intéresse une partie importante des familles françaises, lorsque par exemple une personne est privée de tout lien juridique avec les enfants biologiques de son concubin ou partenaire, qu'elle soit d'ailleurs homosexuelle ou hétérosexuelle.

Selon le premier alinéa de l'article 365 du code civil, « l'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité ».

L'adoption simple a donc pour effet de priver la mère biologique de son autorité parentale sur son enfant, sans pour autant rompre définitivement le lien de filiation. Il s'agit d'une règle impérative qui a pour effet de déchoir, de manière automatique, le parent biologique de ses droits à l'égard de son enfant s'il consent à l'adoption.

Il existe cependant une exception à cet « abandon consenti » d'autorité parentale : les couples mariés bénéficient, de manière automatique, d'un partage de l'autorité parentale et peuvent, en cas d'adoption de l'enfant par le conjoint, demander, par déclaration conjointe au greffe du tribunal de grande instance, l'exercice conjoint de celle-ci.

Selon l'article 365 du code civil, et l'interprétation qui en est faite par la Cour de cassation, ce partage de l'exercice de l'autorité parentale, qui laisse subsister la filiation d'origine, et qui crée un nouveau lien de filiation à l'égard de l'adoptant, est réservé aux couples mariés.

En dépit de nombreuses décisions de juges du fond favorables à l'adoption simple de l'enfant du partenaire et ouvrant la voie au partage d'autorité parentale entre concubins ou partenaires 1 ( * ) , la Cour de cassation fait une application très stricte de l'article 365 du code civil et refuse d'étendre le partage de l'autorité parentale aux concubins ou aux partenaires liés par un pacte civil de solidarité.

À plusieurs reprises, en effet, elle a considéré que l'article 365 du code civil limitait le partage de l'autorité parentale aux seuls conjoints, excluant de ce fait les concubins et les partenaires liés par un PACS, homosexuels comme hétérosexuels 2 ( * ) .

Cette impossibilité de partage de l'autorité parentale, couplée avec la réticence des juges à prononcer une adoption simple au profit d'un tiers, a pour effet de priver de manière automatique certaines familles de la reconnaissance des liens qui unissent parfois ses membres, dans la mesure où ces liens sont autres que ceux découlant du mariage. Quand bien même ces liens seraient fondés sur la durée, la stabilité et une intensité équivalente à celles qui pourraient unir les membres d'une famille issue d'un mariage, ces liens restent, en raison de l'article 365 du code civil, étrangers à notre droit.

Selon la Cour européenne des droits de l'homme, la famille ne saurait se borner aux seules relations fondées sur la mariage ( Johnston et autres c. Irlande , arrêt du 18 décembre 1986, § 55 ; Keegan c. Irlande , arrêt du 26 mai 1994, § 44 ; Kroon et autres c. Pays-Bas , arrêt du 27 octobre 1994, § 30, et X, Y et Z c. Royaume-Uni , arrêt du 22 avril 1997, § 36).

Si le droit à l'adoption n'est pas en tant que tel consacré par la Convention européenne des droits de l'homme, les États partie peuvent se retrouver, dans certaines circonstances, dans l'obligation positive de permettre la formation et le développement de liens familiaux légaux ( Pini et autres c. Roumanie, arrêt du 22 juin 2004, § 140).

Sensible à cette jurisprudence, la Cour de cassation a néanmoins autorisé le partenaire à bénéficier d'une délégation - partage de l'autorité parentale fondée sur l'article 377-1 du code civil, qui établit, à défaut d'un lien de parenté, un lien de « parentalité » 3 ( * ) .

Cependant, l'article 377-1 ne crée ni lien de filiation, ni transfert des droits d'autorité parentale. Il aménage simplement la possibilité d'exercer, par délégation, l'autorité parentale sans transfert, partiel ou total, de celle-ci. Il ne crée donc pas de liens familiaux en tant que tel.

Pourtant, la procédure de l'adoption simple assortie d'un partage d'autorité parentale semble, dans notre droit français, le seul moyen à disposition pour les couples non mariés de voir ces liens familiaux reconnus comme des liens familiaux légaux.

Or, le principe posé par l'article 365 du code civil, privant le parent biologique de son autorité parentale au profit de l'adoptant, apparaît, dans ces circonstances, constituer une atteinte disproportionnée au droit du parent biologique de mener une vie familiale normale tel que développé par la Cour européenne des droits de l'homme dans sa jurisprudence relative à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme s'est en effet prononcée spécifiquement sur la question de savoir si une disposition privant le parent biologique de son autorité parentale en cas d'adoption constituait une ingérence justifiée dans son droit au respect de sa vie familiale.

Dans l'arrêt Emonet et autres contre Suisse rendu le 3 décembre 2007, la Cour devait juger de la conformité de l'article 267 du code civil suisse - prévoyant la rupture automatique, en cas d'adoption par le concubin, du lien de filiation antérieur entre la personne adoptée et son parent naturel - avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Selon la Cour européenne des droits de l'homme, une telle règle constitue une ingérence injustifiée dans l'exercice du droit des requérants au respect de leur vie privée lorsque son application, automatique, ignore la réalité des liens établis entre l'enfant, le parent naturel et le concubin. Elle a donc conclu en l'espèce à une violation de la Convention européenne des doits de l'homme.

Il ressort de cette jurisprudence que la règle, exprimée à l'article 365 du code civil, constitue, par analogie, une atteinte potentielle au droit du parent naturel de mener une vie familiale normale lorsque son application conduit à écarter, d'office, le concubin ou le partenaire du bénéfice d'un partage d'autorité parental, sans examen des circonstances particulières propres à justifier une telle exclusion, notamment au regard de la durée et de l'intensité des liens qui unissent le tiers, concubin ou partenaire, au parent biologique de l'enfant dont l'adoption est sollicitée.

La Cour de cassation, en refusant l'adoption par le concubin ou le partenaire de PACS et en faisant une application automatique et objective de l'article 365 du code civil, ne prend pas en compte la réalité des liens qui unissent le concubin ou le partenaire à l'enfant. Or, selon la Cour européenne des droits de l'homme dans l'affaire précitée, « le respect de la vie familiale des requérants aurait exigé la prise en compte des réalités, tant biologiques que sociales, pour éviter une application mécanique et aveugle des dispositions de la loi ».

C'est pourquoi il convient, au regard de cette jurisprudence, d'assouplir les conditions d'application de l'article 365 du code civil, afin d'éviter « une application mécanique et aveugle de la loi » et de réserver la possibilité aux juges de prononcer, lorsque l'intérêt supérieur de l'enfant le commande, une adoption simple au profit du concubin ou du partenaire du parent biologique, sans abandon automatique des droits d'autorité parentale du parent naturel.

La réalité de ces liens, que la Cour de cassation ne peut examiner en raison de ses compétences limitées en matière d'établissement des faits, doit pouvoir être établie de manière souveraine par les juges du fond (ce que d'ailleurs nombre d'entre eux font) sans que leur appréciation ne puisse être remise en cause de manière systématique par la haute juridiction, en raison de son appréciation in abstracto des dispositions de l'article 365 du code civil.

Il convient de noter que le droit international en matière d'adoption connaît une évolution favorable à la reconnaissance du droit à l'adoption des concubins et des partenaires liés par un PACS. Une telle possibilité est d'ailleurs expressément prévue dans le projet de révision de la Convention européenne du 24 avril 1967 en matière d'adoption des enfants, tel qu'adopté par le groupe de travail lors de sa 36 e réunion, tenue du 15 au 17 novembre 2006, et par le Comité européen de coopération juridique lors de sa 82 e réunion, tenue du 26 février au 1 er mars 2007.

Selon l'article 7 du projet de révision, la législation des États pourra étendre le droit à l'adoption aux couples mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré ensemble. Les États auront également la possibilité de l'étendre aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d'une relation stable.

Tirant les conséquences de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme et de l'évolution prévisible du droit international en la matière, cette proposition de loi a justement pour objet d'inscrire dans le code civil une atténuation au caractère automatique de l'abandon des droits d'autorité parentale du parent biologique lorsque l'enfant fait l'objet d'une adoption simple par le concubin ou le partenaire. Ainsi, le partage de l'autorité parentale ne sera plus réservé aux seules personnes unies par les liens du mariage.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le premier alinéa de l'article 365 du code civil est ainsi rédigé :

« L'adoptant est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l'adopté, à moins qu'il ne soit le conjoint, partenaire d'un pacte civil de solidarité, ou concubin, du père ou de la mère de l'adopté ; dans ce cas, l'adoptant a l'autorité parentale concurremment avec celui-ci, lequel en conserve seul l'exercice, sous réserve d'une déclaration conjointe avec l'adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d'un exercice en commun de cette autorité. »

* 1 Voir en ce sens TGI Paris, 27 juin 2001 ; TGI Clermont-Ferrand, 24 mars 2006 ; TGI Amiens, 14 février 2007.

* 2 Voir Civ, 1 ère , 20 février 2007 : « Mais attendu qu'ayant retenu à juste titre que Mme Y..., mère des enfants, perdrait son autorité parentale sur eux en cas d'adoption par Mme X..., alors qu'il y avait communauté de vie, puis relevé que la délégation de l'autorité parentale ne pouvait être demandée que si les circonstances l'exigeaient, ce qui n'était ni établi, ni allégué, et qu'en l'espèce, une telle délégation ou son partage étaient, à l'égard d'une adoption, antinomique et contradictoire, l'adoption d'un enfant mineur ayant pour but de conférer l'autorité parentale au seul adoptant, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ». Solution confirmée par plusieurs arrêts postérieurs : Civ, 1 ère , 19 décembre 2007 et Civ, 1 ère , 6 février 2008.

* 3 Cette possibilité a été consacrée par un arrêt de la Cour de cassation du 24 février 2006 et confirmée depuis à plusieurs reprises.

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