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N° 258

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 décembre 2015

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

visant à inscrire les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905 à l'article 1 er de la Constitution,

PRÉSENTÉE

Par MM. Jacques MÉZARD, Michel AMIEL, Guillaume ARNELL, Alain BERTRAND, Joseph CASTELLI, Yvon COLLIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, Philippe ESNOL, François FORTASSIN, Jean-Noël GUÉRINI, Robert HUE, Mmes Mireille JOUVE, Françoise LABORDE, Hermeline MALHERBE, MM. Jean-Claude REQUIER et Raymond VALL,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis la promulgation de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État, la France est un État laïc . En son article 2, cette loi précise que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » . Avec la Constitution du 27 octobre 1946 la laïcité devient un principe à valeur constitutionnelle : « La France est une République laïque » (article 1 er ), principe confirmé par la Constitution de la V ème République : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » Le régime de séparation ainsi mis en place par la loi de 1905 organise encore aujourd'hui les cultes en associations cultuelles, la gestion des lieux de culte ainsi que le statut des ministres du culte. Cette loi est donc une traduction concrète du principe de laïcité.

Alors que l'année 2015 marque le 110 ème anniversaire de la loi du 9 décembre 1905 et parce que cette loi, d'une grande modernité, est toujours nécessaire pour garantir la liberté de conscience de chacun et rassembler tous les Français au sein de la communauté nationale , les auteurs de la présente proposition de loi préconisent d'en inscrire les principes fondamentaux dans la Constitution pour conférer à ce texte plus de force politique et une plus grande portée juridique : si le principe de laïcité a déjà valeur constitutionnelle, il s'agit désormais d'en préciser le sens et les contours dès le texte fondamental en donnant une valeur constitutionnelle à la loi de 1905 .

La loi de 1905 a mis fin au régime des cultes reconnus : il n'y a plus de religion recevant une consécration légale et tous les cultes sont sur un pied d'égalité. En posant le principe de non-reconnaissance , la loi n'a pas pour autant institué une ignorance légale du fait religieux mais elle a simplement mis fin à l'opposition entre cultes reconnus et cultes non reconnus. Depuis 1905 l'État n'ignore plus aucun culte. Les cultes, en cessant d'être des institutions publiques, sont alors soumis au droit privé. L'article 2 de la loi de 1905 a ainsi prévu que les établissements publics du culte, jusque-là chargés de la gestion des lieux de culte, devaient être remplacés par des associations cultuelles qui relèvent de la loi de 1901 sur les associations. Le même article a inscrit dans la loi la suppression du financement public pour l'exercice du culte.

La loi de 1905 a organisé l'exercice du culte dans un cadre associatif : les cultes deviennent des associations spécifiques dans leur objet. La loi a créé le statut d'associations cultuelles, associations conformes à la loi du 1 er juillet 1901 réglant le régime général des associations, mais qui doivent respecter des obligations supplémentaires. Celles-ci doivent avoir « exclusivement pour objet l'exercice d'un culte » , elles ne peuvent pas recevoir « sous quelque forme que ce soit » des subventions de l'État ou des collectivités territoriales.

En vertu de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905, les associations cultuelles ne peuvent recevoir aucune subvention publique , directe ou indirecte. En effet, l'attribution d'une subvention pourrait être interprétée comme la reconnaissance officielle d'un culte, ce qui est exclu par la loi. En revanche, les associations cultuelles peuvent disposer de ressources et de financements privés : cotisations d'adhésion ou de renouvellement d'adhésion à l'association, produits des quêtes et des collectes pour les frais du culte, rétributions pour des cérémonies et des services religieux, etc. Néanmoins, malgré l'interdiction de subventions publiques, les associations cultuelles profitent d'aides indirectes qui ont été progressivement mises en place. Ainsi, la législation fiscale qui leur est appliquée est avantageuse.

La loi de 1905 et le principe de la séparation des Églises et de l'État ont conduit à la redéfinition des règles concernant le régime de propriété, de jouissance et d'entretien des édifices cultuels . Enfin, depuis l'adoption de cette loi, l'État a cessé de salarier et de rémunérer les ministres des cultes reconnus. En régime de séparation, il n'y a plus, à proprement parler, de statut spécifique des ministres du culte qui se voient appliquer le droit commun en vigueur pour tout individu sur le territoire français.

La laïcité, principe cardinal de notre identité, participe à la protection et au respect d'autres principes constitutionnels, et en premier lieu, la liberté de conscience , principe inscrit à l'article 10 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi . » Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, également érigé la liberté de conscience en principe fondamental reconnu par les lois de la République 1 ( * ) . Il faut noter que dans le cadre du référé-liberté, le Conseil d'État a, en outre, qualifié la liberté de culte de liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative 2 ( * ) .

Il faut aussi rappeler que, votée dans un contexte politique tendu, dans le cadre de l'installation et de la pérennisation de la République, la loi du 9 décembre 1905 est le fruit d'une longue maturation qui intervient après la laïcisation de l'enseignement dans les années 1880. Elle est aujourd'hui au fondement même des relations de l'État et des citoyens. Le principe de laïcité de l'État, qui intéresse les relations entre les personnes publiques et les particuliers, et le principe de neutralité des services publics, corollaire du principe d'égalité qui régit le fonctionnement des services publics, impliquent une conception exigeante de l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Faut-il rappeler une nouvelle fois que la laïcité ne s'oppose pas aux religions ?..., mais qu'elle garantit la neutralité de l'État vis-à-vis de toutes les religions et assure une stricte séparation du fait religieux entre sphère publique et sphère privée : chacun est libre de croire ou de ne pas croire, et cette liberté de conscience s'exprime librement dans la sphère privée. C'est pourquoi, il est essentiel pour la République d'appliquer avec rigueur le texte de la loi du 9 décembre 1905 : la loi de 1905, toute la loi de 1905, rien que la loi de 1905 .

Cent dix ans plus tard, le contexte dramatique des événements de janvier et novembre 2015 a rappelé l'importance du principe de laïcité comme principe constitutif de la construction et de l'identité même de notre République : cela doit être plus que jamais réaffirmé, proclamé et précisé, et ce contre toute autre forme de renoncement intellectuel ou d'interprétation volontairement ambiguë à des fins partisanes. Le principe de laïcité, tel qu'il est exprimé dans la loi de 1905, ne doit souffrir aucune contestation, et c'est la raison pour laquelle il apparaît fondamental aux auteurs de la présente proposition de loi d'inscrire dans la Constitution les principes fondamentaux de la loi du 9 décembre 1905.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Après le premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La République assure la liberté de conscience, garantit le libre exercice des cultes et respecte la séparation des Églises et de l'État, conformément au titre premier de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État. »


* 1 CC, 23 novembre 1977, Liberté d'enseignement, n°77-87 DC.

* 2 JRCE, 16 févr. 2004, M. B., n° 264314 .

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