N° 303 rect.

SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 7 avril 1999.

PROPOSITION DE LOI

relative à la reconnaissance de la spécificité des responsabilités des élus locaux et à la sauvegarde de la démocratie locale,

PRÉSENTÉE

Par MM. Alain VASSELLE, Jean-Paul AMOUDRY, Pierre ANDRÉ, Philippe ARNAUD, Bernard BARRAUX, Jean BERNARD, Daniel BERNARDET, Roger BESSE, Jean BIZET, Paul BLANC, Christian BONNET, James BORDAS, Joël BOURDIN, Jean BOYER, Jean-Guy BRANGER, Gérard BRAUN, Mme Paulette BRISEPIERRE, MM. Louis de BROISSIA, Michel CALDAGUÈS, Robert CALMEJANE, Gérard CÉSAR, Jean CHÉRIOUX, Gérard CORNU, Charles-Henri de COSSÉ-BRISSAC, Jean-Patrick COURTOIS, Xavier DARCOS, Philippe DARNICHE, Luc DEJOIE, Jacques DELONG, Fernand DEMILLY, Christian DEMUYNCK, Charles DESCOURS, André DILIGENT, Michel DOUBLET, Alain DUFAUT, Xavier DUGOIN, Jean-Léonce DUPONT, Daniel ECKENSPIELLER, Michel ESNEU, Hilaire FLANDRE, Serge FRANCHIS, Alfred FOY, Yann GAILLARD, Jean-Claude GAUDIN, Patrice GELARD, Alain GERARD, François GERBAUD, Charles GINÉSY, Daniel GOULET, Alain GOURNAC, Louis GRILLOT, Georges GRUILLOT, Emmanuel HAMEL, Mme Anne HEINIS, MM. Rémi HERMENT, Jean-Paul HUGOT, Roger HUSSON, André JOURDAIN, Gérard LARCHER, Robert LAUFOAULU, René-Georges LAURIN, Henri LE BRETON, Dominique LECLERC, Jacques LEGENDRE, Guy LEMAIRE, Marcel LESBROS, Roland du LUART, Jacques MACHET, Kléber MALÉCOT, Philippe MARINI, Pierre MARTIN, Serge MATHIEU, Jean-Luc MIRAUX, Louis MOINARD, René MONORY, Georges MOULY, Paul NATALI, Mme Nelly OLIN, MM. Joseph OSTERMANN, Michel PELCHAT, Jacques PEYRAT, Bernard PLASAIT, Jean-Marie POIRIER, Victor REUX, Charles REVET, Louis-Ferdinand de ROCCA SERRA, Jean-Jacques ROBERT, Henri de RICHEMONT, Bernard SEILLIER, Michel SOUPLET, Louis SOUVET, Martial TAUGOURDEAU, René TRÉGOUËT, Jacques VALADE, André VALLET, Serge VINÇON et Guy VISSAC.

Sénateurs. '

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Collectivités territoriales. - Élus locaux - Responsabilité pénale - Code général des collectivités territoriales.

EXPOSE DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

La décennie qui va s'achever a vu la multiplication des cas de mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux, en particulier des maires. Ces dernières semaines, ce rythme a semblé s'accélérer avec la mise en examen, notamment, de seize maires de petites communes de l'Oise pour délit de favoritisme en matière de marchés publics.

Cette situation, avec la stigmatisation des personnes concernées qu'elle entraîne dans l'opinion alors qu'il n'y a pas soupçon d'enrichissement personnel nous force à prendre conscience de l'insuffisance des dispositions législatives actuelles dans ce domaine et, d'une manière plus générale, de l'absence d'un véritable statut de l'élu, malgré la qualité des réflexions sur le sujet et le vote des textes qui les ont suivies. Je pense, en particulier, à la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence qui résulte d'une proposition de loi sénatoriale dont le premier signataire fut M. Jacques Larché, président de la commission des Lois. Il convient de rappeler aussi qu'elle était le résultat des conclusions du groupe de travail sur la responsabilité pénale des élus locaux, présidé par M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des Maires de France, et dont le rapporteur était M. Pierre Fauchon.

Les raisons de l'accroissement de la mise en cause de la responsabilité pénale des élus sont parfaitement identifiées : la multiplication des textes législatifs et réglementaires auxquels s'ajoutent directives et règlements européens qu'il est extrêmement difficile de connaître, et donc de maîtriser, surtout pour des maires ruraux qui n'ont pas les moyens matériels de s'entourer d'une assistance juridique suffisante, qui doivent souvent continuer, parallèlement, leur activité professionnelle, alors même que les lois de décentralisation ont accru les compétences des collectivités territoriales.

Ce n'est bien évidemment pas le fruit du hasard si, dans les chiffres qui ont été cités précédemment concernant les maires mis en examen dans le département de l'Oise pour délit de favoritisme en matière de marchés publics, sur les seize, quinze sont maires de communes de moins de 1200 habitants.

Ainsi, on demande de plus en plus de compétences à un élu local qui n'en peut, mais sans lui offrir ni les moyens pour les exercer dans de bonnes conditions, ni les garanties pour pouvoir les assumer. Comme le déclarait fort justement notre collègue, M. Gérard Larcher, « les maires sont, en quelque sorte, les bonnes à tout faire de la République ».

Or, la conjonction de l'ensemble de ces facteurs fait courir un risque au principe même de démocratie locale. Devant le risque pénal encouru, l'élu peut céder soit au découragement et ne plus se représenter - selon l'AMF, en 1989, 40 % des maires avaient choisi de ne pas solliciter le renouvellement de leur mandat, ils seraient désormais près de 50 % pour 2001, selon un sondage récent du Courrier des Maires et seulement 25 % des maires des communes de moins de 500 habitants souhaiteraient à nouveau se présenter devant leurs concitoyens selon IPSOS -, soit à la tentation de l'immobilisme, pour minimiser ledit risque. Cela pourrait ainsi provoquer la professionnalisation de cette fonction, les personnes ayant une véritable compétence technique osant seules présenter leur candidature. Qu'en serait-il alors du libre accès aux fonctions électives ?

Pour éviter cet écueil, sans pour autant s'exposer à la critique de la création d'une justice particulière, d'un privilège au sens étymologique du mot, pour les élus locaux, la voie est plus qu'étroite.

On rappellera que, pour certains juristes, reprenant en cela l'opinion commune, la loi du 13 mai 1996 aux ambitions pourtant limitées, instaure une rupture d'égalité entre les citoyens devant la loi au profit des élus locaux. Ainsi, quoi que le législateur entreprenne dans ce domaine, cela sera perçu comme l'expression d'une volonté d'instaurer un privilège injustifié en faveur des élus, ses pairs, par rapport au reste de la population.

C'est pourquoi la présente proposition de loi prévoit, pour tous les exécutifs locaux, car même si ce sont les maires des petites communes qui sont le plus concernés par ce problème, car disposant le moins de moyens, il ne semble pas pertinent de réserver à une catégorie d'élus seulement le bénéfice de ces dispositions, la saisine immédiate du Conseil d'Etat, lorsqu'un élu est susceptible d'être mis en cause pénalement, afin qu'il désigne dans un délai très bref -soixante-douze heures - un tribunal administratif chargé de déterminer si ledit élu a commis ou non une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.

Le rôle dévolu au Conseil d'Etat est important dans la mesure où il doit permettre de « dépassionner » l'affaire et de favoriser la sérénité de la justice en désignant un tribunal administratif suffisamment éloigné des pressions locales de tous ordres.

Certains estimeront, sans doute, que c'est revenir soixante-cinq ans en arrière, avant l'intervention de l'arrêt Thepaz du 14 janvier 1935 du tribunal des conflits. Celui-ci avait conclu, en effet, que l'infraction pénale commise par un fonctionnaire - et non un élu - dans l'exercice de ses fonctions, n'était pas forcément constitutive d'une faute personnelle. Elle pouvait donc être considérée comme une faute de service engageant alors la responsabilité de l'administration.

Mais la solution que je vous propose semble, à l'examen, à la fois la plus sage, la plus efficace et la plus rapide. Elle sera la plus rapide car la procédure sera enserrée dans des délais extrêmement brefs. Elle sera la plus efficace et la plus sage car l'ordre administratif est plus à même d'évaluer de manière équilibrée les contraintes qui pèsent sur les élus locaux.

Le tribunal administratif aura un mois pour se prononcer. A l'issue de ce délai, s'il conclut à l'existence d'une faute détachable, l'élu pourra être mis en cause pénalement comme n'importe quel citoyen. Il ne bénéficiera alors d'aucun privilège spécifique. Les présentes dispositions ne peuvent sur ce point encourir le même reproche que la loi du 13 mai 1996. S'il n'y a pas faute détachable, il appartiendra au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître.

Dans la mesure où c'est le procureur de la République qui, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, reçoit les plaintes et les dénonciations, il semble pertinent que ce soit lui qui saisisse le Conseil d'Etat.

La présente proposition de loi se compose donc de cinq articles :


• L'article 1 er réécrit l'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales institué par la loi du 13 mai 1996 et concerne les maires et les élus les suppléant.


• L'article 2 modifie l'article L. 3123-28 du même code et est relatif aux présidents de conseil général et aux élus les suppléant.


• L'article 3 applique le même dispositif aux présidents de conseil régional et aux vice-présidents ayant reçu une délégation en réécrivant l'article L. 4135-28 du code général des collectivités territoriales.


• L'article 4 a pour objet d'étendre les dispositions de la proposition de la loi aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.


• L'article 5 précise que les modalités d'application desdites dispositions seront fixées par décret.

Ainsi, cette proposition de loi n'a pas pour objet d'exonérer les élus locaux de toute responsabilité mais, au contraire, de mieux identifier celle-ci, pour qu'il n'y ait plus amalgame entre les élus, peu nombreux, qui ont abusé de leurs fonctions pour commettre des actes délictueux et ceux qui, par manque de moyens et méconnaissance des textes et des procédures, ont pu enfreindre ceux-ci et celles-là.

Telles sont les raisons pour lesquelles il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de loi suivante.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

L'article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :

« Art. L. 2123-34. - Dès qu'un maire ou un élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la République afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.

« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.

« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le maire ou l'élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation peut être mis en cause pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. »

Article 2

L'article L. 3123-28 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L. 3123-28. - Dès qu'un président de conseil général ou un vice-président ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur de la République afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.

« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.

« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le président de conseil général ou le vice-président ayant reçu une délégation peut être mis en cause pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. »

Article 3

L'article L. 4135-28 du même code est ainsi rédigé :

« Art. L 4135-28. - Dès qu'un président de conseil régional ou un vice-président ayant reçu une délégation est susceptible d'être mis en cause pénalement, le Conseil d'Etat est saisi sans délai par le procureur afin de désigner dans les soixante-douze heures un tribunal administratif chargé de déterminer si l'élu concerné a commis une faute détachable de l'exercice de ses fonctions.

« Le tribunal administratif dispose d'un mois pour statuer.

« S'il conclut à l'existence d'une faute détachable, le président de conseil régional ou le vice-président ayant reçu une délégation peut être mis en cause pénalement dans les conditions de droit commun. Dans le cas contraire, c'est au tribunal administratif territorialement compétent d'en connaître, conformément aux dispositions de l'article L. 3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. »

Article 4

La présente loi est applicable aux territoires d'outre-mer et à la collectivité territoriale de Mayotte.

Article 5

Les modalités d'application de la présente loi sont déterminées par décret.

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