N° 444

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 22 juin 1999

PROPOSITION DE LOI

relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane,

PRESENTÉE

PAR M. SERGE LAGAUCHE, MME DINAH DERYCKE

et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2),

Sénateurs.

(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

(1) Ce groupe est composé de : MM. Guy Allouche, Bernard Angels, Henri d'Attilio, Bertrand Auban, François Autain, Robert Badinter, Jean-Pierre Bel, Jacques Bellanger, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Jean Besson, Pierre Biarnès, Marcel Bony, Mme Yolande Boyer, MM. Jean-Louis Carrère, Bernard Cazeau, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Gilbert Chabroux, Michel Charasse, Marcel Charmant, Michel Charzat, Raymond Courrière, Roland Courteau, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Mmes Dinah Derycke, Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Claude Domeizel, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Claude Estier, Léon Fatous, Serge Godard, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Roger Hesling, Roland Huguet, Alain Journet, Philippe Labeyrie, Serge Lagauche, Roger Lagorsse, André Lejeune, Louis Le Pensec, Philippe Madrelle, Jacques Mahéas, François Marc, Marc Massion, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Jean-Marc Pastor, Guy Penne, Daniel Percheron, Jean-Claude Peyronnet, Jean-François Picheral, Bernard Piras, Jean-Pierre Plancade, Mmes Danièle Pourtaud, Gisèle Printz, MM._Paul Raoult, Roger Rinchet, Gérard Roujas, André Rouvière, Claude Saunier, Michel Sergent, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Simon Sutour, Michel Teston, Pierre-Yvon Trémel, André Vézinhet, Marcel Vidal et Henri Weber.

(2) Apparentés : MM. Rodolphe Désiré, Dominique Larifla et Claude Lise.

Patrimoine.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le souci de la protection du patrimoine mobilier s'est développé en France à partir de la fin du siècle dernier. Ce souci a coïncidé avec l'enrichissement considérable des Etats-Unis et les achats de plus en plus importants d'oeuvres d'art européennes, notamment françaises, opérés par les collectionneurs.

L'État a alors mis en place un arsenal juridique et réglementaire qui comprenait :

- le droit de préemption dans les ventes publiques ;

- le droit de rétention en douane, c'est-à-dire l'obligation pour le propriétaire d'un objet exporté de le céder à l'État au prix déclaré en douane (loi du 23 janvier 1941) ;

- le droit d'interdire purement et simplement, sans contrepartie, l'expatriation d'un objet pour une durée illimitée (loi du 23 janvier 1941) ;

- le droit de classer d'office un objet au titre des monuments historiques, même sans l'accord du propriétaire, par décret en Conseil d'État.

La constitution par l'Union européenne d'un marché unique à partir du 1er janvier 1993 a rendu nécessaire la révision de cette législation étroitement protectionniste, devenue incompatible avec l'ouverture des frontières intracommunautaires et l'abrogation des droits de douane entre les pays membres. Toutefois, l'article 36 du traité de Rome prévoit des exceptions au principe de la libre circulation des marchandises, qui sont justifiées par des raisons de " protection des Trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ".

Chaque État peut donc appliquer sur le territoire national sa propre définition des Trésors nationaux, mais dès lors que l'objet en est sorti, il ne sera réellement protégé que s'il répond à la définition donnée, d'une part, par le règlement du Conseil du 9 décembre 1992 concernant l'exportation hors des frontières communautaires des biens culturels, et, d'autre part, par la directive du 15 mars 1993 sur les restitutions des biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre.

C'est pourquoi le législateur français a calqué le champ d'application du nouveau système de protection qu'il a instauré par la loi du 31 décembre 1992 (complétée par la loi du 8 août 1994), sur celui de la Communauté : mêmes définitions, mêmes seuils d'ancienneté et de valeur.

La loi du 31 décembre 1992, actuellement applicable, a abrogé la loi de 1941, en supprimant la procédure de rétention en douane et l'interdiction unilatérale et indéfinie d'exporter. Mais elle oblige le propriétaire d'un objet qui relève de l'une des 14 catégories énumérées par le règlement européen de 1992, à demander un certificat d'autorisation pour la sortie du territoire. En cas d'exportation, le certificat est préalable à l'obtention de la licence.

La durée de validité du certificat est de 5 ans. En cas de refus, l'État dispose d'un délai de 3 ans soit pour acheter l'oeuvre, soit pour la classer au titre des monuments historiques, classement qui ouvre au propriétaire de l'oeuvre un droit à indemnité. Si au bout de 3 ans, l'État n'a pas acheté l'oeuvre et si une nouvelle demande de certificat est déposée et que l'État n'achète toujours pas ni ne classe l'oeuvre avant l'échéance des 4 mois prévus pour le traitement du dossier, le certificat ne peut être refusé.

La loi de 1992 devait permettre de réaliser un difficile compromis entre la volonté de l'État de maintenir sur le territoire des oeuvres essentielles et la nécessité de ne pas entraver le commerce des oeuvres d'art. Cinq années d'expérience de l'application de cette loi donnent à porter sur elle une appréciation objective, mettant en évidence les limites du dispositif :

- le refus de certificat n'est valable que 3 ans. A l'issue de ces 3 ans, le Trésor national devient paradoxalement exportable s'il n'a pas fait l'objet d'une acquisition ou d'un classement par l'État_;

- il n'existe aucune obligation pour le propriétaire de vendre à l'État le Trésor national qu'il détient ;

- la loi ne prévoit aucun dispositif permettant d'évaluer au juste prix les oeuvres que l'État souhaite acquérir.

Le système devient ainsi largement inopérant, faute pour l'État de disposer de moyens d'acquisition proportionnés à la valeur des oeuvres déclarées Trésors nationaux.

En effet, l'indemnité de classement d'un tableau de Van Gogh octroyé par l'arrêt en date du 6 juillet 1994 de la cour d'appel de Paris (arrêt Walter) a représenté 145 millions de francs, l'équivalent d'une année des crédits d'acquisition accordés par l'État à la direction des musées en France.

La présente proposition de loi vise à favoriser l'acquisition, par la puissance publique, des Trésors nationaux, à un prix fixé par référence au marché international, de sorte que les prérogatives reconnues à l'État pour assurer la protection du patrimoine national ne puissent en aucun cas entraver le libre-jeu du marché de l'art en pesant sur les cours.

Plusieurs dispositions permettront d'atteindre cet objectif :

1° L'augmentation de la durée de validité du certificat d'exportation de biens culturels qui n'ont pas le caractère d'un trésor national, dont la durée actuelle de 5 ans se révèle trop contraignante et présente le risque de dissuader les achats d'oeuvres d'art en France par les collectionneurs étrangers (art. 3-I) ;

2° L'exclusion du régime de protection des biens culturels importés temporairement à l'occasion d'un prêt pour exposition, d'un changement de résidence ou pour être vendus sur le territoire français (art. 3-II) ;

3° La création d'une procédure d'acquisition de gré à gré des Trésors nationaux, proche de celle qui a fait ses preuves au Royaume-Uni : à défaut d'accord amiable, deux experts sont désignés, l'un par l'État, l'autre par le propriétaire, qui rendent leur avis sur la valeur de l'oeuvre. En cas de divergence, un tiers expert, à l'avis déterminant, sera désigné d'un commun accord, ou bien par l'autorité judiciaire. La valeur de l'oeuvre étant déterminée, la personne publique pourra soit renoncer à l'acquisition, auquel cas l'oeuvre devient librement exportable, soit poursuivre l'acquisition à la valeur de l'expertise (art. 1er).

Cette procédure d'acquisition pour l'entrée de l'oeuvre dans les collections publiques ne concernera que quelques biens d'une valeur exceptionnelle. A cet égard, il convient de rappeler que, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1992, 11_288 demandes de certificats ont été présentées, dont seulement 0,4_% (46 oeuvres) ont fait l'objet d'un refus.

Enfin, des certificats pour des oeuvres de Cézanne, de Degas, de Picasso, de Renoir, arriveront à expiration dans le courant de l'année 1999 et pourraient conduire l'État à engager des sommes importantes, sans pour autant devenir propriétaire du bien, d'où l'urgence de modifier la loi de 1992.

PROPOSITION DE LOI

Article 1 er

Le second alinéa de l'article 9 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane est remplacé par les aliénas suivants :

" En cas de refus du certificat d'exportation, et en l'absence de classement ou de revendication du bien par l'Etat, ce dernier notifie, dans le délai de validité du refus de certificat, au propriétaire, une proposition d'acquisition, dans le seul intérêt des collections publiques, à une valeur déterminée.

" A défaut d'accord amiable dans un délai de trois mois à compter de cette notification, deux experts sont désignés, l'un par l'autorité administrative, l'autre par le propriétaire du bien. En cas de carence dans la désignation des experts, celle-ci est prononcée par l'autorité judiciaire à la demande, soit de l'Etat, soit du propriétaire. Ces deux experts, qui se font présenter le bien, en déterminent la valeur dans un rapport conjoint.

" Si les conclusions des experts sont divergentes, et à défaut de désignation amiable, la partie la plus diligente sollicite du président du tribunal de grande instance, statuant en la forme des référés, la désignation d'un troisième expert qui accomplit sa mission dans les conditions définies au précédent alinéa et dont l'avis est déterminant.

" Si, dans un délai de deux mois à compter de la notification faite à l'autorité administrative de l'expertise définitive, l'État n'a pas notifié au propriétaire son intention d'acquérir le bien à la valeur d'expertise, le bien peut être exporté librement, à l'issue du délai prévu au premier alinéa.

" En cas de proposition d'acquisition du bien à la valeur d'expertise par l'Etat, le propriétaire fait connaître son accord ou son refus de vendre le bien dans un délai de deux mois à compter de la notification de la proposition d'acquérir. Le silence du propriétaire, à l'issue de ce délai, équivaut à un refus de vendre.

" En cas de refus de vendre ou de désaccord sur les conditions de la vente indiquées dans la notification prévue au précédent alinéa, le refus de délivrance du certificat peut être réitéré à l'échéance des trois ans autant de fois qu'il est nécessaire.

" En cas d'acquiescement, le propriétaire est tenu de maintenir l'oeuvre en France jusqu'au transfert de propriété du bien, consécutif au paiement, lequel doit intervenir, à peine de résolution de la vente, dans un délai d'un an à compter de la réception de l'acquiescement du propriétaire.

" Dans tous les cas, le propriétaire est tenu de maintenir le bien en France à compter de la notification de la proposition d'acquisition prévue au deuxième alinéa et jusqu'au terme de la procédure d'acquisition.

" L'État pourra procéder à l'acquisition du bien à la demande et pour le compte de toute collectivité publique, dans les conditions précisées aux précédents alinéas. "

Article 2

I. - Après l'article 9 de la même loi, il est inséré quatre articles 9-1 à 9-4 ainsi rédigés :

" Art. 9-1. - L'acquéreur, le donataire, le copartageant, l'héritier ou le légataire d'un bien culturel reconnu trésor national et non classé en application de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ou de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives doit, dans le délai de trois mois suivant la date de l'acte constatant la mutation, le partage ou la déclaration de succession, aviser l'État qu'il en est devenu propriétaire.

" Art. 9-2. - Tout propriétaire qui aliène un bien culturel reconnu trésor national et non classé en application de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ou de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives est tenu de faire connaître à l'acquéreur l'existence de la procédure et des décisions prévues à l'article 9.

" Art. 9-3. - L'autorité administrative établit la liste des biens culturels reconnus trésors nationaux et non classés en application de la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques ou de la loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 sur les archives. La communication des données de cette liste s'effectue dans les conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat.

" Art. 9-4. - Est nulle toute aliénation du bien consentie par le propriétaire ou ses ayants-cause après l'acceptation de l'offre d'achat prévue aux alinéas 2 et 5 de l'article 9.

" L'action en nullité se prescrit par six mois à compter du jour où l'État a eu connaissance de la vente. Elle ne peut être exercée que par le ministre chargé de la culture.

Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'application du présent article.

Article 3

L'article 5 de la même loi est ainsi modifié :

I. - Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

" Le certificat atteste que le bien n'a pas le caractère de trésor national. Pour les biens d'une ancienneté supérieure à cent ans à la date de la demande, la durée de validité du certificat est illimitée. Pour les biens d'une ancienneté inférieure ou égale à cent ans à la date de la demande, la durée de validité du certificat est de vingt années ; il est renouvelable. "

II. - Après le deuxième alinéa, il est inséré un nouvel alinéa ainsi rédigé :

" La sortie des biens culturels importés ou introduits temporairement en France n'est pas soumise à la procédure mentionnée au premier alinéa du présent article. "

Article 4

L'article 7 de la même loi est ainsi modifié :

I. - Le deuxième alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :

" Il est accordé de plein droit aux biens culturels licitement introduits ou importés en France depuis moins de cinquante ans. "

II. - Dans la première phrase du quatrième alinéa, après les mots : " par décret en Conseil d'État ", insérer le mot : " paritairement ".

Article 5

A l'article 215 ter du code des douanes, après les mots ; " soit des documents attestant que ces marchandises peuvent quitter le territoire douanier en conformité avec les dispositions portant prohibition d'exportation ", insérer les mots : " soit tout document prouvant que ces biens ont été importés temporairement d'un autre État membre de la Communauté européenne, ".

Article 6

Les dispositions de la présente loi sont applicables aux biens culturels qui font l'objet du certificat mentionné à l'article 5 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 modifiée relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane ou d'un refus de certificat décidé à la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

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