N° 28

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2004-2005

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 octobre 2004

PROPOSITION DE

RÉSOLUTION

présentée au nom de la commission des finances (1), en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le contrôle légal des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE et 83/349/CEE (n° E-2554),

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Finances, du Contrôle budgétaire et des Comptes économiques de la Nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement).

Entreprises.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi, au titre de l'article 88-4 de la Constitution, de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le contrôle légal des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE et 83/349/CEE (n° E 2554).

Cette proposition de directive, qui s'inscrit dans la continuité des dix priorités en vue de l'amélioration et de l'harmonisation de la qualité du contrôle légal des comptes dans l'ensemble de l'Union, que la Commission européenne a présentées le 21 mai 2003 concomitamment à son plan d'action pour la modernisation du droit des sociétés et le gouvernement d'entreprise, poursuit deux objectifs :

- définir un cadre rigoureux à l'échelle européenne pour le contrôle légal des comptes, la directive 83/349/CEE de 1983 comportant peu de dispositions tendant à réguler l'activité des cabinets d'audit et ne répondant plus aux exigences contemporaines de renforcement de la confiance dans l'information financière ;

- jeter les fondements d'une coopération internationale effective et équilibrée dans ce domaine, permettant notamment aux Etats membres de conduire un dialogue constructif avec les autorités américaines, fondé sur la réciprocité, afin de répondre aux inquiétudes suscitées par le caractère extraterritorial de la loi Sarbanes-Oxley.

Cette proposition de directive revêt donc une importance particulière et s'inscrit dans le droit fil des objectifs poursuivis à l'échelle nationale par la loi n° 2003-706 du 1er août 2003 de sécurité financière.

Il convient de se féliciter et de soutenir cette initiative, qui concerne le contrôle légal des comptes, défini comme le contrôle des comptes annuels ou des comptes consolidés des entités couvertes par les directives du droit communautaire.

Cela étant, le texte proposé mériterait sans doute d'être précisé, amodié ou renforcé sur cinq points qui sont successivement évoqués ci-après, au fil de la présentation de ses principales dispositions.

1. L'agrément des contrôleurs légaux des comptes

L' article 2 du projet de directive introduit la distinction en droit communautaire entre le contrôleur légal des comptes (personne physique) et le cabinet d'audit (personne morale), et précise que la directive s'applique aux entités d'intérêt public entendues comme les entreprises cotées, les banques, les assurances et toutes les autres entités que les Etats membres pourraient souhaiter inclure.

Les articles 3 à 14 , qui reprennent pour l'essentiel les exigences actuelles de la huitième directive 84/253/CEE du Conseil du 10 avril 2004 concernant l'agrément des personnes chargées du contrôle légal des documents comptables, précisent les conditions d'agrément et de reconnaissance mutuelle des contrôleurs légaux.

La principale novation de ces articles consiste à prévoir que le capital des cabinets d'audit doit être détenu majoritairement par des contrôleurs légaux ou d'autres cabinets agréés dans n'importe quel Etat membre.

Il convient de se féliciter de l'ouverture du capital des cabinets d'audit à des contrôleurs légaux d'autres Etats membres, car elle est de nature à permettre l'émergence de grands cabinets d'audit européens.

Cependant, on peut regretter que la proposition de directive permette que des cabinets d'audit soient détenus jusqu'à 49 % par des personnes physiques ou morales (notamment des banques) n'ayant pas la qualité de contrôleur légal, car cette faculté peut conduire à des conflits d'intérêt. Il serait ainsi opportun que la législation communautaire reprenne le seuil maximum de 25 % qui prévaut dans la réglementation française.

Enfin, les articles 15 à 20 prévoient l'enregistrement des contrôleurs légaux agréés dans un registre électronique.

2. Les obligations des contrôleurs légaux des comptes en matière d'éthique, d'indépendance, de qualité et d'assurance

Les articles 21 à 29 du projet de directive précisent successivement les obligations des contrôleurs légaux des comptes en matière d'éthique et de secret professionnel (articles 21 et 22), d'indépendance (articles 23 à 25), de normes de qualité (articles 26 à 28), enfin d'assurance qualité (article 29).

Ces dispositions constituent d'indéniables avancées, mais elles demeurent en retrait par rapport aux pratiques françaises et aux dispositions de la loi de sécurité financière en matière de commissariat aux comptes, même si elles en partagent l'esprit.

On peut ainsi regretter que la Commission européenne ne promeuve pas le co-commissariat aux comptes pour les entités concernées par la directive, c'est à dire les sociétés cotées, les banques et les assurances : cette pratique constitue en effet une garantie pour leurs actionnaires, leurs salariés, leurs clients, leurs créanciers et leurs fournisseurs.

On peut surtout regretter que l'article 23 se contente de préciser que le contrôleur légal ou le cabinet d'audit « ne doit pas procéder au contrôle légal des comptes d'une entité avec laquelle il entretient une relation financière, d'affaires, d'emploi ou de toute autre nature, en ce compris la fourniture de services complémentaires, pouvant compromettre son indépendance ». En d'autres termes, la fourniture de services complémentaires est a priori autorisée si elle ne compromet pas l'indépendance du contrôleur légal ou du cabinet d'audit.

Cette disposition relativement floue et peu opérationnelle prête le flanc aux abus et s'inscrit en net retrait par rapport à la séparation complète des activités d'audit et de conseil instituée en France par la loi de sécurité financière, précitée. L'article L. 822-11 du code de commerce interdit en effet au contrôleur légal ou au cabinet d'audit qui procède au contrôle légal des comptes d'une entité de fournir à cette entité tout conseil ou toute autre prestation de services n'entrant pas dans les diligences directement liées à la mission de contrôleur légal des comptes. Le périmètre précis de ces prestations doit par ailleurs être défini par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes et validé par le Haut conseil du commissariat aux comptes.

En outre, l'adoption de cette disposition pourrait conduire à de réelles distorsions de concurrence au sein de l'Union européenne, au détriment notamment des cabinets d'audit français, soumis à une législation beaucoup plus stricte.

3. Les obligations des entités contrôlées

Les articles 35 à 43 du projet de directive précisent notamment les modalités de désignation et de révocation des contrôleurs légaux par les entités contrôlées et les modalités de communication entre les contrôleurs légaux et les entités contrôleurs, et tendent à prévoir la publication par les contrôleurs légaux de « rapports de transparence », ainsi que la création de comités d'audit indépendants au sein des entités contrôlées, ce qui contribuerait à améliorer la législation française.

On ne peut là encore qu' approuver l'esprit de ces dispositions, qui visent à garantir effectivement la qualité du contrôle des contrôleurs légaux. Et on peut s'étonner de la position du gouvernement français , qui s'oppose à l'inscription dans la loi des comités d'audit, en se fondant sur les principes d'unité et de collégialité du conseil d'administration, d'une part, de libre administration des entreprises, d'autre part.

Cela étant, il conviendrait sans doute de préciser que ces comités d'audit, composé de membres du conseil de surveillance ou de membres non exécutifs de l'organe d'administration, ne sauraient comprendre des administrateurs salariés (par exemple le directeur financier) et ce, afin de garantir leur indépendance et leur objectivité.

4. L'organisation de la supervision du contrôle légal

Les articles 30 à 34 énoncent les principes et les objectifs devant guider les systèmes de supervision publique du contrôle légal des comptes : mise en oeuvre d'un dispositif efficace d'enquête et de sanction, direction du système de supervision majoritairement par des non praticiens (comme c'est déjà le cas en France où seuls trois des treize membres du haut conseil du commissariat aux comptes sont eux-mêmes des commissaires aux comptes), coopération entre les organes de supervision des différents Etats membres et reconnaissance mutuelle des dispositions réglementaires.

Enfin, les articles 44 à 47 traitent des aspects internationaux, et plus particulièrement des relations entre les systèmes de supervision des pays membres de l'Union européenne et de ceux des pays tiers. En particulier, l'article 46 prévoit que tout accord de coopération passé entre les Etats membres et les autorités compétentes des pays tiers (notamment des Etats-Unis) respecte un cadre européen commun, fondé sur un principe de réciprocité et de reconnaissance mutuelle des systèmes de supervision .

Ainsi, la procédure d'enregistrement des auditeurs et cabinets d'un pays tiers, qui vise principalement les Etats-Unis, ne serait pas requise lorsque le système de supervision publique, d'assurance qualité et de sanction du pays tiers serait reconnu comme offrant des garanties équivalentes aux garanties communautaires.

Ces dispositions, auxquelles pourrait s'opposer le Royaume-Uni, constituent pourtant une réponse appropriée à l'échelle de l'Union aux inquiétudes résultant du caractère extraterritorial de la loi Sarbanes-Oxley , de nature à désamorcer les conflits de normes tout en prévenant des négociations bilatérales. Elles doivent donc être soutenues .

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant le contrôle légal des comptes annuels et des comptes consolidés et modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE et 83/349/CEE (n° E 2554) ;

Approuve les objectifs de cette directive, qui vise à renforcer le contrôle légal des comptes au sein de l'Union européenne et à jeter les fondements d'une coopération internationale effective et équilibrée dans ce domaine ;

Demande toutefois au Gouvernement de s'efforcer, dans la mesure du possible :

- de veiller à ce que la directive prévienne plus efficacement les conflits d'intérêt en interdisant au contrôleur légal ou au cabinet d'audit qui procède au contrôle légal des comptes d'une entité de fournir à cette entité tout conseil ou toute autre prestation de services n'entrant pas dans les diligences directement liées à la mission de contrôleur légal des comptes ;

- de promouvoir le co-contrôle légal des comptes ;

- de réclamer que ne puissent être agréés par les autorités compétentes des Etats membres que les cabinets d'audit dont les trois-quarts des droits de votes, et non plus seulement la majorité de ces mêmes droits, sont détenus par des contrôleurs légaux ou des cabinets d'audits agréés ;

- de s'opposer à ce que soit le cas échéant remis en cause, au cours de la négociation de la proposition de directive, les dispositions de cette directive tendant à ce que tout accord de coopération qui serait passé entre un Etat membre et des pays tiers respecte un cadre européen fondé notamment sur le principe de réciprocité ;

Demande en outre au Gouvernement :

- de ne pas s'opposer aux dispositions de la proposition de directive tendant à rendre obligatoire la création de comités d'audit dans les sociétés cotées, les banques et les assurances ;

- de réclamer en revanche que ces comités d'audit ne puissent comporter d'administrateurs salariés parmi leurs membres, afin de garantir pleinement leur indépendance.

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