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N° 204

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 6 février 2009

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)
EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT,

sur le respect de la diversité linguistique dans le fonctionnement des institutions européennes ,

PRÉSENTÉE

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur

(Renvoyée à la commission des Affaires culturelles, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 3 février 2009, la commission des affaires européennes du Sénat, a entendu, à sa demande, notre collègue Alex Türk, président de la CNIL, président du « Groupe des CNIL européennes », qui souhaitait alerter l'attention du Sénat sur la question de l'usage du français dans les institutions européennes.

Notre collègue Alex Türk nous a ainsi présenté la situation :

« Je veux attirer votre attention sur la régression de l'usage du français dans les institutions européennes. La situation s'est nettement dégradée depuis dix-sept ans que je siège dans des instances de l'Union européenne pour le compte de la CNIL au sein de laquelle je représente le Sénat. L'anglais est désormais la langue utilisée dans 98 % des cas. J'en citerai trois exemples récents.

En premier lieu, la prochaine conférence européenne sur la protection des données, qui doit se tenir à Édimbourg, pourrait avoir l'anglais pour seule langue, sans qu'aucune traduction ne soit assurée. J'ai exprimé mon opposition à cette situation et indiqué que, si tel était le cas, je ne me rendrais pas à cette conférence.

En deuxième lieu, il est demandé à la France d'assumer le coût des traductions nécessaires dans le cadre de la procédure d'évaluation « Schengen » qui sollicite à la fois le ministère de l'Intérieur et la CNIL.

Enfin, dans le cadre des réunions du groupe de l'article 29, j'observe que de plus en plus de membres s'expriment en anglais, même si cette langue n'est pas leur langue maternelle, ce qui pose un problème sérieux au service de traduction. Je relève également que de plus en plus de hauts fonctionnaires français s'expriment désormais en anglais dans des réunions au niveau européen. À tort, la France a refusé, il y a quelques années, le passage à un système à trois langues (allemand, anglais et français), qui aurait convenu à nos partenaires allemands. Ce serait pourtant la bonne solution.

Au sein même de la CNIL, dont le quart des activités a un caractère international, les documents juridiques sur lesquels nous devons nous prononcer sont désormais rédigés en anglais. En conséquence, nos homologues anglais disposent d'un pouvoir exorbitant d'arbitrage juridique par le biais de la langue. »

Cette tendance à l'unilinguisme au sein des institutions de l'Union européenne a été également dénoncée par nos collègues du parlement allemand. C'est ainsi que, en décembre dernier, le Président du Bundestag allemand a adressé au Président du Sénat la motion qui avait été adoptée à l'unanimité, le 16 octobre 2008, par le Bundestag sur la politique de l'Union européenne en matière de traduction. Cette motion rejoint en large partie le problème soulevé par notre collègue Alex Türk.

La motion du Bundestag relève que « au cours des dix-huit derniers mois, le Bundestag allemand a, à de multiples reprises, fait savoir clairement à la Commission européenne que la traduction intégrale de l'ensemble des documents de l'Union était une demande primordiale pour l'Allemagne ». Elle ajoute que « à titre d'exemple, les rapports de suivi relatifs aux pays candidats n'ont été traduits en allemand que pour la Croatie et la Turquie ; les rapports sur la Macédoine et sur les pays candidats potentiels - Albanie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie - et sur la province serbe du Kosovo, où des soldats et policiers allemands participent aux missions de l'Union européenne, ne sont disponibles qu'en anglais, malgré la demande de traduction a posteriori ». Le problème apparaît également en matière budgétaire. Le Bundestag se trouve de ce fait dans l'impossibilité de débattre à propos de nombreux documents. La motion souligne que le Bundestag cherche, sur cette question, à assurer la cohésion avec d'autres États membres et leur parlement.

Est-il nécessaire de souligner que l'Union européenne se fonde sur « l'unité dans la diversité » et que cette diversité s'exprime notamment dans le multilinguisme ? Et faut-il rappeler que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclame, dans son article 22, que l'Union respecte la diversité linguistique et interdit, dans son article 21, toute discrimination fondée sur la langue ?

Force est pourtant de constater que le respect de la diversité linguistique et la prohibition de toute discrimination fondée sur la langue sont de moins en moins assurés dans le fonctionnement des institutions européennes.

Jugeant cette évolution inacceptable, la commission des affaires européennes a décidé de proposer au Sénat l'adoption de la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu les rapports de progrès de la Commission européenne de novembre 2008 disponibles exclusivement en langue anglaise, sur les pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne, à savoir la Croatie (SEC(2008) 2694), la Turquie (SEC(2008) 2699) et l'Ancienne République Yougoslave de Macédoine (SEC(2008) 2695), et sur les pays candidats potentiels, à savoir l'Albanie (SEC(2008) 2692), la Bosnie-Herzégovine (SEC(2008) 2693 final), le Monténégro (SEC(2008) 2696), la Serbie (SEC(2008) 2698) et le Kosovo (SEC(2008) 2697).

Vu les documents budgétaires disponibles dans la seule langue anglaise, tel le document de travail « Bodies set up by the Communities and having legal personality » consacré aux agences communautaires et publié avec l'avant-projet de budget 2009 en mai 2008 (COM(2008) 300).

Vu la motion adoptée à l'unanimité par le Bundestag allemand le 16 octobre 2008, intitulée « Revoir la politique de l'Union européenne en matière de traduction - Permettre aux Parlements nationaux de participer à l'ensemble des affaires de l'Union européenne » ;

Le Sénat :

- souligne que l'Union européenne se fonde sur « l'unité dans la diversité » et que cette diversité s'exprime notamment dans le multilinguisme ;

- rappelle que la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne proclame, dans son article 22, que l'Union respecte la diversité linguistique et interdit, dans son article 21, toute discrimination fondée sur la langue ;

- constate que le respect de la diversité linguistique et la prohibition de toute discrimination fondée sur la langue sont de moins en moins assurés dans le fonctionnement des institutions européennes.

Le Sénat demande, en conséquence, au Gouvernement :

- de réaffirmer auprès des institutions européennes l'attachement de la France au strict respect de la diversité linguistique et à l'exclusion de toute discrimination fondée sur la langue ;

- de prendre sans délai toute initiative auprès de ces institutions pour assurer la mise en oeuvre concrète de ces principes ;

- de se rapprocher du gouvernement allemand pour agir en commun en ce sens.

ANNEXE

Bundestag allemand

16. législature

Impression 16/ 9596

18.06.2008

Motion des groupes parlementaires CDU/CSU, SPD, FDP et ALLIANCE 90/LES VERTS

Revoir la politique de l'Union européenne en matière de traduction - Permettre aux Parlements nationaux de participer à l'ensemble des affaires de l'Union européenne

Le Bundestag est appelé à décider ce qui suit

I. Le Bundestag allemand constate

Le Bundestag allemand participe dans une mesure considérable à l'établissement du droit européen. Le Traité de Lisbonne, dont l'entrée en vigueur est prévue le CTjanvier 2009, renforce encore le rôle des Parlements nationaux. À cet égard, les droits de contrôle concédés aux Parlements nationaux dans l'optique de la garantie du principe de subsidiarité ne peuvent être exercés de manière qualifiée que si tous les documents utiles aux discussions des Parlements, en ce compris toutes les annexes importantes et les évaluations d'impact de la législation, leur sont remis à temps et dans leur version intégrale dans les langues maternelles des députés. La Commission doit tenir compte de l'introduction de ces nouveaux droits en adaptant sans plus attendre ses pratiques en matière de traduction.

Il en va aussi des citoyens, des petites et moyennes entreprises et de la société civile, dont la participation est de plus en plus sollicitée par la Commission européenne : ils ne peuvent s'identifier à l'Europe et prendre activement par à l'intégration européenne que s'ils comprennent le contenu de ce qui est discuté et décidé dans l'Union européenne et la manière de le discuter et de le décider. Pour cela, les informations nécessaires doivent leur être accessibles dans leur langue. La transparence et la lisibilité de la politique européenne dépend de façon déterminante de la question des langues.

La Commission européenne décide de la traduction de ses documents d'une manière purement schématique et suivant des critères formels.

À la base de cette pratique, il y a sa communication interne sur le régime de la traduction (SEC (2006)1489/4 final). L'importance politique et le besoin concret de document y sont ignorés. La stricte limitation du nombre de pages et l'instruction de ne pas traduire les annexes techniques et d'autres documents « secondaires » mènent dans la pratique à ce que, régulièrement, des informations décisives pour la discussion ou la prise de décision ne sont disponibles qu'en anglais ou en français. Cela concerne notamment les documents UE qui sont classés en tout ou en partie comme « documents de travail » ou « annexes », ainsi que les évaluations d'impact des propositions de réglementation de la Commission, que cette dernière considère elle-même comme un instrument central pour une meilleure législation.

La nouvelle politique de la Commission en matière de traduction annoncée pour 2008, dont un premier projet devait déjà être présenté fin 2007, est à présent reporté à une date indéfinie. Il est cependant nécessaire et urgent de revoir à brève échéance cette politique en matière de traduction. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte du renforcement du rôle des Parlements nationaux tel qu'il est prévu par le Traité de Lisbonne.

Au cours des 18 derniers mois, le Bundestag allemand a, à de multiples reprises, fait savoir clairement à la Commission européenne que la traduction intégrale de l'ensemble des documents UE est une demande primordiale pour l'Allemagne. Dès juin 2007, le Bundestag allemand a adopté une recommandation de décision relative à l'information par le gouvernement fédéral au sujet du rapport spécial de la Cour des comptes européenne relatif aux dépenses de traduction (Document du Conseil n° 12861/06), dans laquelle le gouvernement fédéral est invité, entre autres, à intervenir auprès du Conseil pour que la Commission mette au point un régime de traduction qui réponde mieux au droit à disposer de la traduction intégrale des documents UE déterminants pour les discussions et prises de décision. Dans un entretien avec le commissaire européen en charge de cette matière, M. Leonard Orban, en avril 2007, les membres de la commission des affaires de l'Union européenne, tous groupes parlementaires confondus, ont insisté sur le besoin urgent d'améliorer les capacités de la Commission en termes de traduction. Le commissaire Leonard Orban a expressément promis à l'occasion de cette réunion une révision de fond, impliquant les États membres, de la politique en matière de traduction (procès-verbal n° 32 de la réunion de la commission des affaires de l'Union européenne du 25 avril 2007).

Dans les derniers mois, la Commission a également renoncé, sauf quelques rares exceptions, à donner suite à des demandes de traduction du Bundestag allemand ou du gouvernement fédéral. Il est fréquent que des documents UE déterminants pour la discussion et la prise de décision du Bundestag allemand n'aient pas été disponibles du tout en allemand, ou ne l'aient été que de façon incomplète. À titre d'exemple, les rapports de suivi de 2007 relatifs aux pays candidats n'ont été traduits en allemand que pour la Croatie et la Turquie ; les rapports sur la Macédoine et sur les pays candidats potentiels - Albanie, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie - et sur la province serbe du Kosovo, où des soldats et policiers allemands participent aux missions de l'Union européenne, ne sont disponibles qu'en anglais, malgré la demande de traduction a posteriori. Entre-temps, le Bundestag allemand se voit dans l'impossibilité de débattre de nombreux documents (situation en mai 2008: 47 documents manquants) du fait de l'absence de traduction en allemand.

Devant une telle situation, des doutes sérieux sont émis quant à la disposition de la Commission à collaborer ouvertement et dans la transparence avec les Parlements nationaux.

D'autres États membres de l'Union également ont critiqué ouvertement l'attitude de la Commission au sujet de la question des langues dans les dernières années. La prise en considération accrue de la diversité linguistique dans la pratique politique est au coeur des préoccupations en Allemagne, mais aussi ailleurs. Nous cherchons dès lors sur cette question à assurer la cohésion avec d'autres États membres et leurs Parlements. Le Bundestag allemand salue à cet égard la décision du Conseil Éducation, jeunesse et culture du 22 mai 2008 sur le multilinguisme dans l'Union européenne. La Conseil a fait connaître clairement à cette occasion son soutien fondamental à l'égard de la diversité linguistique.

Dans les procédures budgétaires des prochaines années, il convient absolument de veiller à ce que des moyens suffisants soient mis à disposition pour la traduction intégrale des documents déterminants pour la prise de décisions politiques. Une condition essentielle à cela est que la Commission ventile enfin avec précision l'affectation actuelle de moyens et, le cas échéant, qu'elle indique exactement les besoins supplémentaires en traductions auxquels elle doit faire face avec le budget actuel ; malgré les demandes répétées, elle n'a encore rien entrepris à ce niveau.

II. Le Bundestag invite le gouvernement fédéral

1. à continuer de s'engager à tous les niveaux pour que la Commission présente dès que possible la révision de fond de sa politique en matière de traduction, promise pour 2008 ;

2. à agir pour que les États membres soient impliqués dans l'élaboration de cette nouvelle politique en matière de traduction ;

3. à oeuvrer dans le futur également pour que le nouveau concept de la traduction de la Commission réponde mieux à l'exigence du Bundestag de disposer de la traduction intégrale des documents UE déterminants pour la discussion et la prise de décisions, afin qu'il puisse remplir ses missions de contrôle et de législation. La décision de traduire un document ne devrait pas être prise schématiquement, selon des critères purement formels, mais doit tenir compte de la signification politique du document ;

4. à continuer de soutenir le principe selon lequel la Commission doit à l'avenir présenter de manière distincte l'affectation des moyens pour la traduction, afin que les besoins et demandes en traductions puissent être mieux quantifiées et que, le cas échéant, elle définisse les besoins supplémentaires en traductions auxquels elle doit faire face ;

5. dans le cadre de la procédure budgétaire pour 2009, à réclamer une inscription à part des moyens destinés aux traductions de la Commission ;

6. à agir pour que, dans l'établissement du budget général 2009 de l'Union européenne, la Section 3 (COM) soit réorganisée pour que des moyens appropriés soient mis à disposition pour les traductions. Des moyens appropriés sont ceux dont le montant permet la traduction de l'ensemble des documents qui sont nécessaires pour que le Bundestag allemand puisse exercer sans obstacle sa mission de participation aux affaires de l'Union européenne. Cela comprend également les annexes et documents de travail qui contiennent des informations significatives sur le plan politique (comme les rapports d'avancement et de suivi liés à la politique d'élargissement et de voisinage de PUE), les évaluations d'impact des politiques, les rapports et graphiques financiers, ainsi que l'ensemble des documents UE au sujet desquels les Parlements ont manifesté leur intérêt en vue d'en débattre ;

7. à ne pas relâcher ses efforts pour renforcer les incitants à l'utilisation de la langue allemande dans les procédures de travail internes des institutions, et ce à travers un soutien accru aux fonctionnaires de la Commission de langue allemande et une présence culturelle plus forte à Bruxelles. Il est particulièrement significatif à cet égard de poursuivre les cours intensifs d'allemand proposés dans le passé par le ministère des Affaires étrangères et de prolonger à tous les niveaux les efforts pour le renforcement de la langue allemande dans les institutions de l'Union européenne.

Berlin, le 18 juin 2008

Volker Kauder, Peter Ramsauer et le groupe parlementaire

CDU/CSU

Peter Struck et le groupe parlementaire SPD

Guido Westerwelle et le groupe parlementaire FDP

Renate Künast, Fritz Kuhn et le groupe parlementaire

Alliance 90/Les Verts

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