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N° 590

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 juin 2010

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES (1)

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUATER DU RÈGLEMENT,

sur le marché du lait,

PRÉSENTÉE

Par M. Jean BIZET,

Sénateur

(Envoyée à la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire)

(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet président ; MM. Denis Badré, Pierre Bernard-Reymond, Michel Billout, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Jean-François Humbert, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, François Marc, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de résolution fait suite au rapport du groupe d'experts à haut niveau sur le lait. Ce rapport a été rendu public le 15 juin 2010.

Ce groupe a été créé le 5 octobre 2009 à la suite de la crise du lait. La France a très largement poussé à sa création sous l'égide de la Commission européenne. Composé de représentants de chaque État membre, il était présidé par M. Jean-Luc DEMARTY, le directeur général de la DG agriculture de la Commission européenne.

Il a semblé important que, dans le cadre du groupe de travail conjoint sur la réforme de la PAC, la commission des affaires européennes, puis la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, prennent rapidement position sur ce document. En effet, même si le groupe d'experts avait pour unique lettre de mission de se pencher sur le secteur du lait, ses conclusions alimenteront les réflexions sur la réforme de la PAC.

Le calendrier est serré. Les conclusions du groupe d'experts devraient en effet se traduire par des initiatives de la Commission européenne à la fin de l'année et les discussions sur la réforme de la PAC devraient débuter au mois de novembre prochain. Il importait de ne pas laisser passer l'été avant de réagir à ce document important.

Les causes et les conséquences dramatiques de la crise du lait en 2008-2009 sont désormais bien connues (1 ( * )) . Elle a souligné les spécificités de la filière lait et sa grande fragilité.

En effet, depuis 1999, la filière lait tend de plus en plus à se rapprocher du fonctionnement normal d'un marché concurrentiel. Les prix d'intervention baissent régulièrement, les droits à paiement unique (DPU) sont déconnectés de la production réelle et la fin des quotas est annoncée normalement pour 2015.

Ces réformes ont eu pour effet de rattacher de plus en plus les prix européens aux prix mondiaux, et en particulier à celui de la poudre de lait.

Simultanément, les caractéristiques du marché du lait n'ont pas fondamentalement changé : l'offre et la demande sont très peu élastiques, le stockage du lait brut est limité, les aléas climatiques et sanitaires demeurent, la production est peu différenciée et le rapport de force entre producteurs et transformateurs est resté inégal.

Il a résulté de l'ensemble de ces facteurs une très forte volatilité des prix et une tendance à faire peser sur les seuls producteurs l'effort de réduction des marges. Ainsi, le consommateur final n'a même pas bénéficié de la baisse des prix.

Cette analyse est partagée par le rapport du groupe d'experts. Cela constitue déjà un point de satisfaction, car c'est une reconnaissance du fonctionnement non optimal du marché.

Le groupe d'experts avait pour mission de dégager des solutions à moyen et long terme pour le secteur laitier qui tiendraient compte de la fin des quotas en 2015. L'objectif était de définir un cadre réglementaire contribuant « à stabiliser le marché et le revenu des producteurs et à améliorer la transparence sur le marché ».

Trois principaux défis sont à relever :

- réduire la volatilité des prix ;

- rétablir un partage plus équilibré des marges ;

- améliorer la compétitivité et la valeur ajoutée des productions ;

Sur le premier point, la volatilité des prix, le groupe d'experts répond pour l'essentiel qu'il faut maintenir les mécanismes d'intervention sur les marchés en vigueur. Les deux mécanismes les plus efficaces ont été le stockage public et privé. À cet égard, on remarquera que le stockage public a été in fine profitable à la Commission européenne qui ayant acheté au plus bas a pu revendre une grande partie de son stock ces dernières semaines à un prix très intéressant.

Il est donc fondamental de préserver ces outils, voire de les perfectionner pour rendre leur utilisation beaucoup plus souple et rapide en cas de retournement brusque du marché.

Ajoutons que ces outils de régulation du marché sont à peu près les seuls moyens de réduire la volatilité des prix.

Les marchés à terme sont certes évoqués par le groupe d'experts, mais avec prudence. Le risque spéculatif est pointé du doigt, ce qui serait plutôt de nature à amplifier la volatilité. En revanche, cela peut devenir un indicateur des prix futurs et un moyen de gérer le risque.

Quant aux autres mesures proposées comme la contractualisation ou la concentration de l'offre des producteurs, elles ne devraient pas influer directement sur la volatilité des prix, mais offrir plutôt une certaine stabilité et prévisibilité du revenu et redistribuer partiellement la marge au profit des producteurs.

Ce plaidoyer pour le maintien de mécanismes d'intervention sur le marché du lait n'a pas pour but d'en faire la solution parfaite. À cet égard, la perspective de la fin des quotas en 2015 est porteuse d'incertitude. Aujourd'hui, le déséquilibre entre l'offre et la demande demeure malgré tout encadré par les quotas. Demain, si les quotas sont supprimés, il n'y aura plus de limites a priori au volume de production et le maniement des interventions pourrait devenir plus délicat, s'il n'est pas adapté.

Le deuxième point est le rétablissement d'un partage plus équilibré des marges entre producteurs, transformateurs et distributeurs.

À titre liminaire, remarquons que les travaux du groupe d'experts n'abordent pas directement les relations avec les distributeurs, mais traitent seulement des relations producteurs-transformateurs. Pourtant, les distributeurs font peser une pression générale sur les prix, tout particulièrement en France où la concentration du secteur est exceptionnelle. Mais, c'est un problème qui dépasse le seul marché du lait.

En revanche, on peut espérer que le rétablissement d'un équilibre entre producteurs et transformateurs contraigne à moyen terme les transformateurs à ne pas faire jouer la variable d'ajustement sur les seuls producteurs, mais aussi sur les distributeurs.

Que propose le groupe d'experts ?

Tout d'abord, il propose de développer la contractualisation par écrit entre producteurs et transformateurs, les États membres pouvant la rendre obligatoire. Sur ce point, le projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche anticipe donc.

Nous ne pouvons que nous féliciter de cette proposition. Elle offrira une meilleure visibilité économique aux producteurs, ce qui est essentiel quand on souhaite investir. La contractualisation peut aussi, si le rapport de force est équitable, favoriser une certaine stabilité du revenu.

C'est la raison pour laquelle la proposition de résolution précise que des contrats-type pourraient être définis dans un cadre interprofessionnel. Le but est d'éviter que le producteur se retrouve seul face à son acheteur pour négocier toutes les clauses du contrat. À titre d'exemple, un contrat-type pourrait prévoir qu'une partie du volume est achetée à un prix relativement stable sur deux ou trois ans, tandis qu'une autre partie obéirait plus aux variations des cours.

Il est important que la proposition de résolution mette en avant l'interprofession, car de nombreux États membres ignorent ce mode d'organisation et le groupe d'experts est lui-même assez timide sur ce sujet. Sans le cadre et le poids de l'interprofession, la contractualisation pourrait voler en éclat au premier retournement du marché.

L'autre proposition phare du groupe d'experts s'attaque directement à la question de l'application du droit de la concurrence au secteur du lait. Le droit de la concurrence est souvent critiqué pour ne pas permettre aux producteurs de s'organiser entre eux, afin de négocier le prix d'égal à égal avec des transformateurs beaucoup plus concentrés.

Le groupe d'experts en prend acte et propose, non pas de déroger au droit de la concurrence, mais d'adapter son application à la réalité du fonctionnement du marché du lait. En particulier, il propose de fixer a priori la définition du marché pertinent. Des organisations de producteurs seraient donc autorisées à négocier ensemble les contrats, y compris le prix, si leurs parts de marché cumulées n'excèdent pas une limite quantitative exprimée en pourcentage de la production de lait européenne.

D'après les informations recueillies, ce pourcentage devrait tourner autour de 2 ou 3 %, ce qui correspond à la production laitière de la Bretagne ou de la Normandie. Il s'agit d'une avancée très significative. En outre, elle placerait les producteurs de l'Union sur un pied d'égalité.

Cette proposition très novatrice par rapport à l'orthodoxie du droit de la concurrence mérite d'autant plus d'être soutenue qu'un travail important de pédagogie reste à faire en France pour convaincre nos producteurs de la nécessité de s'organiser. Nous sommes l'un des pays où les producteurs sont les moins organisés, que ce soit dans un cadre coopératif ou non. Nous critiquons souvent les règles de la concurrence, mais il n'est pas sûr que nos producteurs utilisent déjà toutes les facultés offertes par ces règles.

Enfin, le rapport du groupe d'experts souligne l'importance d'un marché transparent. La connaissance du marché par les acteurs de la filière est fondamentale pour déterminer les prix, les évolutions prévisibles de la demande et de l'offre à court et moyen terme. La fin annoncée des quotas rend cette exigence encore plus impérieuse. Malheureusement, les propositions concrètes sont trop timides. Il ne suffit pas d'agréger ou de compiler au niveau européen des données statistiques existantes. La proposition de résolution propose d'aller plus loin en s'appuyant sur les organisations interprofessionnelles. C'est sans doute le lieu idéal pour mieux appréhender le marché du lait et essayer de dégager des prévisions sur l'offre et la demande.

Sur le troisième point, à savoir « améliorer la compétitivité et la valeur ajoutée des producteurs » , le rapport est moins disert. Outre l'organisation des producteurs, qui peut être un facteur de compétitivité lorsqu'elle se traduit par une mise en commun de moyens ou une diversification des débouchés, le groupe d'experts insiste sur l'importance de la recherche et de l'innovation.

À ce chapitre important de l'innovation, il faut probablement ajouter celui de la défense de nos productions de qualité. Les productions de montagne en particulier ne sont pas compétitives sur le marché du lait brut basique. Avec la fin des quotas qui assure le maintien d'une activité de production de lait dans la plupart de nos régions, un risque important de délocalisation de la production existe. Pour le conjurer, une des réponses est de valoriser la qualité exceptionnelle de ces productions, y compris sur le plan environnemental. Cela ne sera possible qu'à la condition de rendre plus systématique l'étiquetage de l'origine ou de consolider les organisations interprofessionnelles.

Enfin, à partir de l'expérience du lait, la proposition de résolution s'essaie à dessiner quelques pistes de réflexion dans la perspective de la future réforme de la PAC.

Ainsi, plusieurs des propositions du groupe d'experts pourraient être étendues à d'autres secteurs que le lait. D'ailleurs, les propositions sur le lait ont été en partie inspirées par l'expérience du secteur des fruits et légumes.

Une première idée, qui serait une réponse à la volatilité des prix et donc des revenus des producteurs, consisterait à moduler les DPU en fonction de la fluctuation des prix. Lorsque les prix sont hauts, une partie des DPU serait conservée pour être redistribuée en période de chute des prix. Ce système aurait aussi comme vertu de rendre les DPU plus acceptables pour une partie de l'opinion.

Une seconde fait écho aux observations sur l'organisation insuffisante des producteurs français. Il s'agirait de réfléchir à des incitations à plus et à mieux s'organiser.

La proposition de résolution qui vous est soumise soutient globalement le rapport du groupe d'experts. Rien n'est acquis. Le rapport doit encore convaincre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil.

Pour ces raisons, votre commission des Affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution qui suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le rapport du groupe d'experts à haut niveau sur le lait (GHN) daté du 15 juin 2010,

Considérant que, du fait des caractéristiques du marché du lait, le jeu libre de la concurrence y est nécessairement déséquilibré au détriment des producteurs et que les règles d'application du droit de la concurrence doivent être adaptées en fonction de ces caractéristiques ;

Constate que le rapport du groupe d'experts à haut niveau sur le lait témoigne de la prise de conscience de cette réalité économique ;

Considère que l'organisation du marché du lait devrait répondre aux principes suivants ;

1. Systématiser la contractualisation entre producteurs et transformateurs

En ce sens, le Sénat :

- approuve la proposition du groupe d'experts à haut niveau visant à promouvoir l'utilisation de contrats écrits, afin d'offrir une meilleure visibilité économique aux producteurs ;

- suggère l'élaboration de contrats ou de clauses-type dans le cadre des organisations interprofessionnelles ;

- estime que cette proposition produira son plein effet si un maximum d'États membres la rend obligatoire ;

2. Renforcer le pouvoir de négociation des producteurs

Considérant que la filière lait ne doit pas s'abstraire du droit de la concurrence, mais que l'application qui en est faite ne permet pas suffisamment aux producteurs laitiers de s'organiser pour rétablir un équilibre dans la négociation et que cela préjudicie au progrès économique de l'ensemble de la filière, le Sénat :

- se réjouit de la proposition du groupe d'experts à haut niveau tendant à permettre aux organisations de producteurs laitiers de se regrouper pour négocier les prix, sous réserve que leurs parts de marché cumulées n'excèdent pas une limite quantitative exprimée en pourcentage de la production laitière européenne ;

- estime que la référence unique à un pourcentage de la production laitière européenne placera les producteurs de l'Union sur un pied d'égalité et demande au Gouvernement de faire en sorte que le pourcentage retenu soit fixé à un niveau élevé compte tenu de la très forte concentration de l'ensemble du secteur aval de la filière et de la croissance des échanges intra-européens ;

3. Développer les organisations interprofessionnelles

Le Sénat :

- juge indispensable, a fortiori avec la fin annoncée des quotas en 2015, d'élaborer des outils d'analyse, de prévision et d'anticipation des marchés pour éclairer les acteurs de la filière ;

- estime que les propositions du groupe d'experts à haut niveau en matière de transparence sont insuffisantes, et considère, comme le montre l'expérience du secteur des fruits et légumes, que les organisations interprofessionnelles sont le lieu idéal pour améliorer la connaissance et la transparence de la production et du marché ;

4. Conserver des mécanismes d'intervention réactifs et puissants

Le Sénat :

- souligne que les mécanismes d'intervention, en particulier le stockage public et privé, ont été des instruments efficaces pour limiter la volatilité des prix et approuve les conclusions du groupe d'experts à haut niveau selon lesquelles ces mécanismes doivent bien sûr être conservés ;

- demande que les procédures soient allégées et que l'intervention puisse être déclenchée tout au long de l'année, afin de réagir aussi vite que possible en cas de retournement du marché ;

- attire l'attention sur l'impératif de réfléchir dès aujourd'hui à des mécanismes d'intervention adaptés à un marché du lait sans quotas, au risque sinon de les disqualifier ;

5. Favoriser l'étiquetage de l'origine du lait utilisé

Le Sénat regrette la prudence du groupe d'experts à haut niveau sur ce sujet et demande au Gouvernement de défendre le principe de l'étiquetage de l'origine du lait en sorte de permettre au consommateur d'être informé de la région et des conditions de production ;

6. Tirer les enseignements de la crise du lait pour la future réforme de la politique agricole commune

Le Sénat :

- souligne que plusieurs des recommandations formulées par le groupe d'experts à haut niveau sur le lait pourraient être étendues à d'autres secteurs agricoles ;

- estime qu'une rénovation des droits à paiement unique (DPU), aide directe au revenu aujourd'hui déconnectée de la production réelle, pourrait favoriser la réduction de la volatilité du revenu et la modernisation de l'organisation des producteurs ;

- souhaite en conséquence que le Gouvernement réfléchisse à la modulation des droits à paiement unique aux producteurs en fonction du niveau des prix et à des incitations (versement de DPU, attribution de quotas supplémentaires...) encourageant l'organisation économique des producteurs.


* (1) Voir le rapport d'information n° 481 (2008-2009) relatif au prix du lait dans les États membres de l'Union européenne de M. Jean Bizet au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.

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