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N° 496

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 mai 2011

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 QUINQUIES DU RÈGLEMENT

sur la proposition de directive établissant un espace ferroviaire unique européen (E 5642),

PRÉSENTÉE

Par Mme Mireille SCHURCH, M. Michel BILLOUT, Mmes Isabelle PASQUET, Éliane ASSASSI, M. François AUTAIN, Mmes Marie-France BEAUFILS, Nicole BORVO COHEN-SEAT, Annie DAVID, M. Jean-Claude DANGLOT, Mmes Michelle DEMESSINE, Évelyne DIDIER, MM. Guy FISCHER, Thierry FOUCAUD, Mmes Brigitte GONTHIER-MAURIN, Gélita HOARAU, M. Robert HUE, Mme Marie-Agnès LABARRE, M. Gérard LE CAM, Mme Josiane MATHON-POINAT, MM. Jack RALITE, Ivan RENAR, Mme Odette TERRADE, MM. Bernard VERA et Jean-François VOGUET,

Sénateurs

(Envoyée à la commission des affaires européennes.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2001, la Commission européenne a proposé un ensemble constitué de trois directives (2001/15/CE, 2001/13/CE et 2001/14/CE), appelé premier paquet ferroviaire, adopté le 26 février 2001 et qui est entré en vigueur en France le 15 mars 2003. Son objectif était d'ouvrir à la concurrence le fret ferroviaire afin de créer un espace ferroviaire européen intégré : le Réseau transeuropéen de fret ferroviaire.

Le premier paquet ferroviaire prévoyait en outre de réaliser un bilan sur cinq ans de cette première ouverture avant de mettre en oeuvre une libéralisation plus poussée du fret international et national à partir de 2008.

Convaincue que ces premières mesures ne suffiraient pas à revitaliser rapidement le ferroviaire, et notamment le fret ferroviaire, la Commission, faisant fi de la nécessité de réaliser un bilan des effets de la libéralisation a, au contraire, décidé d'accélérer le processus d'ouverture à la concurrence.

Dès 2002, avant même que la transposition de ce premier paquet n'ait été effectuée dans l'ensemble des États-membres, la Commission a proposé un nouvel ensemble de quatre textes constituant le deuxième paquet ferroviaire dont l'objectif visait l'accélération de l'ouverture à la concurrence du fret international et national. La Commission proposait ainsi d'ouvrir à la concurrence dès le courant de l'année 2006 le fret international et national. Au final, après les débats au Parlement européen et à l'issue de la procédure de conciliation, le deuxième paquet ferroviaire proposait l'ouverture du fret international au 1 er janvier 2006 et du fret national au 1 er janvier 2007.

En mars 2004, elle proposait un troisième paquet ferroviaire composé également de plusieurs textes :

- une proposition de directive harmonisant les règles communautaires de certification du personnel de bord assurant la conduite des trains ;

- une proposition de directive ouvrant à la concurrence au 1 er janvier 2010 le transport international de passagers et autorisant le cabotage ;

- une proposition de règlement relatif aux droits et obligations des passagers et mettant en place un système de compensations en cas d'accident, de retard ou d'annulation.

Aujourd'hui, une directive de la Commission européenne du 17 septembre 2010 intitulée « espace ferroviaire unique européen », sous couvert d'une entreprise de simplification et de consolidation législative, propose de parachever le marché intérieur dans le secteur des transports. À ce titre, il est particulièrement éclairant que les syndicats européens qualifient cette directive de « quatrième paquet ferroviaire ».

Cette proposition de directive qui doit être débattue au printemps par le Parlement européen et au sein du Conseil, va avoir des conséquences particulièrement importantes sur notre organisation nationale des chemins de fer.

C'est cette proposition de directive qui est aujourd'hui l'objet de notre proposition de résolution.

Les objectifs affichés de cette proposition de directive, selon une communication de la Commission, sont « d'intensifier la concurrence sur le marché du transport ferroviaire, en donnant plus de pouvoir aux autorités de régulation nationale et améliorant le cadre pour les investissements dans le domaine du rail » . Siim KALLAS, Vice-Président de la Commission européenne en charge des transports, s'exprimait en ces termes : « mon but est d'accroître la concurrence ». L'objectif est donc particulièrement clair. Le développement de la concurrence étant censé, selon la Commission, permettre d'améliorer la qualité de service tant pour les transports voyageurs que de marchandises.

Pourtant, il n'est aucunement avéré que la libéralisation conduit à améliorer la compétitivité du rail par rapport aux autres modes de transports. Ainsi, la Commission reconnaît dans sa récente communication que « la part des marché des entreprises ferroviaires historiques et des nouveaux entrants montre que les effets escomptés de l'ouverture du marché ont tardé à se concrétiser ».

Il devient donc urgent de mener une étude d'impact de l'ouverture à la concurrence à la fois en termes d'efficacité économique, de dynamique de l'emploi et de sécurité du système ferroviaire.

Pour ce qui concerne la France, force est de constater que ces politiques libérales ont entraîné une diminution de l'offre de service, une dégradation des conditions de travail et de l'offre publique de transport. Le réseau s'est parallèlement contracté pour se concentrer sur les axes rentables et l'activité de TGV. Aujourd'hui, la dette de Réseau Ferré de France obère ses capacités d'investissements dans les réseaux, sans compter le désengagement de l'État au travers des lois de finances successives. Concernant le transport de marchandises, le plan fret, censé mettre à niveau le fret dans l'objectif de l'ouverture à la concurrence, s'est traduit purement et simplement par l'abandon de l'activité de wagon isolé sur les axes non rentables et la fermeture de 262 gares de triages. Depuis 2002, ce sont près de 20 000 emplois de cheminots qui ont ainsi été supprimés.

Le constat est dramatique. Pourtant, les enjeux économiques, écologiques et de développement des territoires appellent une autre politique des transports permettant très clairement de reconnaître la dimension de service public et d'intérêt général de cette activité, ce qu'en l'état ne permet pas cette proposition de directive.

Notamment, le respect des engagements contractés par la France mais également par l'Europe en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre, devrait imposer une politique ambitieuse de rééquilibrage modal notamment dans le domaine du transport de marchandise. Cette politique impose la mise en oeuvre d'un véritable système de calcul des externalités du transport routier et la mise en place d'un bilan coûts/avantages.

Il est ainsi absolument nécessaire, préalablement à toute nouvelle législation européenne ou nationale, que soit organisée la réalisation d'un bilan sur les conséquences des trois paquets ferroviaires notamment en terme de rééquilibrage modal et que ce bilan constitue un point d'appui pour la renégociation des directives dans le secteur ferroviaire.

Plus précisément, la présente directive pointe dans le droit fil des précédentes directives trois objectifs :

• la concurrence, en exigeant l'accès non discriminatoire aux services ferroviaires connexes, en exigeant des « documents de référence du réseau » plus détaillés en vue d'informer clairement d'éventuels nouveaux entrants des caractéristiques des infrastructures disponibles et des conditions de leur utilisation. Ainsi, la nouvelle directive demande une séparation absolue entre la gestion de service de transport et la gestion des infrastructures de services connexes (maintenance, entretien, accès aux terminaux, informations des voyageurs, billetteries dans les gares).

• la surveillance réglementaire, en élargissant les compétences des organismes nationaux de contrôle des activités ferroviaires ainsi que leur indépendance

• Le cadre applicable aux investissements publics et privés, en appliquant de nouvelles règles de financement et de tarification des infrastructures, ceci dans l'objectif de faciliter les investissements. Il s'agit ainsi d'exiger que les gestionnaires d'infrastructures et l'État définissent des stratégies nationales de long terme et concluent des accords contractuels pluriannuels. Il s'agit également de définir de nouvelles règles de tarification des infrastructures plus précises notamment afin de permettre leur modulation en raison de leur performance en terme de bruit. Pour autant, il est clairement exprimé que la tarification sociale pour les autres coûts environnementaux restera optionnelle, ce qui ne peut apparaître comme pleinement satisfaisant.

À travers la communication attachée à cette proposition de directive, la Commission pointe également son interrogation sur l'ouverture des transports nationaux de voyageurs. Elle relève ainsi qu' « étant donné qu'une grand partie des services nationaux des voyageurs relèvent de contrat de service public, la Commission examinerait les conditions d'octroi de contrats de ce type pour le transport ferroviaire dans les États-membre s ». Pour ce faire, elle propose de présenter une évaluation des pratiques actuelles au titre du règlement CE n° 1370/2009 entré en vigueur en décembre 2009. Elle indique également qu'à cette occasion, elle regardera la question du renforcement des exigences de séparations institutionnelles entre les gestionnaires d'infrastructures et les entreprises ferroviaires.

Alors même qu'aucun bilan des politiques de libéralisation n'a été entrepris depuis 2001, le règlement entré en vigueur depuis décembre 2009 devrait, lui, faire l'objet d'une évaluation rapide. Nous ne pouvons alors que constater que la rigueur de la Commission européenne est plus que sélective.

Au niveau national, nous attendons le rapport Grignon sur la libéralisation des TER. Pourtant, sans bilan global des politiques de libéralisation, il apparaît difficile de s'orienter vers ce type de réforme dont nous pouvons craindre qu'elle remette gravement en cause l'équilibre de la SNCF et de certaines dessertes régionales, ceci sans compter les problèmes de sécurité sur le réseau.

Concernant le dispositif législatif de la directive, un certain nombre de points essentiels soulèvent de vives inquiétudes.

Premièrement, nous contestons la prise de pouvoir de la Commission européenne sur les organisations nationales du secteur des chemins de fer par le recours aux actes délégués prévus à l'article 290 du Traité. Il s'agit là clairement d'un déni de démocratie.

Par ailleurs, l'annexe IX traite des conditions de service minimum et donc d'exercice du droit de grève. Pourtant, l'article 153-5 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit l'exclusion de toute initiative communautaire sur le droit de grève. Il s'agit donc d'un excès de pouvoir en la matière de la Commission européenne que nous trouvons particulièrement déplacé.

De plus, l'article 5 remet de manière indirecte en cause le statut d'EPIC de la SNCF. En effet, en stipulant que « si l'État-membre détient ou contrôle directement ou indirectement l'entreprise ferroviaire, ses droits de contrôle en matière de gestion ne doivent pas excéder ceux que le droit national des sociétés confère aux actionnaires de sociétés anonymes privées », elle y remet en cause l'action de l'actionnaire public sur les orientations stratégiques de son opérateur. Il s'agit une nouvelle fois d'une remise en cause de la gestion publique déniant par la même toute responsabilité politique dans la garantie effective du droit à la mobilité.

L'article 8-4 traite de l'équilibre des comptes du gestionnaire d'infrastructures sur trois ans. Outre que cette disposition apparaît difficile à mettre en oeuvre notamment en France où la dette de RFF est colossale, nous craignons qu'une telle disposition contraigne toute politique de développement à des objectifs budgétaires de court terme.

Nous estimons également, dans le chapitre II, que la suppression de l'article 12 de la directive 2001/13/CE ayant trait à la sécurité ferroviaire, à la santé et à la sécurité des travailleurs, aux exigences techniques et de protection des usagers n'est pas opportune. Nous considérons, au contraire, que ces questions sont primordiales et déterminent la qualité du service public.

Sur le fond, la définition des prestations minimales dans le cadre de l'accès aux services ferroviaires essentiels porte le fort risque d'un démantèlement accentué de l'opérateur public. Pourtant, l'intégration et le financement public de ces activités répondent aux besoins de la collectivité et constituent donc des activités d'intérêt général.

Pour finir, le renforcement des autorités de régulation vise une mise à l'écart des pouvoirs publics tant vis-à-vis de l'attribution des capacités que vis-à-vis de la tarification, ce que nous ne pouvons accepter. Nous savons bien que l'unique mission de ces autorités, en dehors de toute exigence de service public, est de permettre de faire de la place aux nouveaux entrants et de démanteler les entreprises historiques.

Nous estimons d'ailleurs que sur ce point, le Gouvernement et le Parlement ne pourront faire l'impasse d'un examen du rôle que doivent jouer les différentes autorités de régulation.

La logique qui conduit la Commission européenne à prendre comme objectif l'égalité de traitement entre opérateurs fournissant des services, en lieu et place de l'égalité de traitement des citoyens européens dans le cadre de réponses aux demandes sociales qu'ils définissent démocratiquement, a montré toutes ses limites.

De ce point de vue, une réorientation des objectifs et du rôle des autorités de régulation est à définir.

Au final, cette directive confirme l'orientation ultralibérale dans les transports publics, orientation qui pourtant fait preuve de son inefficacité en terme de rééquilibrage modal, levier de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

À ce titre, Michel DELEBARRE, président de la Commission en charge de la politique territoriale du Comité des régions de l'Union européenne, prévenait face à cette proposition de refonte de directive que «  l'objectif ne doit pas être une compétition débridée ». C'est pourtant malheureusement le cas par cette proposition de directive.

Alors que l'Europe est frappée par une crise économique et sociale majeure liée aux excès de la financiarisation de notre économie, il n'est pas bon de renforcer la concurrence et le dumping social dans le secteur des transports. Bien au contraire, un effort doit être porté pour garantir des conditions de travail et des protections sociales de haut niveau à l'ensemble des travailleurs du rail. Il s'agit là d'une condition essentielle pour la qualité de ce service public d'intérêt général.

Pour toutes ces raisons, nous proposons le retrait de cette proposition de directive.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution ;

Vu le Traité instituant la Communauté européenne et notamment ses articles 5 et 16 ;

Vu le protocole n° 26 relatif aux services économiques d'intérêt général ;

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant un espace ferroviaire européen unique européen E 5642 COM (2010) 475 final ;

Vu la communication de la commission concernant l'élaboration d'un espace ferroviaire unique européen COM (2010) 474 final ;

Considérant les conséquences particulièrement néfastes des politiques de libéralisation dans le secteur des transports aboutissant tout à la fois à une hausse des tarifs et à une contraction de l'offre qui indiquent clairement la nécessité de réorienter les politiques européennes en ce domaine,

Considérant l'exigence de garantie d'un droit effectif à la mobilité comme corollaire à la liberté de circulation des hommes et des marchandises,

Considérant que le développement d'un espace ferroviaire européen passe non par une concurrence renforcée mais par la coopération des services publics nationaux,

Estime que les transports publics de voyageurs et de marchandises relèvent de missions de service public et que leur préservation et leur développement constituent un véritable enjeu de société, notamment dans le cadre des engagements pris par la France en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Estime dans ce cadre qu'une nouvelle directive de dérèglementation porterait gravement atteinte à l'organisation ferroviaire nationale.

Souhaite avant toute poursuite du processus de libéralisation du transport qu'un bilan des trois paquets ferroviaires soit mené afin d'en mesurer l'impact en termes d'emploi et de qualité de service, de garantie de la sécurité des réseaux, ainsi que d'en évaluer ses conséquences en terme de continuité du réseau ferroviaire tant sur le plan national que régional.

Demande en conséquence au Gouvernement de faire prévaloir au sein du Conseil de l'Union Européenne :

- Le retrait de cette proposition de directive,

- Un moratoire sur les trois paquets ferroviaires,

- Un bilan contradictoire, transparent et indépendant des conséquences des premières phases de libéralisation en Europe,

- La nécessité d'inviter la Commission à proposer des initiatives législatives afin de promouvoir et de développer les services publics en Europe et notamment le service public ferroviaire.

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