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N° 392

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 février 2017

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 octies du Règlement, sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n°883/2004 (COM (2016) 815 final),

PRÉSENTÉE

Par M. Alain VASSELLE,

Sénateur

(Envoyée à la commission des affaires sociales.)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Commission européenne a présenté en décembre dernier une proposition de révision des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale de 2004 et 2009 1 ( * ) . Le texte est destiné à faciliter la mobilité des travailleurs, assurer un traitement équitable entre contribuables et travailleurs mobiles et améliorer la coopération entre les autorités administratives des États membres.

Les modifications proposées tiennent notamment compte des arrêts Dano et Alimanovic rendus par la Cour de justice de l'Union européenne en 2014 et 2015 qui ont mis en lumière le phénomène dénoncé par plusieurs pays de « tourisme social » : des ressortissants d'États membres s'installant dans d'autres États membres pour y bénéficier des prestations sociales 2 ( * ) .

Le principe des règlements de coordination des régimes de sécurité sociale

Conformément à l'article 48 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la coordination des systèmes de sécurité sociale ne détermine pas qui peut bénéficier de l'assurance prévue par la législation nationale ni le type de prestations à accorder; ces questions relevant États membres. L'intervention de l'Union permet uniquement d'établir uniquement des critères pour définir le système dont relève tout citoyen mobile. Quatre principes ont ainsi été retenus :

- «Un seul pays»: tout citoyen relève du système de sécurité sociale d'un seul État membre à la fois, de façon à ce qu'il ne doive verser des cotisations que dans un seul pays. Lorsque la personne a le droit de bénéficier de prestations, c'est dans l'État membre dans lequel elle verse ses cotisations ;

- Égalité de traitement ou non-discrimination: tout citoyen bénéficie des mêmes droits et est tenu aux mêmes obligations que les ressortissants de l'État membre dans lequel il est assuré ;

- Totalisation : lorsqu'une personne demande à bénéficier d'une prestation, les périodes antérieures pendant lesquelles elle a été assurée, a travaillé ou a résidé dans un autre État membre sont prises en compte si nécessaire afin notamment d'établir que la personne a été assurée pendant la période minimale requise par le droit national pour pouvoir toucher une prestation ;

- Exportation : lorsqu'une personne est en droit de percevoir une prestation en espèces d'un État membre, elle peut en général l'obtenir même si elle vit dans un autre État membre.

Les règles de coordination s'appliquent aux législations nationales qui concernent:

- les prestations de maladie, de maternité et de paternité assimilées ;

- les pensions de vieillesse et les prestations de préretraite ainsi que les prestations d'invalidité ;

- les prestations de survie et les allocations de décès ;

- les prestations de chômage ;

- les prestations familiales ;

- les prestations en cas d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

La proposition de la Commission européenne

La nouvelle proposition de la Commission vise quatre domaines : l'assurance-chômage, les prestations pour les soins de longue durée, l'accès des citoyens non actifs à des prestations sociales et la coordination des régimes de sécurité sociale pour les travailleurs détachés.

S'agissant des prestations chômage, les demandeurs d'emploi pourront désormais exporter leurs prestations de chômage durant six mois, contre trois actuellement. La Commission européenne estime que cette prolongation augmentera leurs chances de trouver un emploi, et contribuera à la lutte contre le chômage et l'inadéquation des compétences à l'échelle de l'Union. En ce qui concerne les travailleurs frontaliers, l'État membre où ils ont travaillé pendant les 12 derniers mois devrait être chargé du paiement des prestations de chômage. La Commission estime logique que l'État membre qui a perçu les cotisations verse les prestations. Enfin, un État membre pourra exiger qu'une personne perdant son emploi ait travaillé au moins trois mois sur son territoire avant de pouvoir invoquer une expérience antérieure dans un autre État membre pour demander des prestations de chômage.

La proposition précise en quoi consistent les prestations pour des soins de longue durée et à quel endroit les citoyens mobiles peuvent prétendre à ces prestations. Par conséquent, c'est l'État membre où la personne concernée est assurée qui sera chargé de servir les prestations en espèces pour des soins de longue durée et de rembourser les dépenses liées aux prestations en nature servies par l'État membre de résidence. La Commission entend, de la sorte, éviter le cumul de prestations.

Reprenant la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, la proposition précise que les États membres peuvent décider de ne pas accorder de prestations sociales aux citoyens mobiles qui sont économiquement non actifs. Par non actifs, la Commission entend ceux qui ne travaillent pas ou qui ne recherchent pas activement un emploi, et qui ne disposent pas d'un droit de séjour légal sur leur territoire. La Commission rappelle que les citoyens économiquement non actifs n'ont un droit de séjour légal dans un autre État membre que s'ils possèdent des moyens de subsistance et une couverture santé complète.

La Commission souhaite enfin que les autorités nationales disposent des outils nécessaires pour vérifier le statut des travailleurs détachés au regard de la sécurité sociale et établit des procédures plus claires en matière de coopération entre ces autorités afin de faire face aux pratiques potentiellement déloyales ou abusives. Elle renforce ainsi les obligations incombant aux institutions qui délivrent le document portable A1, qui atteste la législation en matière de sécurité sociale applicable au travailleur détaché, pour ce qui est de l'appréciation des informations pertinentes, afin de garantir l'exactitude des éléments qui sont consignés dans cette attestation. Elle prévoit en outre des délais clairs pour les échanges d'informations entre les autorités nationales. La proposition vise également à faciliter les échanges d'informations d'un pays à l'autre entre les institutions de sécurité sociale et les services de l'inspection du travail, les services de l'immigration ou de l'administration fiscale des États membres, afin de faire en sorte que toutes les obligations juridiques en matière d'emploi, de santé, de sécurité, d'immigration et de taxation soient respectées.

L'ensemble de ces dispositions ne paraît pas susciter de réserves en matière de subsidiarité. L'initiative doit même être encouragée au nom de la lutte contre le tourisme social et la fraude au détachement.

La question des actes d'exécution

Reste que le texte prévoit un recours aux actes d'exécution pour mettre en place une procédure type assortie de délai pour la délivrance, le format, le contenu du document - le formulaire A1 - attestant la législation en matière de sécurité sociale qui s'applique. Les actes porteront également sur la détermination des situations dans lesquels le document est délivré, ainsi que les éléments à vérifier avant la délivrance du document. Ils aborderont la question du retrait du document lorsque son exactitude et sa validité sont contestées par l'institution compétente de l'État membre d'emploi.

Il y a lieu de s'interroger sur une telle délégation de pouvoir à la Commission européenne, tant elle concerne des éléments essentiels du dispositif, à savoir le renforcement de la lutte contre la fraude. Il convient de rappeler, en outre, que les actes d'exécution ne sont pas transmis aux parlements nationaux au titre du contrôle du respect du principe de subsidiarité.

Il paraît indispensable que la réflexion sur le formulaire A1 fasse l'objet de débats approfondis au Conseil comme le demandait une résolution européenne adoptée à l'initiative de la commission des affaires européennes en mai dernier 3 ( * ) . Ce texte insistait sur le fait que le certificat A1 d'affiliation au régime de sécurité sociale du pays d'établissement soit fourni préalablement à toute opération de détachement sous peine de sanctions. Le document devrait par ailleurs être déqualifié, dès lors qu'il existe des doutes sérieux quant à la réalité de l'affiliation du salarié détaché au régime de sécurité sociale du pays d'établissement. Pour l'heure, le règlement de 2009 cité plus haut dispose que le certificat établi par l'État d'envoi s'impose aux institutions des autres États membres aussi longtemps qu'ils ne sont pas retirés ou déclarés invalides par l'État membre où il a été établi. La Cour de justice devrait cependant être amenée, dans les prochains mois, à préciser sa position sur la question de l'opposabilité à la suite d'un renvoi préjudiciel présenté par la Cour de Cassation française en octobre 2015. Face aux nombreux cas de falsification, il apparaît aujourd'hui indispensable de sécuriser ce formulaire, en y apposant par exemple une photo du détenteur. Ledit formulaire devrait également être envoyé préalablement au détachement, même si la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne n'impose aucun délai pour la délivrance d'une attestation

La Cour a par ailleurs estimé justifiée en 2014 la législation belge en matière de détachement qui impose à l'employeur de travailleurs détachés dans le cadre d'une prestation de services de déclarer préalablement ces travailleurs détachés à l'office belge de sécurité sociale, laissant une certaine souplesse aux États membres en la matière 4 ( * ) . La loi belge impose, en effet, aux destinataires d'une prestation de services effectuée par des travailleurs détachés non seulement de contrôler, avant le début de la prestation, si l'employeur des travailleurs détachés a procédé à cette déclaration auprès de l'office de sécurité sociale, mais aussi, le cas échéant, de collecter auprès desdits travailleurs, également avant tout début d'exécution de la prestation, leurs données d'identification ainsi que celles de leur employeur et de les transmettre aux autorités compétentes. Les restrictions à la libre prestation de services sont de fait admises s'il existe une raison impérieuse d'intérêt général qui ne soit pas déjà sauvegardée, propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et que la mesure restrictive soit proportionnée. Une certaine marge de manoeuvre doit donc être laissée aux États concernant l'utilisation de ce formulaire, ce que ne permet pas le projet de la Commission européenne.

Il convient de rappeler à cet égard les travaux entourant la rédaction de la directive d'exécution de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs 5 ( * ) . Le projet initial de l'article 9 prévoyait une codification de la jurisprudence communautaire en matière de contrôle. Il dressait ainsi une liste précise de mesures pouvant être imposées par l'État membre d'accueil à une entreprise étrangère qui détache des salariés sur son territoire : obligation de déclaration et de conservation durant toute la durée du détachement du contrat de travail, des fiches de paie, des relevés d'heures ou des preuves du paiement des salaires. Un correspondant chargé de négocier au nom de l'employeur avec les partenaires sociaux du pays d'accueil doit pouvoir être désigné. Aucune autre disposition ne pouvait être imposée à une entreprise qui détache. Un certain nombre d'États membres à l'instar de la France, de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la Finlande ou des Pays-Bas militaient pour une liste ouverte de contrôles. Il s'agissait d'être le plus réactif possible face à des mécanismes de fraude de plus en plus complexes. La rédaction définitive de l'article 9 répond en large partie à cette demande en reconnaissant le principe d'une liste ouverte est reconnu. La Commission doit être informée de toute nouvelle mesure sans pour autant qu'il s'agisse d'un dispositif de pré-autorisation. Cette souplesse requise en matière de droit du travail doit trouver un prolongement en matière de droit de la sécurité sociale.

Par conséquent, la commission des affaires européennes a estimé que la proposition de règlement ne respecte pas le principe de subsidiarité. Elle a en ce sens, adopté, à l'unanimité, l'avis motivé suivant :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
PORTANT AVIS MOTIVÉ

La proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n° 883/2004 (COM (2016) 815 final) a notamment pour objectif que les autorités nationales disposent des outils nécessaires pour vérifier le statut des travailleurs détachés au regard de la sécurité sociale.

Elle établit des procédures plus claires en matière de coopération entre ces autorités afin de faire face aux pratiques potentiellement déloyales ou abusives.

Elle prévoit ainsi de reforcer les obligations incombant aux institutions qui délivrent le document portable A1, qui atteste la législation en matière de sécurité sociale applicable au travailleur détaché, pour ce qui est de l'appréciation des informations pertinentes, afin de garantir l'exactitude des éléments qui sont consignés dans cette attestation.

Elle prévoit en outre des délais clairs pour les échanges d'informations entre les autorités nationales.

La proposition vise également à faciliter les échanges d'informations d'un pays à l'autre entre les institutions de sécurité sociale et les services de l'inspection du travail, les services de l'immigration ou de l'administration fiscale des États membres, afin de faire en sorte que toutes les obligations juridiques en matière d'emploi, de santé, de sécurité, d'immigration et de taxation soient respectées.

Le texte prévoit cependant un recours aux actes d'exécution pour mettre en place une procédure type assortie de délai pour la délivrance, le format, le contenu du document - le formulaire A1 - attestant la législation en matière de sécurité sociale qui s'applique.

Les actes d'exécution porteront également sur la détermination des situations dans lesquels le document est délivré, ainsi que les éléments à vérifier avant la délivrance du document.

Ils aborderont la question du retrait du document lorsque son exactitude et sa validité sont contestées par l'institution compétente de l'État membre d'emploi.

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- Le recours aux actes d'exécution porte sur un élément essentiel du projet de règlement puisqu'il s'agit de renforcer la lutte contre la fraude ;

- Les actes d'exécution ne sont pas transmis aux parlements nationaux pour contrôle du respect du principe de subsidiarité ;

- Face à la multiplication des cas de falsification de formulaire A1, il apparaît indispensable de sécuriser ce document, de prévoir sa déqualification devant une juridiction en cas de doute sur sa véracité et de mettre en place une procédure de déclaration préalable, ce qui suscite des débats approfondis entre les co-législateurs que ne permet pas un recours aux actes d'exécution ;

- La Cour de justice de l'Union européenne estime qu'une marge d'appréciation doit être laissée aux États membres quant à l'utilisation des formulaires de détachement aux fins de contrôle par les États membres d'accueil ; les restrictions à la libre prestation de services sont ainsi admises s'il existe une raison impérieuse d'intérêt général qui ne soit pas déjà sauvegardée, propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et que la mesure restrictive soit proportionnée ;

- L'uniformisation proposée par la Commission européenne contredit cette position en imposant une procédure de détermination des situations dans lesquels le document est délivré, ainsi que les éléments qu'il contient ;

Pour ces raisons, le Sénat estime que la proposition de règlement COM (2016) 815 final ne respecte pas le principe de subsidiarité et demande en conséquence qu'il en soit tenu compte.


* 1 Proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et le règlement (CE) n° 987/2009 fixant les modalités d'application du règlement (CE) n°883/2004

* 2 Arrêt de la Cour du 11 novembre 2014 Elisabeta Dano et Florin Dano contre Jobcenter Leipzig et Arrêt de la Cour du 15 septembre 2015 Jobcenter Berlin Neukölln contre Nazifa Alimanovic e.a.

* 3 Résolution européenne n°169 (2015-2016) sur la proposition de révision ciblée de la directive 96-71-CE relative au détachement des travailleurs, 1 er juillet 2016.

* 4 Arrêt de la Cour du 3 décembre 2014 Edgard Jan De Clercq e.a.

* 5 Directive 2014/67/UE du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) n°1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur

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