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N° 329

SÉNAT

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1993 - 1994

Annexe au procès-verbal de la séance du 12 avril 1994.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Conseil fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité (n° E-233),

Par M. Jacques LARCHÉ,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Élections et référendums - Conseils municipaux - Union européenne.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Gouvernement vient de soumettre au Sénat, en application de l'article 88-4 de la Constitution, la proposition de directive « fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils n'ont pas la nationalité », conformément à l'article 8 B § 1 du Traité sur l'Union européenne (n° E-233).

Chacun se souvient que la Constitution a dû être révisée en juillet 1992 pour la mise en oeuvre de ce traité, notamment afin d'autoriser les citoyens de l'Union résidant en France à participer aux élections municipales françaises. Il en est résulté l'article 88-3 de la Constitution, à l'élaboration duquel le Sénat a pris une part active, compte tenu de l'incidence directe des élections municipales sur l'élection des sénateurs.

Le Sénat a en particulier obtenu que la transposition de la directive européenne s'opère par la voie d'une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. Notre assemblée disposera donc, le moment venu, d'un plein pouvoir d'appréciation, tant politique que juridique, sur les termes de cette loi organique.

Cette procédure présente une différence essentielle avec la transposition de la directive sur la participation des citoyens de l'Union aux élections européennes. Les solutions qui ont été récemment adoptées à ce propos ne sauraient dès lors être étendues telles quelles aux élections municipales.

Pour ces dernières, le Traité sur l'Union européenne stipule que la directive devra être adoptée par le Conseil à l'unanimité et pourra comporter des mesures dérogatoires lorsque la situation spécifique d'un État le justifie.

A travers la règle de l'unanimité, la France détient donc un véritable droit de veto sur les termes définitifs de la directive,

Puisque l'accord du Sénat est nécessaire pour la loi organique de transposition, il paraît hautement souhaitable que le Gouvernement connaisse avant l'adoption de cette directive le point de vue du Sénat sur les modalités concrètes de la participation des citoyens de l'Union aux élections municipales françaises,

De cette sorte, c'est en toute connaissance de cause que le Gouvernement pourra négocier la directive au sein du Conseil européen, en obtenant les dérogations justifiées par les spécificités françaises. De cette sorte encore, le Gouvernement pourra subordonner l'accord de la France au respect de certains principes auxquels le Sénat, en tant qu'institution, ne peut que porter une attention toute particulière.

La présente proposition de résolution n'a pas d'autre objet : faire connaître en aval le point de vue du Sénat sur la proposition de directive pour qu'en amont, sa transposition puisse s'opérer sans difficulté particulière.

La présente proposition de résolution propose de retenir cinq principes essentiels :

- Le droit reconnu aux citoyens de l'Union de participer en qualité d'électeurs et d'éligibles aux élections municipales françaises ne saurait s'exercer que dans les limites étroites que fixe l'article 88-3 de la Constitution. De ce principe découle leur non-participation à l'élection des conseillers de Paris, puisque ceux-ci sont aussi conseillers généraux du département de Paris.

- Les conseillers municipaux de nationalité étrangère ne devront pas prendre part à la désignation des maires et des adjoints, en raison des fonctions exercées par ceux-ci au nom de l'État.

- Les étrangers communautaires ne doivent pas siéger en trop grand nombre au conseil municipal, en tout premier lieu dans les communes de plus de 3 500 habitants. Faute de quoi, les équilibres politiques au sein des assemblées municipales risqueraient de s'en trouver perturbés, ne serait-ce qu'au moment de l'élection du maire ou lors de la désignation des électeurs sénatoriaux.

Cette préoccupation conduit à préconiser un plafond de candidatures étrangères, dont le taux maximum restera à déterminer lors de l'élaboration de la loi organique ; de la même manière, devront être interdites les listes de candidats ne comportant que des ressortissants communautaires. Il conviendra également, le moment venu, d'examiner soigneusement les modalités de désignation des délégués appelés à remplacer les conseillers municipaux étrangers.

- L'importance des élections municipales dans la vie politique française, tant locale que nationale, conduit pareillement à réserver le droit de vote aux seuls citoyens de l'Union justifiant d'au moins cinq ans de résidence dans la commune, c'est-à-dire d'une communauté de vie et d'intérêts d'une durée suffisante pour qu'un étranger soit associé à la vie politique de cette commune.

- Dans un État qui, comme la France, a jusqu'à présent lié le droit de vote à la nationalité française, la participation des citoyens de l'Union aux élections municipales ne peut être conçue comme un point de départ mais plutôt comme l'aboutissement de la nouvelle « citoyenneté de l'Union », telle qu'elle est créée par le Traité sur l'Union européenne.

Or à ce jour, cette Union européenne est encore en construction : elle ne deviendra parfaite que dans sa troisième phase, c'est-à-dire avec le passage à une monnaie unique. Ce n'est donc qu'après l'institution de cette monnaie unique que les ressortissants communautaires pourront exercer la plénitude des prérogatives liées à cette nouvelle citoyenneté de l'Union.

C'est la raison pour laquelle la présente proposition de résolution demande que la directive laisse aux États le choix de la date de mise en oeuvre de l'article 8 B § 1 du Traité sur l'Union européenne tant que cette troisième phase ne sera pas devenue effective.

Tels sont les principes essentiels dont le respect paraît s'imposer lorsque la France sera appelée à donner son accord à la proposition de directive sur la participation des citoyens de l'Union aux élections municipales.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 8 B § 1 du Traité sur l'Union européenne, stipulant que « Tout citoyen de l'Union résidant dans un État membre dont il n'est pas ressortissant a le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'État membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État Ce droit sera exercé sous réserve des modalités à arrêter avant le 31 décembre 1994 par le conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la commission et après consultation du Parlement européen ; ces modalités peuvent prévoir des dispositions dérogatoires lorsque des problèmes spécifiques à un État membre le justifient »,

Vu la proposition de directive adoptée à cet effet par la commission européenne le 23 février 1994 et transmise au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution n° E-233),

Vu l'article 88-3 de la Constitution, disposant que « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article »,

Vu l'article 24 de la Constitution, aux termes duquel le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République,

Considérant l'importance des élections municipales dans la vie politique française et leur incidence directe sur l'élection des sénateurs ;

- estime que le Sénat, en tant qu'institution, ne peut que porter une attention toute particulière à l'élaboration d'une directive dont la mise en oeuvre intéresse directement les modalités concrètes de la représentation parlementaire, puisque les délégués des communes forment l'essentiel du collège électoral des sénateurs ;

- rappelle que c'est précisément pour ce motif qu'à la différence des élections européennes, la participation des citoyens de l'Union aux élections municipales doit faire l'objet d'une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées ; que le Constituant a ainsi conféré au Sénat un plein pouvoir d'appréciation tant politique que juridique sur les termes de cette loi organique ;

- souligne que la directive ne peut être adoptée qu'à l'unanimité, ce qui confère un droit de veto à chacun des États membres ;

- estime donc souhaitable que le Gouvernement connaisse, avant que les négociations ne s'engagent au sein des instances communautaires, le point de vue du Sénat sur la proposition de directive du 23 février 1994 ;

- relève que le Conseil de Paris est à la fois le conseil municipal de la ville de Paris et le conseil général du département de Paris ; que la Constitution n'autorise pas les étrangers communautaires à participer à l'élection de conseillers généraux ; que la situation du Conseil de Paris constitue dès lors un des « problèmes spécifiques » pour lesquels le Traité sur l'Union européenne prévoit la possibilité de dispositions dérogatoires ; demande donc qu'une exception à l'article 8 B § 1 soit faite pour Paris ;

- souhaite que la proportion d'étrangers communautaires élus dans les conseils municipaux demeure inférieure à celle des nationaux, pour ne pas déséquilibrer leur fonctionnement et, partant, la gestion des communes ; demande qu'en raison du mode de scrutin des conseillers municipaux, notamment dans les communes de plus de 3 500 habitants, un mécanisme soit mis en oeuvre pour éviter que les élus non nationaux y siègent en trop grand nombre, moyennant la fixation d'un plafond de candidats étrangers sur les listes en présence ; recommande, en tout cas, l'interdiction de listes ne comportant que des étrangers communautaires ;

- constate que la participation des citoyens de l'Union aux élections municipales en qualité d'électeurs et d'éligibles ne leur donne pas pour autant vocation à participer à l'élection du maire et des adjoints ; recommande donc que les conseillers municipaux étrangers n'y participent pas ;

- demande que seuls les étrangers communautaires justifiant d'une durée de résidence d'au moins cinq ans dans une commune soient admis à y voter, sous réserve par ailleurs qu'ils n'exercent pas simultanément ce droit dans un autre État de l'Union et ne l'aient pas exercé pendant la durée considérée ;

- insiste sur le fait que l'élément essentiel de la citoyenneté de l'Union -à savoir la participation aux élections municipales dans l'État de résidence- n'est pas le point de départ mais l'aboutissement du processus de construction de l'Union européenne, qui s'achèvera avec l'entrée en vigueur de la troisième phase de l'Union économique et monétaire, c'est-à-dire avec le passage à une monnaie unique ; souhaite en conséquence que la directive laisse aux États le choix de la date de mise en oeuvre de l'article 8 B § 1 du Traité sur l'Union européenne tant que cette troisième phase ne sera pas devenue effective ;

- invite le Gouvernement à exercer pleinement son pouvoir de négociation au sein du Conseil de l'Union, de façon à subordonner l'accord de la France au respect de l'ensemble des principes posés pas la présente résolution.

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