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N° 387

SÉNAT

SECONDE SESSION ORDINAIRE DE 1993 - 1994

Annexe au procès-verbal de la séance du 3 mai 1994.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

PRÉSENTÉE EN APPLICATION DE L'ARTICLE 73 BIS DU RÈGLEMENT, sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et sur la proposition de directive du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (n° E-211),

Par M. Jacques OUDIN,

Sénateur.

(Renvoyée à la commission des Affaires économiques et du Plan sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)

Union européenne - Électricité - gaz.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 21 février 1992, la Commission européenne a publié des propositions de directives concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et le marché intérieur du gaz naturel.

Le Conseil des ministres, après avoir examiné ces propositions, a demandé à la Commission de les modifier à la lumière de ses travaux et de l'avis du Parlement européen rendu le 17 novembre 1993.

Le 7 décembre 1993, la Commission a formulé de nouvelles propositions qui ont été publiées le 7 mars 1994.

Le Premier ministre ayant accepté de soumettre au Sénat et à l'Assemblée nationale les propositions de directives, bien que celles-ci aient été transmises au Conseil des ministres avant la révision constitutionnelle de juin 1992, la proposition d'acte communautaire n° E-211 a été déposée sur le Bureau du Sénat le 9 février 1994.

Cette proposition est donc constituée des deux propositions de directives de la Commission publiées le 21 février 1992. Naturellement, la présente proposition de résolution portera sur les propositions de directives modifiées qui constituent désormais la base de discussion dans le processus décisionnel communautaire.

Un sujet aussi complexe et fondamental mérite une réflexion approfondie. Aussi proposerons-nous à la Délégation pour les Communautés européennes de publier prochainement un rapport d'information.

Toutefois, afin que le Sénat puisse adopter une résolution dans les meilleurs délais, il importe de mettre en oeuvre dès à présent la procédure prévue à l'article 73 bis du règlement. Tel est l'objet de la présente proposition de résolution.

*

* *

Dans ses propositions initiales, la Commission européenne envisageait la réalisation du marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel selon une approche en trois étapes :

La première étape a consisté en la mise en oeuvre des directives de 1990 et 1991 sur le transit de l'électricité et du gaz naturel ainsi que sur la transparence des prix.

La seconde étape , qui faisait l'objet des propositions de directives déposées en 1992, était constituée des éléments suivants :

- l'abolition des droits exclusifs de production d'électricité et de construction de lignes électriques et de gazoducs ;

- la séparation, pour les entreprises verticalement intégrées, de la gestion et de la comptabilité des activités de production, transmission et distribution ;

- l'introduction d'une première étape limitée d'accès des tiers au réseau réservée aux autoproducteurs pour la fourniture de leurs propres besoins, aux grands clients dépassant certains seuils de consommation et aux compagnies de distribution sous certaines conditions.

La troisième étape , à partir du 1 er janvier 1996, devait conduire à l'achèvement du marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel à la lumière des résultats de l'étape précédente.

Les propositions modifiées de la Commission font suite aux observations du Conseil des ministres et à l'avis du Parlement européen. Il faut signaler à ce stade que, du fait de l'entrée en vigueur du traité sur l'Union européenne, la présente proposition d'acte communautaire fait l'objet d'une procédure de co-décision qui implique un renforcement des prérogatives du Parlement européen.

Les modifications importantes introduites par la Commission sont les suivantes :

- l'accès réglementé des tiers au réseau est remplacé par un accès négocié assorti de mécanismes d'arbitrage en cas de difficultés dans la négociation ou dans l'exécution du contrat, mécanismes qui ne peuvent se substituer aux voies de recours offertes par le droit communautaire ;

- une procédure d'appel d'offres peut être utilisée pour l'octroi de nouvelles capacités de transport et de production comme alternative à un système de licences transparent et non-discriminatoire ;

- la séparation de la gestion des activités de production, transmission et distribution est supprimée ; la séparation comptable est, en revanche, maintenue.

Ces nouvelles propositions posent deux problèmes essentiels :

* Il est indispensable que les États ayant une conception exigeante des missions d'intérêt économique général ne soient pas contraints, à court ou moyen terme, d'y renoncer. La proposition modifiée de directive dispose que « Les États membres peuvent imposer, dans le respect du droit communautaire, des obligations de service public aux entreprises opérant dans le secteur de l'électricité en ce qui concerne la sécurité, la régularité, la qualité et le prix des fournitures ».

Cette formulation, respectueuse du principe de subsidiarité, risque cependant de conduire à de nombreux contentieux et, à terme, à une remise en cause des missions d'intérêt économique général. Il est donc nécessaire que les États aient la possibilité, dès avant l'adoption des propositions de directives, de préciser le contenu qu'ils entendent donner aux missions d'intérêt économique général. Ces missions d'intérêt économique général ne devraient pas pouvoir être remises en cause après l'adoption des propositions de directives.

* La difficulté la plus sérieuse est celle posée par l'Accès des Tiers au Réseau (A.T.R.). Certes, la Commission a renoncé à l'A.T.R. libre et obligatoire qu'elle envisageait précédemment. Néanmoins, l'A.T.R. négocié qu'elle propose désormais serait ouvert sur la base de critères généraux et les procédures de recours pourraient permettre à la Commission d'exercer une pression en faveur de son extension.

Or, l'A.T.R. présente de nombreux dangers :

- il conduira le producteur à choisir des investissements rapidement rentables, ce qui va contre la stratégie d'investissements à long terme entreprise par la France depuis longtemps ;

- il risque de mener à une dépéréquation des tarifs et, par là même, à une remise en cause de la politique d'aménagement du territoire. Les consommateurs éligibles à l'A.T.R. pourront négocier des tarifs avantageux, tandis que les petits consommateurs risquent de supporter le coût de cette concurrence ;

- il n'est pas compatible avec l'obligation de fourniture ; si un client peut choisir entre plusieurs fournisseurs, aucun d'entre eux ne pourra accepter de lui donner une assurance de fourniture ;

- dans le secteur du gaz naturel, l'A.T.R. favoriserait l'établissement de courants directs entre certains gros consommateurs et les producteurs. Or, ceux-ci sont peu nombreux ; il est donc important que la force d'achat soit elle aussi concentrée pour une meilleure négociation des contrats.

On ne peut accepter que soit remise en cause une organisation du transport et de la distribution d'électricité qui a fait ses preuves, au profit d'un système dont les risques sont considérables et les bénéfices, en termes de niveau des prix, très hypothétiques . Il faut en outre souligner que l'Accès des Tiers au Réseau n'est en aucun cas le corollaire indispensable de l'ouverture des monopoles de production, d'importation et d'exportation.

*

* *

La présente proposition d'acte communautaire pose également un problème juridique important. La Commission, au début de la procédure, a en effet envisagé de présenter ce texte sur la base de l'article 90-3 du Traité de Rome qui, selon l'interprétation qu'en fait la Cour de justice des Communautés européennes, lui permet de prendre seule des directives, dès lors qu'elles concernent le respect des règles de concurrence par les entreprises de service public.

C'est la pression des États membres de l'Union européenne qui a conduit la Commission à formuler ces propositions sur la base de l'article 100 A du Traité, qui implique la participation au processus décisionnel du Parlement européen et du Conseil.

Néanmoins, cette situation risque de se reproduire. On ne peut accepter que la Commission prenne seule, sans intervention des organes dotés d'une légitimité démocratique - Parlement européen et Conseil des ministres -, des décisions sur des sujets aussi importants que l'ouverture des monopoles électrique et gazier. Une telle procédure ne peut, en outre, que renforcer l'image d'une Union européenne au fonctionnement peu démocratique.

Il est nécessaire que l'article 90-3 du Traité de Rome soit modifié à l'occasion de la prochaine révision institutionnelle prévue en 1996 afin que le Parlement européen et le Conseil des ministres soient systématiquement associés au processus de décision.

Pour ces différents motifs, il vous est proposé, Mesdames, Messieurs, d'adopter la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu la proposition d'acte communautaire n° E-211 ;

Vu la proposition modifiée présentée par la Commission le 7 décembre 1993 ;

- Considérant que cette proposition a pour objet de réaliser le marché intérieur de l'électricité et du gaz naturel ;

- Considérant que cet objectif ne saurait être atteint que dans le respect des missions d'intérêt économique général incombant traditionnellement aux entreprises de ces secteurs ;

- Considérant qu'en vertu du principe de subsidiarité, l'organisation des services publics relève de la compétence des États membres de l'Union européenne ;

- Considérant que l'Accès des Tiers au Réseau (A.T.R.) présente des risques très grands pour un bénéfice hypothétique, dans le secteur du gaz naturel comme dans celui de l'électricité ;

- Considérant que la Commission a envisagé, dans un premier temps, de prendre la présente proposition d'acte communautaire sur la base de l'article 90-3 du Traité de Rome, c'est-à-dire sans intervention du Parlement européen et du Conseil ;

- Considérant que l'article 90-3, tel qu'il est utilisé par la Commission européenne et interprété par la Cour de justice des Communautés européennes, nuit au fonctionnement démocratique de l'Union européenne ;

Invite le Gouvernement

- à rappeler au Conseil de l'Union européenne la compétence des États membres en matière d'organisation des services publics et le principe de l'égalité des citoyens devant le service public ;

- à préciser ce que sont les missions d'intérêt économique général et à veiller à ce que ces missions, qui doivent avoir priorité sur toute autre considération, ne puissent être remises en cause après l'adoption des propositions de directives ;

- à refuser toute forme d'accès des tiers au réseau, dans le secteur de l'électricité comme dans celui du gaz naturel ;

Invite en outre le Gouvernement à mettre tout en oeuvre pour qu'une réforme de l'article 90-3 du Traité de Rome intervienne lors de la révision institutionnelle de 1996 afin que le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne soient systématiquement associés au processus décisionnel.

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