TEMOIGNAGE DE MONSIEUR MAURICE WASCELAIRE (ÉLEVEUR AYANT EU UNE BÊTE MALADE SANS LUI AVOIR DONNÉ DE FARINES CARNÉES)

M. REVOL.- Jean-Yves LE DEAUT a eu connaissance dans les Vosges d'un cas un peu particulier que connaît aussi Christian PONCELET. Nous avons demandé à Monsieur Maurice WASCELAIRE de nous apporter son témoignage et de poser une question aux intervenants de la table ronde.

Je lui laisse la parole. Il a eu une bête malade alors qu'apparemment elle n'avait jamais consommé de farines animales.

M. WASCELAIRE .- Je suis agriculteur producteur de lait dans le département des Vosges, sur la montagne. Je suis installé depuis 1974. L'installation est à 650 mètres d'altitude. J'ai 77 hectares de prairie naturelle pour 39 vaches laitières et autant de génisses.

Elles sont au pâturage l'été en prairie naturelle, avec pour complémentation alimentaire en moyenne 1 kg d'aliments " vache laitière ", plus de la luzerne déshydratée et du maïs épi. L'hiver, elles consomment le fourrage récolté sur nos prairies naturelles, 1 kg par jour d'aliments " vache laitière ", du maïs épi et de la luzerne.

La production de lait est plutôt extensive avec 4 800 kilos de lait par vache par an. Ce n'est pas très élevé, même dans ma zone.

Dans mon aliment à vache, à ma connaissance, je n'ai jamais acheté de farines de viandes. Quand je lis mes étiquettes, il est indiqué " issu de produits de meunerie, issu de produits de la fabrication du sucre, huiles et graisses ". Mes fournisseurs d'aliments me disent qu'il n'y a jamais eu de farines de viande. Je ne sais pas comment le cas est apparu.

M. LE DEAUT .- La vache malade est-elle née chez vous ?

M. WASCELAIRE .- Je suis installé depuis 1974 et, depuis cette date, il n'y a eu aucune introduction d'animaux. J'ai repris l'exploitation à la suite de mon père et depuis j'ai toujours élevé.

M. LE DEAUT .- Cette vache est née chez vous. Au début de sa vie, lui avez-vous donné des substituts lactés en plus du lait de la mère ?

M. WASCELAIRE .- Je pense que oui parce qu'en recherchant mes factures, j'ai constaté l'achat d'alimentation lactée.

M. LE DEAUT .- Il y a vraisemblablement dans les substituts lactés des graisses. N'est-il pas possible de former l'hypothèse selon laquelle il peut y avoir contamination à travers l'injonction de graisses animales dans d'autres produits maintenant interdits ?

M. ROBELIN .- Je prendrai beaucoup de précautions dans ma réponse car il est difficile de porter un diagnostic sur quelque chose qu'on ne voit pas.

Concernant les graisses et l'alimentation lactée, je ne mettrai pas l'origine à ce niveau. Les graisses utilisées dans l'alimentation lactée pour les veaux sont traitées comme celles utilisées dans les biscuits.

Le taux de protéines dans ces graisses est inférieur à 0,5 %. Personnellement, je ne fonderai pas l'hypothèse sur l'alimentation lactée.

Sans vouloir porter un diagnostic, en écoutant le récit, je m'interrogerais sur l'aliment appelé " vache laitière " sans faire porter aucune responsabilité à quiconque. Nous n'avons pas la preuve en écoutant que l'aliment dit " vache laitière " ne contenait pas de farines animales mais, encore une fois, je ne voudrais pas accuser quiconque dans cette affaire.

Actuellement, un certain nombre de circuits sont " tracés " et les aliments donnés aux animaux dans un certain nombre de circuits tracés sont, au moment de l'achat, mis sous forme d'échantillon conservé avec un numéro de référence.

Je ne veux pas refaire le monde mais dire que nous sommes dans un système de traçabilité de l'alimentation qui permettrait maintenant de retrouver l'origine du problème. Il faudrait avoir des échantillons de l'aliment donné et faire une analyse pour répondre réellement. Je n'ai émis qu'un certain nombre d'hypothèses mais je voulais par la fin de mon intervention dire que l'on avait fait un certain nombre de progrès sur la traçabilité que nous ne pouvons qu'encourager.

En clair, prendre des échantillons de l'alimentation s'appelle un système de type assurance qualité ; ces échantillons étant conservés, on peut ensuite apporter des réponses basées sur des analyses alors que je ne peux faire que des hypothèses.

M. LE DEAUT .- Quel âge avait la bête ?

M. WASCELAIRE .- La bête est née en 1995.

M. REVOL.- On ne peut pas porter de diagnostic mais on peut se poser la question de savoir si lorsqu'un cas est détecté, on mène une enquête chez l'éleveur pour améliorer la connaissance des causes de la transmission.

M. SAVEY .- Une enquête systématique est faite par la brigade nationale d'enquête vétérinaire qui a une méthodologie d'exploration bien typée. Mais ce type d'enquête doit être complété par des protocoles où on ne s'intéresse pas seulement aux cas mais à des animaux comparables qui sont soumis globalement aux mêmes facteurs de risque et qui ne sont pas malades.

C'est une étude dite " CAC témoin ". Un protocole a été élaboré et va très vite être mis en oeuvre.

La question soulevée par chaque cas est singulière. Or, les réponses que nous avons jusqu'à présent sont globales. On sait que globalement, jusqu'à présent, la voie essentielle d'exposition des bovins est d'ordre alimentaire. C'est une première chose.

Dans cet ordre alimentaire, il peut y avoir des croisements de circuit avec des farines de viande non suffisamment sécurisées, il peut y avoir d'autres hypothèses qu'il convient d'explorer, liées à la qualité d'autres aliments, en particulier les aliments d'allaitement

A côté de cette hypothèse alimentaire qui constitue l'essentiel du moteur du cycle dissémination-amplification, d'autres hypothèses ont été envisagées et ont reçu au Royaume-Uni, compte tenu de la non-pratique de l'abattage des troupeaux, des débuts de confirmation. Il est estimé que dans ce pays (selon les modalités de calcul, le chiffre varie) quelques pour-cents des cas actuellement constatés sont liés à une transmission directe entre la mère et le veau.

Rien n'interdit, du point de vue scientifique, d'autres hypothèses qui contribueraient très peu au problème en ce moment mais qui pourraient y contribuer de façon plus significative dans le futur. Je profite de cette question pour dire que le vrai problème devant nous tous, aussi bien au Royaume-Uni que dans d'autres pays, n'est plus le contrôle du mode épisodique de la maladie mais de vivre avec une maladie qui va très probablement persister à bas bruit mais pendant très certainement très longtemps.

En termes de santé publique comme en termes de mise en oeuvre d'une série de mesures de précaution, c'est le problème auquel il faut réfléchir dès maintenant, c'est-à-dire essayer de bien identifier par les études appropriées ce qui pourrait quelque part faire qu'il y ait une espèce de persistance, qui est une grande loi des maladies infectieuses en général.

Pr Mc CONNELL .- J'ai deux commentaires sur ce point.

Je suis tout à fait d'accord avec vous, Marc. Quand vous avez un cas isolé comme celui-là, il faut tenir compte du doute. Des agriculteurs bio au Royaume-Uni ont vu un cas isolé d'ESB. Il faut tenir compte du niveau de doute parce qu'il y a un niveau bas mais réel de transmission de la mère au veau. C'est quelque 10 % en théorie mais moins en pratique.

En Grande-Bretagne, nous avons vu un cas né bien après l'interdiction finale de 1986 ; ce veau était né d'une mère malade morte jeune pour des raisons qu'on n'a jamais pu identifier.

Il y a des cas rares comme celui-là.

Cela me désole d'entendre parler de cet incident car cette mesure d'abattage du troupeau est difficile pour vous, mais cela a-t-il toujours été un troupeau fermé, c'est-à-dire sans remplacement acheté à l'extérieur ?

M. WASCELAIRE .- C'est un troupeau fermé, il n'y a pas eu d'achat, pas d'introduction. Ma ferme est isolée.

M. LE DEAUT .- Monsieur SAVEY nous parlait d'enquête, a-t-elle eu lieu ?

M. WASCELAIRE .- Jusqu'à aujourd'hui, je n'ai pas eu d'enquête. Je l'attends d'un jour à l'autre.

M. REVOL.- Nous allons passer aux questions.

M. ROGEMONT .- Ma question s'adressait plus particulièrement au professeur Mc CONNELL, encore qu'elle puisse intéresser Monsieur ROBELIN ou d'autres.

Quelles seraient les raisons qui pourraient être invoquées pour que la France continue à ne pas importer de boeuf britannique ?

Pr Mc CONNELL .- A l'heure actuelle, il n'y en a aucune. La politique de l'interdiction était très sensée au début mais maintenant, avec la règle des 30 mois, nous n'avons pas vu un seul cas d'ESB chez des bovins de moins de 2 ou 3 ans. Il n'y en a pas. Les chiffres montrent qu'il y a moins d'un cas.

A l'heure actuelle on peut parler d'une élimination de l'ESB chez le bétail de Grande-Bretagne de moins de 30 mois. Vu la sévérité des mesures réglementaires, il n'y a aucune justification à l'heure actuelle de l'interdiction française.

C'est une réponse scientifique. Je comprends que les réponses politiques sont peut-être différentes.

M. GATIGNOL .- Les transparents qu'on nous a montrés nous indiquent qu'il existe un pic pour les animaux nés en 1993, 1994, 1995. Or, à cette époque, il y avait bien interdiction des FVO pour les bovins. Quelle explication peut être donnée à la contamination de ces animaux ?

En outre, vous avez dit que la sécurisation de ces farines carnées n'était pas encore démontrée. Peut-on la démontrer par un traitement approprié ou par l'origine de ces farines qui élimine les matériaux à risque ?

Madame LASMEZAS, tout à l'heure, dans vos essais de contamination, il me semble que vous avez toujours montré qu'il s'agissait de contamination avec des matériaux à risque. Est-ce que la farine de viande par voie orale ou par extrait a pu être source de contamination de la souris ?

Enfin, vous n'avez jamais cité le chien comme étant une espèce contaminée.

Mme LASMEZAS .- Je vais commencer par le chien, c'est la question la plus facile.

Des centaines de chiens ont été inoculés aux Etats-Unis avec différentes souches de Kuru, maladie qui atteignait l'homme en Papouasie Nouvelle-Guinée, avec la tremblante du mouton, avec d'autres souches humaines. Jamais le chien n'a pu être contaminé.

En Grande-Bretagne, une étude avait été entamée sur des chiens de chasse mais je crois qu'il y avait eu des problèmes sur les protocoles expérimentaux et qu'il n'a pas pu y avoir de conclusion ferme à ce sujet. Mais, à l'heure actuelle, on n'a jamais vu d'EBS chez un chien.

Concernant les farines, le principe de la sécurisation en 1996 consistait à supprimer des matières premières entrant dans la composition de ces farines, ces fameux abats spécifiés : le système nerveux central et les organes lymphoïdes. Les essais de transmission directe à la souris à partir des farines n'ont jamais été réalisés à ma connaissance.

Je voudrais ajouter un point sur ce qu'a dit le Professeur Mc CONNELL et rappeler que même si le nombre de cas de bovins en dessous de 30 mois est excessivement rare, il ne faut pas oublier qu'il peut y avoir des animaux en incubation à cet âge.

Pr ELOIT .- En matière de sécurisation des farines, j'ai dit qu'on ne pourrait être certain du degré de sécurisation des farines que 5 ans et quelque après juillet 1996. A contrario, si des cas d'EBS chez des animaux nés après 1996 apparaissaient, cela remettrait en cause cette sécurisation des farines, et peut-être indirectement la façon dont les MRS sont retirés de la fabrication de ces farines et de l'alimentation humaine puisqu'à partir de 1996 les farines ont été fabriquées à partir de matériaux consommables par l'homme.

M. SAVEY .- Un complément sur la différence qui pourrait exister en termes de résultat à partir d'expériences qui auraient pu être menée de façon comparative avec un aliment infectieux comme la cervelle par rapport aux farines de viandes et d'os.

Ce qui me désole (j'avais déjà eu l'occasion de le dire à la commission parlementaire de 1996, cela reste malheureusement toujours vrai), c'est que nous n'ayons aucune expérience faite avec des farines de viande et d'os comme matériel infectieux, en particulier par voie orale. Cela n'a été fait ni chez les bovins ni chez les ovins ni chez les caprins, et c'est pour cela que nous avions pu demander la disposition d'un certain nombre d'installations expérimentales.

C'est loin d'être anecdotique. Il y a un grand mystère scientifique et qui n'est pas sans conséquence en termes de politique de santé publique et de contrôle de la maladie animale, c'est le degré de passage de stade d'exposé au stade d'infecté puis au stade de malade. Il est clair qu'il y a certainement avec ce genre d'aliments moins infectieux que la cervelle quelque chose à apprendre.

Aujourd'hui, nous voyons des animaux essentiellement nés en 1994 et 1995, ce qui doit être interprété avec beaucoup de prudence puisque la durée d'incubation moyenne étant de 5 ans et le niveau de sensibilité des tests étant ce qu'il est, il est logique que nous détections essentiellement des animaux nés en 1995 et 1994.

Cela étant dit, nous avons déjà détecté 3 animaux nés en janvier 1996, un dans l'étude pilote et deux autres par le système d'épidémio-surveillance passive, ce qui veut dire que nos colonnes se remplissent comme elles le doivent, mais comme l'a dit Marc ELOIT (c'était l'un des arguments échangés avec nos amis britanniques), nous n'aurons d'indicateurs, à la fois en termes de situation épidémiologique de la maladie et en termes de résultats sur les tests rapides, qu'au cours de l'année prochaine.

Nous ne pourrons lire cette situation et nous projeter dans l'avenir qu'entre la fin 2001 et le début 2002. Nous aurons le minimum de recul nécessaire pour regarder les pyramides que je vous ai montrées et voir s'il y a des cas nés après le mois de juillet 1996 en France et leur nombre.

Nous sommes, comme les autres pays de l'Europe qui ont pris les mêmes mesures que la France (5 d'entre eux pour l'instant), dans une situation d'attente pour voir si ces mesures sont suffisantes ou non. Ce ne sera pas une réponse aussi binaire que cela.

M. GALLEY .- Madame LASMEZAS, vous avez dit que le prion pathologique se développait dans les ganglions lymphatiques d'abord, ensuite dans l'iléon, puis dans le cerveau et le système nerveux central.

Je crois savoir qu'il n'y a pas une différence de nature entre les terminaisons nerveuses du bras et ce qui se passe dans la moelle épinière. A-t-on l'assurance que les terminaisons nerveuses partant de la moelle épinière et allant irriguer l'ensemble du corps humain ou des mammifères sont protégées ? Comment peut-on expliquer qu'il y ait une contamination de la moelle épinière et qu'elle ne se propage pas au système nerveux global ?

Je prends le problème de la côte de veau, si on enlève la côte de veau et la moelle épinière et qui n'y a pas de risque sur la viande elle-même, il est évident que le problème se trouve simplifié. En revanche, s'il y a un risque sur les terminaisons nerveuses, c'est toute la viande qui est susceptible de présenter des risques.

Mme LASMEZAS .- Vous posez la question de l'infectiosité du système nerveux périphérique. Si on voulait schématiser, et je vous ai montré la détection d'infectiosité dans les ganglions rachidiens dans le cas des vaches qui avaient été contaminées expérimentalement dans l'expérience britannique, cela montre bien que les gros tronc nerveux qui sortent de la moelle épinière sont infectieux.

Schématiquement, plus on se rapproche du système nerveux central, qui au sens strict comporte le cerveau et la moelle épinière, plus la quantité d'infectiosité dans le nerf est importante. Elle est importante à la base des nerfs situés au niveau de la moelle épinière et, plus on s'en éloigne, plus on va dans les fins filets nerveux, plus cette quantité décroît.

Tout est une question de quantité. On arrive à détecter des doses très faibles d'infectiosité dans les nerfs périphériques mais ces doses sont tellement faibles qu'au niveau de la masse musculaire, expérimentalement, on n'a jamais pu transmettre aucune encéphalopathie spongiforme toute transmissible qu'elle soit.

Pr ELOIT .- Sur des modèles expérimentaux mais pas chez les bovins, on a fait des expériences pour en tirer des conséquences en matière d'analyse de risque mais il faut faire la différence entre ce que l'on a vu chez des bovins et ce que l'on a vu sur des modèles expérimentaux qui permet éventuellement de prendre des mesures de précaution ou de super précaution.

A la notion d'infectiosité très faible des nerfs périphériques, je réponds : " pas sur les bovins " ; dans les ganglions rachidiens oui, mais pas dans les extrémités nerveuses des nerfs périphériques dans le muscle.

M. LE DEAUT .- Vous maintenez qu'on n'a jamais trouvé d'infectiosité chez les bovins ?

Mme LASMEZAS .- Sur les ganglions rachidiens, on en a retrouvé chez les bovins. Sur les nerfs périphériques stricto sensu, on n'en a jamais retrouvé chez les bovins et c'est pourquoi je mettais l'accent sur le fait que les quantités sont minimales et qu'on se heurte au problème de la sensibilité de la possibilité de la détection.

Mais je suis d'accord avec le Professeur ELOIT pour dire qu'il y a un énorme différentiel et que nous sommes dans des doses subliminales qui n'ont jamais pu être détectées chez le bovin.

M. LE DEAUT .- Cela signifie que pour la viande rouge, y compris avec ses terminaisons nerveuses, il n'y a pour l'instant aucune preuve de contamination.

Mme LASMEZAS .- Exactement.

M. CHEVALLIER .- Pourriez-vous aujourd'hui confirmer que chez des bovins morts au bout de 40 mois vous n'avez pas trouvé de contamination au niveau du système nerveux périphérique ? Vous venez de le dire, cela peut être confirmé.

Vous avez présenté, Madame LASMEZAS, une diapositive montrant une différence entre la tremblante, qui est également une maladie à prions, et l'ESB. Actuellement, y a-t-il des études conduites pour expliquer pourquoi l'ESB est transmissible et la tremblante ne le serait pas ?

Mme LASMEZAS .- Il y a deux problèmes différents. Il y a le comportement de l'agent infectieux dans l'organisme : le comportement de l'agent de la tremblante est différent de celui de l'ESB en termes de répartition de l'infectiosité, c'est-à-dire qu'il ne se localise pas dans les mêmes endroits et ne se multiplie pas au même taux dans les mêmes endroits.

C'est ainsi que nous avons pu montrer que l'agent de la tremblante chez la souris se situait tout au long de l'intestin alors que l'agent de l'ESB est strictement localisé au niveau des formations lymphoïdes, là où il y a des cellules du système immunitaire, et ne se retrouve pas dans le reste de l'intestin.

C'est le problème de la répartition de l'infectiosité qu'a soulevé également le Professeur ELOIT.

Il y a le problème de la capacité de l'agent infectieux à passer d'une espèce à l'autre. En fonction des souches d'agents que l'on considère, cette capacité est différente et n'est pas prédictible.

Au départ, lorsque nous nous sommes retrouvés face à cet agent bovin, nous ne pouvions pas savoir s'il se transmettrait au mouton et, a fortiori, à l'homme, puisqu'il n'a jamais été démontré de liens entre la tremblante du mouton et la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

Cette capacité a des bases au niveau moléculaire qui restent non élucidées. On sait qu'un facteur important est celui du gène de la protéine du prion et plus le gène de la protéine du prion de l'hôte et du receveur sont proches, plus la transmission sera facilitée.

Néanmoins, il y a aussi la capacité propre à une souche donnée (agent transmissible non conventionnel) de pouvoir passer cette barrière d'espèce. Malheureusement, on ne sait toujours pas le prédire à l'heure actuelle.

M. LE DEAUT .- Avec les modèles " souris " dont nous avons parlé ce matin, pensez-vous que nous arriverons à résoudre cette question ?

Mme LASMEZAS .- Cette question a été en grande partie résolue puisque nous avons mené ces études sur le macaque qui montraient une sensibilité relativement importante du primate non humain à l'agent de l'ESB. Ces travaux se poursuivent dans l'étude du comportement de l'agent de l'ESB chez une espèce primate sur la répartition dans les différents tissus. Cela donnera un excellent modèle dans les études futures.

M. DENIS .- Concernant les brigades d'enquête vétérinaire, élément clé de la surveillance épidémiologique de la maladie chez les animaux, qui doivent faire des enquêtes sur l'alimentation des animaux, s'agissant des animaux sains des troupeaux où un élément est malade, quelles sont les enquêtes faites ? Jusqu'où vont-elles ? Peut-on imaginer pouvoir garder ces animaux un certain temps pour voir s'ils peuvent devenir malades ayant subi les mêmes conditions de vie ?

Est-ce que des tests sont faits pour savoir s'ils sont malades potentiellement, en phase d'incubation, ou vont-ils aussi loin que des tests génétiques pour voir s'il existe des différences génétiques au sein de ce troupeau qui pourraient expliquer que certains sont malades et d'autres non ?

M. SAVEY .- S'agissant du travail de la brigade nationale d'enquête vétérinaire, il y a ici un contrôleur général qui pourra répondre dans la deuxième séance.

Il existe une vraie problématique qui est celle de l'abattage du troupeau et celle de la proportion d'animaux qui, au moment où le troupeau est abattu, sont réellement infectés. Ce n'est qu'une partie de la réponse mais je vais quand même la traiter.

Pour l'instant, deux pays ont fait des études et ont trouvé avec les tests dont nous disposons actuellement, avec toutes leurs limites, et dans ce cadre très précis de l'investigation des cerveaux des animaux abattus, un nombre très petit d'animaux infectés détectables au moment où le troupeau est abattu.

C'est une première facette de la réalité.

La deuxième facette qui explique la position de Ian Mc CONNELL, qui s'appuie elle-même sur des travaux de Roy ANDERSON, c'est de regarder dans un pays comme la Grande-Bretagne, de façon rétrospective, avec dix ans de recul, ce qui se passe en moyenne lorsqu'on n'abat pas les troupeaux.

En moyenne, statistiquement, dans chaque troupeau où il y a eu un cas, au bout de 10 ans, 5 à 6 autres apparaissent. Roy ANDERSON, avec des modèles plus sophistiqués que ce que je vous explique ici, a pu calculer le facteur d'épargne de la politique d'abattage à l'irlandaise ou à la française. C'est pour cette raison que Ian vous a dit ce qu'il vient de vous dire.

En fait, j'ai calculé très simplement sur les 110 premiers troupeaux français abattus le facteur d'épargne. Si nous ne les avions pas abattus et si nous étions dans une situation comparable de celle de la Grande-Bretagne, nous n'aurions pas eu 110 cas mais 550.

Ce sont les cas animaux mais, en dessous, il y a ceux qui sont en incubation. Ils peuvent arriver, si on n'abat pas les troupeaux, dans la filière de l'alimentation. A ce moment, il faut multiplier le cas initial non pas par un facteur 5 mais par un facteur entre 10 et 25.

Il faut essayer, dans cette affaire de l'abattage des troupeaux, de bien regarder l'ensemble des réalités et de ne surtout pas se limiter à une tranche de la réalité dans un troupeau au moment de l'apparition du premier cas.

Enfin, je ne suis ni l'apôtre ni le détracteur de l'abattage de troupeaux mais je pense qu'en termes de santé publique, il est extrêmement important non pas de se focaliser sur une mesure, aussi contraignante soit-elle, mais d'essayer de développer une série de mesures cohérentes.

Lorsqu'on en fait évoluer une, il s'agit d'essayer de garder la cohérence du système entier.

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