CLOTURE DE LA JOURNEE PAR MONSIEUR RAYMOND FORNI, PRESIDENT DE L'ASSEMBLEE NATIONALE

M. FORNI - Clore une telle journée est toujours un exercice difficile, surtout lorsqu'on n'a pas assisté pas aux travaux qui ont été les vôtres au cours de cette journée sans doute passionnante. Je me suis dit qu'au fond un des moyens pourrait être de parler de philosophie et d'action politique ; comment, face à des événements aussi dramatiques, les politiques doivent-ils réagir ? Est-il possible d'imaginer qu'un instant ils perdent leur tendance naturelle d'exploiter, voire d'utiliser à des fins qui ne sont pas toujours destinées à régler le problème, des événements aussi douloureux que ceux que nous traversons actuellement ?

J'aurais pu aborder cette conclusion de cette manière mais ce sera sans doute l'objet d'un autre colloque que nous organiserons ici, tout à fait intéressant, puisque j'ai été confronté il y a quelques jours à la décision qu'il fallait prendre de savoir comment le Parlement allait pouvoir se saisir de cette question autrement qu'en organisant une fois de plus des " jeux du cirque ", sans doute passionnants pour ceux qui s'y livrent mais en tout cas peu susceptibles de faire avancer notre réflexion.

Il m'a semblé que s'il y avait un organisme approprié dans cette enceinte du Parlement, c'est-à-dire de l'Assemblée et du Sénat, qui pouvait répondre à notre préoccupation, c'était l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques. Or, comme j'y ai siégé quelque temps, que je connais le sérieux de ses travaux pour les avoir accompagnés à une certaine époque sur d'autres sujets, moins difficiles que celui-là, il m'est apparu que cette structure était la plus à même de répondre et de fournir à nos collègues parlementaires, et au-delà d'eux à l'opinion publique, une information aussi large que possible permettant de recadrer un peu les choses, de les prendre avec suffisamment de recul et de distance afin d'examiner ce problème avec plus de sérénité.

Avant toute chose, je souhaite remercier son président, le sénateur Henri REVOL et son vice-président, Jean-Yves LE DEAUT, d'avoir pu organiser aussi rapidement cette journée.

Vous êtes ici chez vous, cher Sénateur REVOL, puisque le système même de l'Office Parlementaire repose sur une alternance régulière, qui résulte uniquement du règlement qui fixe le fonctionnement même de l'Office : une fois le Sénat, une fois l'Assemblée Nationale. Tout cela permet d'avoir des échanges extrêmement fructueux en dehors de toute opinion. Et d'ailleurs, ce n'est même pas le règlement mais plutôt l'habitude qui permet de régler les problèmes au-delà des affrontements partisans qui font parfois du tort à notre démocratie.

Parce que nous sommes des politiques, ceux qui sont dans l'Office, qui participent à l'Office, mais aussi les autres à l'extérieur, nous avons besoin pour guider notre réflexion de prendre l'avis de ceux qui travaillent au quotidien à résoudre les problèmes que nous avons à traiter et parfois à traduire en termes de lois, puisque telle est la vocation du Parlement dans nos institutions.

Je ne doute pas que le résultat de cette journée est pour vous qui y avez participé passionnant, et je suis persuadé que ce travail sera tout aussi passionnant à lire lorsque le compte rendu sera publié.

La conclusion qu'on pourrait sans doute en tirer, parce que je me suis tenu informé du déroulement de votre journée, c'est que les gouvernements d'une manière générale et depuis déjà un certain temps - ce problème étant ancien puisqu'il remonte à deux décennies au moins - ont toujours pris sur ce sujet les décisions utiles en temps et en heure. C'est l'une des conclusions à laquelle personnellement j'aboutis.

On peut bien entendu dans l'instant polémiquer, mais lorsqu'on regardera les choses avec ce recul dont je parlais il y a un instant, sans doute arriverons-nous, quelle que soit la mauvaise foi qui puisse nous guider, à cette même conclusion : les gouvernements, quels qu'ils soient, ont pris les décisions qu'il fallait quand il le fallait.

Je crois que l'explication qui vous a été fournie il y a un instant par le Professeur Mc CONNELL tout particulièrement aura permis à la fois de nous inviter à relativiser le problème que nous vivons, même si ce sont des chiffres qui n'ont pas grande signification lorsque l'on tombe dans l'explication sociologique. 1 000 fois moins de cas d'ESB et 20 fois moins de sa variante humaine en France par rapport à l'Angleterre, ce n'est pas pour nous consoler mais ce sont des chiffres qu'il faut utilement rappeler à l'opinion publique. Il est utile de rappeler, comme il l'a fait lui-même, que les décisions qui ont été prises en France, quand on les regarde de l'extérieur, ont été prises de manière extrêmement rigoureuse après en avoir examiné la faisabilité, les possibilités techniques et sans doute, de manière accessoire mais non négligeable, les coûts de mise en oeuvre car tout ceci a une incidence financière qui n'est pas négligeable.

Nous avons aussi compris qu'il est sans doute plus important de bien maîtriser les facteurs essentiels, à savoir les matériaux à risque, que de multiplier les points d'intervention. Cela signifie qu'il n'y a pas lieu de polémiquer sur l'ampleur des moyens à mettre en oeuvre, il n'est en effet pas question de discuter la mise en oeuvre de ces moyens lorsqu'on traite de facteurs aussi essentiels. Ceci est valable pour la santé animale, mais aussi évidemment pour la santé humaine. Cela a été rappelé, je crois, cet après midi.

En revanche, pour d'autres mesures complémentaires, celle que Monsieur Martin HIRSH appelle les filets de sécurité, qui peuvent et doivent être prises, par exemple sur l'utilisation de farines animales, ou la généralisation des tests, il faut à partir du moment où elles sont moins essentielles, se poser la question de leur coût et de leur faisabilité technique. Il ne s'agit pas par exemple de décréter le test généralisé, encore faut-il savoir si les laboratoires qui les fabriquent ont la capacité de répondre dans l'heure à la décision qui aurait été prise par une autorité politique.

La table ronde sur le dépistage et le développement des tests rapides a, me semble-t-il, fait clairement apparaître que les problèmes de simple intendance sont eux-mêmes sujets à polémique, et quand je dis les problèmes de simple intendance, je devrais dire aussi malheureusement les problèmes de simple concurrence. En effet, la concurrence dans ce domaine n'est pas totalement exclue, et nous le savons bien. Aujourd'hui, entre les laboratoires suisses, ceux qui relèvent du CEA, quelques autres, ils ne sont pas très nombreux heureusement à être sur le marché, il y a des objectifs commerciaux à atteindre qui ne sont pas négligeables. Le risque n'est toutefois pas très grand car nous sommes tenus suffisamment informés des nouveautés et des découvertes pour savoir ce qu'il en est aujourd'hui du problème des tests.

Je crois enfin, et c'est peut-être le plus important, que vos débats ont parfois hésité autour des mots utilisés, les scientifiques ayant peut-être parfois quelques préétablis liés à la maîtrise qu'ils ont de leur sujet que nous n'avons pas, nous, parlementaires non spécialistes, et que n'a pas non plus a fortiori l'opinion publique, qui n'est pas différente du monde politique dans lequel nous évoluons. Nous avons en effet quelques difficultés à percevoir la lumière dans l'avalanche d'informations que nous recevons. Ce qui nuit à la lisibilité et à l'approche rationnelle de ce problème.

C'est pourquoi il faudrait pouvoir faire comprendre, synthétiser cette journée complète de travail en quelques phrases non techniques, ce qui est un exercice difficile, et susceptibles de convaincre nos concitoyens, ce qui l'est encore plus.

Quand Jean-François MATTEI indiquait, il y a quelques jours, que nous sommes confrontés avant tout à un problème de communication de gouvernement, je suis d'accord avec lui. Toutefois, la communication du gouvernement serait plus compréhensible si elle n'était pas, en quelque sorte, en concurrence avec les annonces et les commentaires d'autres communicants, prononcés d'ailleurs en toute honnêteté mais parfois avec quelques arrière-pensées. Je pense en particulier, vous l'aurez compris, à cette demande de la FNSEA de sortir des circuits la viande des animaux nés avant 1996, laissant croire ainsi que nous consommons aujourd'hui une viande dangereuse pour notre santé.

Quoi de mieux pour entretenir cette atmosphère d'insécurité alimentaire ? Comment éviter après cela que les gens pensent que l'affaire est bien plus grave qu'on ne le leur dit ?

Tout cela fait partie d'un mécanisme qui conduit à des comportements dont on a des difficultés à apprécier la rationalité et la logique. Autant une information fracassante peut infléchir l'opinion publique en quelques instants, autant le travail d'explication nécessite une véritable investigation pour être crédible.

Prenons l'exemple d'un article du Monde paru le 17 novembre dernier sur cette affaire d'animal atteint d'ESB et introduit, peut-être sciemment, dans l'abattoir de Villers-bocage. Cet article, d'une page entière, décrit pas à pas les détails des faits, ce qui a amené à l'espèce de panique à laquelle nous sommes confrontés, pour arriver aux deux dernières phrases qui en sont la synthèse :

" Au lieu de retenir que la vache malade a été interceptée avant d'être introduite dans le circuit d'abattage/transformation, on a focalisé sur le fait que la viande des autres animaux du même élevage, non malades, mais potentiellement suspects, a pu être diffusée et consommée. Le doute est ainsi instillé, la psychose peut commencer. "

Ce sont les deux dernières phrases de cet article.

Les spécialistes auront apprécié la précision des termes utilisés, mais le problème réside dans le fait qu'il aura fallu une page entière du quotidien et plusieurs semaines d'enquête pour que cette conclusion soit crédible. Cependant, qui a lu cet article ? Je n'ose pas dire qui lit le Monde ; on en connaît le nombre par le chiffre inscrit à la dernière page. Qui a lu cet article parmi ceux qui parlent, semble-t-il, en toute connaissance de cause de ces problèmes, y compris parmi les responsables politiques ?

Pourtant, il ne s'agit que d'un aspect parmi 100 de l'ensemble du dossier ; c'est un exemple que nous pourrions multiplier à l'infini. Faut-il croire que nous sommes condamnés, tout comme celui qui poussait le rocher pensant atteindre le but, à redescendre parce que l'information, une petite phrase, ruine tous les efforts que vous avez consenti à faire pour remonter la pente ?

Pourtant, nous avons dépensé une énergie considérable. L'Assemblée a fourni un rapport d'information du Professeur MATTEI il y a 3 ans. Il y a à peine 8 mois, nous avons eu un rapport d'enquête de notre ami CHEVALLIER. Bien entendu, l'Assemblée continuera à travailler sur ce sujet la semaine prochaine encore, puisque le 28 novembre nous consacrerons, au lieu et place des questions orales sans débat, 4 heures de débat au problème de sécurité alimentaire. Ceci permettra sans doute, du moins nous l'espérons, d'avoir grâce à votre travail, une série de questions mieux éclairées que celles que nous avons parfois à l'occasion des questions d'actualité qui se déroulent chaque semaine les mardis et mercredis.

Moi-même, je le dis sans préjuger des décisions que nous prendrons dans quelques semaines, pourquoi ne pas imaginer une nouvelle commission d'enquête, qui a d'ailleurs été demandée, qui porterait sur l'ESB et qui reprendrait le travail de Jean-François MATTEI et de Daniel CHEVALLIER ?

Cela ne me choquerait pas de revenir ainsi sur un problème dont on a le sentiment qu'il n'a pas été complètement traité, malgré les efforts que nous avons consentis.

A force de nous informer, de rechercher des informations nouvelles, dès qu'elles arrivent, nous sommes dans le rôle qui normalement est le nôtre : celui du contrôle de l'action du gouvernement. Le triptyque parlementaire, voter la loi, voter le budget, contrôler l'action du gouvernement, ne peut pas se dispenser de ce troisième pilier, qui devrait être beaucoup plus utilisé qu'il ne l'est à l'heure actuelle. Il n'est point nécessaire pour cela de transformer notre règlement, il suffit d'utiliser les outils qui sont à notre disposition.

Lorsque je dis à notre disposition, c'est à l'ensemble de la représentation nationale, opposition et majorité que je m'adresse. Faire comprendre à l'opinion, grâce à ce travail de contrôle de l'action du gouvernement, que nous sommes à même à un moment donné de faire des propositions qui permettent de résoudre une question est, je crois, l'essentiel du travail qui est le nôtre sans forcément que les médias soient les seuls à intervenir sur un sujet aussi difficile. Bien entendu, le comportement des médias à la recherche de l'événement qui fait l'actualité est légitime et normal et je n'entends pas le remettre en cause par cette remarque.

Il y a un instant, le Professeur WILL disait qu'on ne sait pas comment va évoluer la maladie humaine au Royaume-Uni, et ce que l'on ignore au Royaume-Uni, on l'ignore aussi chez nous. Cela me paraît être une évidence, et tous ceux qui font aujourd'hui des pronostics, même si on peut avoir quelque idée lorsqu'on est un spécialiste, s'aventurent beaucoup sans doute. Nous ne connaissons ni les périodes d'incubation, ni le développement de la maladie, ni comment elle se transmet. Nous sommes dans une certaine ignorance, et c'est cette ignorance qui fait peur.

Ceci me conduit à vous dire, Mesdames et Messieurs, que nous avons malheureusement sans doute encore beaucoup de travail devant nous, sans doute pour des années. Il nous faudra remettre sur le métier cet ouvrage.

Nous en sommes désolés compte tenu des conséquences et des problèmes que cela entraîne pour nous tous, pour nos concitoyens, pour des professionnels dans le cadre de filières qui seront à l'évidence désorganisées par les réactions auxquelles nous assistons aujourd'hui. C'est ainsi, et le Parlement sera là, je l'espère, non pas pour répondre ou apporter une réponse à tout, car celui qui sait tout est bienheureux et je ne connais pas de bienheureux en politique.

Je souhaite simplement que vous continuiez mes chers collègues dans le droit fil de ce qui a été initié aujourd'hui par l'Office Parlementaire d'Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, et je vous remercie cher Sénateur REVOL et cher Jean-Yves LE DEAUT pour ce que vous avez déjà accompli.

( Applaudissements... ).

La séance est levée à 18 heures.

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