Question de M. MADRELLE Philippe (Gironde - SOC) publiée le 05/07/2012

M. Philippe Madrelle appelle l'attention de Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation sur la question préoccupante à laquelle sont confrontés les départements pour boucler leur projet de budget primitif 2013.

Il lui rappelle qu'au cours des dernières années, les départements se sont élevés contre le caractère insuffisant des compensations des dépenses liées aux compétences transférées par l'État. C'est ainsi que pour la Gironde le coût global de cette absence de compensation s'élève en 2011 à 390 millions d'euros. À ces dépenses soumises à une évolution non maîtrisable, viennent s'ajouter les conséquences de la réforme fiscale avec la suppression de la taxe professionnelle et la suppression de la taxe d'habitation. La situation est alarmante : d'un côté, des recettes figées, de l'autre des dépenses non maîtrisables fortement à la hausse.

Il lui demande de bien vouloir lui préciser les mesures qu'elle compte prendre afin d'assurer la sauvegarde des départements.

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Transmise au Ministère de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique


Réponse du Ministère de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique publiée le 18/07/2012

Réponse apportée en séance publique le 17/07/2012

M. Philippe Madrelle. En tant que président du conseil général de la Gironde, je tiens à exprimer ma satisfaction, qui doit être aussi celle de nombreux collègues présidents de conseil général, de savoir que nous n'aurons pas à mettre en œuvre la réforme territoriale imaginée par le précédent gouvernement et que le conseiller territorial créé par la loi du 16 décembre 2010 ne verra jamais le jour.

Ce motif de satisfaction ne peut dissimuler l'inquiétude liée aux difficultés que les conseils généraux éprouvent à boucler le projet de budget primitif pour 2013. Je ne rappellerai pas le rôle essentiel joué par les départements dans les politiques de solidarité, qui représentent le cœur de métier de nos conseils généraux. Ces politiques sont mises à mal, d'une part, par l'insuffisance des mécanismes de compensation des dépenses liées aux transferts des compétences de l'État, et, d'autre part, par les conséquences négatives de la réforme fiscale, avec la suppression de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle.

Nous avons bien noté la volonté du Président de la République de restaurer des relations de confiance entre l'État et des collectivités fortes, avec une décentralisation aboutie, au service des citoyens. Néanmoins, pour réussir cette troisième étape de la démocratie territoriale dans un contexte budgétaire tendu, il apparaît essentiel de restaurer les capacités financières locales.

Comme chacun le sait, depuis plusieurs années, pour faire face aux compétences qui nous ont été confiées sans être pour autant financées, nous avons dû faire appel à la fiscalité locale. À titre d'exemple de ces transferts, vous me permettrez de rappeler la loi de 2001 créant l'allocation personnalisée d'autonomie, les lois de 2002 et 2004 départementalisant les services d'incendie et de secours et confiant aux départements le soin d'équilibrer leur budget, la loi de 2003 relative au transfert du RMI, devenu RSA en 2010, la loi de 2004 relative au transfert des routes nationales et des personnels chargés de l'entretien et de la restauration dans les collèges, la loi de 2005 créant la prestation de compensation du handicap.

Traduite en coût global cumulé de la compensation, cette lourde énumération représente pour le conseil général de la Gironde la somme de 390 millions d'euros pour la seule année 2011. Ce montant est supérieur à celui que nous consacrons annuellement à nos investissements.

Vous le savez, madame la ministre, cette politique d'accompagnement qui s'adresse aux plus vulnérables constitue le socle de notre pacte social républicain. Mon propos n'est pas de la remettre en question, mais elle concerne des dépenses soumises à une évolution soutenue : entre 2008 et 2011, le coût des trois allocations individuelles de solidarité a progressé de 31 %.

Cette évolution est par nature impossible à maîtriser. Elle est aussi de plus en plus difficile à supporter si on lui ajoute les conséquences négatives de la réforme fiscale imposée par le gouvernement précédent, qui ampute considérablement notre autonomie financière. C'est ainsi que, en Gironde, notre liberté de décision en matière de mobilisation de ressources est passée à moins de 17 %, contre plus de 37 % auparavant.

Dans de nombreux départements, cette situation se traduit par une équation budgétaire d'une limpidité inquiétante : le rythme d'augmentation de ces allocations de solidarité nationale est constamment plus élevé que celui des recettes pérennes de la fiscalité et des compensations.

Dans un tel contexte d'effet de ciseaux budgétaire, l'alternative est simple : soit l'État transfère une nouvelle ressource pérenne ou indexée pour financer ces allocations, soit il les prend à sa charge, au nom de la solidarité nationale et de l'égalité des bénéficiaires, indépendamment de la diversité de fragilité financière des départements.

J'ajoute que ces derniers engagent par ailleurs des dépenses non obligatoires de solidarité et de péréquation territoriale, qu'il serait particulièrement hasardeux de considérer comme des variables d'ajustement au lendemain d'élections présidentielle et législatives ayant révélé les inquiétudes et le désarroi d'un monde rural que les conseils généraux tiennent à bout de bras depuis que l'on a renoncé à toute politique rurale et d'aménagement du territoire sur le plan national.

Dès lors, madame la ministre, une question se pose : quelle est la solution pour boucler un budget constitué de dépenses qui augmentent fortement sans pouvoir être maîtrisées et de recettes qu'il n'est plus possible de faire évoluer suffisamment pour couvrir les dépenses ?

Sachez que nous sommes déterminés à réussir avec vous un nouvel acte fort de la décentralisation : l'approfondissement du rôle et des compétences du département, lequel doit être au service des citoyens qui y vivent.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le sénateur, soyez assuré que nous ferons le nécessaire pour apposer le mot « fin » sur cette histoire du conseiller territorial, que le Sénat a d'ailleurs commencé à écrire en adoptant une proposition de loi relative à son abrogation.

Vous avez appelé mon attention, ainsi que celle du ministre de l'économie et des finances ici présent, qui est très intéressé par le sujet, sur la situation des départements, qui sont de toute évidence confrontés à des difficultés financières spécifiques. Comme vous l'avez rappelé, leurs marges de manœuvre ont été limitées par la réforme de la taxe professionnelle puisqu'ils ne peuvent désormais plus voter que les taux de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Certes, le produit des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO, a progressé de 1,4 milliard d'euros en 2011, mais, selon les dernières données disponibles, il pourrait se stabiliser en 2012. Il présente en effet l'inconvénient d'être très volatile.

Parallèlement à cette tension sur les recettes, les dépenses des départements en matière d'action sociale sont en forte progression : elles ont ainsi augmenté de 18 % entre 2008 et 2011. Or, en 2011, les départements ont reçu 8,48 milliards d'euros de concours financiers de l'État, pour le revenu de solidarité active - le RSA -, l'allocation personnalisée d'autonomie - l'APA - et la prestation de compensation du handicap - la PCH -, alors que leurs dépenses se sont élevées à 14,28 milliards d'euros - soit un différentiel lourd, de presque 6 milliards d'euros.

Une partie de ce différentiel est liée à la progression du coût des allocations depuis leur transfert aux départements ; c'est en particulier le cas du RSA. Une autre partie résulte du mode de financement choisi pour l'APA, partagé entre les départements et la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

Pour faire face à ces dépenses, certains départements ont déjà procédé à des coupes claires dans d'autres postes budgétaires, notamment dans des dépenses d'équipement, ce qui n'est pas bon pour la croissance. Ainsi, entre 2008 et 2011, les dépenses d'équipement direct des départements dans leur ensemble ont diminué de 18,6 %, tandis que les subventions d'équipement ont elles aussi fortement baissé, de 15,6 %. Le Gouvernement en a bien conscience.

C'est notamment pour apporter des solutions pérennes à ce problème de financement que le Président de la République et le Premier ministre ont lancé une réforme de la dépendance. Pour ma part, j'ai proposé que l'on étudie la possibilité qu'une part de l'impôt national - elle reste à définir - contribue au financement. Ma collègue Marisol Touraine et moi-même avons commencé à explorer cette piste. Sur ce point, comme sur bien d'autres, les travaux du Parlement nous seront très utiles.

L'examen du projet de loi de finances pour 2013 sera l'occasion de débattre de la mise en œuvre d'un fonds de péréquation départemental de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE. En effet, comme l'a relevé, dans son rapport, la mission commune d'information du Sénat que présidait Anne-Marie Escoffier, qui vient d'être nommée ministre déléguée, la CVAE est moins équitablement répartie que ne l'était la taxe professionnelle, et la création d'un tel fonds de péréquation permettrait de soutenir financièrement les départements les plus défavorisés.

Le Comité des finances locales a créé un groupe de travail sur le sujet, dont les travaux doivent aboutir rapidement - je l'espère, avant la fin du mois de juillet. Nous travaillerons sur ses propositions pour présenter au ministre de l'économie et des finances, puis au Premier ministre, des hypothèses de mise en œuvre.

De son côté, le Fonds national de péréquation des DMTO, déjà en vigueur, permettrait de redistribuer des sommes non négligeables : 458 millions d'euros attendus en 2012, après 440 milliards d'euros en 2011.

Enfin, je souhaite réaffirmer la volonté du Gouvernement de procéder aux réformes structurelles nécessaires, dont vous avez parlé, pour que la fiscalité, dans les territoires, soit plus juste. C'est la raison pour laquelle j'étudie les propositions des sénateurs François Marc et Pierre Jarlier pour, d'une part, adapter les modalités de révision des valeurs locatives professionnelles et, d'autre part, étendre l'expérimentation à la révision des valeurs locatives d'habitation. Ce n'est pas une mince affaire ! Le processus de révision des valeurs locatives vise à une meilleure justice fiscale et répond à la multiplication des contentieux fiscaux portant sur les assiettes actuelles.

Il faudrait par ailleurs renforcer la péréquation horizontale promue par le Gouvernement ; nous nous y employons.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement est au travail sur cette question comme sur toutes celles qui concernent les collectivités territoriales. Il est soucieux de travailler en étroite collaboration avec les élus locaux et le Parlement. Il prendra notamment en compte les travaux du futur Haut Conseil des territoires, que le Président de la République appelle de ses vœux et dont la création a été confirmée par le Premier ministre lors de sa venue dans cet hémicycle, le 4 juillet dernier.

Il est évident que les sujets de la péréquation et les réponses à apporter au « déficit des départements » - je reprends votre expression - seront à l'ordre du jour de la préparation de la loi de finances comme des lois de décentralisation, lesquelles doivent nous permettre d'avoir des assiettes fiscales justes, répartissant équitablement les recettes sur nos territoires. En effet, si les territoires sont, pour nos concitoyens, des lieux de vie, ils sont aussi des lieux de production et participent au redressement de la France.

M. le président. La parole est à M. Philippe Madrelle.

M. Philippe Madrelle. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse très argumentée.

Vous l'avez bien compris, les dépenses des conseils généraux explosent, notamment dans le domaine de la solidarité, tandis que leurs ressources s'effritent inexorablement. Les collectivités territoriales ont progressivement perdu leur autonomie fiscale, réduite à 10 % des recettes des régions et à 17 % de celles des départements.

Vous venez de le dire, il faut préserver à tout prix une filière de proximité et de services autour du couple commune-département, afin d'enraciner la démocratie républicaine au plus près des citoyens, à une époque où, après les quartiers « ghettos », le sentiment d'abandon pousse les votes ruraux vers les mirages et les populismes du Front national.

Je fais confiance à votre volonté politique et à celle du Gouvernement pour trouver des solutions efficaces et durables permettant de sortir du contexte mortifère dans lequel se débattent les départements.

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