Question de M. GRIGNON Francis (Bas-Rhin - UMP) publiée le 26/07/2012

Monsieur Francis Grignon attire l'attention de M. le ministre de l'économie et des finances sur le détournement des règles communautaires de détachement des travailleurs dans le secteur du bâtiment.

La main d'œuvre dans le secteur du bâtiment a pris le chemin de la délocalisation. Cette délocalisation revêt différents aspects. Les grands chantiers font l'objet d'appels d'offres européens. Et lorsqu'il s'agit de marchés inférieurs au seuil des appels d'offres européens, ils sont régulièrement attribués à des entreprises européennes, notamment en Alsace à des entreprises de droit allemand. Ces entreprises ne sont pas plus performantes que les nôtres, et leurs salariés n'ont pas un rendement supérieur aux salariés des entreprises françaises. La différence s'explique par le taux horaire des salaires. Le BTP allemand emploie massivement de la main-d'œuvre provenant notamment de Pologne, de Hongrie, de Roumanie ou de Bulgarie. Les salaires proposés sont très bas : entre 3 et 7 euros de l'heure, contre 9 à 15 euros pour les ouvriers français (hors charges sociales). Cet écart de compétitivité de 3 à 5 euros de l'heure crée une distorsion de concurrence insupportable pour les entreprises françaises. L'Allemagne continue à laisser les entreprises du secteur du BTP jouer sur la confusion entre les statuts de détachés et d'intérimaire pour payer leurs employés étrangers moins chers. La loi allemande transposant la législation communautaire n'impose pas aux entreprises d'offrir aux détachés des rémunérations équivalentes à celles de leurs propres salariés. Elle les contraint uniquement à traiter leurs intérimaires avec les mêmes égards que leurs propres employés. Ainsi, les entreprises allemandes disent utiliser des travailleurs détachés, alors qu'il s'agit bien d'intérim déguisé.

Il lui demande donc quelles sont les mesures que le Gouvernement entend mettre en œuvre pour pérenniser les emplois des salariés du secteur du bâtiment face à la concurrence déloyale de certains de leurs confrères européens.

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Transmise au Ministère du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social


Réponse du Ministère chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage publiée le 03/10/2012

Réponse apportée en séance publique le 02/10/2012

M. Francis Grignon. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage, mes chers collègues, ma question porte sur le détournement des règles communautaires de détachement des travailleurs dans le secteur du bâtiment. La main-d'œuvre dans le secteur du bâtiment a pris le chemin de la délocalisation, qui revêt différents aspects. Les grands chantiers font l'objet d'appels d'offres européens, et, lorsqu'il s'agit de marchés inférieurs au seuil des appels d'offres européens, ils sont régulièrement attribués à des entreprises européennes, notamment, en Alsace - d'où je viens -, à des entreprises de droit allemand.

Ces entreprises ne sont pas plus performantes que les nôtres et leurs salariés n'ont pas un rendement supérieur aux salariés des entreprises françaises. La différence s'explique par le taux horaire des salaires.

Le secteur économique du bâtiment et des travaux publics allemand emploie massivement de la main-d'œuvre provenant notamment de Pologne, de Hongrie, de Roumanie ou de Bulgarie. Les salaires proposés sont très bas : entre 3 et 7 euros de l'heure, contre 9 à 15 euros pour les ouvriers français, hors charges sociales. Cet écart de compétitivité de 3 à 5 euros de l'heure crée une distorsion de concurrence insupportable pour les entreprises françaises.

L'Allemagne continue à laisser les entreprises du secteur du BTP jouer sur la confusion entre les statuts de détachés et d'intérimaires pour payer leurs employés étrangers moins chers. La loi allemande transposant la législation communautaire n'impose pas aux entreprises d'offrir aux détachés des rémunérations équivalentes à celles de leurs propres salariés. Elle les contraint uniquement à traiter leurs intérimaires avec les mêmes égards que leurs propres employés. Ainsi, les entreprises allemandes disent utiliser des travailleurs détachés, alors qu'il s'agit bien d'intérim déguisé.

Ce phénomène se produit dans le BTP, mais aussi dans de nombreux autres secteurs, en particulier dans l'industrie, ainsi que dans des secteurs qui relèvent de l'agriculture, puisque, dans notre région, les maraichers souffrent énormément de cette distorsion de concurrence.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'aimerais connaître les mesures que le Gouvernement entend mettre en œuvre pour garantir plus d'équité dans ce domaine.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Thierry Repentin, ministre délégué auprès du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargé de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le sénateur, vous avez attiré l'attention du Gouvernement sur les conditions d'intervention en France, notamment dans les zones frontalières, d'entreprises établies dans un autre pays membre de l'Union européenne, et plus particulièrement de celles qui sont établies en Allemagne.

Ces dernières interviennent notamment en région Alsace dans le secteur du BTP, en s'affranchissant visiblement de certaines règles inhérentes au détachement de travailleurs.

Dans ce contexte, vous avez souhaité connaître les initiatives envisagées ou déjà prises afin d'apporter les solutions attendues et de mettre fin à ces pratiques de dumping social qui engendrent une concurrence déloyale.

La réponse que je vais vous donner au nom du Gouvernement devrait intéresser aussi le président de séance, lui-même élu d'un département frontalier. J'ai d'ailleurs le sentiment de devenir peu à peu le spécialiste des questions transfrontalières, si je me réfère à mon intervention de la semaine dernière... (Sourires.)

Je voudrais tout d'abord vous rappeler que le code du travail encadre strictement les conditions d'intervention en France des entreprises établies hors de France, conformément aux dispositions de la directive européenne du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

L'entreprise prestataire étrangère doit notamment intervenir en France de façon temporaire, en fonction de la durée nécessaire à la réalisation d'une mission définie au préalable, et à la condition d'être régulièrement établie dans son pays d'origine et d'y justifier d'une activité significative.

En ce qui concerne le droit du travail applicable, l'entreprise étrangère est tenue de respecter certaines règles françaises d'ordre public social en matière de conditions de travail et d'emploi, notamment la rémunération, la durée du travail, la santé et les règles de sécurité au travail.

C'est en matière de rémunération que les préoccupations sont les plus vives et les plus sensibles, vous l'avez souligné. Les employeurs établis hors de France sont cependant tenus, en droit, de se conformer aux barèmes de rémunération minimaux fixés par le code du travail ou par la convention collective étendue applicable si ses dispositions sont plus favorables aux salariés.

Par ailleurs - ce point est important -, les frais de transport, de logement et de nourriture occasionnés par le détachement des salariés en France ne doivent en aucun cas être déduits du salaire minimum de base des salariés par leur employeur.

Je précise ce point car, dans les faits, les contrôles ont permis de mettre en évidence des pratiques contraires aux règles applicables en matière de rémunération, certains employeurs n'hésitant pas à déduire des sommes considérables de la rémunération de base des salariés détachés au titre de la mise à disposition d'un logement, ce qui peut aboutir dans certains cas à porter leur rémunération mensuelle aux environs de 500 euros...

M. Roland Courteau. Tout à fait !

M. Thierry Repentin, ministre délégué. Conscient des enjeux liés au détournement des règles communautaires en matière de détachement, le Gouvernement a déjà engagé un certain nombre d'actions.

En premier lieu, dans le Plan national de coordination de la lutte contre la fraude, au titre de 2012, il a de nouveau retenu la lutte contre les détournements de la réglementation relative au détachement de salariés dans le cadre de prestations de services internationales comme l'un des axes prioritaires du volet relatif au Plan national de lutte contre le travail illégal, tandis que le secteur du BTP que vous avez cité figure dans la liste des cinq secteurs d'activité prioritaires.

Les services de contrôle interviennent donc activement pour s'assurer du respect des règles dans le secteur du BTP. Ainsi, les contrôles ont augmenté de 17 % en 2010, pour s'établir à 30 606. En 2010, l'enquête recense près de 10 900 entreprises en situation d'infraction liée au travail dissimulé, dont 4 500 pour le secteur du BTP, soit un taux d'infraction voisin de 15 %, en hausse de deux points par rapport à l'année précédente. De plus, 1 688 entreprises étrangères ont été contrôlées, soit près de 2,5 % de l'ensemble des sociétés contrôlées.

En second lieu, plusieurs initiatives ont été engagées avec les partenaires sociaux dans le cadre du protocole sur la prévention du travail illégal et les bonnes pratiques de la sous-traitance dans le BTP, qui a été conclu le 25 octobre 2005 entre le ministère du travail, le ministère de l'équipement et plusieurs organisations professionnelles.

Le Gouvernement sera attentif à ce que la mobilisation des services soit encore renforcée dans les mois à venir, dans ses aspects tant préventifs que répressifs. Sur ces deux aspects, je compte sur l'ensemble des parlementaires pour accompagner le travail des inspecteurs du travail, missions difficiles qui sont conduites par les agents de l'État.

Le Gouvernement a ainsi décidé, dans le cadre de la feuille de route adoptée à la suite de la grande conférence sociale des 9 et 10 juillet dernier, de réunir, dès l'automne 2012, la Commission nationale de lutte contre le travail illégal, qui dressera le bilan des actions déjà engagées par les services de l'État et les organismes de recouvrement des cotisations sociales.

Cette commission aura pour objectif de fixer les axes prioritaires du plan national d'action pour les années à venir.

Enfin, dans le cadre des négociations de la proposition de directive visant à renforcer l'effectivité de la mise en œuvre de la directive de 1996, le Gouvernement est extrêmement attentif à sensibiliser l'ensemble de nos partenaires européens à la nécessité de coopérer loyalement pour y parvenir et de mettre en place des mécanismes permettant de lutter efficacement contre les fraudes et les abus que vous avez dénoncés.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. le président. Monsieur le ministre, vous êtes l'un des spécialistes des questions transfrontalières, et nous comptons sur vous.

La parole est à M. Francis Grignon.

M. Francis Grignon. Je voudrais tout d'abord remercier M. le ministre de s'être déplacé pour répondre à cette question. Pour avoir beaucoup apprécié ses compétences au sein de la commission de l'économie voilà encore quelques mois, je sais qu'il est un orfèvre en la matière.

M. Roland Courteau. Ah oui !

M. Francis Grignon. Cela étant, j'ai évoqué deux problèmes distincts, dont celui des maraîchers qui, j'en conviens, ne relève pas directement de cette question.

Certes, le Parlement français n'est pas habilité à modifier la législation allemande ! Mais il n'empêche que ce problème est très préoccupant pour notre économie locale et, certainement, pour l'ensemble des économies transfrontalières - que ce soit le long des frontières franco-espagnoles ou franco-allemandes.

Pour ce qui concerne le secteur du bâtiment stricto sensu, je confirme les propos que vous avez développés : vous le savez, il y a quelques années, j'ai rédigé un rapport consacré à la problématique du « plombier polonais ». Tout le monde se souvient de la directive Bolkestein,...

M. Roland Courteau. Oh oui !

M. Francis Grignon. ... qui, à l'époque, avait suscité un réel émoi.

Monsieur le ministre, je suis d'accord avec vous : ce problème est de l'ordre du contrôle. Il faut aller le plus loin possible dans cette direction, pour qu'il ne soit plus permis de faire n'importe quoi.

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