EXAMEN DES ARTICLES

La commission des finances s'est saisie pour avis des articles 1 er , 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 13 . Ces dispositions entrent dans le champ de compétence de la commission des finances, dès lors qu'elles traitent des enjeux budgétaires de l'aide publique au développement, de l'évaluation et du contrôle de cette politique, des opérateurs de la mission « Aide publique au développement », ou encore des demandes de rapports en lien avec les sujets traités par la commission.

I. UNE PROGRAMMATION BUDGÉTAIRE DÉCEVANTE

A. UN PROJET DE LOI TRÈS ATTENDU, QUI VIENT PARACHEVER PLUSIEURS ANNÉES D'AUGMENTATION DES MOYENS DÉDIÉS À LA POLITIQUE D'AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT

Annoncé depuis 2018, l'examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales constitue un rendez-vous législatif très attendu , à double titre.

D'une part, la précédente loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement, adoptée en 2014, fixe les objectifs et les orientations de cette politique pour une période de cinq ans seulement 1 ( * ) . Par conséquent, ses dispositions doivent être révisées depuis 2019 .

D'autre part, une loi de programmation était nécessaire afin de traduire les priorités et les ambitions budgétaires de la politique de développement de la France, dont le cap a été fixé dès 2017 par le Président de la République, Emmanuel Macron, dans son discours à l'université de Ouagadougou 2 ( * ) . À cette occasion, il avait annoncé l'objectif d'atteindre une aide publique au développement s'élevant à 0,55 % du revenu national brut (RNB) d'ici 2022 .

1. La traduction législative d'une montée en charge de l'aide publique au développement de la France dès 2018

La définition d'un objectif ambitieux pour l'aide publique au développement de la France vise à rattraper une contraction de celle-ci au début des années 2010.

Évolution de l'aide publique au développement de la France et de sa part
dans le revenu national brut (RNB) depuis 2012

(en milliards d'euros et en %)

N.B : la forte hausse anticipée pour 2021 résulte de la prévision d'un montant d'allègement de dettes exceptionnel.

Source : commission des finances du Sénat, à partir du document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2021 et du projet de loi

Ainsi, l'aide publique au développement de la France a augmenté de 36 % entre 2014 et 2019 , soit en seulement cinq ans. Comme le rapporteur pour avis l'a déjà rappelé lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, ce « rattrapage » est bienvenu dans la mesure où cette hausse conséquente a tout juste permis à la France de maintenir son rang de cinquième pourvoyeur mondial d'aide publique au développement en volume .

Dix premiers pourvoyeurs d'aide publique au développement en 2019

(en milliards d'euros)

Source : document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2021 et du projet de loi

Toutefois, la part de l'aide publique au développement dans le revenu national brut (RNB) constitue un meilleur indicateur de l'effort d'un pays en faveur du développement. Or, la part de l'aide publique au développement de la France dans son RNB reste inférieure à celle des pays de l'Europe du Nord.

Classement des principaux pourvoyeurs d'aide publique au développement
en volume et en part dans le revenu national brut en 2019

Rang

APD totale

Part dans le RNB

1

États-Unis

Luxembourg

2

Allemagne

Norvège

3

Royaume-Uni

Suède

4

Japon

Danemark

5

France

Royaume-Uni

6

Suède

Allemagne

7

Pays-Bas

Pays-Bas

8

Italie

Suisse

9

Canada

France

10

Norvège

Belgique

Source : document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2021

En 2019, seuls le Luxembourg, la Norvège, la Suède, le Danemark et le Royaume-Uni présentaient une part d'aide publique au développement supérieure à 0,7 % de leur RNB , soit la cible fixée par le « consensus de Monterrey » 3 ( * ) .

Afin de satisfaire cet objectif de « rattrapage », les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 2018 ont indiqué que « le gouvernement a fixé une trajectoire ascendante des financements consacrés à l'aide publique au développement en tant compte d'objectifs d'annulation de dettes. La France consacrera 0,55 % du revenu national brut (RNB) à l'aide publique au développement d'ici 2022 , première étape vers l'objectif de 0,7 % ».

Pour y parvenir, ces conclusions détaillent les ratios de la part d'aide publique au développement dans le RNB à atteindre chaque année, de 2018 à 2022.

Part de l'aide publique au développement dans le RNB de la France

(en %)

2018

2019

2020

2021

2022

Trajectoire prévue par le CICID de 2018

0,44

0,44

0,47

0,51

0,55

Exécution (constatée ou évaluée)

0,41

0,44

0,56

0,69

0,55

Source : commission des finances, à partir des conclusions du CICID du 8 février 2018 et du projet de loi

Par conséquent, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont connu une croissance soutenue depuis le début du quinquennat.

Évolution des crédits de paiement de la mission « Aide publique au développement » depuis 2017 (à périmètre constant)

(en millions d'euros)

N.B : les données pour les exercices 2017 à 2020 sont issues des rapports annuels de performance. Le montant de crédits de paiement pour 2021 est celui prévu par la loi de finances pour 2021, en neutralisant le programme 365 dédié au renforcement des fonds propres de l'Agence française de développement.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Toutefois, la montée en charge des crédits de la mission « Aide publique au développement » ne constitue qu'une courroie de transmission partielle de la hausse des moyens dédiés à cette politique.

Premièrement, en raison du caractère interministériel de la politique d'aide au développement, d'autres missions budgétaires participent également à son financement , telles que la mission « Recherche et enseignement supérieur », la mission « Action extérieure de l'État », ou encore la mission « Immigration, asile et intégration ». Au total, 25 programmes budgétaires différents concourent à cette politique.

Deuxièmement, les crédits budgétaires ne produisent pas nécessairement un montant équivalent d'aide publique au développement , en raison des règles de comptabilisation de celle-ci définies par le Comité d'aide au développement (CAD) de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Ainsi, « dans la plupart des cas, les programmes du budget de l'État génèrent des volumes d'aide publique au développement inférieurs à leurs dotations de crédits . En effet, certaines dépenses budgétaires ne sont pas éligibles à l'aide publique au développement du fait de leur nature, ou bien parce qu'elles financent des actions dans des pays non éligibles à l'aide publique au développement » 4 ( * ) .

Ainsi, en 2021, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ne devraient représenter que les deux tiers de l'aide publique au développement de la France résultant de crédits du budget général .

Enfin, outre les crédits budgétaires, d'autres canaux budgétaires génèrent des flux comptabilisés en tant qu'aide publique au développement . Il en va ainsi, par exemple, de l'aide publique au développement de l'Union européenne qui est imputable à la France via sa contribution au budget européen. Celle-ci s'est élevée à 1,5 milliard d'euros environ en 2020 5 ( * ) , soit près de 12 % de l'aide publique au développement de la France.

En tout état de cause, si les conclusions du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) du 8 février 2018 ont constitué une « boussole » dans le pilotage de l'aide publique au développement depuis trois ans, le rapporteur pour avis regrette que l'examen de ce projet de loi intervienne si tardivement dans le quinquennat , réduisant ainsi la portée effective de ses dispositions.

En outre, cette trajectoire exprimée en ratio de RNB ne s'accompagnait pas d'une trajectoire budgétaire visant à prévoir une évolution pluriannuelle des moyens de la mission « Aide publique au développement », ce qui justifiait d'autant plus l'examen d'un projet de loi de programmation.

2. Le projet de loi tente de répondre à une demande pressante d'amélioration du pilotage de cette politique

Au cours des dernières années, et en particulier à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances successifs, le pilotage de la politique d'aide publique au développement a fait l'objet de vives critiques .

a) Une gouvernance complexe de la politique de développement

En premier lieu, ces critiques portent sur l'élaboration d'une gouvernance complexe au fil des ans . À cet égard, le rapporteur pour avis souligne que la multiplication des canaux de financement de cette politique témoigne, en creux, de la difficulté à bâtir une stratégie interministérielle cohérente .

Ainsi, plusieurs instances de coordination ont été mises en oeuvre afin de réunir l'ensemble des acteurs de la politique de développement, à savoir :

- la commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD), créée en 1994, qui vise à coordonner l'action de l'État et des collectivités territoriales en matière d'aide publique au développement. Elle est présidée par le Premier ministre ou, en son absence, par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;

- le comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), présidé par le Premier ministre, créé en 1999 ;

- le conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI) qui réunit une cinquantaine d'acteurs du développement, organisés par collèges, pour représenter la société civile (organisations non gouvernementales, syndicats, employeurs, parlementaires, collectivités territoriales, etc.), sous la présidence du ministre de l'Europe et des affaires étrangères. Cette instance a été créé en 2014 par la précédente loi d'orientation et de programmation 6 ( * ) ;

- plus récemment, a été créée en 2018 le Conseil du développement , présidé par le Président de la République, et réunissant les ministres et les opérateurs de l'État concernés.

b) Le pilotage de l'Agence française de développement

En second lieu, les lacunes identifiées dans le pilotage par l'État de l'Agence française de développement (AFD) cristallisent l'essentiel des critiques .

Ainsi, dans son rapport public annuel de 2019, la Cour des comptes réitérait son constat, déjà formulé en 2010, selon lequel « tant le pilotage stratégique interministériel complexe que le faible investissement des membres du conseil d'administration de l'Agence lui avaient permis de développer ses propres stratégies, sans la garantie d'un regard extérieur exigeant sur ses activités » 7 ( * ) .

Depuis les années 2010, l'AFD a acquis un rôle pivot dans la mise en oeuvre de l'aide publique au développement de la France. Dans un contexte marqué, d'une part, par la forte concurrence entre les bailleurs mondiaux , et d'autre part, par la mobilisation du levier des prêts pour contrebalancer la baisse de dons résultant de la contraction des moyens budgétaires dédiés, l'AFD a développé son activité de banque de développement.

Par conséquent, il en résulte une singularité du profil de l'aide publique au développement de la France, marqué par l'importance des prêts , dont l'essentiel est mis en oeuvre par l'AFD.

Ainsi, en 2019, la part de prêts est de 26 % en flux nets, contre 6 % en moyenne dans les pays de l'OCDE 8 ( * ) .

Or, l'activité de prêts participe au mauvais alignement des activités de l'AFD avec les priorités fixées par la France pour son aide publique au développement, telles que le ciblage des pays les moins avancés.

La Cour des comptes a également pointé du doigt l'autonomie importante dont bénéficie l'AFD , en particulier par rapport au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Dans une enquête réalisée à la demande de la commission des finances du Sénat 9 ( * ) , la Cour des comptes a ainsi souligné que la double nature de l'AFD, à savoir un établissement public industriel et commercial (EPIC) et une banque de développement, entraînait une relation « asymétrique » avec le ministère de l'Europe et des affaires étrangères . En effet, l'importance de ses ressources, issues à 85 % des emprunts réalisés sur les marchés, lui permet d'entretenir des relations institutionnelles avec l'ensemble des autorités publiques, de façon directe. Elle a aussi contribué à l'extension progression du champ géographique, thématique et sectoriel d'intervention.

Paradoxalement, le rapporteur pour avis relève que cette forte autonomie s'accompagne de plusieurs strates de gouvernance de son action .

En effet, le CICID fixe les grandes orientations de son activité. La tutelle de l'État est coordonnée au sein du conseil d'orientation stratégique (COS) présidée par le ministre chargé de la coopération. Outre le conseil d'administration de l'AFD, deux autres instances ont récemment été mises en place : une réunion trimestrielle entre le directeur général de l'AFD, la directrice générale du Trésor et le secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ainsi qu' un comité de pilotage restreint entre le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et le directeur général de l'AFD.

c) Le projet de loi tente de clarifier la gouvernance de l'aide publique au développement, sans la bouleverser

Dans cette perspective, le cadre de partenariat global (CPG), c'est-à-dire le rapport annexé dont l'approbation est prévue à l'article 1 er du projet de loi, apporte plusieurs éléments de précision salutaires .

Après avoir rappelé les objectifs, le cadre multilatéral et les priorités de la politique de développement , le CPG s'attache à clarifier l'articulation des différentes instances de pilotage (alinéas 107 à 123).

Ainsi, le Conseil du développement « prend les décisions stratégiques » , le CICID « fixe le cadre général des interventions de l'État et l'articulation entre les différentes politiques et les différents acteurs ». Le CPG affirme que « le ministre chargé du développement est compétent pour définir et mettre en oeuvre la politique de développement (...) en lien avec les ministres chargés de l'économie et du budget et les autres ministres concernés ». Il est également « garant de la mobilisation de l'ensemble des parties prenantes » via la CNDSI. Enfin, il préside un conseil d'orientation stratégique de l'AFD.

Afin de répondre aux critiques relatives à l'exercice de la tutelle de l'État sur les opérateurs concourant à cette politique, le CPG réaffirme que l'État fixe « les orientations stratégiques et les moyens alloués à l'ensemble du groupe AFD » . En outre, « les activités conduites par les opérateurs s'inscrivent en pleine conformité et cohérence avec les orientations stratégiques et priorités définies par l'État » (alinéa 114). Le pilotage de l'AFD s'exerce sur la base d'une convention-cadre (alinéa 115). Le rapporteur pour avis relève avec intérêt la précision selon laquelle « la relation entre l'État et l'AFD repose sur une transparence et une redevabilité renforcées ».

Enfin, au plan local, le projet de loi vise à préciser le positionnement de l'AFD par rapport au réseau diplomatique .

Dans cette perspective, l'article 7 du projet de loi définit l'AFD comme un établissement contribuant à l'action extérieure de la France au sens de l'article 1 er de la loi de 2010 relative à l'action extérieure de l'État 10 ( * ) . Par conséquent, en application de ces dispositions, l'action à l'étranger de l'AFD s'exerce « sous l'autorité des chefs de mission diplomatique, dans le cadre de la mission de coordination et d'animation de ces derniers » . Ces dispositions sont complétées par le CPG qui créé un conseil local de développement (alinéa 118). Cette dernière disposition a été saluée par la Cour des comptes lors de son audition par le rapporteur pour avis, eu égard à la meilleure coordination des moyens de l'État à l'étranger qui en découlera.

Le rapporteur pour avis salue l'effort de clarification de la conduite de la politique de développement, en particulier l'assise de l'autorité de l'ambassadeur au plan local. Il constate néanmoins que les dispositions du projet de loi ne bouleversent pas la gouvernance actuelle, qui reste particulièrement complexe au niveau central .

Organisation de la gouvernance de l'aide publique au développement

Source : schéma transmis par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères

S'agissant de l'AFD, celle-ci reste sous la tutelle des ministères économiques et financiers d'une part, et des affaires étrangères d'autre part. Les modalités de contrôle de l'État sont inchangées puisqu'elles s'exercent toujours par le comité d'administration, le dialogue de gestion et la définition d'un contrat d'objectifs et de moyens (COM) et d'une convention-cadre État-AFD.


* 1 IV de l'article 15 de la loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

* 2 Discours du 28 novembre 2017.

* 3 Accord international issu de la conférence sur le financement du développement tenue du 18 au 22 mars 2002.

* 4 Document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2021, p. 105.

* 5 D'après le tableau figurant dans le rapport annexé du présent projet de loi.

* 6 Loi n° 2014-773 du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale.

* 7 Rapport public annuel 2019 de la Cour des comptes, février 2019, p. 80.

* 8 Réponse au questionnaire budgétaire transmis pour le projet de loi de finances pour 2021.

* 9 Cour des comptes, février 2020, « Le pilotage stratégique par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères des opérateurs de l'action extérieure de l'État », réalisé à la demande de la commission des finances du Sénat en application de l'article 58-2 de la loi organique relative aux lois de finances, p. 65.

* 10 Loi n° 2010-873 du 27 juillet 2020 relative à l'action extérieure de l'État.

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