b) Recommandations

Ces quelques observations d'ordre méthodologique ou pratique permettent d'ouvrir quelques pistes. Dans son rapport au Premier Ministre, la députée de Guyanne, Mme Taubira-Delannon présente une large gamme de plus de cent propositions, réparties en 28 rubriques et l'Office ne peut qu'être humble face à une telle expertise.

Les recommandations peuvent s'articuler autour de quatre thèmes :

- La recherche . Une réflexion doit être menée pour mieux définir et cibler les recherches. Le temps de la mesure est passé. Il existe des centaines de relevés, presque tous concordants, sur l'intoxication de populations amérindiennes. La recherche sur les effets réels, et surtout les propositions, sont beaucoup plus rares.

On peut douter de l'utilité de nouvelles études sur le risque mercuriel en Amazonie. On peut craindre un gaspillage des moyens et des compétences. Quelques pistes méritent cependant d'être étudiées : le risque mercuriel sur la côte ou en estuaire, les produits de substitution du mercure (autre que le cyanure...) utilisables dans l'orpaillage.

- Les propositions sur la source de l'intoxication . Les solutions techniques largement rappelées par la députée, sont connues : freiner le déboisement anarchique et favoriser le reboisement, préparer et gérer les lieux d'exploitation, équiper les sites d'orpaillage pour limiter les rejets de vapeurs, éviter les pratiques à haut risque (affinage dans des cases fermées avec dégagement massif de vapeurs), doter les installations de capteurs de vapeurs, limiter l'usage du mercure...

Nous souhaitons évidemment le plein succès à ces propositions. La Guyane ne peut être une zone de non droit. Mais, si elles n'avaient pas été reformulées par la meilleure experte qui puisse exister, votre rapporteur aurait eu quelques hésitations à les reprendre, tant les difficultés de terrain paraissent grandes, et pour certaines quasi insurmontables. Dans ces régions du monde, l'optimum est pure utopie, le souhaitable est encore loin, quand il n'est pas hors de portée. L'orpaillage est une activité encore largement anarchique et incontrôlée dans un milieu encore impénétrable et incontrôlable. Les populations de Guyane, du Brésil, du Surinam s'y mêlent et s'y fondent. Les sociétés officielles implantées travaillent avec ce prolétariat docile, avec les méthodes techniques et sociales du XIXème siècle.

L'Etat, les autorités locales ne peuvent évidemment rester insensibles à cette situation, mais force est de reconnaître que les remèdes sont incertains.

Les initiatives les plus coûteuses sont vraisemblablement encore hors de portée, les priorités de l'Etat sont ailleurs, et la détermination des autorités locales est incertaine... Autant de handicaps pour mener à bien ces propositions. Comment toucher, sensibiliser les orpailleurs eux-mêmes ? Il existe en Guyane un syndicat, des coopératives, et de nombreuses associations plus ou moins organisées. Il serait utile de favoriser l'émergence de coordinations professionnelles locales, en espérant qu'elles soient des relais d'information sur le risque direct, lié aux vapeurs mercurielles et le risque lié à la contamination des eaux

- L'éducation sanitaire des populations. L'éducation sanitaire consiste à informer les populations des risques encourus suite à l'ingestion de certains poissons et de les inciter à modifier leurs comportements et leur mode d'alimentation.

Cette éducation se heurte à des difficultés. L'alimentation est la première et la plus forte des habitudes culturelles. Il est très difficile de demander aux gens de changer des habitudes courantes depuis des générations. Le point clef est le poisson. Du fait du processus de bio-accumulation, plus le poisson est gros, plus il est chargé en mercure. Mais pêcher un gros poisson (jusqu'à 12 kg) est beaucoup plus valorisant que de pêcher des petits... Et puis, comment expliquer que certains poissons sont bons à manger et d'autres ne le sont pas ?

Le message doit évidemment être extrêmement simple, adapté aux populations locales, pour miser sur les capacités des populations à prendre en compte les informations qui leur sont fournies.

A terme, connaît-on bien les effets des changements de pêche sur l'environnement et sur la faune ? « La pratique d'une pêche sélective peut avoir des effets écologiques néfastes sur les peuplements aquatiques, conduisant à des déséquilibres au sein des processus de régulation à l'intérieur des réseaux trophiques ».

L'objectif paraît cependant accessible.

Il ne s'agit évidemment pas de supprimer la pêche (d'ailleurs par quoi la remplacer ?) mais de privilégier la consommation de poissons herbivores, de préférence aux poissons carnivores (les seconds étant dix fois plus contaminés que les premiers). Pour être plus précis, seules quelques espèces posent de réels problèmes. Près des trois-quarts de l'absorption de mercure viennent de quatre espèces de poissons. L'enjeu est donc circonscrit à quelques espèces.

A notre connaissance, seul le Brésil, dans cette région du monde a testé -avec succès- une campagne d'information de ce type. L'intervention avait pour but d'inciter à sélectionner les poissons . Une affichette était apposée dans les maisons avec un slogan « mangez plus de poissons qui ne mangent pas d'autres poissons » et quelques dessins : poissons rouges (à mercure élevé) dont la consommation était prohibée, poissons jaunes et poissons verts (avec très peu de mercure). Pourquoi les maisons et non pas les pêcheurs ? Parce que ce sont les femmes qui sélectionnent et font cuire le poisson, et ce sont elles qui ont joué un rôle clé dans cette opération.

En cinq ans, les mesures de mercure des villageois avaient chuté d'un tiers.

Il est tout à fait certain que le remède ne peut se limiter à ces formes d'éducation sanitaire, qui ne sont que des mesures palliatives, mais accessibles, peu coûteuses, et relativement efficaces, elles ne doivent pas être ignorées.

- La maîtrise de la ressource halieutique

L'éducation évoquée ci dessus n'est que la première étape d'un processus, qui doit être suivi par la maîtrise de la ressource elle même. Il est une voie qui, à notre connaissance, n'a jamais été explorée. Celle de la maîtrise de la ressource piscicole. Sous forme de fermes d'aquaculture, dans des eaux protégées et avec des espèces peu accumulatrices. Une façon sans doute, pour la population amérindienne de prendre son destin en main. Des recherches doivent être conduites dans ce domaine.

En guise de conclusion

Il faut insister sur l'importance de la recherche sur l'élimination des métaux lourds que ce soit par les méthodes physico-chimiques ou biologiques. Par ailleurs, l'intoxication des populations amérindiennes est emblématique de nos choix de société. Ces deux caractéristiques sont développées ci-après.

Quelques axes de recherche

dans le domaine "Métaux - Santé - Environnement"

Par Dominique DARMENDRAIL

Chef du Service Environnement & Procédés du BRGM

Membre du comité de pilotage

La démarche d'évaluation des risques qui sous-tend l'ensemble des actions en cours est une méthode d'analyse structurée où les éléments d'information sont collectés, ordonnés, évalués afin de quantifier le risque d'une manière transparente et de permettre au gestionnaire d'agir avec la meilleure lisibilité possible. Elle permet de prendre en considération les nombreuses incertitudes scientifiques actuelles. Cependant, une amélioration des connaissances scientifiques et techniques au moyen de programmes de recherche est souhaitable afin de limiter certains champs d'incertitude.

Ainsi, certaines thématiques scientifiques ont été identifiées tant dans le domaine de la connaissance des sources de contamination que dans celui des processus de transfert des polluants dans les différents compartiments environnementaux ou des impacts sur les cibles, en particulier la santé humaine, mais aussi les écosystèmes.

Connaissance des sources de contamination :

Il conviendrait de développer les travaux de recherche en toxicologie sur les polluants dont la toxicité aiguë ou chronique est importante et constitue de fait une priorité.

La prédiction des effets sur le long terme, particulièrement importants dans le cas des pollutions par des éléments métalliques tels que le plomb, le mercure ou l'arsenic qui s'accumulent dans les sols et la chaîne alimentaire, reste du ressort de la recherche fondamentale. Des approches analyses de cycle de vie de ces substances devraient être développées.

Connaissance des transferts de polluants :

La caractérisation, la quantification et la modélisation des mécanismes de transfert des polluants, notamment des éléments métalliques, est une des voies importantes de recherche à développer. Ceci passe par une meilleure connaissance des capacités de mobilisation de ces produits dans l'environnement et de leur biodisponibilité. Une meilleure compréhension des différents processus de transfert permettrait une adaptation des techniques de réhabilitation visant à limiter les risques, voire à rendre admissible certains processus naturels en tant que techniques "soft", telles que l'atténuation naturelle ou la gestion des panaches de pollution dans les nappes.

Connaissance des impacts sur les cibles :

Des études sanitaires (études toxicologiques, études d'expositions basées sur les modes de vie des populations, enquêtes épidémiologiques, ...) devraient être lancées pour apprécier les effets sanitaires de la pollution des sols par les métaux lourds et l'éventuel besoin de suivi des populations exposées. Les zones de contaminations naturelles et/ou de pollutions anthropiques avérées pourraient servir d'aires pilotes. Ainsi, les effets de mélanges de pollutions (pouvant causer des accroissements ou des diminutions de risques) pourraient être étudiés. La protection des populations passe par une approche intégrée des expositions.

Outils à développer :

Le développement de nouvelles techniques d'investigation, rapides et fiables, des sols pollués par des substances dangereuses permettrait d'étendre le champ d'évaluation des expositions des populations à ces produits.

De plus, la prise en considération des problèmes sociaux et économiques associés à ces expositions doit être intégrée aux projets actuels. Les compléments apportés par l'analyse du cycle de vie lors de la mise sur le marché de certains produits ou de certaines techniques de recyclage ou de réhabilitation de sites pollués pourraient s'avérer une piste intéressante.

La mise en place de programmes de recherche dans ces domaines nécessite que les pouvoirs publics se dotent de moyens de coordination des équipes multidisciplinaires nécessaires à la compréhension des processus touchant à ce domaine (lancement de programmes nationaux de recherche), mais aussi étendent les partenariats européens et internationaux (parfois déjà existants - ex. : réseau CLARINET - Contaminated Land risk network) afin de mener de façon plus efficace et concertée de ces recherches.

A cette fin, la poursuite de la stratégie en matière de sites ateliers pilotes devrait être encouragée, éventuellement dans un cadre européen.

Concernant les populations amérindiennes, les effets de l'intoxication mercurielle se combinent avec les autres pathologies que connaissent ces populations, particulièrement vulnérables : 4 500 personnes tout à la fois victimes et condamnées par les différentes formes de l'exploitation des forêts.

La France ne peut abandonner une partie de ses citoyens sous prétexte qu'ils seraient condamnés par l'histoire et la civilisation moderne. Si le mode de vie des amérindiens est évidemment fort éloigné de celui du parisien ou du lotois, un décalage similaire existe avec les populations des pays les moins avancés. Tout est une question de degré. Mais tout est aussi et avant tout une question de principe. Car, à suivre cette logique qui établit une sorte de hiérarchie entre les hommes comme on établirait une hiérarchie entre les espèces, nous oublions ce qui fait l'homme. Pourquoi s'arrêter aux amérindiens ? Pourquoi pas, demain, renoncer à se battre pour les agriculteurs de montagne puisqu'ils sont eux aussi fragilisés par les exigences de la vie moderne ? Nous sommes tous des amérindiens en puissance.

C'est pourquoi cette population est emblématique de nos choix éthiques de société. Les propositions que nous formulons, résolument innovatrices, qui permettraient à ces populations de maîtriser leur destin, sont une marque d'espérance.

Les métaux lourds ont fait, d'une certaine façon, la civilisation. Trop utilisés, ils peuvent aussi défaire l'humanité.

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