D. LES POLLUTIONS DIFFUSES D'ORIGINE AGRICOLE

1. Les nitrates

La rédaction de cette partie a été confiée à M. Ghislain de MARSILY, Professeur à l'Université Paris VI, et M. Michel MEYBECK, Directeur de Recherche au CNRS

Malgré l'existence de nombreux dispositifs visant à prévenir la pollution d'origine agricole (40 ( * )) , d'origine azotée, les résultats de ces actions sont médiocres. Les règles très confuses (41 ( * )) , générant également de nombreux contentieux (42 ( * )) .

a) Les sources de nitrates dans les rivières

Les nitrates dans les rivières ont deux origines principales : les apports par les nappes souterraines, que nous avons déjà décrits au paragraphe « Les nitrates dans les eaux souterraines », sont pour l'essentiel d'origine agricole. La deuxième source de nitrates est les rejets d'eaux usées urbaines, qui contiennent des nitrates, mais aussi de l'ammonium, s'il n'a pas été détruit (c'est-à-dire transformé en nitrates) par une station d'épuration. L'ammonium, aux pH >9 couramment rencontrés dans les cours d'eau très eutrophes (Loire), se transforme en ammoniac, gaz dissous, très toxique pour les poissons. L'ammonium s'oxyde lentement en nitrates dans la rivière (bactéries nitrifiantes), et consomme de l'oxygène. C'est ainsi que les rejets d'ammonium dans la Seine de la station d'Achères, en aval de Paris, conduisaient autrefois à des conditions d'anoxie en été bien plus bas en aval, dans la zone estuarienne, du fait de la lenteur de la nitrification à se produire. Aujourd'hui la situation a été améliorée par la nitrification partielle à Achères de l'ammonium, qui est transformé en nitrates et rejeté dans la Seine. Certaines industries peuvent aussi rejeter des eaux usées chargées en nitrates, par exemple dans l'agro-alimentaire.

L'apport de nitrates peut enfin aussi résulter du lessivage par la pluie des nitrates agricoles, particulièrement en hiver et à la suite d'orages importants peu après les épandages d'engrais, si le ruissellement (ou l'évacuation par les drains) apporte directement aux ruisseaux et rivières les eaux chargées en nitrates sans passer par les nappes. Beaucoup de cours d'eau français présentent une forte saisonnalité des nitrates avec un maximum de concentrations et de flux en hiver et un minimum en hiver.

La décomposition aérobie de la matière organique morte au sein de la rivière (ou plus exactement dans les sédiments accumulés et déposés au fond de la rivière, si le système reste en conditions aérobies) peut aussi produire des nitrates, mais cette source est, en général, très petite par rapport à l'origine agricole citée plus haut.

Dans la Seine, à l'arrivée dans l'estuaire, les travaux du PIREN-Seine estiment que 70 % des nitrates sont d'origine agricole, et 30 % d'origine urbaine.

b) L'effet des nitrates sur les eaux de surface

Dans la colonne d'eau de la rivière, les nitrates ne sont pas décomposés, car l'eau est en général aérée, sauf dans des circonstances de condition extrême. Cependant, le flux de nitrates n'est pas entièrement conservé. En effet, des échanges importants se font entre le fleuve et sa nappe alluviale, et l'eau du fleuve pénètre par endroit dans cette nappe pour revenir au fleuve un peu plus loin. Au cours de son trajet dans les alluvions, une partie des nitrates se décompose par dénitrification, selon le mécanisme décrit dans l'annexe « les nitrates dans les eaux souterraines ». De plus, dans les sédiments déposés au fond de la rivière, riches en matières organiques, cette matière peut parfois se décomposer en créant des conditions anaérobies favorables à la dénitrification. On observe alors une consommation des nitrates par le fond de la rivière. Sur le bassin de la Seine, on estime à 45 % des apports la fraction des nitrates qui est décomposée par ces deux mécanismes.

L'effet majeur des nitrates sur les eaux de surface est de les conduire à l'eutrophisation. Ce processus se déclenche quand les eaux sont trop chargées en nitrates et en phosphates, ces deux nutriments qui permettent la croissance des algues. Quand ils sont tous les deux en grande quantité dans l'eau, les algues microscopiques (phytoplancton) et les végétaux fixés (macrophytes) se développent de façon excessive. La matière organique présente dans le fleuve augmente démesurément (la rivière devient parfois verte tellement les algues y pullulent), et quand les algues meurent, cette matière organique se décompose en consommant tout l'oxygène de la colonne d'eau, induisant ainsi l'anoxie, c'est-à-dire l'absence d'oxygène dans l'eau, et donc la mort de tous les poissons et invertébrés du milieu. Cette anoxie ne se produit pas en général dans le réseau fluvial mais dans les estuaires turbides où le transit de l'eau est fortement ralenti et où la décomposition l'emporte sur la production algale. Le phénomène d'eutrophisation fluvial se produit principalement au printemps et en été, quand l'ensoleillement est fort, permettant la photosynthèse par les algues, et la température élevée (43 ( * )).

Le rapport entre les nitrates et les phosphates qui conduit au développement optimal des algues est appelé le rapport de Redfield. Il est de l'ordre de 7 en poids de N/P, c'est celui que l'on mesure dans les végétaux aquatiques. Si le rapport de N/P dans la colonne d'eau est supérieur à 7, ceci signifie que le phosphore est le facteur limitant : c'est lui qui va arrêter la croissance des algues, quand il aura été consommé. C'est l'inverse qui est vrai quand le rapport de Redfield est inférieur à 7, ce sont les nitrates qui vont être le facteur limitant de la croissance des algues. Selon la valeur du rapport de Redfield, on peut donc déterminer sur lequel de ces deux nutriments il vaut mieux porter ses efforts pour lutter contre l'eutrophisation. Le phosphore est à 90% d'origine urbaine, et 10% seulement d'origine agricole. En général, le phosphore est le facteur limitant dans les parties amont des bassins, et l'azote devient limitant quand les rejets urbains des grandes villes à l'aval ont saturé la rivière en phosphore. Quand on arrive en mer, c'est toujours les nitrates qui sont le facteur limitant de l'eutrophisation, car dans les zones côtières, les rejets de nutriments par les fleuves engendrent également des phénomènes d'eutrophisation des eaux côtières.

Les teneurs en nitrates qui permettent d'éviter l'eutrophisation des cours d'eau sont beaucoup plus basses que les teneurs admissibles pour l'eau de boisson. Au lieu des 50 mg/l en NO3, pour l'eau de boisson, c'est dès 1 mg/l dans les eaux de rivière ou de lacs que le risque d'eutrophisation peut se déclencher, en commençant par les eaux stagnantes (lacs, réservoirs).

Il est très difficile de lutter contre les nitrates d'origine agricole, si ce n'est en réduisant les apports en fertilisant. Pour éviter l'eutrophisation, à défaut de pouvoir agir sur les pratiques agricoles, il vaut donc mieux jouer sur les phosphates, soit en déphosphatant les eaux usées urbaines, soit en luttant contre l'érosion dans les terres agricoles, car le phosphore est en général entraîné dans les cours d'eau sous forme adsorbée aux particules solides qui sont érodées et emportées en temps de crue. Ceci conduit à ne pas laisser les sols nus en hiver, ce qui de plus a pour avantage de consommer une partie des nitrates présents dans les sols. Dans certaines régions menacées, on envisage de subventionner ces cultures hivernales protégeant les sols et réduisant les flux de nitrates.

Les principaux lacs qui étaient en cours d'eutrophisation il y a 20 ans ont été sauvés en luttant contre les apports en phosphore. Pour le lac Léman, les Suisses ont interdit l'usage des lessives aux phosphates en 1985, et ont également traité les eaux usées urbaines avant de les rejeter. Pour le lac du Bourget, par exemple, une ceinture d'égout a été mise en place autour du lac pour récolter les eaux usées domestiques avant qu'elles n'arrivent au lac, évitant ainsi les apports de phosphates. Il n'a pas été possible de jouer sur les nitrates.

* (40) Annexe 40 - Les dispositifs de lutte contre les pollutions azotées d'origine agricole.

* (41) Annexe 41 - Les règles d'épandage des engrais.

* (42) Annexe 42 - Les contentieux dans le domaine de l'eau.

* (43) Annexe 43 - Les marées vertes en Bretagne.

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