Rapport n° 135 (2013-2014) de M. Marc LAMÉNIE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 13 novembre 2013

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N° 135

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2013


RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Marcel-Pierre CLÉACH et plusieurs de ses collègues, visant à élargir les conditions d' attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l' armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1 er juillet 1964 ou en opérations extérieures ,

Par M. Marc LAMÉNIE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Claude Domeizel, Mme Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

669 (2011-2012) et 136 (2013-2014)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Réunie le mercredi 13 novembre 2013 , sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission des affaires sociales a examiné, sur le rapport de M. Marc Laménie , la proposition de loi n° 669 (2011-2012) visant à élargir les conditions d'attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l'armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1 er juillet 1964 ou en opérations extérieures.

Après avoir rappelé les principes du droit à réparation dont peuvent se prévaloir les anciens combattants, et dont la carte du combattant constitue depuis 1926 le pilier, le rapporteur a précisé que celui-ci reste incomplet. L'égalité entre les générations du feu, en particulier vis-à-vis de certains soldats ayant été en Algérie et de ceux qui, aujourd'hui, participent aux opérations extérieures (Opex), n'est pas assurée. En effet, les critères d'attribution de la carte, établis au lendemain de la Première Guerre mondiale, ne correspondent plus à la réalité de l'engagement de nos troupes servant à l'étranger.

En conséquence, le rapporteur a insisté sur la simplification apportée par cette proposition de loi, qui s'inscrit dans la lignée de l'action des différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. Faire des 120 jours de présence sur un théâtre d'opération un critère d'attribution commun aux troisième et quatrième générations du feu prises dans leur intégralité constitue un signal fort de l'actualité du devoir de reconnaissance de la Nation envers celles et ceux qui l'ont servie au combat.

A l'issue de ses travaux, la commission des affaires sociales n'a pas adopté de texte sur la proposition de loi.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera en séance sur le texte de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La reconnaissance de la Nation envers le monde combattant est un élément essentiel de son identité, un facteur de cohésion qui rappelle à tous les citoyens que des hommes et des femmes l'ont servie tout au long du XX e siècle et encore aujourd'hui, sur le sol national ou à l'étranger, dans le cadre d'opérations extérieures (Opex) souvent conduites en application des engagements internationaux de la France.

La carte du combattant constitue depuis 1926 le socle, sur le plan symbolique comme sur le plan concret, de cette obligation morale qui incombe à l'Etat. Ouvrant droit à des prestations spécifiques, en particulier la retraite du combattant, et conférant à son titulaire la qualité de ressortissant de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onac), elle a progressivement été étendue aux dernières générations du feu : la troisième, celle de la guerre d'Algérie, et la quatrième, celle des Opex.

Ses critères d'attribution, qui diffèrent selon le conflit concerné, ont au fil des années et des modifications apportées par le législateur et le pouvoir réglementaire perdu leur cohérence. Un long travail administratif est parfois nécessaire pour instruire les demandes tandis que des unités entières peuvent, en raison de règles inadaptées à la réalité des missions en Opex et des dangers rencontrés, en être exclues. L'effectivité des droits de tous les anciens combattants n'est donc pas assurée.

L'objet de cette proposition de loi est de remédier à cette situation et d'assurer une égalité non plus seulement de principe mais réelle entre toutes les générations du feu et de corriger des inégalités touchant les troisième et quatrième générations du feu.

Pour ceux qui ont servi en Algérie, elle étend l'attribution de la carte du combattant aux soldats y ayant séjourné 120 jours jusqu'au 2 juillet 1964, date du retrait des derniers éléments français qui y étaient stationnés en application des accords d'Evian.

Pour les anciens des Opex, un nouveau critère d'éligibilité est institué : 120 jours de présence sur un théâtre d'opération, sur le modèle de la durée retenue depuis 2004 pour la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc.

Porter enfin à son terme le trop long processus de reconnaissance, par la France, du danger permanent auquel étaient exposées ses troupes en Algérie et adapter aux conflits asymétriques du XXI e siècle une réglementation établie au lendemain de la Grande guerre : telles sont les avancées proposées par ce texte. Elles sont nécessaires, car à l'heure où les mémoires des première 1 ( * ) et deuxième 2 ( * ) générations du feu vont être à juste titre mises à l'honneur, les conflits récents ne doivent pas être escamotés. En effet, ce sont celles et ceux qui y ont servi la France qui perpétuent désormais le lien fort qui unit la collectivité nationale au monde combattant. En adoptant cette proposition de loi, le législateur contribuerait à le renforcer et à dissiper les derniers doutes sur le caractère imprescriptible de la dette de l'Etat envers les anciens combattants.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA CARTE DU COMBATTANT TRADUIT LA RECONNAISSANCE DE LA NATION ENVERS CEUX QUI L'ONT SERVIE AU COMBAT

A. UN HÉRITAGE DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE OUVERT PROGRESSIVEMENT AUX ANCIENS COMBATTANTS DE TOUS LES CONFLITS

La carte du combattant a été instituée, à l'initiative de Paul Painlevé, par l'article 101 de la loi du 19 décembre 1926 de finances pour 1927 3 ( * ) , en même temps que l'Office national des combattants. Ouvrant droit aux prestations sociales offertes par ce nouvel organisme, elle marque alors la reconnaissance de la Nation envers ceux qui l'ont servie au front durant la Grande Guerre.

Ses critères d'attribution, reposant initialement sur une durée d'appartenance de trois mois à une unité combattante, en sont venus à constituer la définition de l'ancien combattant aux yeux de la loi et du droit à réparation qui lui est reconnu. Il s'agit, dès l'origine, d'un titre auquel une haute valeur morale est attachée et qui n'est pas accordé de façon indiscriminée : seuls 52 % des effectifs engagés dans la guerre en ont bénéficié.

Pensée pour les soldats de la Première Guerre mondiale, qualifiés de première « génération du feu », la carte du combattant a été progressivement attribuée aux anciens combattants des conflits ultérieurs : conflits coloniaux dans les territoires d'outre-mer (TOE) entre les deux guerres (guerre du Rif, etc.), puis la Seconde Guerre mondiale, qui a vu la naissance de la deuxième génération du feu 4 ( * ) .

En ce qui concerne l'acquisition du statut de combattant, les hommes ayant servi en Indochine ou dans le bataillon de Corée, qui intervint sous l'égide de l'Onu pendant la guerre de Corée (1950-1953), furent avant même la fin des hostilités rattachés aux dispositions applicables aux anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale par la loi du 18 juillet 1952 5 ( * ) .

En revanche, le refus initial de reconnaître le caractère de guerre aux « opérations » effectuées en Afrique du Nord entre le 1 er janvier 1952 et le 2 juillet 1962, date de l'indépendance algérienne, a retardé la délivrance de la carte du combattant aux appelés, rappelés et militaires de carrière y ayant servi.

Le Sénat avait pourtant adopté dès le 11 décembre 1968, par 242 voix contre 3, une proposition de loi en ce sens, malgré l'opposition du Gouvernement qui, sur le fondement de l'article 41 de la Constitution, invoqua devant le Conseil constitutionnel le caractère réglementaire de la mesure. Ce dernier, dans une décision 6 ( * ) du 27 novembre 1968, lui donna tort. Le texte d'initiative sénatoriale ne fut malheureusement jamais inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et ce n'est qu'avec la loi du 9 décembre 1974 7 ( * ) que cette possibilité a été ouverte à ce qui est devenu la troisième génération du feu.

Le décret du 11 février 1975 8 ( * ) , pris en application de cette loi, précise les périodes retenues, le terme commun étant le 2 juillet 1962 :

- pour la Tunisie, à compter du 1 er janvier 1952 ;

- pour le Maroc, à compter du 1 er juin 1953 ;

- pour l'Algérie, à compter du 31 octobre 1954.

Après un long déni, l'Etat a tenu compte de l'évolution de la société française et des demandes du monde combattant en reconnaissant officiellement, sur la base d'une initiative parlementaire, la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc par la loi du 18 octobre 1999 9 ( * ) .

Enfin, le développement des opérations extérieures (Opex) dans le cadre des engagements internationaux de la France, que ce soit l'Onu, l'Union européenne ou l'Otan, a vu naître une quatrième génération du feu, concomitante à la professionnalisation de l'armée française. La loi du 4 janvier 1993 10 ( * ) prévoit que les femmes et les hommes projetés sur ces théâtres d'opérations peuvent recevoir la carte du combattant dans les mêmes conditions que leurs prédécesseurs.

B. LES DROITS ATTACHÉS À LA DÉTENTION DE LA CARTE DU COMBATTANT

La carte du combattant ouvre des droits à ses titulaires, en particulier aux plus âgés d'entre eux, sur un plan financier, social mais aussi symbolique.

Ils prennent plusieurs formes :

- la retraite du combattant, versée à partir de 65 ans ;

- la possibilité de constituer une rente mutualiste majorée par l'Etat et assortie d'un régime fiscal dérogatoire ;

- le bénéfice, à partir de 75 ans, d'une demi-part supplémentaire de quotient familial pour le calcul de l'impôt sur le revenu ;

- l'attribution du titre de reconnaissance de la Nation (TRN) 11 ( * ) ;

- le port de la croix du combattant ;

- l'expression symbolique de la reconnaissance de la Nation à travers la possibilité de voir leur cercueil recouvert du drapeau tricolore.

Qui plus est, toute personne dont la qualité de combattant a été officiellement reconnue est ressortissante de l'Onac qui, selon son décret fondateur du 1 er juillet 1930, « veille sur les intérêts moraux et matériels des combattants ». Elle est donc éligible aux mesures d'aide sociale que celui-ci met en oeuvre, en particulier ses interventions financières qui permettent de faire face à des difficultés ponctuelles ou exceptionnelles. Si ses revenus sont très faibles, son conjoint survivant peut toucher une aide différentielle, l'ADCS, qui les porte à 900 euros.

La retraite du combattant

Instituée par la loi de finances du 16 avril 1930 sous l'impulsion d'Auguste Champetier de Ribes, alors ministre des pensions, la retraite du combattant est une des formes d'expression de la reconnaissance de la Nation envers les anciens combattants. Allocation destinée aux titulaires de la carte du combattant, elle est l'héritage d'une époque où les systèmes de retraite n'étaient pas universels. De ce fait, elle ni imposable, ni assujettie à la CSG, mais n'est également pas réversible.

Son montant est fixé en nombre de points d'indice de pension militaire d'invalidité (PMI) et évolue en fonction des revalorisations votées par le Parlement et de l'évolution de la valeur du point. Il s'élève depuis le 1 er juillet 2012 à quarante-huit points, soit 668,64 euros par an 12 ( * ) . La retraite du combattant est versée semestriellement, à terme échu, par les centres régionaux de gestion des pensions de l'Etat.

Un important effort a été consenti, sous les deux mandatures précédentes, en faveur de la retraite du combattant : son niveau, qui s'établissait à trente-trois points en 2005 (433,29 euros), n'avait pas été modifié depuis 1978. Il a donc augmenté, en valeur, de près de 55 % en six ans.

L'âge d'ouverture de ce droit est 65 ans. Néanmoins, la retraite du combattant est octroyée dès 60 ans :

- dans les départements et collectivités d'outre-mer ;

- aux titulaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) ;

- aux titulaires d'une pension militaire d'invalidité indemnisant une incapacité d'au moins 50% percevant l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ou une autre prestation sous conditions de ressources ;

- aux titulaires d'une pension militaire d'invalidité indemnisant une ou plusieurs infirmités imputables à des services accomplis au cours de campagnes de guerre ou d'opérations de maintien de l'ordre hors de la métropole.

Selon le ministère de l'économie et des finances, le nombre de bénéficiaires de la retraite du combattant devrait s'établir à 1 194 494 au 31 décembre 2013, en baisse de 3,5 % sur un an. Cette diminution est régulière en raison du vieillissement des populations concernées, qui sont composées à 80 % de ressortissants de la troisième génération du feu.

Les mesures en faveur des personnes qui ont reçu la carte du combattant ont un impact financier certain : la retraite du combattant va représenter un coût de près de 850 millions d'euros en 2013, tandis que la demi-part supplémentaire accordée à partir de 75 ans constitue une dépense fiscale de 330 millions d'euros et devrait atteindre 370 millions en 2014 13 ( * ) .

C. LA MISE EN OEUVRE PEU SATISFAISANTE DES CRITÈRES D'ATTRIBUTION ACTUELS APPELLE LEUR SIMPLIFICATION

Conçue en référence à l'expérience des combats de la Grande Guerre, la carte du combattant a dès l'origine reposé sur un critère central d'attribution : l'appartenance à une unité combattante pendant au moins trois mois. Cette durée n'était pas requise pour les prisonniers de guerre ou les soldats évacués à la suite d'une blessure ou d'une maladie contractée en service. Enfin, les blessés de guerre étaient automatiquement considérés comme combattants.

Ces mêmes critères ont été très largement repris pour la Seconde Guerre mondiale. Des aménagements y ont néanmoins été apportés, en lien avec la nature particulière du conflit, en particulier pour la campagne de France et la Résistance. Ce régime a ensuite été transposé aux guerres d'Indochine et de Corée.

Si des lacunes dans le dispositif sont rapidement apparues pour répondre à la diversité des situations de combat rencontrées entre 1939 et 1945, l'ouverture de la carte du combattant aux hommes ayant participé à la guerre d'Algérie a mis en lumière l'inadéquation de critères vieux d'un demi-siècle. L'évolution des conditions d'octroi de la carte au fil des ans, codifiées à l'article R. 224 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG) en est l'illustration.

La loi du 9 décembre 1974 et ses mesures d'application 14 ( * ) permettaient d'attribuer la carte du combattant pour trois mois d'affectation à une unité combattante ou, à titre dérogatoire, aux militaires et aux civils ayant participé à au moins six actions de combat. Le critère médical préexistant est resté valable, tandis que les prisonniers privés de la protection des conventions de Genève se sont vus reconnaître le droit à la carte.

La loi du 4 octobre 1982 15 ( * ) insère un critère supplémentaire : l'appartenance à une unité ayant connu au moins neuf actions de feu ou de combat. L'action de combat se caractérise par un engagement actif dans un affrontement, tandis que l'action de feu peut être le résultat du harcèlement exercé par un ennemi, comme des tirs ou l'explosion d'une mine. La loi du 4 janvier 1993 a ensuite abaissé de six à cinq le nombre d'actions individuelles demandées et a élargi celles prises en compte aux actions de feu.

Pour mettre en oeuvre ces règles, il appartenait aux services historiques des trois armées, qui ont été regroupés en 2005 pour former le service historique de la défense (SHD), d'examiner les journaux de marches et opérations (JMO) des unités pour déterminer les périodes durant lesquelles elles pouvaient être qualifiées de combattantes puis, pour chaque cas individuel, de recenser le nombre d'actions de feu ou de combat subies. Souvent lacunaires voire manquants, les JMO ne correspondent que rarement à ce que les soldats ont vécu sur le terrain. Les éplucher exhaustivement et les exploiter correctement représente une tâche immense. D'importantes inégalités entre soldats selon leur unité ou leur arme de rattachement sont rapidement apparues, bien qu'ils aient parfois participé au même engagement, en raison de la mauvaise tenue des JMO.

Pour répondre à de telles situations, et sous l'impulsion de nombreux parlementaires et des représentants du monde combattant, un critère d'un nouveau type a été introduit par le Gouvernement : la durée de présence en Afrique du Nord. D'abord fixée à 18 mois par la loi de finances pour 1998 16 ( * ) , elle fut abaissée à 15 mois 17 ( * ) , puis 12 mois 18 ( * ) avant d'être établie à 4 mois à compter du 1 er juillet 2004 19 ( * ) .

De plus, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité 20 ( * ) , le Conseil constitutionnel a assoupli les critères d'éligibilité à la carte du combattant pour certaines populations. Il a estimé que la restriction touchant les membres des forces supplétives françaises jusqu'alors posée par l'article L. 253 bis du CPMIVG, en leur imposant de posséder la nationalité française à la date de la présentation de leur demande ou d'être domiciliés en France à la même date, était contraire au principe d'égalité.

Ce tâtonnement est à rapprocher de la difficile élaboration d'une mémoire partagée de la guerre d'Algérie et d'un consensus qui, dans la société française, n'est aujourd'hui encore pas universel. Plusieurs étapes furent nécessaires pour que les gouvernements successifs admettent tant la valeur de la troisième génération du feu que les spécificités du conflit auquel elle a participé. Dans une moindre mesure, le même phénomène s'est répété pour les Opex.

Au moment de l'adoption de la loi du 4 janvier 1993, l'armée française, qui débutait sa transformation à la suite de la fin de la guerre froide, était déjà engagée de longue date dans des opérations extérieures, en particulier en Afrique : au Tchad à partir de 1969 (opérations Limousin, Tacaud, Anabase, Manta puis Epervier, qui se poursuit aujourd'hui), en Mauritanie en 1977 (opération Lamantin) ou encore au Liban à compter de 1978 dans le cadre de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Conduites sous l'égide d'organisations internationales comme l'Onu ou dans le cadre d'accords bilatéraux de défense, ces Opex sont devenues la principale forme d'intervention de l'armée française en dehors de notre territoire.

Il était donc indispensable d'accorder à ces femmes et à ces hommes la même reconnaissance et les mêmes droits qu'aux générations du feu qui les ont précédés. Ce principe général est posé par l'article L. 253 ter du CPMIVG, selon lequel :

« Ont également vocation à l'attribution de la carte du combattant, dans les conditions prévues à l'article L. 253 bis , les militaires des forces armées françaises ainsi que les personnes civiles possédant la nationalité française à la date de présentation de leur demande qui, en vertu des décisions des autorités françaises, ont participé au sein d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales soit à des conflits armés, soit à des opérations ou missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France [...] ».

Un arrêté fixe les théâtres d'opérations concernés ainsi que les périodes retenues. Datant du 12 janvier 1994 et mis à jour régulièrement depuis cette date, ce texte 21 ( * ) recense quarante-et-une opérations dont les plus anciennes remontent à l'insurrection malgache de 1947 et à la crise de Suez en 1956.

Néanmoins, le renvoi aux conditions d'attribution en vigueur pour la guerre d'Algérie a causé d'importantes difficultés. Les premières sont apparues à la suite de l'opération Daguet, la participation française à la première guerre du Golfe, qui fut pourtant une guerre conventionnelle mais dont la phase de combat fut très brève et à laquelle participèrent, au sein d'une division constituée pour l'occasion, de très nombreux éléments d'autres unités.

Le critère central, celui de la participation à des actions de feu ou de combat, est particulièrement inadapté aux activités des unités en Opex. Ne combattant pas un ennemi clairement identifié sur une ligne de front mais assurant la plupart du temps des missions de maintien de la paix ou de protection des populations, les soldats français servant à l'étranger ne peuvent souvent pas faire état d'un nombre suffisant d'actions de feu ou de combat pour recevoir la carte. Comme l'a expliqué à votre rapporteur le général de brigade Vincent Leroi, chef du SHD, sur les théâtres actuels tous les soldats sont combattants et exposés au danger. De plus, la délivrance de la carte pour 120 jours de présence en opération n'est pas applicable aux Opex.

Par un décret du 12 novembre 2010 22 ( * ) , une définition des actions de feu ou de combat plus adaptée aux réalités des Opex a été établie : sont désormais prises en compte les actions qui se sont déroulées « en situation de danger caractérisé ». Un arrêté 23 ( * ) est venu fixer la liste des actions concernées, qui sont celles rencontrées en Opex : ce sont, par exemple, les opérations de rétablissement de l'ordre, de déminage, de contrôle d'une zone terrestre, aérienne ou maritime, ou encore d'évacuation sanitaire. En conséquence, le nombre de cartes du combattant attribuées au titre des Opex est en forte progression puisqu'il est passé de 3 650 en 2011 à 8 900 en 2012 et devrait s'établir, pour 2013, à plus de 11 000. Un effort particulier a par ailleurs été consenti par le Gouvernement et le SHD puisque toutes les unités de l'armée de terre engagées en Afghanistan et au Mali ont été qualifiées de combattantes.

Il n'en reste pas moins que les critères complexes de qualification des unités obligent le SHD à mener un travail de recherche très long, sur la base de sources parfois peu fiables. La procédure peut durer plusieurs années. Le problème est le même que celui qui existait pour la guerre d'Algérie avant 2004. De plus, les moyens du SHD pour remplir cette mission sont très limités, puisque selon les informations recueillies par votre rapporteur seulement cinq personnes sont chargées à la fois de rédiger les arrêtés de qualification des unités combattantes et de répondre aux demandes, sur des dossiers individuels, en provenance des services départementaux de l'Onac, qui sont chargés de l'instruction des demandes de cartes du combattant. Plus de deux cents sont reçues chaque mois.

Ce constat est partagé. Dans un récent rapport réalisé dans le cadre de la modernisation de l'action publique (Map) sur les prestations en faveur des populations relevant du ministre délégué aux anciens combattants, le contrôle général des armées (CGA), l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas) ont souligné le « degré de précision disparate » des archives des trois armées et les ressources limitées dont celles-ci disposent, ce qui a pour conséquence de retarder l'exploitation de ces documents jusqu'à 10 ans après les faits. Ils recommandent de rénover la politique archivistique et notamment d' « harmoniser les JMO et les documents équivalents dans l'ensemble des armées et de la gendarmerie nationale » et de les rendre « plus pertinents et plus exploitables ».

Au vu de cette situation, une simplification des critères d'attribution de la carte du combattant et de leur procédure de mise en oeuvre s'impose. Il n'est pas pour autant question de la banaliser ou d'en affaiblir la portée morale et symbolique. Au contraire, il s'agit de se montrer fidèle à la volonté des fondateurs du droit à réparation, au premier rang desquels André Maginot, premier titulaire du ministère des pensions entre 1920 et 1922, en assurant l'équité entre toutes les générations du feu et l'adaptation du droit aux nouvelles réalités de la guerre. Tel est bien l'objet de cette proposition de loi.

II. CETTE PROPOSITION DE LOI VISE À COMBLER LES LACUNES DU DROIT ACTUEL AFIN DE GARANTIR L'ÉQUITÉ ENTRE TOUTES LES GÉNÉRATIONS DU FEU

A. ETENDRE LA RECONNAISSANCE DE LA NATION À L'ENSEMBLE DE LA TROISIÈME GÉNÉRATION DU FEU

La carte du combattant n'est aujourd'hui attribuée qu'aux personnels militaires ou civils assimilés (principalement des forces de maintien de l'ordre comme les CRS) dont le séjour en Algérie s'est achevé au plus tard le 2 juillet 1962, date de l'indépendance du pays qui fut retenue comme borne temporelle par la loi du 9 décembre 1974. Ces dispositions ne permettent toutefois pas de prendre en compte l'ensemble des soldats, appelés comme militaires de carrière, qui ont servi en Algérie et ont été exposés au danger.

En effet, 305 000 hommes se trouvaient encore en Algérie à la date de l'indépendance. Les accords d'Evian prévoyaient le maintien sur place, pour une durée de deux ans, d'un important contingent : encore 131 000 hommes en janvier 1963 et 50 000 un an plus tard, avant un retrait qui eut lieu en juillet 1964. Des troupes françaises étaient encore présentes en Algérie après cette date mais dans un autre cadre et n'entrent donc pas dans le champ de cette proposition de loi. Ainsi, le centre saharien d'expérimentations militaires et le centre d'expérimentations militaires des Oasis, situés dans le Sahara et où eurent lieu les premiers essais nucléaires français (quatre essais atmosphériques et treize essais souterrains), ne furent évacués qu'en 1967. La base navale de Mers el-Kébir, concédée pour 15 ans par les accords d'Evian, fut finalement abandonnée le 1 er février 1968.

Durant cette période, plusieurs dizaines de soldats français sont décédés et ont été reconnus morts pour la France. Selon les bilans mensuels de l'état-major interarmées, qui ne concernent que l'armée de terre et la gendarmerie, vingt-huit décès consécutifs à des combats ou à des attentats eurent lieu entre juillet 1962 et avril 1964 24 ( * ) . Leurs compagnons d'armes ne peuvent pas aujourd'hui bénéficier de la carte du combattant. Ils peuvent uniquement prétendre depuis 2001 25 ( * ) au TRN, distinction qui n'ouvre pas les mêmes droits et n'a pas la même portée symbolique.

C'est la raison pour laquelle l'article 1 er de la proposition de loi étend jusqu'au 2 juillet 1964 la période de calcul des 120 jours de présence rendant éligible à la carte du combattant.

Le Gouvernement propose, dans le projet de loi de finances pour 2014 (article 62), une mesure intermédiaire : la carte « à cheval », soit l'attribution de la carte du combattant aux personnes dont le déploiement en Algérie a commencé avant le 2 juillet 1962 mais s'est achevé après cette date. Aux yeux de votre rapporteur, si elle satisfait une partie des demandes légitimes du monde combattant sur ce point, elle ne les prend pas en compte dans leur intégralité comme le fait l'article 1 er de cette proposition de loi.

Il ne s'agit pas d'une demande inédite, mais plutôt d'un souhait récurrent formulé par des parlementaires de toutes les sensibilités politiques. Dans notre assemblée, au moins quatre propositions de loi ont été déposées ces dernières années pour permettre l'attribution de la carte du combattant aux anciens combattants ayant servi en Algérie jusqu'au 1 er juillet 1964, dont une cosignée par l'ensemble des membres du groupe socialiste :

- la proposition de loi n° 223 (2007-2008) de notre ancien collègue Claude Biwer visant à permettre l'attribution de la carte du combattant aux anciens combattants ayant quatre mois de présence en Algérie avant le 1 er juillet 1964, déposée le 29 février 2008 ;

- la proposition de loi n° 282 (2007-2008) de Marcel-Pierre Cléach et plusieurs de ses collègues, pour l'attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l'armée française ayant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1 er juillet 1964, déposée le 15 avril 2008 ;

- la proposition de loi n° 294 (2007-2008) de Jean-Pierre Masseret et les membres du groupe socialiste, visant à attribuer la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d'Évian du 2 juillet 1962 jusqu'au 1 er juillet 1964, déposée le 17 avril 2008 ;

- la proposition de loi n° 755 (2011-2012) de Jean Louis Masson, visant à élargir les conditions d'attribution de la carte du combattant aux anciens combattants d'Algérie ou des opérations extérieures, déposée le 10 septembre 2012.

A l'Assemblée nationale, notre collègue député Christophe Guillloteau, rapporteur en février 2013 d'une proposition de loi identique à celle soumise à notre commission 26 ( * ) quoique plus récente, puisqu'enregistrée à la présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012, avait recensé à cette date neuf autres propositions de loi ayant le même objet déposées depuis le début de la XIV e législature 27 ( * ) .

B. METTRE LES SOLDATS AYANT PARTICIPÉ AUX OPÉRATIONS EXTÉRIEURES SUR UN PIED D'ÉGALITÉ AVEC CEUX QUI LES ONT PRÉCÉDÉS

Malgré leur adaptation récente, sous le précédent gouvernement, aux conditions d'engagement de nos soldats en Opex, les critères d'attribution de la carte du combattant actuellement opposés à ces femmes et ces hommes restent d'une grande complexité et sont à l'origine d'inégalités de traitement entre Opex et entre les trois armées selon la qualité des archives conservées et la capacité de ces dernières à les exploiter. La quatrième génération du feu se trouve défavorisée par rapport à celles qui l'ont précédée et les services du ministère de la défense ne sont pas en mesure, malgré leurs efforts, de répondre de manière appropriée aux attentes des anciens combattants.

L'article 2 de la proposition de loi simplifie donc très largement les règles d'attribution de la carte du combattant aux militaires ayant servi en Opex. Transposant le régime en vigueur pour la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc depuis 2004, il établit l'équivalence entre une durée de service d'au moins quatre mois en Opex et les critères jusqu'à présent applicables (dont les principaux sont l'appartenance pendant trois mois à une unité combattante ou à une unité ayant connu neuf actions de feu ou de combat et la participation à cinq actions de feu ou de combat). Ces derniers ne sont pas supprimés, afin de ne pas exclure ceux de nos soldats qui, malgré un déploiement court, ont connu de nombreuses actions de feu ou de combat.

La reconnaissance de la Nation envers la quatrième génération du feu doit donc être approfondie, le dispositif mis en place à partir de 1993 n'étant pas pleinement satisfaisant. Ici, contrairement à ce qui fut trop longtemps le cas pour la guerre d'Algérie, il n'y a pas de cécité officielle à déplorer. Il y a lieu de s'en féliciter, car la mémoire des soldats tombés en Opex ne saurait être ignorée. Le rapport 28 ( * ) du général (2S) Thorette en recensait 616 entre 1963 et septembre 2011. Ce bilan s'est malheureusement alourdi depuis, avec notamment la mort en 2013 de sept hommes au Mali durant l'opération Serval.

Carte de l'engagement des forces françaises en Opex

Source : Ministère de la défense

Dans ce contexte, votre rapporteur se félicite de la volonté, exprimée devant la commission par le ministre délégué chargé des anciens combattants lors de son audition le 7 novembre dernier, de poursuivre la construction du monument aux morts en Opex à Paris, place Vauban, engagée sous la précédente majorité.

A côté de cet indispensable travail de mémoire, il faut tenir compte de l'évolution de l'armée française. Elle est désormais professionnalisée, d'un format plus réduit mais doit faire face à des Opex toujours aussi nombreuses. Comme l'a expliqué à votre rapporteur le général Leroi, à l'avenir, la quasi-totalité des engagés, dont le contrat moyen est d'une durée de cinq ans, aura servi au moins deux fois durant cette période à l'étranger. Le droit à réparation que ces femmes et ces hommes tiennent de ce service doit donc être formellement réaffirmé et définitivement consacré.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. L. 1 bis et L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre) - Attribution de la carte du combattant aux soldats ayant servi quatre mois en Algérie jusqu'au 2 juillet 1964

Objet : Cet article complète la reconnaissance de la Nation envers la troisième génération du feu en permettant d'attribuer la carte du combattant aux soldats ayant été stationnés en Algérie jusqu'au 2 juillet 1964.

Afin de reconnaître à la troisième génération du feu la qualité de combattant, la loi du 9 décembre 1974 29 ( * ) a inséré, dans le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG) un article L. 1 bis 30 ( * ) selon lequel « la République française reconnaît, dans des conditions de stricte égalité avec les combattants des conflits antérieurs, les services rendus par les personnes qui ont participé sous son autorité à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1 er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 ».

L'article L. 253 bis du même code précise les règles générales d'attribution de la carte du combattant aux soldats français, aux membres des forces supplétives ainsi qu'aux civils, membres des forces de l'ordre, ayant participé à des actions de feu ou de combat durant ce conflit. Si les principaux critères alternatifs ont longtemps été l'appartenance pendant trois mois à une unité combattante, à une unité ayant connu, pendant le temps de présence de l'intéressé, neuf actions de feu ou de combat ou la participation directe à cinq actions de feu ou de combat, la loi de finances pour 2004 31 ( * ) a établi une équivalence entre ces derniers et une présence d'au moins quatre mois en Algérie, au Maroc ou en Tunisie pendant cette période.

Toutefois, de nombreuses forces françaises étaient encore présentes en Algérie après le 2 juillet 1962 : les accords d'Evian prévoyaient le maintien sur place de 80 000 soldats douze mois après l'indépendance. 50 000 étaient toujours dans le pays au début de l'année 1964, avant un retrait qui eut lieu en juillet de cette même année. Durant cette période, plusieurs dizaines de soldats français sont décédés et ont été reconnus morts pour la France.

En conséquence, et afin de restaurer l'égalité entre tous ceux qui appartiennent à la troisième génération du feu, cet article 1 er repousse au 2 juillet 1964 la borne temporelle retenue pour le calcul des 120 jours de présence en Algérie pris en compte pour recevoir la carte du combattant.

Son paragraphe I modifie l'article L. 1 bis du CPMIVG en remplaçant la référence à l'année 1962 par l'année 1964. La reconnaissance de la Nation envers la troisième génération du feu, qui débute au 1 er janvier 1952, serait donc étendue jusqu'au 2 juillet 1964.

Son paragraphe II réalise la même opération à l'article L. 253 bis . La carte du combattant pourrait donc être délivrée pour quatre mois de présence en Algérie jusqu'au 2 juillet 1964.

Enfin, son paragraphe III renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les modalités d'application de l'article. Il faudrait en effet modifier l'article R. 224 du CPMIVG pour tenir compte de l'évolution des conditions d'attribution de la carte du combattant.

Entre juillet 1962 et novembre 1963, 81 792 appelés ont servis dans l'armée de terre en Algérie, aux côtés de nombreux militaires de carrière dont le ministère de la défense n'est toutefois pas en mesure d'évaluer le nombre. Sur la base d'un effectif d'environ 60 000 bénéficiaires potentiels encore en vie, le coût de cette mesure serait proche de 39 millions d'euros par an.

La commission n'a pas adopté cet article.

Article 2 (art. L. 1 bis et L. 253 ter du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre) - Attribution de la carte du combattant aux soldats ayant servi quatre mois en opération extérieure

Objet : Cet article transpose aux Opex le critère d'obtention de la carte du combattant sur la base d'une présence de quatre mois sur le terrain, jusqu'à présent uniquement applicable à la guerre d'Algérie et aux combats au Maroc et en Tunisie.

La loi du 4 janvier 1993 32 ( * ) a ouvert aux soldats et aux civils ayant participé à des Opex le bénéfice de la carte du combattant en insérant un article L. 253 ter dans le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre (CPMIVG). A côté des conflits armés, les « opérations et missions menées conformément aux obligations et engagements internationaux de la France » peuvent ouvrir droit à la qualité de combattant.

Les critères d'attribution sont identiques à ceux utilisés pour la guerre d'Algérie, soit principalement :

- l'appartenance durant trois mois à une unité combattante ;

- l'appartenance à une unité ayant connu, pendant le temps de présence de l'intéressé, neuf actions de feu ou de combat ;

- la participation directe à cinq actions de feu ou de combat.

Un arrêté 33 ( * ) fixe les théâtres d'opérations concernés ainsi que les périodes retenues.

Correspondant peu à la réalité des Opex, la notion d'action de feu ou de combat a connu une adaptation par le décret du 12 novembre 2010 34 ( * ) , qui en donne la définition suivante : elle recouvre « les actions de combat et les actions qui se sont déroulées en situation de danger caractérisé ». Le rétablissement de l'ordre, le contrôle de foule, le déminage, la sécurisation de personnes ou de zones terrestres, maritimes ou aériennes font, par exemple, partie intégrante de cette nouvelle approche, bien qu'ils n'impliquent pas un affrontement direct avec une force militaire ennemie.

Il n'en reste pas moins qu'un effort supplémentaire doit être réalisé en faveur de cette quatrième génération du feu qui, dans les faits, ne bénéficie toujours pas des mêmes droits que celles qui l'ont précédée.

Tel est l'objet de cet article 2, dont le paragraphe I complète l'article L. 1 bis du CPMIVG afin de consacrer dans la loi la plus stricte égalité, du point de vue de la reconnaissance qui leur est due par la République française, entre les anciens des Opex et ceux des différents conflits du XX e siècle. Cette déclaration de principe reprend la formulation du premier alinéa de ce même article qui, depuis 1974, a le même objet à destination des anciens combattants d'Algérie, du Maroc et de Tunisie.

Le paragraphe II modifie l'article L. 253 ter du même code afin de prévoir, comme le fait l'article L. 253 bis pour la guerre d'Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc, qu'une durée des services d'au moins quatre mois en Opex est équivalente à la participation aux actions de feu ou de combat exigée jusqu'à présent pour obtenir la carte du combattant.

La commission n'a pas adopté cet article.

Article 3 - Gage

Objet : Cet article constitue le gage financier de la proposition de loi.

Afin de compenser les charges supplémentaires résultant, pour l'Etat, de l'application des dispositions de cette proposition de loi, l'article 3 prévoit la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La commission n'a pas adopté cet article.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 13 novembre 2013 sous la présidence de Mme Annie David, présidente , la commission procède à l'examen de la proposition de loi n° 669 (2011-2012) visant à élargir les conditions d'attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l'armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1 er juillet 1964 ou en opérations extérieures, dont M. Marc Laménie est le rapporteur .

M. Marc Laménie, rapporteur . - Quarante-huit heures après le 11 novembre, date anniversaire de l'armistice de 1918 mais également jour d'hommage à tous les morts pour la France, le hasard du calendrier parlementaire nous fait examiner une proposition de loi dont l'objet est de conforter l'égalité entre toutes les générations du feu.

Déposée par notre collègue Marcel-Pierre Cléach, elle vise à corriger deux inégalités qui touchent certains anciens d'Algérie et les soldats qui ont participé à des opérations extérieures (Opex) s'agissant de l'attribution de la carte du combattant. Je vous rappelle que ces Opex constituent la principale forme d'intervention de l'armée française à l'extérieur de notre territoire, en application le plus souvent de nos engagements internationaux. Conformément à des résolutions du Conseil de sécurité de l'Onu, des décisions du Conseil de l'Union européenne ou dans le cadre de l'Otan, 8 500 femmes et hommes étaient déployés dans le monde au 1 er octobre dernier, principalement au Mali, au Liban et en Afghanistan.

La carte du combattant a été créée au lendemain de la Première Guerre mondiale pour consacrer le droit à réparation reconnu à ceux qui ont servi la Nation au combat.

Elle est créatrice de droits pour ses titulaires. Le plus important d'entre eux est le versement, à partir de l'âge de 65 ans, de la retraite du combattant, dont le montant annuel est à l'heure actuelle de 668,64 euros. Etroitement liée à la qualité d'ancien combattant, elle n'est pas réversible. Elle est attribuée, sous certaines conditions, dès 60 ans, notamment aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) ou de l'allocation pour adulte handicapé (AAH) ainsi que dans les départements d'outre-mer.

Une demi-part fiscale est accordée à son détenteur à partir de 75 ans, et celui-ci peut également se constituer une rente mutualiste majorée par l'Etat.

La carte confère également aux anciens combattants la qualité de ressortissant de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onac), et ouvre donc l'accès à ses prestations d'aide sociale. Enfin, reconnaissance symbolique, le cercueil de son titulaire peut être recouvert du drapeau tricolore.

Sur un plan administratif, les demandes d'attribution doivent être faites auprès des services départementaux de l'Onac, sur la base de l'état des services accomplis. Après instruction et vérification auprès des archives du ministère de la défense, le dossier est soumis à la commission nationale de la carte du combattant, composée majoritairement de représentants du monde combattant, puis la décision finale est prise par le directeur général de l'Onac.

Au total, on peut estimer à environ 1,3 million le nombre de titulaires de la carte du combattant dans notre pays, alors que 1,2 million de retraites du combattant seront versées en 2013. Le plus gros contingent est bien évidemment formé des anciens combattants de la guerre d'Algérie, puisque 1,3 million d'appelés et rappelés y ont servi aux côtés de plusieurs centaines de milliers d'engagés volontaires, de supplétifs et de membres des forces de l'ordre.

Si la législation actuelle proclame l'universalité de la reconnaissance de la République envers les anciens combattants et l'égalité la plus stricte entre eux, les critères d'attribution de la carte du combattant ne sont plus adaptés aux réalités des conflits actuels et ne sont donc pas fidèles à ces principes.

Les deux premières générations du feu, celles des conflits mondiaux, ont pour la plupart connu des formes d'affrontements classiques, une guerre de position ou de mouvement avec un front et un adversaire clairement identifiés. Il s'agit d'une situation différente de celle à laquelle ont été confrontées les troisième et quatrième générations du feu, en Algérie ou en Opex.

L'attribution de la carte du combattant leur a été progressivement étendue. Il a toutefois fallu attendre 1974 pour les soldats ayant participé aux « opérations effectuées en Afrique du Nord » entre 1952 et 1962, et 1993 pour les anciens des Opex. Il faut surtout se souvenir que ce n'est que par l'adoption de la loi du 18 octobre 1999 qu'a officiellement été reconnu aux opérations en Algérie le caractère de « guerre ».

Concernant l'Afrique du Nord, plusieurs conditions alternatives ont longtemps cohabité, principalement l'appartenance, pendant au moins trois mois, à une unité combattante, l'appartenance à une unité ayant connu neuf actions de feu ou de combat et la participation à cinq actions de feu ou de combat.

De plus, les blessés de guerre, les soldats ayant reçu une citation individuelle ainsi que ceux ayant été détenus en méconnaissance des conventions de Genève ont été considérés comme combattants.

Sur ces bases, les anciens combattants ont rencontré d'importantes difficultés pour faire valoir leurs droits et de nombreuses inégalités de traitement ont été relevées. En effet, la caractérisation des unités combattantes et des actions de feu ou de combat revient au service historique de la défense (SHD), qui s'appuie sur les journaux de marches et opérations (JMO) des unités concernées. Ces derniers, souvent lacunaires voire manquants, correspondent rarement à ce que les soldats ont vécu sur le terrain. Les éplucher exhaustivement et les exploiter correctement représente une tâche immense.

Pour y répondre, le législateur a défini, dans la loi de finances pour 2004, un nouveau critère reconnu comme équivalant à la participation aux actions de feu ou de combat : une durée de quatre mois de présence en Algérie, au Maroc ou en Tunisie jusqu'au 2 juillet 1962.

Cette simplification, demandée de longue date par les représentants du monde combattant, était évidemment indispensable. Elle ne permet toutefois pas de prendre en compte l'ensemble des soldats, appelés comme militaires de carrière, ayant servi en Algérie et ayant été exposés au danger.

En effet, 305 000 hommes se trouvaient encore en Algérie à la date de l'indépendance. Les accords d'Evian prévoyaient le maintien sur place, pour une durée de deux ans, d'un important contingent : encore 131 000 hommes en janvier 1963 et 50 000 un an plus tard, avant un retrait qui eut lieu en juillet 1964. Des troupes françaises étaient encore présentes en Algérie après cette date mais dans un autre cadre et n'entrent donc pas dans le champ de cette proposition de loi.

Durant cette période, plusieurs dizaines de soldats français sont décédés et ont été reconnus morts pour la France. Leurs compagnons d'armes ne peuvent pas aujourd'hui bénéficier de la carte du combattant. Ils peuvent uniquement prétendre au titre de reconnaissance de la Nation (TRN), qui n'ouvre pas les mêmes droits et n'a pas la même portée symbolique. C'est la raison pour laquelle l'article 1 er de la proposition de loi étend jusqu'au 2 juillet 1964 la borne temporelle prise en compte pour le calcul des 120 jours de présence rendant éligible à la carte du combattant.

Le Gouvernement propose, dans le projet de loi de finances pour 2014, une mesure intermédiaire : la carte « à cheval », soit l'attribution de la carte du combattant aux personnes dont le déploiement en Algérie a commencé avant le 2 juillet 1962 mais s'est achevé après cette date. A mes yeux, elle ne prend pas en compte l'intégralité des demandes légitimes du monde combattant sur ce point. De plus, elle sera satisfaite par cet article 1 er .

J'en viens maintenant aux Opex. Depuis la loi du 4 janvier 1993, les militaires y ayant participé ont vocation à recevoir la carte du combattant selon les mêmes critères de droit commun que pour la guerre d'Algérie. Mais celui tenant aux quatre mois de présence ne leur est pas applicable. Un arrêté, mis à jour régulièrement, définit donc les opérations ainsi que les périodes concernées.

Toutefois, le critère central, celui de la participation à des actions de feu ou de combat, est particulièrement inadapté aux activités des unités en Opex. Ne combattant pas un ennemi clairement identifié sur une ligne de front mais assurant la plupart du temps des missions de maintien de la paix ou de protection des populations, les soldats français servant à l'étranger ne peuvent souvent pas faire état d'un nombre suffisant d'actions de feu ou de combat pour recevoir la carte.

Il a fallu attendre un décret du 12 novembre 2010 pour qu'une définition de ces actions plus adaptée aux réalités des Opex soit établie : sont désormais prises en compte les actions de combat et les actions qui se sont déroulées « en situation de danger caractérisé ».

Un arrêté est venu fixer la liste des actions concernées, qui sont celles rencontrées en Opex : ce sont, par exemple, les opérations de rétablissement de l'ordre, de déminage, de contrôle d'une zone terrestre, aérienne ou maritime, ou encore d'évacuation sanitaire. En conséquence, le nombre de cartes du combattant attribuées au titre des Opex est en forte progression puisqu'il est passé de 3 650 en 2011 à 8 900 en 2012 et devrait s'établir, pour 2013, à plus de 11 000. Je tiens à saluer sur ce point l'action volontariste du Gouvernement, qui a d'ores et déjà qualifié d'unités combattantes toutes les unités de l'armée de terre qui ont été engagées en Afghanistan et au Mali.

Toutefois, en dehors de ces deux cas récents, les critères complexes de qualification des unités obligent le SHD à mener un travail de recherche très long, sur la base de sources parfois peu fiables. La procédure peut durer jusqu'à 10 ans. Le problème est le même que celui qui existait pour la guerre d'Algérie avant 2004. Il faut savoir que, pour remplir cette tâche, le SHD ne dispose que de cinq personnes.

C'est pourquoi l'article 2 de la proposition de loi consacre dans la loi, comme c'est le cas depuis 1974 pour les anciens combattants d'Algérie, la plus stricte égalité entre la quatrième génération du feu et celles qui l'ont précédée. Cette déclaration de principe est loin d'être inutile. Ensuite, il transpose le critère des quatre mois de service requis pour obtenir la carte du combattant aux soldats ayant servi en Opex.

Cette proposition de loi ne s'inscrit pas en rupture avec l'action des différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. Des progrès considérables ont été réalisés depuis 10 ans en ce qui concerne l'effectivité du droit à réparation. Il faut poursuivre ce mouvement, en particulier en direction de celles et ceux qui ont participé aux Opex.

Cette génération du feu est bien distincte des précédentes, par sa sociologie comme par ses effectifs. Elle n'en est pas pour autant moins digne de la reconnaissance de la Nation que celles des combattants des guerres mondiales ou de la guerre d'Algérie. On peut d'ailleurs se féliciter de la volonté, exprimée ici par le ministre la semaine dernière, de poursuivre la construction du monument aux morts en Opex à Paris, place Vauban, engagée sous la précédente majorité.

De ce fait, et pour toutes les raisons que je viens de rappeler, je vous invite à adopter cette proposition de loi sans modification.

Mme Gisèle Printz . - La modification proposée par le rapporteur aurait pour conséquence de considérer que l'état de guerre en Algérie s'est poursuivi jusqu'au 1 er juillet 1964, alors même que ce pays était devenu indépendant. C'est contraire à la vérité historique. Au risque de dénaturer la valeur même de la carte du combattant, il est fondamental que celle-ci demeure corrélée aux actions de combat et aux périodes de guerre.

Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2014 étend l'accès à la carte du combattant aux personnes justifiant de quatre mois de présence en Algérie à cheval sur le 2 juillet 1962.

Pour les Opex, il est inexact d'affirmer que les critères d'attribution de la carte ne correspondent plus aux engagements actuels de nos forces militaires, ni que les conditions pour l'obtenir sont trop complexes et restrictives. Au contraire, les nouveaux critères ont contribué à augmenter considérablement le nombre de cartes du combattant qui ont été attribuées aux anciens des Opex. Le ministre a mis à l'étude la possibilité d'une simplification du dispositif : une réflexion sur ce point est en cours. Cette proposition de loi ne me semble donc pas opportune.

M. René-Paul Savary . - La reconnaissance proposée par cette proposition de loi vient tardivement, mais il n'est jamais trop tard, surtout que les anciens combattants vieillissent. Leur nombre diminuant, il convient d'étendre le droit à réparation tout en restant, à moyens constants, dans un cadre budgétaire supportable.

Le service historique de la défense semble sous-dimensionné. Pourquoi ne pas davantage faire appel aux jeunes pour ces recherches chronophages, à travers notamment les emplois d'avenir ?

Mme Colette Giudicelli . - Je tiens à tout d'abord à remercier notre rapporteur Marc Laménie ainsi que Marcel-Pierre Cléach, l'auteur de la proposition de loi.

Il importe que nous puissions mettre en oeuvre, malgré le contexte budgétaire contraint, une politique de mémoire ambitieuse ainsi que le droit à reconnaissance dont disposent ceux qui se sont battus pour notre pays, quelle que soit l'opération militaire concernée. C'est d'autant plus important pour ceux qui n'en ont pas eu le choix : je pense aux soldats qui ont séjourné en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1 er juillet 1964. Dans mon expérience personnelle, le cessez-le-feu était alors virtuel : des milliers de harkis furent assassinés alors qu'ils portaient l'uniforme de l'armée française.

Le dispositif législatif actuel ne permet pas un traitement égalitaire entre les différentes générations du feu, notamment à cause de l'obsolescence des critères qui régissent l'attribution de la carte du combattant. Il faut les actualiser.

La communauté de la défense et des anciens combattants doit pouvoir perpétuer sereinement les valeurs de la République et de notre pays : il ne faut donc pas que la politique de mémoire se résume à la cérémonie annuelle du 11 novembre. L'égalité de traitement entre tous les anciens combattants doit être absolue.

Prévue dans le projet de loi de finances pour 2014, la carte à cheval constitue un premier pas dans ce sens. Près de 8 000 personnes sont concernées. Sur ce point, il existe des impératifs supérieurs à ceux budgétaires. C'est pourquoi notre groupe soutiendra bien évidemment cette proposition de loi.

M. Dominique Watrin . - Cette proposition de loi va bien au-delà de la législation actuelle en postulant que cette dernière serait source d'inégalités entre les différentes générations du feu.

Il faut prendre en compte le contexte historico-politique et les conditions dans lesquelles se sont déroulées d'éventuelles opérations comportant un risque d'ordre militaire. Le cessez-le-feu entre l'armée française et l'armée de libération nationale (ALN) est intervenu le 19 mars 1962. Après cette date, conformément aux accords d'Evian, il n'y eut pas d'engagement de nos troupes contre celles de l'ALN. Il est vrai que de nombreuses représailles furent le fait de la population civile algérienne, que ce soit contre les harkis et leurs familles ou, comme à Oran le 5 juillet 1962, contre des Européens. A cette occasion, les partisans de l'Algérie française ont d'ailleurs reproché aux forces françaises de ne pas être intervenues. A la même époque commençait leur rapatriement, la priorité étant donnée aux unités comportant une majorité d'appelés.

Bien qu'en situation d'insécurité, il n'y eut pas d'opérations militaires après le 19 mars. C'est pourquoi le groupe CRC est favorable à la mesure proposée par le Gouvernement dans le projet de loi de finances pour 2014, c'est-à-dire la carte à cheval.

Le ministre a récemment convenu à l'Assemblée nationale que la procédure d'attribution de la carte du combattant aux anciens des Opex n'est « pas entièrement satisfaisante ». Un amendement qui a été voté dans le projet de loi de finances demande la remise d'un rapport au Parlement sur leur évolution. Il faut aller plus loin, et nous souhaiterions que le Gouvernement intègre dans ce texte les critères proposées pour les Opex par cette proposition de loi.

Mme Catherine Genisson . - Combien de personnes seraient concernées par l'extension de l'attribution de la carte du combattant jusqu'en juillet 1964 pour les anciens combattants d'Algérie ?

M. Claude Domeizel . - Avez-vous consulté les associations représentatives du monde combattant ?

En tant que président du groupe interparlementaire d'amitié France-Algérie, je peux vous dire que la moindre initiative prise par la France sur le sujet de la guerre d'Algérie est observée avec beaucoup d'attention de l'autre côté de la Méditerranée. La disposition de la loi du 23 février 2005 reconnaissant le « rôle positif » de la colonisation en est un exemple : les Algériens y font encore aujourd'hui référence. Ils sont sensibles à nos prises de position, et ont d'ailleurs accueilli positivement la reconnaissance tardive du caractère de « guerre » de ce conflit.

Nous devons être prudents. J'ai des réserves sur cette proposition de loi, je souhaiterais m'assurer auprès nos amis algériens qu'elle ne leur pose pas de difficultés. Considèrent-ils cette période, de 1962 à 1964, durant laquelle des troupes françaises étaient encore présentes en Algérie, comme une période de combat ? Ce qui peut nous apparaître comme des détails peut être très important pour eux.

M. Marc Laménie, rapporteur . - Pour répondre à Gisèle Printz, il ne me semble pas que cette proposition de loi dénaturera la valeur de la carte du combattant : les soldats présents en Algérie après 1962 se trouvaient dans une situation de danger réel. Concernant les Opex, le ministre s'est montré favorable à l'évolution des critères d'attribution. Pourquoi le refuser aujourd'hui ?

Comme l'a souligné René-Paul Savary, les moyens humains du SHD sont effectivement très limités, alors que d'importantes recherches dans les archives sont nécessaires pour qualifier les unités combattantes.

Le devoir de mémoire est un travail quotidien, dans lequel l'implication des bénévoles et des associations est capitale : la tâche est immense.

Environ 40 000 anciens combattants pourraient être concernés par l'extension de l'attribution de la carte du combattant jusqu'en juillet 1964. J'ai bien évidemment auditionné les principales associations d'anciens combattants : l'Ufac, l'UNC et, pour les Opex, la Fname. Contactée, la Fnaca nous a répondu par écrit mais n'a pas souhaité être reçue. Ma méthode de travail a tourné autour du dialogue et de la concertation : ces auditions ont été très instructives.

Pour terminer, je fais partie de ceux qui estiment qu'aucune proposition de loi n'est parfaite. Néanmoins, à mes yeux, celle que nous venons d'examiner répond à des attentes légitimes.

Mme Annie David, présidente . - Quel serait le coût des mesures prévues par ce texte ?

Mme Colette Giudicelli . - Je comprends que Claude Domeizel préside le groupe d'amitié France-Algérie, mais je suis étonnée que son vote puisse dépendre de la position de l'Algérie sur cette proposition de loi. Pensez-vous que d'éventuelles réticences viendraient du fait que pour le gouvernement algérien actuel les harkis sont toujours des traîtres à qui il est interdit de retourner dans leur pays d'origine bien qu'ils y aient encore de la famille ? Ce serait plus gênant.

M. Jean-Pierre Godefroy . - Il me semble que cette question avait été abordée l'an dernier lors de l'examen d'une proposition de loi dont notre collègue Alain Néri était rapporteur. La demande des organisations représentatives du monde combattant visait à obtenir la carte du combattant à cheval, pour ceux dont le séjour en Algérie inclut la date du 2 juillet 1962. Le Gouvernement donne satisfaction à cette revendication dans le projet de loi de finances pour 2014. Pourquoi dans ce cas vouloir aller jusqu'en 1964 ?

Je suis très sensible à la situation des soldats ayant servi en Opex. J'attends du Gouvernement qu'il précise ses intentions sur ce sujet.

Mme Muguette Dini . - Je suis très perplexe quant au contenu de cette proposition de loi. J'étais présente en Algérie le 1 er juillet 1962 et dans la période qui a suivi. D'après mon expérience personnelle, les militaires français n'étaient alors pas en danger, contrairement aux harkis. Je suis donc étonnée que certains cherchent à étendre l'attribution de la carte du combattant jusqu'en 1964, alors que la carte à cheval est une mesure que je soutiens, tout comme les dispositions concernant les Opex.

M. Georges Labazée . - Je suis aussi perplexe que Muguette Dini. La confusion s'accroit au fil de nos débats. Adopter cette proposition de loi créerait des difficultés supplémentaires : l'opinion publique comprendrait-elle qu'on rouvre le dossier de la guerre d'Algérie ? C'est une question périlleuse, alors que ce texte vient brouiller les différentes notions. Je n'y suis pas favorable.

M. Marc Laménie, rapporteur. - Je suis heureux que nous ayons eu une telle discussion, qui démontre notre attachement au devoir de mémoire. La diversité des témoignages des membres de la commission met en lumière la complexité du thème abordé par cette proposition de loi.

Le coût envisagé de l'extension de la carte du combattant jusqu'en 1964 serait de l'ordre de 40 millions d'euros. Toutefois, en raison de la diminution du nombre d'anciens combattants, les dépenses liées au droit à réparation dont ils bénéficient diminueront d'environ 100 millions d'euros en 2014. Il serait donc possible de financer cette mesure à budget constant.

Les demandes des associations du monde combattant ne sont pas uniformes. La Fnaca est satisfaite par la carte à cheval. D'autres en revanche, comme l'UNC, estiment que la date retenue pour l'attribution de la carte doit être prolongée jusqu'en 1964. C'est le choix fait dans cette proposition de loi.

Mme Gisèle Printz . - Pourquoi 1964 et pas 1963 ?

M. Marc Laménie, rapporteur . - Il s'agit de la date de retrait des dernières troupes françaises stationnées en Algérie en application des accords d'Evian.

Mme Gisèle Printz . - Mais les hostilités ont pris fin en 1962 !

Mme Colette Giudicelli . - Selon les informations dont je dispose, les archives du ministère de la défense font état de plus de 150 militaires morts en Algérie entre 1963 et 1964. Il est donc difficile de nier l'existence d'un risque militaire durant cette période.

A l'issue d'une suspension de séance demandée par les commissaires membres du groupe socialiste, le texte de la proposition de loi est mis aux voix.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

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• Union française des associations de combattants et victimes de guerre (Ufac)

Jacques Goujat , président

• Union nationale des combattants (UNC)

Lucien-Louis Bayle , président

• Fédération nationale des anciens des missions extérieures (Fname-Opex)

Laurent Attar-Bayrou , président

• Service historique de la défense (SHD)

Général de brigade Vincent Leroi, directeur

Hélène Servant, conservatrice en chef du patrimoine, chef du département de la collecte et des recherches administratives


* 1 Avec le cycle commémoratif du centenaire de la Première Guerre mondiale (2014-2018).

* 2 Avec le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale (2013-2015).

* 3 Publiée au Journal officiel du 19 décembre 1926, p. 13162.

* 4 Par le décret n° 48-180 du 29 janvier 1948 modifiant et complétant le décret du 1 er juillet 1930 portant règlement d'administration publique en exécution de l'article 101 de la loi du 19 décembre 1926 et fixant les conditions d'attribution de la carte du combattant, JO du 3 février 1948, p. 1161.

* 5 Loi n° 52-833 du 18 juillet 1952 faisant bénéficier les combattants d'Indochine et de Corée de toutes les dispositions relatives aux combattants de la guerre 1939-1945.

* 6 Conseil constitutionnel, décision n° 68-8 FNR du 27 novembre 1968, Proposition de loi de M. Courrière et de M. Brousse tendant à la reconnaissance de la qualité de combattant à certains militaires et anciens militaires ayant pris part aux combats en Algérie, au Maroc et en Tunisie.

* 7 Loi n° 74-1044 du 9 décembre 1974 donnant vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord, entre le 1 er janvier 1952 et le 2 juillet 1962.

* 8 Décret n° 75-87 du 11 février 1975 modifiant le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre pour l'application de la loi n° 74-1044 du 9 décembre 1974 donnant vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord, entre le 1 er janvier 1952 et le 2 juillet 1962.

* 9 Loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l'expression « à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc ».

* 10 Loi n° 93-7 du 4 janvier 1993 relative aux conditions d'attribution de la carte du combattant.

* 11 Créé en 1967 à destination des anciens combattants d'Algérie, du Maroc et de Tunisie, qui ne pouvaient alors pas bénéficier de la carte du combattant, le titre de reconnaissance de la Nation (TRN) était destiné à ceux d'entre eux y ayant séjourné au moins 90 jours. Etendu par la loi du 4 janvier 1993 aux Opex, il ouvre l'accès à la retraite mutualiste et aux prestations de l'Onac. Il est également attribué aux militaires présents en Algérie entre le 2 juillet 1962 et le 1 er juillet 1964.

* 12 La valeur du point de PMI étant de 13,93 euros.

* 13 Source : projet annuel de performance de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » annexé au projet de loi de finances pour 2014.

* 14 Décret n° 75-87 du 11 février 1975 précité.

* 15 Loi n° 82-843 du 4 octobre 1982 modifiant l'article L. 253 bis du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

* 16 Article 108 de la loi n° 97-1269 du 30 décembre 1997 de finances pour 1998.

* 17 Article 123 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999.

* 18 Article 120 de la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999 de finances pour 2000.

* 19 Article 123 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.

* 20 Conseil constitutionnel, décision n° 2010-18 QPC du 23 juillet 2010.

* 21 Arrêté du 12 janvier 1994 fixant la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant au titre de l'article L. 253 ter du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, NOR : ACVP9320062A.

* 22 Décret n° 2010-1377 du 12 novembre 2010 relatif aux modalités d'attribution de la carte du combattant.

* 23 Arrêté n° 80066/DEF/DAJ/D2P/EGL du 10 décembre 2010 fixant la liste des actions de feu ou de combat définies à l'article R. 224 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, NOR DEFD1052806A, BOC n° 54 du 23 décembre 2010.

* 24 Source : Réponse à la question écrite n° 128527 (AN, XIII ème législature) publiée au JO le 24 avril 2012, p. 3166.

* 25 Et le décret n° 2001-362 du 25 avril 2001 modifiant l'article D. 266-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre.

* 26 Qui fut enregistrée à la présidence du Sénat le 16 juillet 2012.

* 27 Source : Christophe Guilloteau, rapport fait au nom de la commission de la défense et des forces armées sur la proposition de loi (n° 267) visant à élargir les conditions d'attribution de la carte du combattant aux anciens combattants de l'armée française totalisant au moins quatre mois de présence en Algérie avant le 1 er juillet 1964 ou en opérations extérieures, n° 714, XIV e législature, 12 février 2013, p. 14-15.

* 28 Rapport du groupe de travail « Monument aux morts en opérations extérieures », sous la présidence du général d'armée (2 ème section) Bernard Thorette, septembre 2011.

* 29 Loi n° 74-1044 du 9 décembre 1974 donnant vocation à la qualité de combattant aux personnes ayant participé aux opérations effectuées en Afrique du Nord, entre le 1 er janvier 1952 et le 2 juillet 1962.

* 30 Modifié par la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 relative à la substitution, à l'expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord », de l'expression « à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc » pour tenir compte de la reconnaissance de la guerre d'Algérie.

* 31 Article 123 de la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 de finances pour 2004.

* 32 Loi n° 93-7 du 4 janvier 1993 relative aux conditions d'attribution de la carte du combattant.

* 33 Arrêté du 12 janvier 1994 fixant la liste des opérations ouvrant droit au bénéfice de la carte du combattant au titre de l'article L. 253 ter du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, NOR : ACVP9320062A.

* 34 Décret n° 2010-1377 du 12 novembre 2010 relatif aux modalités d'attribution de la carte du combattant.

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