N° 503

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 mars 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable (1) sur la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l' eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d' eau potable et l' accès pour tous à l' eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité ,

Par M. Gérard LAHELLEC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Longeot , président ; M. Didier Mandelli, Mmes Nicole Bonnefoy, Marta de Cidrac, MM. Joël Bigot, Rémy Pointereau, Frédéric Marchand, Guillaume Chevrollier, Mme Marie-Claude Varaillas, MM. Jean-Pierre Corbisez, Pierre Médevielle, Ronan Dantec , vice-présidents ; M. Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, MM. Pascal Martin, Bruno Belin , secrétaires ; MM. Jean-Claude Anglars, Jean Bacci, Étienne Blanc, François Calvet, Michel Dagbert, Mme Patricia Demas, MM. Stéphane Demilly, Michel Dennemont, Gilbert-Luc Devinaz, Mme Nassimah Dindar, MM. Gilbert Favreau, Jacques Fernique, Mme Martine Filleul, MM. Fabien Genet, Hervé Gillé, Éric Gold, Daniel Gueret, Mmes Nadège Havet, Christine Herzog, MM. Jean-Michel Houllegatte, Olivier Jacquin, Gérard Lahellec, Mme Laurence Muller-Bronn, MM. Louis-Jean de Nicolaÿ, Philippe Pemezec, Mmes Évelyne Perrot, Marie-Laure Phinera-Horth, Kristina Pluchet, MM. Jean-Paul Prince, Bruno Rojouan, Mme Denise Saint-Pé, MM. Philippe Tabarot, Pierre-Jean Verzelen .

Voir les numéros :

Sénat :

375 et 504 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, réunie mercredi 31 mars 2021, sous la présidence de M. Jean-François Longeot, président, a examiné le rapport de M. Gérard Lahellec sur la proposition de loi visant à garantir effectivement le droit à l'eau par la mise en place de la gratuité sur les premiers volumes d'eau potable et l'accès pour tous à l'eau pour les besoins nécessaires à la vie et à la dignité , déposée par Mme Marie-Claude Varaillas et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste.

Ce texte vise à affirmer le droit à l'eau potable et à l'assainissement pour chaque personne , qui comprend, d'une part, le droit à disposer d'une quantité d'eau quotidienne pour répondre à ses besoins élémentaires et, d'autre part, le droit d'accéder aux équipements permettant d'assurer son hygiène, son intimité et sa dignité. Il prévoit une obligation pour les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dans un délai de cinq ans, d' installer et d'entretenir des équipements de distribution gratuite d'eau potable ainsi que des toilettes publiques et des douches gratuites pour les collectivités au-delà d'un certain seuil démographique. Il instaure enfin la gratuité d'un volume d'eau potable pour l'alimentation et l'hygiène de chaque personne physique.

La commission a salué cette initiative, qui poursuit l'objectif louable de l'accès à l'eau, ressource essentielle à la vie et aux activités humaines : la lutte contre toutes les formes de « pauvreté en eau » doit être encouragée .

Pour autant, considérant que les dispositions législatives depuis les lois « Brottes » de 2013 et « Engagement et proximité » de 2019 permettent d'ores et déjà la mise en oeuvre d'une tarification sociale de l'eau ainsi que l'instauration de la gratuité d'un volume d'eau et qu'il est préférable de laisser aux collectivités territoriales la liberté de mettre en oeuvre la politique sociale en matière d'eau et d'assainissement qui leur paraît la plus appropriée à l'échelle de leur territoire, sans fixer d'obligations qui s'appliqueraient indistinctement à l'ensemble d'entre elles, la commission n'a pas adopté de texte.

I. LE DROIT À L'EAU : UN ENJEU MONDIAL, DES PROBLÉMATIQUES LOCALES

A. UN DROIT ESSENTIEL CONSACRÉ PAR PLUSIEURS ORGANISATIONS INTERNATIONALES MAIS AUQUEL DES POPULATIONS ENTIÈRES N'ACCÈDENT PAS

1. Un droit à l'eau en voie d'affirmation progressive
a) Le droit à l'eau, une ambition partagée à l'échelle internationale

Le droit à l'eau potable et à l'assainissement est inscrit dans plusieurs traités internationaux , notamment des traités relatifs aux droits humains de certaines catégories de personnes, comme la Convention relative aux droits de l'enfant adoptée le 20 novembre 1989 ou la Convention relative aux droits des personnes handicapées du 13 décembre 2006.

Sa première reconnaissance mondiale remonte à l'adoption, le 28 juillet 2010 , par l'Assemblée générale des Nations Unies, d'une résolution qui reconnaît le droit à l'eau portable et à l'assainissement comme un « droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l'homme ». Les Nations Unies lui ont donné un fondement juridique international en déclarant que ce droit faisait partie du « droit à un niveau de vie suffisant ».

Certains pays sont allés plus loin, en constitutionnalisant le droit à l'eau , à l'instar de l' Uruguay . L'article 47 de la constitution uruguayenne, révisée et adoptée par référendum en 2004, stipule que « l'eau est une ressource naturelle essentielle à la vie. L'accès aux services d'eau potable et d'assainissement constitue un droit humain fondamental ». La Slovénie a également inscrit le 17 novembre 2016 au sommet de son ordre juridique interne le droit d'accès à une eau potable non privatisée, en consacrant les ressources en eau comme « un bien public géré par l'État [destiné] en premier lieu à assurer l'approvisionnement durable en eau potable de la population ».

Enfin, le droit à l'eau potable, à l'assainissement et à l'hygiène constitue l'objectif n° 6 des dix-sept « Objectifs 2030 de développement durable » (ODD) adoptés par les États membres des Nations Unies, qui vise à « garantir l'accès de tous à des services d'alimentation en eau et d'assainissement gérés de façon durable ».

b) Une reconnaissance européenne du droit à l'eau émergente depuis une vingtaine d'années

Au niveau européen, la Cour de Justice de l'Union européenne a considéré en 2012, dans sa formation la plus solennelle, que l'accès à l'eau potable est un enjeu majeur en termes de santé, de développement et d'environnement .

Cette ambition a inspiré la révision de la directive européenne relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine publiée le 23 décembre 2020, qui découle de la toute première initiative citoyenne européenne (ICE), « Right2water ».

Parmi les objectifs de la directive révisée, outre la protection de la santé humaine des contaminations des eaux destinées à la consommation humaine, figure l' amélioration de l'accès aux eaux destinées à la consommation humaine. Son article 16 dispose notamment que les États membres « en tenant compte des perspectives et des circonstances locales, régionales et culturelles en matière de distribution de l'eau, prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l'accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes vulnérables et marginalisés tels qu'ils sont définis par les États membres ».

c) Le droit à l'eau en France, une ressource commune timidement consacrée dans notre droit

En France, l'eau s'est progressivement affirmée dans la sphère juridique comme une ressource commune, dont le droit doit protéger l'égal accès pour tous.

Depuis la loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau, cette ressource est considérée en France comme appartenant au « patrimoine commun de la nation ». Le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de l' interdiction d'interrompre la distribution d'eau dans les résidences principales, issue notamment de la loi « DALO » 1 ( * ) et de la loi « Brottes » 2 ( * ) . Le juge constitutionnel a saisi cette occasion pour assimiler le droit d'accès à l'eau à un besoin essentiel de la personne (décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015 « Société SAUR SAS » ).

2. Un droit peu effectif en pratique, auquel un trop grand nombre de personnes n'accèdent pas, y compris en France

Les données de l'accès à l'eau et à l'assainissement au niveau international sont alarmantes, particulièrement dans les pays en développement . Selon le Baromètre 2020 de l'eau, de l'hygiène et de l'assainissement, établi par Solidarités International, 2,2 milliards d'êtres humains n'ont toujours pas un accès sécurisé à l'eau potable (soit 29 % de la population mondiale), 4,2 milliards n'ont pas accès à l'assainissement (soit 55 % de la population mondiale) et 2,6 millions de personnes, principalement des enfants de moins de cinq ans, meurent chaque année de maladies liées à l'eau insalubre.

En France, la situation est bien plus satisfaisante. Situé en zone tempérée et bénéficiant d'une pluviométrie satisfaisante, notre pays dispose d'une quantité d'eau suffisante pour ses différents usages , même si lors d'épisodes de sécheresse sévère, des mesures d'économies s'imposent.

On estime toutefois à environ 235 000 le nombre de personnes privées aujourd'hui en France d'un accès permanent à l'eau .


* 1 Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

* 2 Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes.

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