Rapport n° 159 (1988-1989) de M. Roger CHINAUD , fait au nom de la commission des finances, déposé le 19 décembre 1988

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N° 159

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1988 -1989

Annexe au procès-verbal de la séance du 19 décembre 1988

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur la proposition de résolution de M. Charles Pasqua et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, apparentés et rattaché administrativement, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les faits auxquels ont donné lieu les opérations financières sur le capital de la Société Générale,

Par M. Roger CHINAUD,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Christian Poncelet président ; Geoffroy de Montalembert, vice-président d'honneur , Jean Cluzel, Jacques Descours Desacres, Tony Larue, Joseph Raybaud, vice-présidents ; Emmanuel Hamel, Modeste Legouez, Louis Perrein, Robert Vizet, secrétaires , Maurice Blin, rapporteur général , MM. René Ballayer, Stéphane Bonduel, Raymond Bourgine, Ernest Cartigny, Roger Chinaud, Maurice Couve de Murville, Pierre Croze, Gérard Delfau, Jacques Delong, Marcel Fortier, André Fosset, Mme Paulette Fost, MM. Jean Francou, Henri Goetschy, Georges Lombard, Paul Loridant, Roland du Luart, Michel Manet, Jean-Pierre Masseret, Josy Moinet, René Monory, Lucien Neuwirth, Jacques Oudin, Bernard Pellarin, Jean-François Pintat, Mlle Irma Rapuzzi, MM. René Regnault, Henri Torre, André Georges Voisin

Voir le numéro :

Sénat : 101 (1988-1989)

Banques et établissements financiers

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les faits auxquels ont donné lieu les opérations financières sur le capital de la Société générale, présentée par M. Charles Pasqua et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, apparentés et rattachés administrativement ( 1 ( * ) ).

1. Un double contrôle

Lorsque le Sénat est appelé a examiner une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, l'article 11 du Règlement du Sénat organise un partage des compétences entre la commission saisie au fonds et la Commission des Lois qui, lorsqu'elle n'est pas saisie au fonds, est appelée à émettre un avis sur la conformité de la proposition de résolution avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires.

Cet article 6 dispose que les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés et soumettre leurs conclusions à l'Assemblée qui les a créées.

Ledit article précise qu'il ne peut être créé de commission d'enquête lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.

Traditionnellement, la Commission des Lois fait pour porter l'essentiel de ses investigations sur l'existence de poursuites judiciaires qui seraient un obstacle à la constitution d'une commission d'enquête.

Pour ce faire, elle saisit M. le Président du Sénat d'une demande tendant à interroger M. le Garde des Sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits que la commission d'enquête serait appelée à examiner au cas où le Sénat déciderait de sa création.

Votre commission des finances, saisie au fond de la proposition de résolution, se prononce quant à elle sur l'opportunité de la création d'une commission d'enquête.

2. L'examen de la proposition de résolution n°101 (1988-1989)

Les auteurs de la proposition de résolution n° 101 demandent qu'il soit crée une commission d'enquête sur les faits auxquels ont donné lieu les opérations financières sur le capital de la Société générale.

Sans empiéter sur les compétences de la commission d'enquête que le Sénat, dans sa sagesse, pourrait décider de créer.

Il convient de rappeler brièvement les conditions dans lesquelles un certain nombre de transactions ont été réalisé sur le titre Société générale, banque privatisée en application de la loi du 2 juillet 1986.

Pour éclairer parfaitement le Sénat sur la nature des faits qui pourraient donner lieu à enquête, voire Commission des Finances a souhaité compléter son information en procédant à deux auditions :

- le 13 décembre 1988, elle a procédé à l'audition de M. Robert Lion, directeur général de !a Caisse des dépôts et consignations, accompagné de MM. Jacques Delmas-Marsalet, directeur général adjoint, et Bruno Boutrouille, directeur adjoint,

- le 15 décembre 1988, elle a procédé a l'audition de M. Jean Farge, président de la Commission des opérations de Bourse, accompagné de M. Jean- Luc Michau, chef du service de l'inspection.

Il ressort de ces auditions les éléments suivants :

- le titre Société générale a fait l'objet d'achats massifs sur les marchés français et étrangers pendant les mois d'août, septembre, octobre et novembre 1988, particulièrement au cours des deux derniers mois ;

- ces achats ont été le fait notamment de la Société immobilière de gestion et de participation (S I.G.P.) et de ses filiales étrangères, qui se sont rendues propriétaires de 5.567.462 actions Société générale représentant 10,07 % du capital de cette banque (dernière situation connue) ;

- la S.I.G.P., dont la seule activité a été de procéder aux achats susmentionnés, a réalisé plusieurs augmentations de capital pour financer ces acquisitions et, pour ce faire, elle a reçu le soutien de la Caisse des dépôts et consignations qui, grâce à un apport de un milliard de francs, est devenue actionnaire de la S.I.G.P. à hauteur de 32,2 % du capital, au côté de plusieurs investisseurs privés dont la société Camélia (majoritaire avec 51 % du capital de la S.I.G.P.), filiale indirecte de la société Marceau-Investissent.

Au total, le groupe Marceau Investissement détiendrait directement ou par le truchement de la S.I.G.P. 10,60 % du capital de la Société générale et la Caisse des dépôts, au titre des portefeuilles de ses différentes sections, 4,13 '% dudit capital.

Ces éléments d'information comportent davantage d'interrogations que de certitudes.

A titre d'exemple, on mentionnera, parmi les questions n'ayant pas reçu de réponse véritablement satisfaisante :

- les raisons qui ont conduit la Caisse des dépôts à prendre une participation de près du tiers du capital dans une société non cotée : cet investissement qui représente 8,2% de son portefeuille d'actions françaises cotées et qui triple le montant de son portefeuille d'actions non cotées contraste avec la politique de la caisse qui privilégie traditionnellement la liquidité et la division des risques ; de même, le fait de siéger au conseil d'administration de la S.I.G.P. semble contraire au souci de neutralité qui anime habituellement l'établissement.

- la contradiction - qui peut n'être qu'apparente - dans les déclarations du directeur général de la Caisse des dépôts lorsqu'il fait état de son souci, grâce à son soutien à l'offensive menée par Marceau-Investissement, de remédier à la fragilité de l'actionnariat de la Société générale alors que les dirigeants et le conseil d'administration de la banque se sont opposées à cette initiative.

Il en est de même, lorsque le directeur général émet le souhait que le renforcement de l'actionnariat de Marceau-Investissement permette d'entamer un dialogue sur la stratégie à moyen terme de la Société générale, alors même que la Caisse des dépôts s'interdit en principe une telle implication dans les sociétés dont elle est actionnaire et que la composition du tour de table de la S.I.G.P. fait apparaître une hétérogénéité des participants a priori peu propice à dégager une ligne d'action claire pour une des toutes premières banques de dépôts françaises.

- la contradiction entre les déclarations du directeur général de la Caisse telles qu'elles sont résumées ci-dessus et les propos tenus par M. le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et du budget, appelant de ses voeux "une représentation plus équilibrée et pluraliste au sein des sociétés privatisées" ( 2 ( * ) ) ou encore souhaitant que les entreprises publiques soient des "partenaires actifs en participant à un véritable pluralisme dans les privatisées" ( 3 ( * ) ).

En réalité, les faits dont il s'agit - auxquels pourraient se joindre d'autres éléments telles les instructions qui auraient pu être données aux groupes publics d'assurances de se porter à leur tour acquéreurs d'actions Société générale - posent deux questions principales :

- la première a trait aux tentatives qui pourraient apparaître d'une renationalisation silencieuse des sociétés privatisées en application de la loi du 2 juillet 1986 alors même que le Gouvernement n'a demandé à ce jour au Parlement ni de revenir sur les opérations de privatisation déjà réalisées, ni même de renoncer à celles qui doivent intervenir avant le 1 er mars 1991 ;

- la seconde vise l'avenir de la place de Paris : les gouvernements qui se sont succédés au cours des dernières années ont eu pour souci constant de donner les moyens à la place financière de Paris de faire face à la concurrence des grandes places étrangères, notamment dans le cadre de l'unification européenne des marchés de capitaux. Des instruments et des marchés nouveaux ont été mis en place; l'importance de la sécurité, de la liquidité et de la transparence du marché a été soulignée.

A l'évidence, les investisseurs et les sociétés étrangères ne trouveront le chemin de la place de Paris que si cette dernière obéit à des règles du jeu claires et sans ambiguïté . Les conditions dans lesquelles se sont déroulés en Bourse ce qu'il faut bien appeler des "raids publics" ne semblent pas s'inscrire précisément dans l'évolution souhaitée par tous.

Se pose dans ces conditions le problème du rôle et des modalités d'intervention sur le marché des investisseurs institutionnels et plus généralement- des organismes publics et des règles auxquelles il convient de réfléchir pour en gommer les aspects les plus nocifs.

Les opérations financières dont a été l'objet au cours des derniers mois le capital de la Société générale mérite donc amplement que soit créée une commission d'enquête afin d'en préciser la nature et d'en tirer les leçons. C'est dans cet esprit que votre commission des finances vous propose un certain nombre de modifications au texte initial de la proposition de résolution.

3. Les propositions de votre commission

En effet, au regard des observations formulées à l'occasion de l'examen de l'évolution récente du capital de la Société générale, votre commission a estimé souhaitable que soit précisé le champ d'investigation de la commission d'enquête qu'il est proposé de créer.

Tout d'abord, votre commission souhaite que la commission d'enquête puisse faire porter ses investigations sur l'ensemble des opérations financières qui répondent à un double critère :

- elles ont porté sur le capital des sociétés privatisées en application de la loi du 2 juillet 1986.

- elles ont donne lieu à intervention de la part d'organismes publics.

Il en résulte que le champ d'investigation de la commission d'enquête incluerait toutes les opérations ayant porté sur le capital des sociétés privatisées des lors que des organismes publics auraient participé à ces opérations.

En revanche, des opérations portant sur le capital d'une société privatisée et relevant de la seule initiative d'investisseurs privés n'entreraient pas dans la compétence de la commission d'enquête. De telles opérations relèvent en effet du jeu normal du marché qui s'exerce sous le contrôle des autorités compétentes notamment la commission des opérations de bourse.

Votre commission a souhaité par ailleurs définir la nature des organismes publics dont l'intervention directe ou indirecte appellera l'attention de la commission d'enquête :

Il s'agit des établissements, sociétés ou organismes visés à l'article 6 bis de la loi du 22 juin 1967 qui définit, par référence au contrôle de la Cour des comptes, le secteur public de façon très complète.

Il s'agit également de la Caisse des dépôts et consignations dont il doit être fait mention particulière en raison du caractère spécifique de cet organisme.

La rédaction proposée vise les opérations réalisées par la Caisse des dépots, soit au titre de ses activités propres (section générale), soit au titre des fonds d'épargne qu'elle centralise, soit au titre des fonds gères pour le compte des réseaux associes, soit, au titre des fonds de pensions, de la Caisse nationale de prévoyance et ses fonds gérés ainsi que des organismes divers.

* *

*

Réunie le vendredi 16 novembre 1988, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la Commission a examiné les conclusions du rapporteur sur la proposition de résolution n° 101 (1988-1989) tendant à la création d'une commission d'enquête sur les faits auxquels ont donné lieu les opérations financières de la Société Générale.

M. Roger Chinaud rapporteur, a présente ses conclusions (voir ci-dessus). A l'issue de son intervention, un large debat s'est instauré au sein de la Commission.

M. Raymond Bourgine a souligné l'intérêt que présente la création d'une commission d'enquête et la nécessite d'une réflexion sur les moyens de défense des sociétés françaises dont la capitalisation boursière est faible comparée à celle de leurs concurrents étrangers.

M. Emmanuel Hamel a estimé que la création d'une commission de contrôle sur la seule caisse des dépôts et Consignations semblait inadéquate en raison de la spécificité de cet établissement doté d'une commission de surveillance où le Parlement, est représente.

M. Paul Loridant a rappelé le contexte dans lequel s'inscrivait la proposition de création d'une commission d'enquête : il s'est étonné que soient évoquées des tentatives de renationalisation et de « raids publics » alors que les opérations financières dont a été l'objet la Société Générale sont le fait essentiellement d'investisseurs prives; il a souhaité que soient examinées les conditions dans lesquelles la Caisse des Dépôts a participé au déroulement des opérations de privatisation de 1986 à 1988.

M. Robert Vizet a souligné la brièveté d'examen de la proposition de résolution et ne s'est pas montré favorable à la création d'une commission d'enquête au motif que cette commission n'irait pas au fond des problèmes car elle n'était que la traduction d'un débat entre certains partis politiques autour du capital des sociétés privatisées.

M. Jean Cluzel a souligné la nécessité pour les entreprises françaises d'atteindre une taille mondiale ; il a observé que la commission d'enquête souffrait des mêmes défauts et comportait les mêmes risques que la commission de contrôle qui étaient de mettre en cause la Caisse des Dépôts et Consignations et sa commission de surveillance. Il a estimé par ailleurs que les rapporteurs spéciaux de la Commission des Finances disposaient de pouvoirs identiques à ceux des commissions d'enquête ou de contrôle.

M. Louis Perrein s'est étonné que les tenants de la pensée libérale puissent s'élever contre des opérations courantes notamment aux Etats-Unis et a émis la crainte que la commission d'enquête ne porte atteinte à l'image de la place de Paris ; il a estimé que la Caisse des Dépôts avait été de tout temps le bras séculier de l'Etat et que si la commission d'enquête à laquelle il était défavorable devait être créée, elle devrait faire remonter ses investigations très loin dans le temps.

M. Jacques Descours Desacres a souligné l'importance qu'il y avait à tirer les leçons du passe pour éclairer l'avenir et a fait part de son souci que soient préservés le bon renom de la place de Paris et la sécurité des épargnants ; il a par ailleurs proposé un amendement rédactionnel au texte de la proposition de résolution présente par le rapporteur.

M. Maurice Blin , rapporteur général, a fait part de plusieurs observations. Il s'est interrogé sur l'opportunité d'une commission d'enquête sur des faits qui concernent essentiellement des sociétés privées ; il a fait part de sa crainte que les travaux de la commission d'enquête se déroulent, précisément au moment ou les remous malencontreux des derniers mois seront probablement en voie d'apaisement grâce à un nécessaire accord entre les parties intéressées ; il s'est inquiété de l'interprétation qui pourrait être donnée sur les places étrangères de la création d'une commission d'enquête considérée comme une intrusion du politique dans l'économique ; de même qu'il sera difficile d'empêcher qu'une telle commission ne soit pas interprétée comme un signe de méfiance à l'égard de la Caisse des Dépôts, de son conseil de surveillance et des membres du Parlement qui y siègent.

En conclusion. M. Maurice Blin a estime que la procédure de la commission d'enquête comportait des défauts graves et que la commission de contrôle souffrait de limiter son champ d'investigation à la seule Caisse des Dépôts, qu'en revanche une mission d'information, sous l'égide de la Commission des Finances, lui semblait très souhaitable pour réfléchir à la vulnérabilité des groupes français et les moyens qu'ils ont de protéger leur indépendance.

En réponse à différents intervenants, M. Christian Poncelet , président, a rappelé le souci manifesté par la Commission des Finances d'obtenir l'information la plus complète possible, préalablement à l'examen de la proposition de résolution, grâce notamment à l'audition du directeur général de la Caisse des Dépôts et du président de la Commission des Opérations de Bourse.

Après avoir entendu les réponses de M. Roger Chinaud, rapporteur, la Commission des Finances, à la majorité, a décidé d'approuver les conclusions de son rapporteur et de proposer au Sénat l'adoption de la proposition de résolution qui suit.

Texte proposé par la commission

Intitulé

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les opérations financières portant sur le capital des sociétés privatisées auxquelles ont participé des organismes publics.

Article premier

En application de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires et de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une commission d'enquête sur les opérations financières portant sur le capital des sociétés privatisées en application de la loi n°86-793 du 2 juillet 1986 auxquelles ont participé, directement ou indirectement, des établissements, sociétés ou organismes visés à l'article 6 bis de la loi n° 67-483 du 22 juin 1967 ainsi que la Caisse des dépôts et consignations pour leur propre compte ou pour le compte d'autrui.

Article 2

Cette commission est composée de 21 membres.

* 1 - Proposition de résolution n° 101 (1988-1989)

* 2 - Journal Officiel Assemblé nationale, 1 ière séance du 30 novembre 1988, p. 2888

* 3 - interview à la Tribune de l'économie du 28 novembre 1988

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