Rapport n° 161 (1991-1992) de M. Claude HURIET , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 11 décembre 1991

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N ° 161

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1991-1992

Annexe au procès-verbal de la séance du 11 décembre 1991.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de résolution de M. Jean ARTHUIS et des membres du groupe de l'Union centriste, tendant à créer une commission d'enquête sur la gestion, l'organisation et la réforme à conduire des services, organismes et administrations, chargés à un titre ou à un autre d'organiser et de gérer la collecte de produits sanguins utilisés à des fins médicales,

Par M. Claude HURIET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Louis Souvet, Marc Boeuf, Claude Huriet, Jacques Bimbenet, vice-présidents ; Hector Vîron, Charles Descours, Guy Penne, Roger Lise, secrétaires ; José Balarello, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Henri Belcour, Jacques Bialski, André Bohl, Louis Boyer, Louis Brives, Jean-Pierre Cantegrit, Gérard César, Jean Chérioux, François Delga, Jean-Pierre Démerliat, Michel Doublet, Jean Dumont, Jean-Paul Emin, Claude Fuzier, Mme Marie-Fanny Gournay, MM. Roger Husson, André Jourdain, Philippe Labeyrie, Henri Le Breton, Marcel Lesbros, François Louisy, Pierre Louvot, Jacques Machet, Jean Madelain, Mme Hélène Missoffe, MM. Arthur Moulin, Joseph Ostermann. Hubert Peyou, Louis Philibert, Claude Prouvoyeur, Roger Rigaudière, Guy Robert, Mme Nelly Rodi, MM Gérard Roujas, Olivier Roux, Bernard Seillier, Franck Sérusclat, René-Pierre Signé, Paul Souffrin, Pierre-Christian Taittinger, Martial Taugourdeau.

Voir le numéro :

Sénat : 59 (1991-1992)

Santé publique

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des Affaires sociales s'est réunie le mercredi 11 décembre 1991 sous la présidence de M. François Delga, président d'âge, pour examiner la proposition de résolution n°59(1991-1992) de M, Jean Arthuis tendant à créer une commission d'enquête sur la gestion, l'organisation et la réforme à conduire des services, organismes et administrations, chargés à un titre ou à un autre d'organiser et de gérer la collecte des produits sanguins utilisés à des fins médicales, sur le rapport de M. Claude Huriet, rapporteur.

Après avoir rappelé que la commission des lois, saisie pour avis, s'était prononcée pour la recevabilité juridique de la proposition de résolution et en avait précisé le régime juridique, le rapporteur a précisé les trois questions qui se posaient à la commission.

La première question porte, à titre préalable, sur l'opportunité d'orienter les investigations d'une éventuelle commission d'enquête, davantage sur les faits qui ont ému l'opinion publique que sur l'organisation et les règles de fonctionnement des organismes visés par la proposition de résolution. Le rapporteur a cependant exclu cette modification du champ d'investigation dans la mesure où, d'une part, elle ne répond pas aux préoccupations de la commission et, d'autre part, elle se heurterait à l'interdiction d'enquêter sur des faits qui donnent lieu à des poursuites judiciaires.

La deuxième question porte sur la coexistence de deux instances parlementaires ayant un objet proche. M, Claude Huriet, rapporteur, a rappelé que le Sénat avait nommé le 15 novembre 1991 une mission d'information commune portant également sur la gestion de la transfusion sanguine en France. Il a alors comparé le régime juridique de ces deux instances pour conclure à la plus grande efficacité de la commission d'enquête lorsque les organismes et les personnes appelés à s'exprimer devant elle ne collaborent pas spontanément.

Enfin, le rapporteur a proposé, pour le cas où la commission se prononcerait en faveur de l'adoption de la proposition de résolution, d'élargir son objet et son champ d'investigation afin de tenir compte d'une part de la possibilité mise en évidence par la commission des Lois d'enquêter sur les décisions financières et les instructions du Gouvernement qui auraient interféré avec les règles de fonctionnement visées par la proposition de résolution et, d'autre part, sur l'utilisation qui est faite du sang collecté au regard des principes du don bénévole du sang, question qui figurait dans l'objet de la mission commune d'information et sur laquelle le comité consultatif national d'éthique vient de rendre un avis.

En conclusion, M. Claude Huriet, rapporteur, a proposé, pour le cas où la commission adopterait le principe d'une commission d'enquête, une nouvelle rédaction de la proposition de résolution tenant compte des observations présentées.

Au cours de la discussion général., la commission s'est déclarée favorable à la création d*une commission d'enquête et a suggéré qu'elle se substitue à l'actuelle mission commune d'information dont l'objet est proche.

M. Franck Sérusclat s'est, en outre, interrogé sur l'opportunité d'examiner le passé pour proposer une éventuelle réforme de l'organisation du système transfusionnel, tout en soulignant l'intérêt d'une bonne connaissance du système pour être en mesure de le réformer.

M. Claude Huriet, rapporteur, a précisé que le champ d'investigation de la proposition de résolution était suffisamment précis pour éviter tout risque de "dérapage ".

M. Paul Souffrin a souhaité que soit précisée la rédaction de l'article 2 afin qu'il y soit fait mention du caractère anonyme et gratuit du don de sang.

M. André Bohl a insisté pour que le Sénat se prononce rapidement sur la création de cette commission d'enquête afin qu'elle commence très vite ses travaux. Il a rappelé que le doute s'installait au sein de la communauté des donneurs de sang, ce qui risquait de démotiver nombre de gens, d'aboutir à une remise en cause du caractère gratuit du don et d'avoir une incidence néfaste sur les besoins de la santé publique.

M. Paul Souffrin a abondé dans ce sens, précisant que le problème se posait déjà dans les zones frontalières de l'Allemagne où le don est rémunéré.

M. José Balarello a souligné la nécessité d'examiner l'organisation des systèmes transfusionnels étrangers et les incidences de la réglementation européenne sur le système français.

M. Paul Souffrin a précisé les règles actuelles du don de sang.

M. Louis Boyer a souligné le risque de voir la mission d'information et la commission d'enquête aboutir à des conclusions différentes si ces deux instances devaient coexister.

Puis la commission a adopté le texte de la nouvelle rédaction de la proposition de résolution, dans la rédaction proposée par son rapporteur, modifiée ainsi qu'il a été dit.

EXAMEN DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Mesdames, Messieurs,

La commission des Affaires sociales a été saisie au fond de la proposition de résolution présentée par M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste "tendant à créer une commission d'enquête sur la gestion, l'organisation et la réforme à conduire des services, organismes et administrations, chargés à un titre ou à un autre d'organiser et de gérer la collecte de produits sanguins utilisés à des fins médicales".

En application de l'article 11 du Règlement du Sénat, la commission des Lois a été appelée à émettre un avis sur la conformité de la proposition de résolution avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifiée, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Etant appelée à se prononcer dans le nouveau cadre juridique résultant de la loi du 20 juillet 1991 qui a modifié l'article 6 de l'ordonnance susdite, notamment en ce qu'elle regroupe les anciennes dénominations de commission d'enquête et de commission de contrôle sous le seul vocable de commission d'enquête , la commission des Lois a conclu à la recevabilité juridique de la proposition de résolution, tout en en précisant le régime juridique.

Pour elle, la nouvelle rédaction de l'article 6 de l'ordonnance n'a pas véritablement effacé la distinction entre commission d'enquête et commission de contrôle puisque "les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information, soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales ...". Et la commission des Lois de conclure, en se référant à l'exposé des motifs de la proposition de résolution, que celle-ci se situe dans le champ d'intervention des anciennes commissions de contrôle, ce qui la conduit à dire que la procédure d'interrogation du Garde des Sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites juridiques concernant les faits en cause est inutile, puisque la commission aura à enquêter, non sur des faits particuliers mais sur les règles de fonctionnement des services, organismes et administrations chargés de la collecte de produits sanguins.

C'est donc à partir de ce cadre juridique qu'a été amenée à se prononcer votre commission des Affaires sociales. Trois questions se posaient à elle :

1) convient-il d'orienter les investigations sur certains faits -tels que le non-retrait de lots sanguins contaminés- dont on sait qu'ils sont pour beaucoup dans l'émotion soulevée par le drame de la contamination par la transfusion sanguine ?

2) quelle position adopter au regard de la "mission commune d'information chargée d'étudier les conditions de la gestion technique, administrative et financière de la transfusion sanguine en France et les moyens de l'améliorer, notamment dans le respect des principes du don bénévole du sang", nommée par le Sénat le 15 novembre 1991 et constituée le 28 novembre 1991 ?

3) enfin, convient-il de modifier l'objet et le champ des investigations définis par la proposition de résolution, notamment en ce qu'elle envisage d'enquêter sur les réformes à conduire des services, organismes et administrations chargés de la seule collecte des produits sanguins ?

En ce qui concerne la première question, si la tentation peut être grande de chercher à établir d'éventuelles responsabilités face au drame que vivent plusieurs milliers de personnes en raison de ce qui semble apparaître comme des dysfonctionnements du système transfusionnel français, il n'a paru à votre commission ni souhaitable ni opportun de s'engager dans cette voie, et ce pour deux raisons :

- La perspective dans laquelle se place votre commission, en examinant la proposition de résolution, est celle d'une politique efficace de santé publique, ce qui sous-entend un bon fonctionnement du système de santé publique, dans ses différentes composantes. Dès lors, les préoccupations de la commission sont tournées vers l'avenir e il importe pour elle que soient élaborées des propositions pour améliorer le système transfusionnel et, à cette fin, qu'en soit compris le fonctionnement, les règles et les mécanismes décisionnels actuels. Le passé, les éventuelles erreurs commises, l'établissement des responsabilités, qu'il ne s'agit ni de méconnaître ni d'occulter, relèvent d'une autre démarche, mais c'est à la justice de se prononcer.

- La seconde raison est d'ordre juridique : la commission des Lois a clairement défini le champ d'investigation de la commission d'enquête ; en modifiant ce champ, pour faire porter les investigations sur des faits et non plus sur la gestion des organismes cités par la proposition de résolution, la commission des Affaires sociales pourrait amener la commission des Lois à réexaminer sa position et, le cas échéant, à saisir le Garde des Sceaux avant de se prononcer de nouveau. Or, sachant que plusieurs responsables du Centre national de transfusion sanguine (CNTS) font l'objet de poursuites judiciaires, il est probable qu'elle serait amenée à se prononcer pour la non-recevabilité de la proposition de résolution telle qu'elle résulterait d'une telle délibération.

Le véritable débat porte donc sur les deux autres questions soulevées ci-dessus.

* *

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La deuxième question porte sur la coexistence éventuelle de deux instances parlementaires ayant un objet proche, la mission commune d'information et une commission d'enquête ; le Sénat a, en effet, nommé le 15 novembre 1991, à la demande conjointe des présidents des commissions des Affaires économiques, des Affaires sociales, des Finances et des Lois, une mission d'information commune ayant pour objet, dans le cadre de la mission générale de contrôle reconnue au Sénat, d'étudier les conditions de la gestion technique, administrative et financière de la transfusion sanguine en France et les moyens de l'améliorer, notamment dans le respect des principes du don bénévole du sang.

La question se pose donc de la coexistence de deux structures parlementaires portant sur un objet, sinon identique, du moins très proche.

Quel peut être, dans ces conditions, l'intérêt de la création d'une commission d'enquête par rapport à une mission d'information ?

Il convient tout d'abord d'observer que le Règlement du Sénat (article 21) ne fixe pour les missions d'informations que quelques règles relatives à la précision de l'objet, à la durée et à la publication d'un rapport d'information ; en outre, il ne mentionne pas les missions communes d'information, nées progressivement de là pratique à partir de 1972 (ORTF). De ce constat, il ressort que les missions communes d'information se sont constituées par analogie avec les commissions permanentes ou spéciales. Notamment, les rapporteurs n'ont pas plus de pouvoirs d'investigation que ceux d'une commission permanente autre que la commission des Finances.

La mission d'information commune est donc un instrument souple, susceptible d'informer le Sénat sur une question particulière en bénéficiant des connaissances et des expériences différentes de ses membres dans la mesure où ceux-ci appartiennent à plusieurs commissions. Mais une mission d'information ne peut travailler efficacement que si les organismes et les personnes appelées à s'exprimer devant elle collaborent sans réticence aucune.

Les commissions d'enquête, en revanche, portant sur des sujets souvent en rapport avec l'actualité, sont structurées pour pouvoir travailler dans un contexte plus difficile et pour surmonter, le cas échéant, certaines réticences. Mises en oeuvre, dans des conditions beaucoup plus strictes que les missions, elles disposent de prérogatives leur permettant de surmonter les entraves qui pourraient être mises à ses travaux ; ces prérogatives sont notamment :

- l'obligation pour les personnes citées de déférer aux convocations et de témoigner, sous peine d'amende, voire sous la contrainte de la force publique ;

- les sanctions prévues en cas de faux témoignage ;

- la possibilité de demander le concours de la Cour des comptes ;

- enfin, le bénéfice pour leurs rapporteurs des prérogatives des rapporteurs spéciaux de la commission des Finances.

C'est au vu de ces précisions que votre commission s'est prononcée en faveur de la commission d'enquête.

* *

*

La troisième question concerne l'objet et le champ d'investigation tels que définis par la proposition de résolution.

La proposition de résolution présentée par M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste, porte sur la gestion, l'organisation et la réforme à conduire des services, organismes et administrations, chargés à un titre ou à un autre d'organiser et de gérer la collecte de produits sanguins utilisés à des fins médicales.

Il s'agit donc bien d'étudier l'organisation et les règles de fonctionnement de ces organismes et administrations pour, le cas échéant, formuler des propositions de réforme. Dans l'exposé des motifs de leur proposition de résolution, les auteurs évoquent également le mauvais fonctionnement de l'appareil d'Etat qui exerce sa tutelle sur le système de transfusion sanguine. La commission des Lois a d'ailleurs donné des indications supplémentaires sur ce que pourrait être, dans cette perspective, le champ d'investigation de la commission d'enquête, sans modifier pour autant son cadre juridique : "elle pourrait même étendre ses investigations aux décisions prises par le Gouvernement pour le financement de la collecte des produits sanguins, ainsi qu'aux instructions et aux directives qui auraient été données aux responsables du CNTS".

Il apparaît donc que la commission d'enquête pourrait porter sur l'organisation, les règles de fonctionnement et la gestion des services, organismes et administrations visés, ainsi que sur les décisions financières et les instructions ou directives de la tutelle en ce qu'elles ont interféré avec les règles de fonctionnement.

En outre, pour le cas où il serait décidé de substituer la commission d'enquête à la mission commune d'information, votre commission des Affaires sociales pense qu'il serait opportun de s'inspirer de l'objet de la mission qui, bien que très proche, fait référence "au respect des principes de don bénévole du sang".

C'est pourquoi votre commission propose d'élargir l'objet de la commission d'enquête à l'utilisation qui est faite des produits sanguins collectés. On doit rappeler à ce propos que le Comité consultatif national d'éthique a pris position le 2 décembre dernier sur une directive européenne (89/381 du 14 juin 1989) permettant d'inclure les produits dérivés du sang dans le circuit commercial et lucratif ; selon le Comité, admettre l'achat de sang et de plasma en tant que matière première ainsi que la vente commerciale des dérivés du plasma, constitue la négation des principes de gratuité du don, de respect du donneur et de l'intérêt du malade ainsi que du caractère non lucratif qui inspire le système transfusionnel français.

L'utilisation industrielle et commerciale des produits sanguins, avec les problèmes éthiques que cela pose, peut d'autant moins être écartée du champ des investigations de la commission d'enquête qu'elle a déjà eu des incidences sur le fonctionnement du CNTS, puisque ce dernier a créé des filiales à statut commercial, réunies au sein d'une société holding.

En conséquence de ses observations, la commission des Affaires sociales propose au Sénat d'adopter la proposition de résolution suivante :

TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur le système transfusionnel français en vue de son

éventuelle réforme

Article premier

Il est créé, conformément à l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, modifié, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, une commission d'enquête chargée d'étudier les conditions de fonctionnement du système transfusionnel français en vue de son éventuelle réforme.

Art. 2

La commission enquêtera notamment sur :

- l'organisation, les règles de fonctionnement et la gestion des services, organismes et administrations chargés à un titre ou à un autre d'organiser et de gérer la collecte de produits sanguins utilisés à des fins médicales, ainsi que sur les décisions financières et les instructions ou directives de la tutelle en ce qu'elles ont interféré avec les règles de fonctionnement ;

- l'utilisation faite du sang collecté et des produits qui en sont dérivés au regard des principes du don anonyme, bénévole et gratuit du sang ;

- les réformes à conduire du système transfusionnel français, y compris dans la perspective d'une réglementation européenne.

Art.3

La commission est composée de 21 membres désignés conformément à l'article 11 du Règlement du Sénat.

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