Rapport n° 38 (1995-1996) de Mme Monique CERISIER-ben GUIGA , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 18 octobre 1995

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N° 38

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 18 octobre 1995

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur :

- le projet de loi n° 371 (1994-1995) autorisant l'approbation d'une convention d'établissement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali ,

- et le projet de loi n° 372 (1994-1995) autorisant l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali sur la circulation et le séjour des personnes (ensemble deux échanges de lettres).

Par Mme Monique ben GUIGA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les deux projets de loi qui font l'objet du présent rapport visent à autoriser l'approbation de deux accords internationaux signés à Bamako le 26 septembre 1994 entre la France et le Mali : une convention relative à la circulation et au séjour des personnes d'une part, une convention d'établissement d'autre part.

Compte tenu de leurs liens anciens et privilégiés, la France avait signé avec ses anciennes colonies d'Afrique (à l'exception du Tchad, de la Guinée et de Madagascar) des conventions relatives à la circulation très favorables. De même, elle avait conclu, dans le même esprit libéral, des conventions d'établissement avec le Congo, la République Centrafricaine, le Mali, le Togo, le Gabon et le Sénégal.

Cependant, l'harmonisation de la politique de sécurité intérieure avec celle de nos partenaires de la convention d'application des accords de Schengen, comme le souci de mieux maîtriser les flux migratoires, ont conduit, à partir de 1991, à renégocier l'ensemble de ces textes. Ce processus est désormais achevé pour les conventions relatives à la circulation et au séjour des personnes, mais demeure en cours pour les conventions d'établissement dont seules celles qui nous lient avec la République centrafricaine, le Congo et le Mali ont été désormais signées.

Aussi, notre commission a-t-elle dû se prononcer à plusieurs reprises 1 ( * ) sur ces textes qui reprennent pour l'essentiel un accord type élaboré par le ministère des Affaires étrangères en liaison avec les autres ministères concernés (Affaires sociales, Intérieur).

Cependant les deux conventions signées avec le Mali présentent, par rapport au modèle qui les inspire, quelques variantes. Ces dernières, dont la portée reste d'ailleurs très mesurée, traduisent la spécificité de nos relations avec le Mali, pays représenté par une importante communauté en France.

Ainsi, après avoir brièvement évoqué la situation présente du Mali, ce rapport rappellera les conditions de la présence française dans ce pays et malienne en France, avant d'analyser les stipulations des deux conventions.

*

* *

I. LE MALI : UNE DÉMOCRATIE ENCORE FRAGILE CONFRONTÉE AUX DÉFIS DU DÉVELOPPEMENT 2 ( * )

Héritier par son nom du glorieux empire pré-colonial qui, du XIIIe au XVIe siècles, s'étendait de Dakar à Gao, le Mali, indépendant depuis le 22 septembre 1960, occupe une superficie de 1 240 000 km² située dans la zone sahelo-saharienne. La population malienne, estimée à 9,6 millions d'habitants, se concentre surtout dans le sud du pays où se trouve l'essentiel des terres cultivables. Elle se partage entre une majorité d'habitants noirs (appartenant essentiellement à l'ethnie Bambara) et 8 à 10% de blancs (Touaregs, Maures, Arabes). L'Islam est pratiqué par 80% des Maliens.

Cette population jeune (44% des Maliens ont moins de 18 ans) connaît un taux de croissance annuel de 2,7%. Le Mali doit concilier ce dynamisme démographique, la stabilisation politique et le développement économique.

1. Un réel effort politique pour surmonter le poids des traditions autoritaires

Après l'exercice autoritaire du pouvoir des présidents Modibo Keita (1960-1968) et Moussa Traoré (1968-1991), la démocratisation du Mali apparaît incontestable. Elle s'est traduite en premier lieu par la tenue d' élections présidentielles libres en avril 1992 qui ont assuré la victoire de M. Alpha Oumar Konaré avec 70% des suffrages. Elle se manifeste ensuite par une vie politique pluraliste . Le parti majoritaire, l'ADEMA-PASJ dont est issu le premier Ministre, M. Ibrahim Boubacar Keita, doit compter avec l'opposition plus ou moins prononcée de trois autres formations importantes (le CNID, l'US-RDA et le BDIA). Enfin, ce souci de pluralisme a conduit à des initiatives intéressantes : mise en place d'un comité national d'égal accès aux médias d'Etat, constitution d'un "jury d'honneur" devant lequel les autorités maliennes ont dû s'expliquer sur leur politique à l'égard des droits de l'homme.

Ces progrès pourraient être remis en cause par l'évolution, pour l'heure maîtrisée, de trois sources de tension. En premier lieu, les manifestations étudiantes , récurrentes, ont poussé à la démission deux premiers ministres en 1993 et 1994. La méthode adoptée par M. Keita, fondée sur une politique de "concertations régionales", la dépolitisation de l'école, une définition plus rigoureuse des conditions d'octroi des bourses notamment, a favorisé l'apaisement des esprits dans les établissements scolaires et universitaires.

Les relations entre le pouvoir et l'armée menacent également la stabilité du régime.

D'une part, la hiérarchie militaire maîtrise mal le mécontentement des soldats dont les revendications se sont exprimées directement par la voie d'une "coordination". Avant sa mort accidentelle en février dernier, le ministre des forces armées, M. Boubacar Sada Sy, avait cependant su ramener le calme dans les casernes. D'autre part, à la faveur de ses liens privilégiés avec le pouvoir précédent et du rôle joué dans la répression des troubles dans le nord du pays, l'armée a acquis une position prééminente qu'elle ne se résigne pas à abandonner. Le rapport de forces entre les autorités civiles et militaires dépend ainsi beaucoup de l'évolution de la situation dans le nord.

La tension entre le pouvoir et les mouvements touareg qui s'était exacerbée au cours de l'année 1994 connaît aujourd'hui une certaine accalmie. Les consultations régionales (août 1994), les rencontres de sensibilisation (mai-juin 1995) conduites les unes et les autres auprès des populations du nord et des réfugiés des pays limitrophes, l'effort de conciliation, enfin, entre les mouvements rebelles et le mouvement d'autodéfense des sédentaires ont favorisé le retour de la paix.

2. Une économie dépendante de l'aide au développement

Avec un revenu par habitant proche de 200 dollars, la population malienne figure parmi les plus pauvres du monde. Aussi l'économie malienne reste-t-elle largement tributaire de l'aide au développement ; cependant l'évolution de la conjoncture témoigne d'une certaine embellie.

Le développement du Mali dépend de l'aide internationale nécessaire pour surmonter de nombreux handicaps naturels : l'enclavement du territoire, la faible pluviométrie et l'aridité des sols. Les aléas climatiques sont d'autant plus redoutables que l'agriculture occupe 70% de la population et représente encore 40% du produit intérieur brut. L'existence de mines d'or (à Sadiola) dont l'exploitation devrait générer 45,4 milliards de recettes en francs CFA en 1995, constitue cependant un atout prometteur.

L'aide internationale demeure indispensable . Elle s'est élevée en 1994 à 198,4 milliards de francs CFA (83,4 milliards de francs CFA d'aide hors projet, 115 milliards de francs CFA pour l'aide-projet). Si la France reste encore le premier contributeur (25 à 30% de l'aide extérieure au Mali), l'appui multilatéral prend une part croissante. Ainsi, l'Union européenne intervient au Mali par le biais du Fonds européen de développement (FED) -115 MECU sur 1991-1995 au titre de Lomé V principalement consacrés à la sécurité alimentaire, au désenclavement et au soutien des initiatives de base-, du STABEX pour garantir les recettes d'exportations liées notamment à la vente du coton, du "Programme pour l'Afrique occidentale" signé en 1982 (228 MECU au titre de la "coopération régionale" de la convention de Lomé). En outre, l'Union a apporté 12,6 MECU en 1994 dans le cadre de l'aide à l'ajustement structurel.

Dans ce domaine, le FMI et la Banque mondiale accordent également leur concours (respectivement de 240 millions de francs et 400 millions de francs en 1994). Les organisations financières internationales ont confirmé leur aide en avril 1995, après avoir pris acte du respect par le Mali des critères d'ajustement.

En effet, le Mali s'est engagé depuis 1992 sur la voie d'une gestion plus rigoureuse des finances publiques , malgré un endettement très lourd dont l'encours représente 118% du PIB. Aussi, la situation économique se présente-t-elle sous des auspices plus favorables. La dévaluation du franc CFA en janvier 1994 n'a pas entraîné une dérive inflationniste (la hausse des prix est restée limitée à 35% en 1994), mais s'est révélée bénéfique pour les exportations constituées surtout par les ventes de coton. Le déficit commercial est passé de 90 milliards de francs CFA à 80 milliards de francs CFA de 1993 à 1994. Par ailleurs, l'abondance des pluies a permis au Mali d'atteindre l'autosuffisance en céréales en 1994.

II. UNE PRÉSENCE FRANÇAISE AU MALI ESSENTIELLE POUR LE DÉVELOPPEMENT DU PAYS MAIS SANS COMMUNE MESURE, NUMÉRIQUEMENT, AVEC LA COMMUNAUTÉ MALIENNE INSTALLÉE EN FRANCE

Le Mali, longtemps proche de l'ancienne Union soviétique, s'est rapproché au cours de la présente décennie de l'Occident et, surtout, de la France. Cependant l'existence d'une très forte communauté malienne en France demeure une source potentielle de tensions dans les relations en voie d'apaisement entre la France et le Mali.

A. LES FRANÇAIS AU MALI, UNE PRÉSENCE CARACTÉRISÉE PAR L'IMPÉRATIF DU DÉVELOPPEMENT

La présence du secteur privé français au Mali que suffirait à justifier la part de la France dans les échanges du Mali (premier client et second fournisseur après la Côte d'Ivoire) reste déterminante pour le développement dans ce pays.

Les entreprises françaises sont représentées au Mali par 28 filiales et emploient 2 700 personnes. Par ailleurs, 36 sociétés dirigées par des ressortissants français occupent 1 050 personnes et réalisent un chiffre d'affaires de 13 milliards de francs CFA. Les projets français s'orientent aujourd'hui dans trois grandes directions : l'exploitation des ressources naturelles (mine d'or de Sadiola), le développement des infrastructures (réseau routier, réseau électrique, barrages hydrauliques) et les télécommunications.

La présence française reste cependant dominée par la politique de coopération . Premier contributeur de l'aide au Mali qui, en moyenne sur 10 ans, se place au 6e rang des bénéficiaires de l'aide française (420 millions de francs en 1994 au titre de l'aide publique au développement), la France maintient également la présence de 130 coopérants (400 en 1991), concentrés principalement dans le secteur de l'enseignement.

Si la formation revêt une dimension essentielle de la coopération, les secteurs privé et associatif, les filières de production, le rééquilibrage régional bénéficient également du soutien français.

La coopération militaire s'efforce, par le concours des assistants militaires techniques, de former les forces, spécialement celles chargées du maintien de l'ordre, dans le respect des règles et de l'esprit démocratiques.

Au total, la communauté française réunit 2 808 immatriculés (les non-immatriculés sont estimés à 800 personnes). Par ailleurs, 33% des immatriculés bénéficient de la double nationalité.

B. LES MALIENS EN FRANCE : UNE COMMUNAUTÉ TRÈS IMPORTANTE ET ORGANISÉE 3 ( * )

La communauté malienne en France estimée à 80 000 personnes se caractérise par trois traits : l'ancienneté de son installation, une solidarité forte, un nombre important de Maliens en situation irrégulière.

Les Maliens ont commencé à s'installer en France à la faveur de la première vague migratoire africaine en France, de l'entre-deux-guerres jusqu'aux années 60. Sans doute ce mouvement s'explique-t-il essentiellement pour des raisons économiques, mais il a été favorisé par une certaine tradition du voyage initiatique et, surtout, par la constitution de filières de départ bien organisées. Ainsi certains Soninké, originaires du Mali, habitués aux migrations saisonnières, se sont fixés dans quelques grands ports africains (Dakar, Abidjan), où ils ont apporté un appui matériel et financier (prêts remboursables par les premiers salaires des jeunes immigrés) aux candidats au départ pour la France.

Les premières communautés maliennes en France se sont formées de cette façon. Leur rôle s'est avéré à leur tour déterminant lors de la deuxième grande vague migratoire (1960-1975) qu'ils ont amplifiée en servant de tête de pont pour les nouveaux arrivants. Ces derniers se sont surtout concentrés dans la région parisienne où les Maliens, les Sénégalais et les Mauritaniens représentaient les trois cinquièmes des 27 000 Africains recensés par la Préfecture de Paris en 1976. Les monopoles africains sur certains emplois (éboueurs de la voirie parisienne par exemple) ont permis "un système de rotation entre ceux qui sont en France et ceux qui sont au village d'origine  (...). C'est ce système que viendra perturber l'arrêt de l'immigration intervenu en 1974, déclenchant ainsi de nouvelles migrations à caractère plus définitif et empruntant des voies d'accès inédites" 4 ( * ) .

L'arrêt de l'immigration a ainsi eu deux effets paradoxaux :

- de provisoire, l'installation des Maliens dans notre pays est devenue définitive et a justifié ainsi les demandes de regroupement familial ;

- l'immigration clandestine s'est considérablement développée .

Comment comprendre cette évolution ?

Les motivations économiques à l'origine du départ des Maliens n'ont pas diminué alors même que les possibilités de migration au sein du continent noir se sont taries : le Gabon ou le Congo, soumis aux programmes d'ajustement structurel, ont fermé leurs frontières aux migrants venant du Mali. La pression migratoire vers nos frontières ne s'est donc pas relâchée, mais a dû emprunter des canaux inédits et parfois illégaux.

La dernière vague migratoire s'est ainsi caractérisée par deux traits principaux :

- le nombre croissant des travailleurs en situation irrégulière,

- la présence de nouvelles catégories d'immigrés : les étudiants en premier lieu espèrent, à la faveur d'une inscription dans une faculté française, s'installer dans notre pays même si le passage du statut d'étudiant au statut de salarié est rendu désormais difficile.

En second lieu, de plus en plus de Maliens sollicitent l'asile politique , bien que la situation politique du Mali ne se soit pas dégradée.

Enfin, le regroupement familial a joué surtout à partir de 1976. La population malienne en France est dès lors devenue plus diverse, avec une part plus importante de femmes et d'enfants.

L'importance de la présence malienne en France peut surprendre si l'on considère que d'autres communautés originaires de pays africains aussi pauvres et aux densités plus fortes (Rwanda, Burundi ...) demeurent nettement plus faibles. Le phénomène s'explique par l'existence de filières d'accès bien organisées et une réelle solidarité entre les Maliens expatriés et leurs concitoyens demeurés au pays. Ces liens se traduisent en particulier par l'organisation d'associations villageoises chargées de collecter les cotisations (11 000 cotisants pour l'ensemble des immigrés d'Afrique noire en 1992) et d'en assurer le transfert au profit du village familial. La participation à ces associations ne manifeste pas seulement un esprit de solidarité avec les Maliens restés au pays, elle témoigne aussi d'une bonne cohésion du groupe établi en France. Ainsi, comme le montrait une étude conduite en 1991-1992 sur la communauté malienne d'Evry, les familles qui participent le plus activement aux associations sont également les plus équilibrées. Quel que soit le bénéfice de cette cohésion, les conditions de vie des Maliens restent difficiles : exiguïté du logement exacerbée par la présence de familles polygames, situation peu favorable de l'emploi 5 ( * ) et, naturellement, précarité de la situation des étrangers qui ne disposent pas d'un titre de séjour.

En effet, une part prépondérante de Maliens se trouveraient en situation irrégulière : 50 000 personnes, alors que seules 31 886 personnes disposent d'un titre de séjour régulier 6 ( * ) . Un nombre important de Maliens déboutés d'une demande de droit d'asile -et ils sont la majorité comme en témoigne le tableau joint en annexe- demeurent en fait en France. Par ailleurs, d'après les statistiques fournies par le ministère de l'Intérieur, seules quelques mesures d'éloignement sont effectives sur l'ensemble des décisions prises.

L'importance numérique des Maliens installés sur notre sol, et surtout le statut précaire d'une majorité d'entre-eux, explique l'attention que porte le gouvernement malien à la politique française à l'égard des étrangers. Les négociations qui ont conduit à la signature des deux conventions ont tenu compte de cette "sensibilité" malienne mais la France n'a rien cédé sur la nécessité d'une présence régulière sur son territoire.

III. LES DEUX CONVENTIONS ALIGNENT, AVEC QUELQUES AMÉNAGEMENTS, LES CONDITIONS DE CIRCULATION ET D'ÉTABLISSEMENT SUR LE PRINCIPE DU DROIT COMMUN FRANÇAIS

A. LA CONVENTION RELATIVE À LA CIRCULATION : UN DISPOSITIF PLUS RIGOUREUX INSPIRÉ PAR LE SOUCI DE MIEUX CONTRÔLER LES FLUX MIGRATOIRES EN FRANCE

La circulation des personnes entre la France et le Mali avait d'abord été régie par un accord du 8 mars 1963 auquel s'est substituée une convention en date du 11 février 1977. La convention signée le 26 septembre 1994 remplace ce dernier texte. Elle institue une obligation commune pour toute personne désirant se rendre sur le territoire de l'autre partie, puis distingue des conditions particulières selon que le séjour excède ou non trois mois.

1. L'obligation d'un passeport revêtu d'un visa

La convention du 11 février 1977 avait substitué, pour les Français désireux de se rendre au Mali et les Maliens souhaitant aller dans notre pays, l'obligation d'un passeport en cours de validité à la simple carte d'identité prévue par le texte du 8 mars 1963.

Aux termes de la présente convention, le passeport est " revêtu du visa requis par la législation d'accueil " (art. 1er).

Cette stipulation ne prescrit pas, à proprement parler, l'exigence du visa, qu'il appartient aux seules législations nationales d'édicter. Elle pose seulement le cadre d'une acceptation réciproque à l'obligation du visa.

Le principe d'une reconnaissance bilatérale de l'obligation du visa importait à la France pour deux raisons.

D'une part, le gouvernement français avait, le 16 septembre 1986, suspendu avec certains pays, parmi lesquels le Mali, ses engagements portant dispense de visa (J.O. du 18 octobre 1986, p. 12604). Cette suspension se voit pérennisée et confortée sur une base bilatérale.

D'autre part, la rédaction de la convention avec le Mali prend en compte les obligations contractées par la France au titre de la convention d'application des accords de Schengen . Ce texte, dans son article 5-1, uniformise les conditions d'entrée sur les territoires des Etats membres de l' "espace Schengen" pour les séjours de moins de trois mois et subordonne l'accès des ressortissants des pays tiers à la possession d'un document valable permettant de franchir la frontière ainsi qu'à la délivrance d'un visa si celui-ci est requis.

Par ailleurs, s'agissant du visa, l'article 10 de la convention d'application prévoit qu'il sera uniforme et valable sur "le territoire de l'ensemble des parties contractantes". Celles-ci devaient s'accorder sur les pays tiers soumis à l'obligation de visa. Une liste commune a pu être établie ; le Mali figure sur ce document.

2. Les séjours n'excédant pas trois mois

Pour un séjour inférieur à trois mois, les ressortissants de l'une des parties à l'entrée sur le territoire de l'autre partie doivent satisfaire à deux obligations supplémentaires (art. 2).

- la production des documents justifiant de l'objet et des conditions de séjour envisagé ;

- la nécessité de disposer de moyens financiers suffisants . Ceux-ci sont appréciés au regard de deux critères : la capacité d'assurer sa subsistance pendant la durée du séjour (la référence retenue est le SMIC), la possibilité de rentrer dans le pays d'origine ou de transiter vers un Etat tiers dans lequel l'admission est garantie. Seule cette dernière condition, sous la forme d'une "garantie de rapatriement", était prévue par le texte de 1977.

Ces stipulations s'inspirent de la convention d'application des accords de Schengen qui prévoit pour les tiers désireux de se rendre sur le territoire de l'un des Etats de l'espace de Schengen la capacité de présenter, si nécessaire, les documents justifiant de l'objet et des conditions de séjour et des moyens de subsistance suffisants (art. 5-1).

Ces deux obligations, dans le cadre de l'accord avec le Mali, appellent une double observation.

En premier lieu, elles sont l'objet d'un contrôle renforcé : en effet, les documents doivent être produits au moment de la délivrance du visa, puis une seconde fois au contrôle aux frontières.

En second lieu, ces deux exigences, traditionnellement, ne s'imposent pas pour les membres du gouvernement, les parlementaires, les diplomates et les membres de leur famille, les fonctionnaires porteurs d'un ordre de mission de leur gouvernement. Il en est de même, en vertu des conventions internationales, pour les équipages de navire et les aéronefs (art. 3).

3. Séjour supérieur à trois mois

a) L'obligation d'un titre de séjour (art. 10 et 11)

L'obligation d'un titre de séjour pour tout séjour d'une durée supérieure à trois mois avait été instituée par la convention de 1977.

L'ordonnance du 2 novembre 1945 , relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, telle qu'elle a été modifiée par la loi du 17 juillet 1984 , distingue les titres de séjour temporaires , valables un an et renouvelables, de la carte de résident de dix ans attribuée aux étrangers en situation régulière établis en France depuis au moins trois ans.

La présente convention reprend cette distinction. Elle conserve l'obligation d'un titre de séjour pour tout séjour excédant trois mois (art. 10) et institue, après trois années de "résidence régulière et non interrompue", un titre de séjour de dix ans renouvelable de plein droit (art. 11).

La carte de résident est accordée par le préfet compte tenu notamment des moyens d'existence de l'intéressé.

Un étranger peut cependant obtenir, sans condition de résidence préalable en France, une carte de résident s'il ne menace par l'ordre public et s'il appartient à l'une des catégories de personnes visées par l'article 15 de l'ordonnance de 1945 modifié par la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers (conjoints de Français mariés depuis plus d'un an et justifiant d'une communauté de vie effective -ce qui exclut les mariages de complaisance-, et d'une entrée et d'un séjour réguliers, parents d'enfants français justifiant d'une entrée et d'un séjour réguliers ...).

L'obtention d'un titre de séjour nécessaire pour un séjour supérieur à trois mois est elle-même conditionnée à deux types de conditions :

- un visa de long séjour (qui atteste la régularité de l'entrée sur le territoire) -art. 4;

- des justificatifs particuliers selon l'objet du séjour envisagé.

b) Conditions particulières pour les étrangers exerçant une activité professionnelle

- activité professionnelle salariée (art. 5)

Dans cette hypothèse, les étrangers désireux de s'installer sur le territoire de l'autre partie doivent obtenir, d'une part, un certificat médical délivré par le consulat après examen devant un médecin agréé, et d'autre part, un contrat de travail visé par le ministère du travail de l'Etat d'accueil. Cette condition figurait dans la convention de 1977.

Aux termes de l'article L. 341-2 et suivants du code du travail, le visa est délivré par le délégué départemental du travail et de l'emploi du département concerné, après un examen précis de la situation de l'emploi dans la zone géographique où le demandeur souhaite travailler.

- Activité professionnelle non salariée (art. 6)

Elle est soumise à l'autorisation préalable de l'Etat d'accueil. L'article transcrit ainsi en termes contractuels la possibilité que l'article 7 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 avait prévue, dans le cadre de "règlement d'administration publique", de soumettre à autorisation l'exercice par les étrangers d'une activité professionnelle non salariée.

c) Séjour sans exercice d'activité lucrative (art. 7)

Dans ce cas l'étranger, comme le prévoyait déjà la convention de 1977, doit pouvoir justifier de la " possession de moyens d'existence suffisants " vérifiés au cours de l'enquête menée par la préfecture du domicile où le demandeur a manifesté l'intention de résider. En pratique la notion de "moyens suffisants" suppose des ressources équivalant au SMIC ainsi qu'une couverture sociale. Il s'agit d'empêcher de la sorte qu'une personne sans réels moyens ne tombe à la charge de l'assistance publique

d) Stipulations relatives au regroupement familial

L'entrée des membres de la famille du conjoint installé dans le territoire de l'autre partie est soumise à autorisation accordée dans le cadre de la législation intérieure. En France, la loi précitée du 24 août 1993 a conféré un fondement législatif au droit au regroupement familial, régi jusqu'alors par voie réglementaire (décret n° 76-383 du 29 avril 1976), mais l'a assorti de six conditions. Les quatre premières se rapportent à l'état de l'étranger installé en France :

- détenir un titre de séjour d'une validité égale ou supérieure à un an et séjourner régulièrement depuis deux ans au moins sur le territoire ;

- ne pas vivre en situation de polygamie en France (seuls peuvent rejoindre la personne séjournant en France, un des conjoints et les enfants du couple ainsi que les enfants dont la mère est décédée ou est déchue de son autorité parentale) ;

- disposer de ressources personnelles stables et suffisantes ;

- assurer à sa famille un logement conforme aux conditions tenues pour normales pour une famille comparable vivant en France.

Les deux dernières conditions se rapportent aux membres de la famille :

- ne pas constituer une menace pour l'ordre public ;

- ne pas résider en France en situation irrégulière.

Les bénéficiaires du regroupement familial reçoivent un titre de séjour de même nature que celui du chef de famille. Si celui-ci peut exercer une activité professionnelle salariée, il en sera de même, sous réserve de leur âge, des membres de la famille.

e) Conditions particulières aux étudiants (art. 9)

Les personnes désireuses de poursuivre des études supérieures ou d'effectuer un stage de formation de niveau supérieur doivent justifier d'une attestation d'inscription dans un établissement d'enseignement supérieur ou d'une attestation de l'établissement où s'effectue le stage. Cette condition était déjà requise dans le cadre du texte de 1977.

Le titre de séjour délivré aux étudiants présente deux particularités :

- il porte la mention "étudiant" ;

- il est renouvelé annuellement sur justification de la poursuite effective des études (un redoublement seulement est accepté), de la possession de moyens d'existence suffisants (pour les boursiers, le montant de la bourse, pour les non-boursiers, un montant au moins égal à 70% de l'allocation d'entretien accordée aux étudiants boursiers), et d'une couverture maladie.

A la différence des autres titres de séjour, celui-ci ne permet pas de demander une carte de résident .

Le bénéfice des stipulations de l'article 9 a été étendu, à la demande de la partie malienne, compte tenu des carences de l'enseignement technique dans ce pays, aux enseignements qui ne peuvent être considérés au sens strict comme supérieurs mais n'existent pas dans l'Etat d'origine.

Votre rapporteur sans méconnaître le bien-fondé des conditions exigées pour un séjour sur le territoire de l'autre partie s'interroge sur la possibilité réelle d'obtenir du pays d'accueil les justificatifs nécessaires et de les produire au moment de la demande du visa avant le départ . Multiplier les obstacles à l'entrée sur notre territoire n'est pas forcément le meilleur moyen de lutter contre l'immigration clandestine. Ces orientations rigoureuses adoptées sur une base bilatérale peuvent aussi compliquer les conditions de vie de nos ressortissants expatriés.

B. LA CONVENTION D'ÉTABLISSEMENT : UN ALIGNEMENT SUR LE DROIT COMMUN APPLIQUÉ AUX ÉTRANGERS

La convention prend la suite de la convention d'établissement du 11 février 1977 qui, elle-même, se substituait à un accord du 22 juin 1960, signé entre la France et l'éphémère Fédération du Mali (réunion du Sénégal et du Mali), dont la validité n'avait jamais été reconnue par le Mali.

Le présent accord reprend certains principes classiques déjà énoncés dans la convention de 1976, mais il se distingue de ce texte sur plusieurs points où il se montre plus restrictif.

1. La pérennité de la reconnaissance de l'égalité de traitement

Le principe de non-discrimination s'applique pour l'exercice des droits et libertés reconnus par la déclaration universelle des droits de l'homme (art. 1er), l'accès aux juridictions, l'exercice des droits à caractère patrimonial (art. 3), la protection légale et judiciaire accordée aux tiers (art. 4). L'expropriation demeure possible pour cause d'utilité publique ou de nationalisation, mais elle doit être compensée par le versement préalable d'une "juste indemnité" (art. 6).

2. Un dispositif plus rigoureux pour les Maliens établis en France

La convention revêt un caractère plus restrictif que l'accord de 1976 sur trois points principaux.

En premier lieu, la liberté de circulation , si elle reste garantie, s'inscrit dans le cadre de la convention de circulation de 1994 alignée, nous l'avons vu, sur le droit commun et donc moins favorable que les stipulations antérieures dans ce domaine.

Par ailleurs, les dispositions traditionnelles d'ordre public (maintien de l'ordre, protection de la santé, sécurité publique) continuent de s'appliquer (art. 2).

En second lieu, la convention du 11 février 1977 posait le principe de l'assimilation au national pour l'accès aux emplois publics (art. 1er) et aux activités non salariées (art. 2). Le texte de 1992 revient également aux conditions de droit commun en matière d'emploi des étrangers en France (art. 5).

Enfin, la convention ne reprend pas l'article 7 de la précédente convention admettant les effets du statut personnel de l'étranger dans l'Etat d'accueil et, en conséquence, le regroupement de familles polygames. En l'absence de stipulations précises sur ce point dans la convention, la législation française (interdisant le regroupement de familles vivant en situation de polygamie -loi du 24 août 1993 précitée-) s'applique.

Votre rapporteur se réjouit de cette évolution qui ne peut que favoriser l'intégration des familles maliennes dans notre pays.

Le retour au droit commun dans les domaines de la circulation et de l'établissement a connu cependant certains aménagements, de pure forme quelquefois, dans les deux accords qui nous lient avec le Mali. Il importe maintenant d'en saisir la portée.

C. LES AMÉNAGEMENTS À L'ACCORD-TYPE DESTINÉS À RÉPONDRE AUX PRÉOCCUPATIONS MALIENNES

Les deux accords présentent dans la forme et le fonds certaines particularités. Ces aménagements réclamés au cours de la négociation par les Maliens cherchent à satisfaire les préoccupations du Mali, dont le gouvernement est particulièrement sensible à la présence d'une forte communauté de ses ressortissants en France.

Les préoccupations de la partie malienne ont porté sur les conditions d'entrée sur le territoire français, le séjour des ressortissants maliens en France, les modalités d'éloignement enfin.

1. Les conditions d'entrée

Elles font l'objet d'un premier échange de lettres jointes en annexe de la convention relative à la circulation.

En premier lieu, les hommes d'affaires et commerçants désireux de se rendre sur le territoire de l'autre Partie pourront bénéficier d'un visa de circulation valable pour plusieurs entrées et sorties. Comme l'a indiqué le ministère des Affaires étrangères à votre rapporteur, ce point soulevé à la demande du Mali a fait l'objet d'un accord de la partie française dans la mesure où il ne concerne qu'un nombre limité de personnes et ne déroge pas à notre droit qui prévoit explicitement la possibilité de délivrer un visa de circulation valable pour plusieurs entrées.

En outre, la partie malienne souhaitait que l'accès aux études en France ne soit pas limité aux étudiants du supérieur ou aux stagiaires, mais puisse également concerner les enfants suivant des études secondaires. Le gouvernement français n'a pas fait pleinement droit à cette prétention ; l'échange de lettres mentionne en effet seulement la possibilité d'examiner "au cas par cas" les demandes de visa correspondant à des "situations particulières" qui n'entraient pas dans les hypothèses visées à l'article 9.

2. Le séjour des Maliens en France

Un deuxième échange de lettres annexées à la convention relative à la circulation permet le maintien du protocole du 11 février 1977 relatif à l'emploi et au séjour des travailleurs salariés et de leurs familles . L'article 5 de la présente convention s'applique pleinement pour fixer les conditions d'exercice d'une activité salariée en France par des travailleurs maliens, le protocole se bornant à préciser certains droits des travailleurs en situation régulière (non-discrimination dans la rémunération -art.4-, accès à la formation professionnelle -art. 6- ...)

Par ailleurs, aux termes de l'article 9 de la convention d'établissement demandée par la partie malienne, les Maliens installés en France continuent de bénéficier des droits acquis en vertu des "conventions bilatérales en vigueur", c'est-à-dire, en fait, des conventions de circulation et de séjour des personnes et d'établissement du 11 février 1976. L'article ajoute cependant "conformément à la législation de l'Etat d'accueil". Comme l'a indiqué le ministère des Affaires étrangères à votre rapporteur, la référence à la législation intérieure, en l'occurrence les dispositions de droit commun régies par l'ordonnance du 2 novembre 1945, réduit cette stipulation à une portée symbolique.

3. Les mesures d'éloignement

Les Maliens, marqués par certaines affaires d'"expulsions groupées", se sont, au témoignage du ministère des Affaires étrangères, montrés très sensibles à cette question.

Ces préoccupations se sont traduites dans la convention relative à la circulation par une stipulation particulière (art. 14) : toute mesure d'éloignement, d'expulsion, ou de refoulement doit être exécutée dans "le respect des droits et garanties reconnus à la personne humaine".

De même, la convention d'établissement diffère du projet type par la référence expresse, figurant dans le préambule, aux "principes énoncés par la déclaration des droits de l'homme".

L'article 7 de la même convention prend en compte l'ensemble des mesures d'éloignement (et pas seulement les décisions d'expulsion seules mentionnées à l'article 10 du texte du 11 février 1977), mais elle l'assortit de plusieurs garanties :

- information au cas par cas de l'autorité consulaire pour les mesures d'expulsion (avec mention des motifs de la mesure), information régulière pour les reconduites à la frontière et l'interdiction du territoire 7 ( * ) ;

- possibilité, sauf en cas d'expulsion en urgence absolue, pour l'intéressé de se mettre en rapport avec un conseil, le consulat ou une personne de son choix ;

- respect de la dignité due à la personne humaine conformément aux conventions internationales et à la législation intérieure (pour la France, garantie d'une procédure contradictoire pour une décision de reconduite à la frontière, passage devant la commission d'expulsion présidée par le président du tribunal de grande instance pour une mesure d'expulsion, protection dans tous les cas de certaines catégories de personnes -mineurs de 18 ans, parents d'enfants français, etc.- Ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée (art. 22, 24 et 25).

*

* *

Enfin, les deux conventions fixent des conditions très classiques relatives à leur champ d'application (totalité du territoire de chacune des deux Parties à l'exception des territoires d'outre-mer français pour la convention d'établissement -art.13-), à leur durée (de 5 ans, renouvelable annuellement par tacite reconduction) et le règlement des conflits (par voie diplomatique et, le cas échéant, par la réunion d'une commission ad hoc dotée d'un pouvoir de proposition).

L'assemblée nationale malienne a adopté le 4 mai 1995 la loi autorisant la ratification de la convention d'établissement.

CONCLUSION

La rédaction des deux conventions avec le Mali peut soulever deux interrogations :

Les stipulations qui s'écartent de l'accord type s'inspirent de préoccupations légitimes (notamment dans le cadre des références aux droits de l'homme). Ces dispositions mériteraient d'ailleurs de perdre leur caractère dérogatoire et d'inspirer les accords à venir portant sur la circulation ou l'établissement.

Par ailleurs, ces accords semblent avoir été négociés dans le seul objectif d'apporter des solutions au problème que l'immigration malienne pose à la France. La situation des Français établis au Mali n'apparaît qu'en contrepoint, dans le jeu de symétrie produit par le principe de réciprocité. Cette symétrie comporte beaucoup de fausses fenêtres du fait de la très grande disparité de développement économique, de fonctionnement politique administratif et judiciaire entre le Mali et notre pays. Faire systématiquement référence à la législation intérieure des parties suppose qu'il y ait, dans les deux pays, une législation connue, applicable. Ce n'est pas exactement le cas au Mali, ce qui met les intérêts de nos compatriotes en jeu. Ainsi c'est un texte de 1932 qui sert de base juridique à la circulation, au séjour et à l'établissement des étrangers. Il est complété par quelques textes sur des points spécifiques (profession réservée, durée maximale des cartes de séjour fixée à cinq ans, etc.). Un projet de loi destiné à regrouper et actualiser ces dispositions devrait être prochainement examiné par le Parlement malien.

Aussi l'application de ces accords devra-t-elle faire l'objet d'une attention vigilante de la part du gouvernement français.

Cependant, sur le fond, une mise à jour des textes nous liant avec le Mali s'imposait pour tenir compte, en particulier, de nos engagements contractés dans le cadre des accords de Schengen.

Il convient de rappeler enfin que le meilleur contrôle des flux migratoires n'est pas seulement le résultat des constructions juridiques, il passe également par une politique active de coopération à laquelle la France ne saurait renoncer.

En effet, le développement économique est le seul moyen efficace de freiner les flux migratoires. En contrepartie, il est souhaitable que le gouvernement français, à l'occasion de la négociation des accords de coopération, insiste auprès de nos partenaires africains sur la nécessité de participer à l'effort lié au contrôle migratoire en acceptant notamment le retour de leurs ressortissants dont l'expulsion de notre pays a été décidée à la suite d'un séjour en situation irrégulière.

Sous le bénéfice de ces observations, votre rapporteur vous invite, en adoptant les deux projets de loi, à autoriser l'approbation des accords conclus avec le Mali.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné les présents projets de loi lors de sa séance du mercredi 18 octobre 1995.

A l'issue de l'examen du rapporteur, M. Philippe de Gaulle a souhaité savoir si l'immigration des Maliens en France était rendue plus difficile par ces accords. Il a relevé par ailleurs une dissymétrie dans les conditions de prise en charge par le pays d'accueil des ressortissants expatriés.

Mme Monique ben Guiga, rapporteur , a indiqué que ces accords, nécessaires, n'étaient pas suffisants pour arrêter le flux migratoire de populations déshéritées, et notamment le recours aux filières de l'immigration clandestine. Elle a également souligné que, si les Maliens bénéficiaient en France des avantages de la politique familiale, la présence malienne était très majoritairement composée de travailleurs dont l'efficacité est reconnue.

M. Charles Pasqua a, pour sa part, souligné les difficultés de maîtriser l'immigration par des textes. Il a insisté sur la nécessité d'une politique de coopération dynamique, centrée sur le développement économique, seul moyen de fixer les populations dans leur pays d'origine. Il a également estimé nécessaire d'introduire, dans les accords de coopération nous liant à nos partenaires africains, des dispositions imposant aux pays d'origine d'accueillir leurs ressortissants entrés en France en situation irrégulière et dont l'expulsion a été ordonnée.

Ces dispositions impliqueraient notamment, comme l'a rappelé M. Charles Pasqua, que les autorités consulaires concernées acceptent d'identifier leurs ressortissants. La coopération économique avec nos partenaires africains doit -a-t-il estimé- pouvoir servir de moyen de persuasion à cet égard.

M. Michel Caldaguès , tout en reconnaissant l'intérêt des deux accords proposés, a regretté qu'ils ne règlent pas le cas des Maliens en situation irrégulière. Il a relevé l'attitude d'obstruction dont font souvent preuve les autorités consulaires concernées et l'impossibilité qui en résulte de mettre en oeuvre les reconduites à la frontière.

M. Guy Penne a indiqué qu'il partageait l'essentiel des préoccupations exprimées par M. Charles Pasqua sur la nécessité de lier notre soutien économique à une position satisfaisante de nos partenaires africains dans le domaine de l'immigration.

Mme Monique ben Guiga, rapporteur, reprenant les observations de M. Michel Caldaguès sur le regroupement des familles polygames, a indiqué que cette possibilité était désormais interdite par les présents textes dont les dispositifs devaient favoriser l'intégration des Maliens en France. Elle a également indiqué son attachement à l'effort de coopération qui devait primer sur les recours éventuels aux mesures de rétorsion à l'égard des pays africains. Par ailleurs, elle a souhaité que le Conseil supérieur des Français de l'étranger puisse être saisi des projets de conventions à venir dans les domaines de la circulation et de l'établissement.

M. Xavier de Villepin, président, reprenant les différentes observations des commissaires, a souligné le souci commun de favoriser une coopération économique active, instrument efficace pour freiner l'immigration des ressortissants africains. Il a regretté que trop d'accords restent lettre morte, notamment dans le domaine de la protection des droits sociaux de nos compatriotes expatriés et il a, comme le rapporteur, insisté sur l'utilité d'une consultation éventuelle du Conseil supérieur des Français de l'étranger.

A la suite de ce débat, la commission a approuvé les deux projets de loi qui lui étaient soumis , MM. Robert Calmejane, Michel Caldaguès et Philippe de Gaulle s'abstenant.

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention d'établissement entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali, signée à Bamako le 26 septembre 1994 et dont le texte est annexé à la présente loi 8 ( * ) .

PROJET DE LOI

Texte présenté par le Gouvernement

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Mali sur la circulation et le séjour des personnes (ensemble deux échanges de lettres), signée à Bamako le 26 septembre 1994 et dont le texte est annexé à la présente loi 9 ( * )

ANNEXE - DONNÉES RELATIVES À LA PRÉSENCE MALIENNE EN FRANCE

* 1 Voir le rapport de M. Michel d'Aillières consacré aux conventions relatives à la circulation signées avec le Bénin, la Mauritanie, le Burkina-Faso, le Congo, le Gabon (Sénat, 1993-1994, n° 346) et le rapport de M. André Boyer relatif aux deux conventions relatives à la circulation et à l'établissement signés avec la République centrafricaine (Sénat, 1994-1995, n° 337).

* 2 L'analyse qui suit est redevable au rapport d'information de la commission des affaires étrangères "la dévaluation du franc CFA : l'exemple du Mali et du Gabon" (Sénat, 1994-1995, n° 258).

* 3 Les informations qui suivent sont tirées du rapport du groupe de travail interministériel L'immigration en France des ressortissants des pays d'Afrique noire (juin 1992).

* 4 Rapport du groupe de travail interministériel, op. cit., p. 12.

* 5 Cette situation est d'autant plus mal ressentie que les Maliens travaillant en France subissent une déqualification par rapport à leurs compétences acquises au Mali.

* 6 Par leur nombre, les Maliens en situation régulière forment la deuxième communauté d'Afrique subsaharienne installée en France, derrière les Sénégalais.

* 7 Dans tous ces cas, les autorités consulaires s'engagent à fournir un document de circulation transfrontalière permettant l'exécution de la mesure puis, en cas de nécessité, de procéder à l'identification du ressortissant concerné.

* 8 Voir le texte annexé au document Sénat n° 371 (1994-1995)

* 9 Voir le texte annexé au document Sénat n° 372 (1993-1994)-

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