N° 510

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 juin 1996.

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 septembre 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE, relatif à l 'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective,

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean-Pierre Fourcade, président ; Jacques Bimbenet, Mme Michelle Demessine, MM. Claude Huriet, Bernard Seillier, Louis Souvet, vice-présidents ; Jean Chérioux, Charles Descours, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Jacques Machet, secrétaires ; José Balarello, Henri Belcour, Jacques Bialski, Paul Blanc, Mme Annick Bocandé, MM. Louis Boyer, Jean-Pierre Cantegrit, Francis Cavalier-Benezet, Gilbert Chabroux, Philippe Darniche, Georges Dessaigne, Mme Joëlle Dusseau, MM. Guy Fischer, Alfred Foy, Serge Franchis, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. Alain Gournac, Roland Huguet, André Jourdain, Pierre Lagourgue, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jean-Louis Lorrain, Simon Loueckhote, Jean Madelain, Michel Manet, René Marquès, Serge Mathieu, Georges Mazars, Georges Mouly, Lucien Neuwirth, Mme Nelly Olin, MM. Louis Philibert, André Pourny, Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ.) : 2701 rect, 2765, 2819 et T.A. 546.

Sénat : 411 (1995-1996).

Travail

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire ainsi qu'au développement de la négociation collective, examiné ci-après, regroupe deux projets de loi distincts et de nature différente.

Le premier avait été adopté par le Conseil des ministres le 10 avril 1996 : il transpose la directive européenne n° 94-45 du 22 septembre 1994 concernant l'institution d'un comité d'entreprise européen ou d'une procédure dans les entreprises de dimension communautaire et les groupes d'entreprises de dimension communautaire en vue d'informer et de consulter les travailleurs (articles premier à cinq).

Le second, sous forme de lettre rectificative, a été adopté par le Conseil des ministres le 13 mai 1996. Il vise à jeter les bases législatives nécessaires à la mise en oeuvre des mécanismes expérimentaux prévus par l'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 relatif à la politique contractuelle en vue de favoriser l'accès des entreprises dépourvues de délégués syndicaux et de leurs salariés à la négociation collective d'entreprise (article 6 du projet).

Le projet de loi, dans sa version rectifiée, a été adopté sans changements de fond par l'Assemblée nationale au cours de ses séances des 4 et 5 juin 1996.

Bien que l'urgence sur ce texte ait été déclarée, l'ordre du jour de fin de la session unique n'a pas permis son examen par le Sénat avant la rentrée d'automne. Votre rapporteur souligne toutefois que si la date de mise en application des dispositions transposant la directive, fixée par celle-ci au 22 septembre 1996, ne sera pas respectée, les dispositions de la directive elle-même sont applicables directement à compter de cette date. Cela signifie que les accords signés à partir du 22 septembre 1996 devront lui être conformes, même si certaines modalités sont renvoyées par cette dernière à la loi nationale. Ils ne peuvent plus, en effet, bénéficier du régime dérogatoire de l'article 5 du projet de loi. Les inconvénients de cette situation sont néanmoins très réduits puisque le texte du projet de loi, qui ne saurait être modifié en profondeur pour les raisons exposées ci-dessous, est connu depuis plusieurs mois.

Tel qu'il se présente le projet de loi ne laisse en effet pas une grande marge d'appréciation au législateur : il s'agit dans les deux cas de dispositions ayant fait l'objet de concertations approfondies ou de négociations avec les partenaires sociaux.

Ainsi, le projet de loi de transposition a fait l'objet de nombreuses concertations largement en amont de sa rédaction : une consultation préalable avec les groupes d'entreprise et les partenaires sociaux à l'échelon européen ayant débouché sur l'adoption par les directeurs des relations du travail des 17 États concernés de conclusions en juillet 1995 ; la consultation des organisations syndicales et patronales sur une première rédaction du projet de loi au dernier trimestre 1995 ; enfin, une réunion du comité des politiques communautaires (où siègent l'ensemble des partenaires sociaux), le 23 janvier 1996, a permis de prendre en compte les observations des uns et des autres. On rappellera en outre que l'élaboration de la directive s'est faite sur la base d'une négociation entre partenaires sociaux à l'échelon européen, conformément à la procédure prévue par l'Accord sur la politique sociale annexée au Traité sur l'Union européenne. En effet, bien que l'élaboration d'une norme communautaire par les partenaires sociaux eux-mêmes n'ait pu aboutir -c'était la première fois que l'on recourait à cette procédure-, leurs travaux ont servi à l'élaboration du projet de directive par la Commission.

Quant à l'article 6, inséré par la lettre rectificative, il vise à rendre applicable les orientations définies par les partenaires sociaux eux-mêmes dans l'accord du 31 octobre 1995 sur la politique contractuelle. Dans sa version originale, le texte autorisait les dérogations nécessaires au code du travail et renvoyait pour le détail des mesures à l'accord lui-même. Jugeant cette procédure peu orthodoxe, l'Assemblée nationale a réécrit l'article en incorporant les mesures négociées au projet de loi et en supprimant les renvois à l'accord, sans toutefois modifier le fond.

Il est évident que ces processus d'élaboration rendent ensuite l'intervention du législateur plus difficile, non seulement sur le fond, mais également dans la forme : une modification sur le fond serait contraire au texte européen -qui s'impose- ou à la volonté des partenaires sociaux 1 ( * ) , et les modifications de forme, en s'éloignant du texte original, risqueraient d'être interprétées comme des divergences de fond ou de jeter le trouble dans la compréhension du texte. Il n'en reste pas moins que, surtout dans le domaine européen, cet extrême respect du texte original conduit à incorporer dans le droit français des expressions, parfois même un « jargon », qui ne facilitent pas la tâche de ceux qui ont à le mettre en oeuvre ou à l'interpréter.

I. LA TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE 94/95/CE DU 22 SEPTEMBRE 1994 CONCERNANT L'INSTITUTION D'UN COMITE D'ENTREPRISE EUROPÉEN OU D'UNE PROCÉDURE EN VUE D'INFORMER ET DE CONSULTER LES TRAVAILLEURS

La directive du 22 septembre 1994 est l'aboutissement d'une longue série de démarches, la plupart vouées à l'échec, visant à instaurer un minimum de dialogue social au sein des sociétés multinationales. Les procédures proposées pour faciliter l'information ou la consultation des salariés répartis en Europe mais appartenant à un même ensemble se sont heurtées d'abord aux réticences britanniques, puis à la diversité des systèmes européens de représentation. Néanmoins, l'évolution des textes fondateurs communautaires, qui encourage désormais le développement de l'Europe sociale, et les contraintes de l'européanisation puis de la mondialisation de l'économie ont changé les données du problème.

A. L'INSTAURATION PROGRESSIVE D'UN DIALOGUE SOCIAL

L'information des salariés sur les conditions de fonctionnement des entreprises transnationales participe, dès l'origine, d'une volonté des États d'imposer à ces dernières une certaine discipline. Les États, en effet, se trouvaient quelque peu impuissants face à des entités dont on ne savait pas toujours où se trouvait le centre de décision, ni qui les composait.

C'est pourquoi, dès les années 1970, l'Organisation des Nations Unies, dans le cadre de programmes d'action concernant le nouvel ordre économique international, l'Organisation internationale du travail ou l'Organisation pour la coopération et le développement économique en Europe ont élaboré des codes de bonne conduite ou des directives fondées sur le volontarisme pour que puisse être pris en compte l'intérêt des salariés.

La Commission des Communautés européennes s'est à son tour emparée de cette question. En 1980, elle a élaboré une proposition de directive -dite proposition Vredeling, du nom du commissaire européen chargé du dossier- sur l'information et la consultation des travailleurs des entreprises à structure complexe, en particulier transnationale. Le cheminement procédural de la directive s'est poursuivi jusqu'en 1984, date à laquelle elle semble avoir été abandonnée.

En 1989, en application du programme d'action accompagnant la Charte des droits sociaux fondamentaux, une nouvelle directive fut préparée, adoptée par le Conseil des ministres le 5 décembre 1990. Elle concernait « la constitution d'un comité d'entreprise européen dans les entreprises ou les groupes d'entreprises de dimension communautaire en vue d'informer et de consulter les travailleurs ».

Cette nouvelle proposition, qui s'inspirait de propositions formulées par les partenaires sociaux et leur laissait le soin de mettre en oeuvre le comité, s'est, à son tour, heurtée à de vives oppositions : des Britanniques, d'abord, parce que le dispositif envisagé -le comité d'entreprise européen- était contraire à leur modèle qui fait des syndicats le canal unique de représentation des salariés auprès de l'employeur, modèle en vigueur également en Irlande et, en moins systématique (il existe des « conseils d'usine »), en Italie ; des organisations patronales ensuite, qui reprochaient au texte une trop grande rigidité, une absence de cohérence avec les autres textes européens, un flou dans la terminologie et le non-respect du principe de subsidiarité.

Cependant, la signature en 1992 du Traité de Maastricht a relancé le processus en permettant de passer outre le vote britannique et en confiant un rôle nouveau aux partenaires sociaux, en amont, à l'échelon européen, lors de l'élaboration des textes sociaux, et en aval, à l'échelon national, au moment de leur transposition puis de leur mise en oeuvre. C'est ce processus, même si les partenaires sociaux ont dû être relayés par la Commission européenne, qui a permis d'aboutir au texte du 22 septembre 1994. Celui-ci reste cependant assez proche de la directive de 1980 dans sa version amendée en 1983 par le Parlement européen.

Les États et les institutions européennes n'étaient pas les seuls à vouloir instituer des procédures d'information, sinon de consultation, des salariés d'entreprises multinationales. Certaines entreprises elles-mêmes, dès le début des années 80, d'abord en France (Thomson, Péchiney, Bull, Saint-Gobain ...) puis en Allemagne (Mercédès, Bayer, Thyssen ...) ont ressenti le besoin de mettre en place des procédures ou des instances afin de favoriser une certaine cohérence entre les entreprises ou les établissements, de tenter de développer au-delà des frontières une culture d'entreprise et surtout de préparer les esprits aux mutations ou aux décisions en diffusant l'information économique ou les orientations de gestion. La formalisation de ces procédures est néanmoins plus récente. En France, au 15 septembre 1996, 34 groupes ou entreprises 2 ( * ) ont conclu un accord prévoyant une information et une consultation transnationale des travailleurs, si l'on comptabilise les filiales françaises de groupes étrangers. Cela représente plus du quart des entreprises françaises concernées par l'accord, dont le nombre est estimé à 130. 12 accords ont été conclus ou formalisés depuis janvier 1996, ce qui révèle une accélération, sans doute motivée par la date butoir du 22 septembre 1996, qui impose un cadre juridique plus rigide. Les accords antérieurs à cette date ne sont, en application des articles 13 de la directive et 5 du projet de loi, en effet pas soumis aux dispositions de la directive ou de la loi et pourront être reconduits à l'identique.

En Allemagne, 38 accords ont été signés au 20 juin, 8 en Suède, 5 en Belgique et en Italie. 15 groupes britanniques, 6 groupes américains (dont 2 pour leurs implantations en France) et 5 groupes japonais ont signé des accords pour leurs implantations en Europe.

Au total, 1.152 entreprises dans 25 pays d'Europe seront concernées par ce texte adopté par 17 pays d'Europe (Union européenne à l'exception de la Grande-Bretagne, ainsi que l'Irlande, le Liechtenstein et la Norvège pour le reste de l'Espace économique européen).

* 1 A condition cependant que soient respectés certains principes fondamentaux, ce que le Parlement se réserve de vérifier.

* 2 Accor (1994), Alcatel Alsthom (1996), Assurances Générales de France (1994), Axa (1996), Banque Nationale de Paris (1996), Bouygues (1995), Bull (1992), Carrier Europe (1996), Crédit Lyonnais (1994), Compagnie Générale des Eaux (1993), Danone (procédure de dialogue depuis 1986, accord formalisé en 1996), Elf-Aquitaine (accord en 1991 renégocié en 1994), Esso-SAF (1995), Framatome (1996), GAN (1996), Henkel France (1996), Lafarge-Coppée (1994), L'Oréal (1996), Lyonnaise des Eaux (1995), Péchiney (1992), Peugeot (1996), Primagaz (1996), Renault (1993), Rhône-Poulenc (1990), Saint-Gobain (1992), Schneider (1993), Thomson CE (dialogue depuis 1985, accord en 1992), Thomson CSF (1992), Union des Assurances de Paris (1996), Usinor-Sacilor (1994), les consortium franco-allemands : Airbus industrie (1992), Europipe (1991) et Eurocopter (1992) ; le groupe franco-italien Eridania Béghin-Say (1995).

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