M. Michel CHARASSE

PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

L'année 2004 s'inscrit dans la continuité d'une meilleure prise de conscience, réelle depuis 2000, des enjeux et risques du développement. L'inquiétude sur le niveau de développement des pays du Sud intègre désormais plus largement certaines dimensions : la nécessité de relations commerciales plus équilibrées, le désastre humain causé par l'épidémie de sida et les difficultés d'accès à l'eau potable, et les nouvelles relations entre développement et sécurité.

Avec les objectifs du millénaire pour le développement (ODM) instaurés en 2000 (voir encadré ci-après), la communauté internationale s'est fixée des buts clairs d'ici à 2015, qu'elle a crus accessibles dans un horizon temporel assez lointain, mais qui paraissent aujourd'hui bien ambitieux. Le président de la Banque mondiale a ainsi manifesté une réelle inquiétude en avril 2004 en estimant que les objectifs relatifs à la santé, à l'éducation et à l'environnement - autant de thèmes représentatifs des besoins fondamentaux d'une population - ne seraient vraisemblablement pas atteints . La population mondiale vivant avec moins de un dollar par jour est certes tombée en vingt ans de 1,5 milliard à 1,1 milliard de personnes, mais ce progrès traduit un écart croissant entre le développement de l'Asie et de la Chine, dont le PIB par habitant a été multiplié par cinq depuis 1981, et l'aggravation de la pauvreté en Afrique , où le PIB s'est contracté de 15 % et où le nombre de personnes vivant avec moins de un dollar par jour a doublé sur la même période. L'explication est à la fois simple et inquiétante : une absence de croissance pérenne et le maintien de troubles politiques sur ce continent.

Les objectifs du millénaire pour le développement

En septembre 2000, la communauté internationale s'est assignée, avec la Déclaration du Millénaire, huit objectifs quantitatifs précis et très ambitieux pour l'APD mondiale, qui structurent aujourd'hui la stratégie d'aide de nombreux de bailleurs et en particulier de la France. La situation de départ est celle de l'année 1990 et les objectifs à atteindre ceux de l'année 2015 (sauf mention contraire).

Les pays membres de l'OCDE se sont également engagés à accroître leur aide au développement de 16 milliards de dollars par an d'ici 2006, soit 0,26 % de leur PIB, loin de l'objectif de 0,7 % annoncé en 1969 et réitéré lors des conférences de Monterrey et de Johannesburg (septembre 2002).

1 - Les huit objectifs

1 - Faire disparaître l'extrême pauvreté et la faim

Réduire de moitié la proportion de la population vivant avec moins de 1 dollar par jour, et réduire de moitié la proportion de la population souffrant de la faim.

2 - Garantir à tous une éducation primaire

Donner à tous les enfants, garçons et filles, les moyens d'achever un cycle complet d'études primaires.

3 - Promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes

Eliminer les disparités entre les sexes dans les enseignements primaires et secondaires d'ici 2005 si possible, et à tous les niveaux de l'enseignement en 2015 au plus tard.

4 - Réduire la mortalité infantile

Réduire des 2/3 le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans.

5 - Améliorer la santé maternelle

Réduire des 3/4 le taux de mortalité maternelle.

6 - Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et autres maladies

Enrayer la propagation du VIH/SIDA, du paludisme et d'autres grandes maladies et commencer à inverser la tendance actuelle.

7 - Assurer la durabilité des ressources environnementales

- Intégrer les principes du développement durable dans les politiques nationales et inverser la tendance actuelle à la déperdition des ressources environnementales ;

- réduire de moitié le pourcentage de la population privée d'un accès régulier à l'eau potable ;

- améliorer sensiblement, d'ici 2020, la qualité de vie des 100 millions de personnes vivant dans des taudis.

8 - Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

- instaurer un système commercial et financier plus ouvert, fondé sur des règles, prévisible et non discriminatoire, ce qui implique un engagement en faveur de la bonne gouvernance, du développement et de la lutte contre la pauvreté, aussi bien à un niveau national qu'international ;

- subvenir aux besoins des pays les moins avancés, ce qui suppose l'admission, en franchise et hors contingents de leurs exportations, un programme renforcé d'allègement de la dette et l'annulation de la dette publique bilatérale, ainsi qu'une aide publique au développement plus généreuse aux pays qui démontrent leur volonté de lutter contre la pauvreté ;

- subvenir aux besoins spécifiques des pays enclavés et des petits Etats insulaires en développement en appliquant le Programme d'action pour le développement durable des petits Etats insulaires en développement et les conclusions de la vingt-deuxième session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations Unies ;

- engager une démarche globale pour régler le problème de la dette des pays en développement par des mesures nationales et internationales propres à rendre cet endettement supportable à long terme ;

- en coopération avec les pays en développement, imaginer et appliquer des stratégies de nature à créer des emplois productifs décents pour les jeunes ;

- en coopération avec les laboratoires pharmaceutiques, proposer des médicaments essentiels accessibles à tous dans les pays en développement ;

- en coopération avec le secteur privé, mettre à la disposition de tous les bienfaits des nouvelles technologies, notamment celles de l'information et des communications.

2 - Quelques chiffres pour mémoire

- Sur une population mondiale de 6 milliards d'être humains, un milliard représente 80% du PIB tandis qu'un autre milliard lutte pour survivre ;

- 54 pays sont plus pauvres actuellement qu'en 1990 ;

- 115 millions d'enfants ne fréquentent pas l'école primaire. Le taux de scolarisation n'est que de 59 % en Afrique sub-saharienne et de 84 % en Asie du Sud ;

- 30 000 enfants meurent par jour (soit 10 millions par an) de maladies qui auraient pu être évitées ;

- 42 millions de personnes sont porteurs du virus du sida dans le monde, dont 39 millions dans les pays en développement ;

- 1 million de personnes meurent du paludisme chaque année ;

- 1 milliard de personnes (soit une sur cinq) n'ont pas accès à l'eau potable ;

- au rythme actuel, l'Afrique subsaharienne ne remplira pas les Objectifs du Millénaire concernant la pauvreté avant 2147 et ceux relatifs à la baisse de la mortalité infantile avant 2165.

Source : note du Haut conseil à la coopération internationale

Les montants consacrés à l'aide au développement sont de fait encore largement inférieurs aux besoins. Le volume global annuel de l'aide publique au développement (APD) atteint environ 60 milliards de dollars (à confronter aux 800 milliards de dollars de dépenses militaires annuelles), auquel la France contribue pour un peu plus de 10 %, mais seule la moitié se traduit en « argent frais », en raison de la croissance des annulations de dette. Faute de pouvoir aboutir, dans l'immédiat, au doublement de l'aide publique qui est jugé nécessaire pour espérer respecter les ODM, les bailleurs tentent d'explorer de nouveaux moyens de financement et d'imaginer des cadres tendant à une meilleure efficacité de l'aide.

La France participe activement à ces débats et a apporté d'importantes contributions au titre de la facilité internationale pour le financement, qui constitue une solution innovante et pertinente tendant à impliquer davantage les marchés financiers par des mécanismes s'apparentant à la titrisation de créances, de la réflexion sur les biens publics mondiaux ou de la mise en place d'une possible taxe internationale.

Le Nouveau partenariat économique pour le développement en Afrique ( NEPAD ), lancé le 3 juillet 2001 constitue également une initiative d'autant plus louable qu'elle émane d'une véritable volonté politique d'inversion de la dynamique de l'échec et n'est pas imposée par les bailleurs internationaux. Il témoigne d'un « retour en force » des grands chantiers d'infrastructures (malgré la réticence du Canada et des Etats-Unis) comme d'un certain réalisme territorial, mais ses lacunes et risques ne peuvent être éludés : faible participation de la société civile, épargne et entreprenariat très insuffisants, manque de réalisations concrètes, insuffisante prise en compte de la corruption et de la bureaucratie, etc . La France en a courageusement fait un des axes structurants de sa coopération, car le NEPAD, jugé tantôt irréaliste et dirigiste, tantôt paternaliste et trop libéral, ne doit pas être enterré par avance et mérite d'être soutenu. Mais il ne dispose que de quelques années pour réellement convaincre l'ensemble de la communauté des bailleurs.

Dans ce contexte pour le moins mitigé, la France respecte avec cohérence son engagement d'augmentation graduelle de l'APD, et intègre mieux les préoccupations d'efficacité de l'aide (plutôt que la seule efficience des moyens) et de coordination , non seulement avec les autres bailleurs, mais encore et surtout entre les nombreux opérateurs nationaux et locaux. Le projet de loi de finances pour 2005 prévoit une augmentation de 10 % de l'APD (soit près de 700 millions d'euros) et traduit des orientations que votre rapporteur juge bénéfiques , telles qu'un accroissement important de l'aide bilatérale, une légère progression des dons, un soutien confirmé à l'Afrique subsaharienne et une forte contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida (150 millions d'euros).

La loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) permet de conforter, sur le plan de la gestion budgétaire, la modernisation de l'aide française et l'impulsion d'une logique d'objectifs et de performance. Le périmètre de la future mission interministérielle est à présent figé et son architecture se révèle plus satisfaisante que le projet bancal qui avait été soumis voici un an . Elle ne permet toutefois pas de réaliser les aspirations manifestement idéalistes à un regroupement de l'ensemble des crédits ministériels concourant à la coopération (à l'exception notable des crédits d'aide alimentaire) comme à une plus grande cohérence avec les données transmises à l'OCDE. Le futur document de politique transversale devrait permettre de pallier en partie ces imperfections budgétaires , pour autant qu'il ne reproduise pas les errements parfois constatés d'une rhétorique abstraite et impressionniste, et désigne un ministère chef de file, que le MAE a bien vocation à être.

I. LES NOUVELLES ORIENTATIONS DE L'APD FRANÇAISE : UNE VOLONTÉ DE COHÉRENCE MALGRÉ CERTAINS RISQUES

A. LA PRÉPONDÉRANCE DES ANNULATIONS DE DETTE

Les allègements de dettes, qui transitent essentiellement par des canaux extra-budgétaires, devraient représenter pas moins de 30 % de l'APD françaises en 2005, soit 2.258 millions d'euros. Ce montant a quasiment sextuplé en quatre ans , puisqu'il était de 388 millions d'euros en 2001, selon les données fournies par le « jaune » budgétaire. Cette évolution fait de la France le premier contributeur mondial à l'initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE) , qui mobilise la majorité des annulations. Il s'agit donc bien d'une orientation structurante de notre aide, qui conduit votre rapporteur spécial à se poser plusieurs questions : cette aide est-elle vraiment efficace pour le développement et se traduit-elle en ressources supplémentaires pour les pays concernés ? Est-elle correctement évaluée et comptabilisée, et le Parlement dispose-t-il d'informations suffisantes ? Préserve-t-elle la composante budgétaire et l'aide-projet de la France ?

Votre rapporteur spécial ne conteste pas la légitimité des allègements de dettes : il est indéniable que l'important service de la dette de certains pays conduit à amputer d'autant les moyens disponibles pour la satisfaction des besoins sociaux et infrastructures de base. Les annulations peuvent donc constituer un préalable afin de restaurer les marges de manoeuvre budgétaires des pays les moins avancés, et les conditionnalités que prévoit l'initiative PPTE sont de nature à inciter les Etats à élaborer une vraie stratégie de développement dans des conditions satisfaisantes de participation de la société civile (souvent moins du Parlement). Mais les annulations ne doivent pas devenir une fin en soi - alors qu'elles ne sont qu'une condition du développement - ou un expédient à une action sur le terrain, certes difficile à mener à bien mais aux effets structurants. Les annulations peuvent également faire l'objet des critiques suivantes.

1. Une évaluation problématique

La comptabilisation des allègements de dette peut être jugée problématique et donner lieu à une surévaluation . Le coût des allègements repose en effet sur la valeur contractuelle de créances et d'intérêts dont la probabilité de défaut était dès l'origine substantielle 1 ( * ) . Considérant le fait qu'une part importante de la dette n'aurait jamais pu être remboursée , il apparaîtrait plus pertinent de comptabiliser les allègements à la « valeur de marché » des créances sous-jacentes, c'est-à-dire celle qui intègre le risque de non-paiement . Or selon les estimations conduites par l'économiste Daniel Cohen, cette valeur réelle ne représenterait en moyenne que 28 % de la valeur actuelle nette de ces créances 2 ( * ) , ce qui conduit à une large surévaluation des annulations dans leur mode de comptabilisation actuel.

Certains observateurs remettent également en question la légitimité de certaines créances irrécouvrables , qui correspondent à d'anciens prêts octroyés de façon incontrôlée, davantage pour servir des intérêts géostratégiques et économiques que pour contribuer au développement des pays débiteurs. L'inscription en APD des annulations correspondantes est dans ces conditions jugée très discutable, comme en témoigne la part importante des créances commerciales garanties par la Coface 3 ( * ) , au titre de l'assurance-crédit des exportateurs nationaux, dans les allègements de dette.

Votre rapporteur spécial rappelle toutefois que toutes les annulations de dette ne ressortissent pas à l'APD , et que la comptabilisation de l'OCDE n'intègre dans l'APD que les intérêts annulés relatifs à un prêt qui a été lui-même été antérieurement considéré comme participant à l'effort d'APD.

2. Un soutien encore incertain à la réduction de la pauvreté

L'impact des allègements sur la réduction de la pauvreté demeure encore incertain . Certes, le poids de la dette et le service y afférent se réduisent de manière réelle 4 ( * ) , au bénéfice des ratios service de la dette / recettes d'exportation ou recettes fiscales, et les dépenses sociales dans les pays concerné ont augmenté, mais la soutenabilité de la dette sur le long terme est encore loin d'être assurée et les masses budgétaires libérées en faveur du développement restent modestes, faute de pouvoir agir plus efficacement sur le relèvement des recettes fiscales. L'initiative PPTE - dont il convient de rappeler qu'elle ne concerne pas la totalité des pays les plus pauvres mais 30 sur 49 d'entre eux - contribue à la restaurer, mais les allègements de dette ne constituent certainement pas une garantie de son maintien dans le temps. Les pays bénéficiant de l'initiative PPTE demeurent donc fortement vulnérables aux chocs externes, qui sont de surcroît plus fréquents dans ces Etats, compte tenu de la concentration de leurs exportations sur certains produits primaires. L'efficacité des annulations de dette requiert donc être vérifiée sur le long terme. Le FMI va même jusqu'à considérer 5 ( * ) que les allègements de dette peuvent dans certains cas être assimilés à un simple « assainissement comptable » de prêts non performants , plutôt que comme un soutien au développement.

Une alternative possible, selon votre rapporteur spécial, consisterait à utiliser davantage les mécanismes de conversion de créances , qui se traduisent par le financement de projets sur le terrain. Ils demeurent relativement peu utilisés 6 ( * ) et peuvent contribuer à atténuer - certes marginalement - la faiblesse des flux d'investissements directs extérieurs dont pâtissent les pays les moins avancés 7 ( * ) . Avec les conversions en annulations, les annulations sont effectuées en contrepartie du financement que le pays débiteur s'engage à mettre en oeuvre en faveur de projets utiles au développement d'un montant équivalent. Les conversions en investissements permettent quant à elles au pays débiteur de racheter par anticipation, avec décote (selon une valeur de marché) et en monnaie locale sa dette vis-à-vis de la France à des investisseurs, qui l'ont préalablement achetée à la France, et qui cherchent à la convertir en projets d'investissements locaux.

Le plafond de conversion a été rehaussé en 1994 et 2002 par la loi de finances rectificative, mais n'est aujourd'hui que de 1,82 milliards d'euros. Les contrats de désendettement-développement participent de la même logique et constituent une initiative française pertinente, dont la traduction budgétaire est de surcroît bien réelle.

3. Une transparence encore à parfaire

Les allègements de dette sont largement soustraits au contrôle parlementaire. Leur incidence budgétaire est en effet réduite puisque la grande majorité des annulations (près de 85 % en 2005, d'après les données prévisionnelles) sont portées sur les découverts du Trésor et de la Coface. Les prévisions d'allègements sont également très aléatoires et ne peuvent guère être affinées, car elles dépendent largement des facteurs exogènes que constituent les conditions de mise en oeuvre de l'initiative PPTE, en particulier l'atteinte du point d'achèvement (qui fait l'objet de retards de la part de certains débiteurs importants de la France, tels que le Cameroun ou la Côte d'Ivoire) et la réunion préalable du Club de Paris. Les prévisions du projet de loi de finances pour 2004 portaient ainsi sur 2.056 millions d'euros, mais la prévision d'exécution à fin septembre 2004 (1.517 millions d'euros) révélait un écart de plus de 25 %. Une telle marge d'incertitude sur une part aussi déterminante de notre APD fragilise l'atteinte de nos objectifs. Le CICID du 20 juillet 2004 a toutefois annoncé que des mesures de correction seraient prises le cas échéant.

Votre rapporteur spécial, et nombre d'observateurs extérieurs, ont longtemps souligné ou relèvent encore la complexité et l'opacité des mécanismes d'allègements. Si de réels efforts d'information et de pédagogie ont été amorcés l'année dernière, notamment à la demande de votre rapporteur spécial, et poursuivis cette année (notamment dans le « jaune » budgétaire), la situation actuelle n'est pas encore totalement satisfaisante . C'est non seulement au stade des questionnaires budgétaires, mais surtout dans les documents publics, que les détails des allègements passés et futurs, par pays bénéficiaires, par échéances et par canal de comptabilisation, devrait être communiqué.

4. La difficulté de tenir les engagements d'accroissement de l'APD

Enfin, le fait que la hausse de l'APD française repose aujourd'hui principalement sur ces allègements peut susciter quelques inquiétudes sur notre capacité à atteindre l'objectif de 0,7 % du PIB en 2012 . D'après les données du « jaune », l'APD française totale hors allègements de dettes devrait en effet diminuer de 1,2 % en 2005 par rapport au périmètre équivalent de 2004 , alors qu'elle pourrait augmenter de 15,9 % cette année. Le principe d'additionnalité , qui a été réaffirmé lors de la conférence de Monterrey en 2002 et implique que les allègements de dette ne soient pas effectués au détriment de l'aide « classique », n'est donc pas respecté.

Evolution des allègements de dette et de l'APD

(en millions d'euros)

 

2003

2004 (données provisoires)

2005

Allègements de dette

6.420

6.821

7.501

APD totale

1.842

1.517

2.258

APD bilatérale

4.419

4.441

5.158

Part des allègements dans l'APD totale

28,7 %

22,2 %

30,1 %

APD totale hors allègements

4.578

5.304

5.243

APD bilatérale hors allègements

2.577

2.924

2.900

Evolution de l'APD totale hors allègements

N.D.

15,9 %

-1,1 %

Source : « jaune » annexé au PLF 2005

Le volume des allègements de dettes est actuellement corrélé à l'augmentation du nombre de pays ayant atteint le point d'achèvement ou en passe de l'atteindre, et ne devrait donc pas diminuer avant 2006, compte tenu notamment du report de la « sunset clause » (clause d'extinction de l'initiative PPTE), afin de tenir compte de la situation intérieure troublée de plusieurs pays potentiellement éligibles (sans pour autant que le dispositif, qui a été conçu dès le départ comme ciblé et temporaire, devienne une facilité permanente de financement). Mais dans un contexte budgétaire durablement contraint, le relais pourra-t-il être pris par les instruments traditionnels de l'aide , ne serait-ce que pour maintenir le montant de l'APD, alors même que nos objectifs d'APD rapportée au PIB imposent une croissance progressive ? Votre rapporteur spécial ne demande qu'à le croire, mais nourrit quelques doutes à cet égard.

B. LES ORIENTATIONS DU CICID DU 20 JUILLET 2004

Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) a vocation à réunir et coordonner les acteurs gouvernementaux de l'APD pour établir une stratégie claire et définir des orientations transversales contribuant à la modernisation de nos instruments d'aide. La réunion du 20 juillet 2004 a, à cet égard, défini des axes importants, qui constituent notamment une réponse aux recommandations formulées par le CAD de l'OCDE dans son « examen par les pairs » de l'aide française, dont les conclusions ont été communiquées le 26 mai 2004. Le CAD relevait ainsi avec raison la complexité de l'organisation administrative française, le grand nombre d'opérateurs et les difficultés de coordination du dispositif.

Votre rapporteur spécial constate une fois de plus que ces orientations déterminantes ont été prises sans en informer préalablement la représentation nationale , et a fortiori sans concertation avec le Parlement. Il se montrera donc particulièrement vigilant sur leur application et sur leurs résultats, notamment sur le contenu du prochain contrat d'objectifs liant l'AFD et le MAE.

1. La réaffirmation de l'objectif de 0,5 % du PIB en 2007

Le CICID renouvelle l'engagement de la France, pris lors de la Conférence de Monterrey de mars 2002, d'atteindre un niveau d'APD de 0,5 % du PIB en 2007, et rappelle les étapes intermédiaires prévues pour 2004 et 2005, avec respectivement 0,42 % et 0,44 % du PIB. Compte tenu du moindre niveau qu'escompté des annulations de dette à la fin du premier semestre 2004, il est prévu que des mesures correctrices soient prises à l'automne, s'il apparaissait que le chiffre d'annulations de dettes n'atteignait pas le niveau prévu. Il est également annoncé une remise à niveau des contributions volontaires aux organisations de développement du système des Nations Unies et un soutien renouvelé aux partenaires de la société civile.

Votre rapporteur spécial souscrit naturellement à cet objectif d'APD, et considère que le redressement des contributions volontaires aux organisations internationales de développement n'est légitime que s'il permet effectivement à la France, en contrepartie de la dilution de son intervention dans une masse peu identifiable, d'exercer une plus grande influence sur leurs orientations, afin que soit pleinement prise en compte la nécessité de l'augmentation de l'aide aux pays les moins avancés et à l'Afrique. S'agissant du soutien financier à la société civile et aux ONG en particulier, il estime qu'il doit être mis en oeuvre avec rigueur et sélectivité, afin que disparaissent les manquements qu'il a pu constater lors de ses récentes missions de contrôle (cf. infra ).

2. Le pilotage stratégique de l'aide

Trois orientations sont retenues, dans un souci de clarification des objectifs de l'aide et d'amélioration de l'efficacité de leur mise en oeuvre.

a) Une programmation plus sélective

Au sein de la ZSP, la France souhaite maintenir la part prépondérante de l'Afrique (deux tiers environ de l'aide bilatérale) et augmenter la part consacrée aux pays les moins avancés, en vue d'atteindre en 2012 l'objectif des Nations Unies de 0,15 % du PIB. Une stratégie d'intervention dans les pays émergents, fondée sur le renforcement de notre influence et la prise en compte des intérêts économiques et politiques de la France, doit également être élaborée d'ici à la fin 2004. Le recentrage géographique sera accompagné d'une adaptation des méthodes de coopération en fonction de la capacité des Etats à gérer l'aide internationale. Selon la logique d'une aide fondée sur la performance , utilisée par les bailleurs bilatéraux, il est prévu de donner une priorité, pour l'affectation des flux additionnels d'APD, aux pays les plus à même de tirer parti de cette aide, notamment en Afrique sub-saharienne. L'introduction de tels critères de performance pour l'allocation de notre aide s'inscrit dans les principes fondateurs du NEPAD, dans une logique de partenariat. Les critères d'évaluation dépendront de la gouvernance de l'Etat et des risques éventuels de détournement de l'aide, des résultats économiques et des réformes institutionnelles du pays, ainsi que du niveau de développement humain.

Pour les Etats les plus fragiles, et notamment les pays en sortie de crise dont la situation particulière doit être prise en compte, l'attention sera portée sur les besoins de base des populations et sur l'appui institutionnel, pour améliorer leur niveau de performance et leur permettre d'avoir accès aux financements internationaux d'aide publique au développement.

Ainsi qu'il a déjà eu l'occasion d'en faire part au président du conseil de surveillance et au directeur général de l'AFD, votre rapporteur spécial estime que l'effort croissant à destination des pays émergents - dont il comprend les motivations économiques et politiques - et une ZSP trop étendue nous conduisent aujourd'hui à une contradiction budgétaire. L'objectif annoncé de recentrage géographique ne doit toutefois pas conduire la France à « abandonner » des pays nécessiteux qui ne rempliraient pas tous les critères de bonne gouvernance et de capacité administrative que promeuvent les organismes anglo-saxons. Le légitime souci d'efficacité n'exclut pas notre indépendance de jugement et la nécessité d'aider les pays les plus pauvres, avec lesquels la France a souvent des liens historiques forts et dont elle constitue la plupart du temps l'un des derniers recours.

b) La mise en place de stratégies pluriannuelles de référence dans les secteurs prioritaires

Une première version des stratégies pluriannuelles de référence a été élaborée pour six secteurs d'intervention prioritaires, en cohérence avec les ODM :

- l'éducation , en contribuant en priorité à l'objectif « Éducation primaire pour tous, filles et garçons, d'ici à 2015 » ;

- l'eau et l'assainissement , en contribuant à l'objectif de réduire de moitié le nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable et à l'assainissement d'ici à 2015 ;

- la santé et la lutte contre le Sida . Il s'agit notamment de privilégier une approche équilibrée entre la prévention et le traitement et d'accorder une attention particulière à la question de l'accès aux médicaments ;

- l'agriculture et la sécurité alimentaire , en contribuant à l'objectif de réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion de population souffrant de la faim ;

- le développement des infrastructures en Afrique subsaharienne, en favorisant notamment les infrastructures régionales ;

- la protection de l'environnement et de la biodiversité dans les pays en développement, notamment dans le domaine forestier.

Un document de stratégie pluriannuelle sera en outre établi sur le développement du secteur productif dans les pays les plus pauvres, en accordant une attention particulière au développement et à la modernisation des petites entreprises du secteur formel.

A côté des ODM, la France poursuivra sa coopération dans les domaines traditionnels de la gouvernance, de l'appui aux politiques publiques, de la promotion de la diversité culturelle, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Chaque année, une table ronde réunira les acteurs de la coopération (ministères, AFD, ONG, secteur privé) dans chacun de ces secteurs, afin d'étudier la mise en oeuvre de la stratégie et d'en préciser les éventuelles évolutions. Sous la responsabilité du ministre délégué à la coopération, il sera procédé à une programmation indicative des ressources pluriannuelles prévues pour ces secteurs, couvrant à la fois l'aide bilatérale et l'aide multilatérale.

Votre rapporteur spécial souscrit à ces priorités, qui s'inscrivent dans une approche cohérente du développement, consistant à satisfaire en premier lieu les besoins de base des populations. La consécration des ODM dans notre stratégie d'aide était également nécessaire, compte tenu de leur acceptation au plan international, de leur caractère structurant pour les interventions des bailleurs et des cibles quantitatives qu'ils promeuvent. Les nouvelles stratégies sectorielles de référence témoignent d'un effort bienvenu, à côté des documents stratégiques-pays modernisés, d'insertion de notre aide dans un cadre de long terme.

Il conviendra donc de s'assurer que ces stratégies n'en resteront pas au stade des mots, et que les moyens financiers pour les mettre en oeuvre seront en conformité avec leurs ambitions, ce qui n'est pas encore le cas, compte tenu de l'impact du traitement de la dette. Votre rapporteur spécial relève enfin que les stratégies sectorielles recouvrent les nouveaux domaines d'intervention de l'AFD (cf. infra ), qui se voit donc consacrée comme l'opérateur de droit commun de l'aide, alors que les secteurs considérés comme plus « annexes » resteront du ressort du FSP.

c) L'élaboration de documents-cadres de partenariat

Des documents-cadres de partenariat (DCP), qui associeront l'ensemble des acteurs publics de l'aide française, seront préparés localement sous l'autorité de l'ambassadeur et discutés avec les autorités locales. En Afrique, ces documents seront établis en conformité avec les principes du NEPAD. Les DSP, d'une durée de trois ans , seront établis en cohérence avec les Cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté mis en place par les Etats et les Documents stratégiques - pays élaborés par la Commission européenne. Ils devront ainsi permettre à la France de participer à l'effort engagé d'harmonisation des pratiques des bailleurs de fonds dans un pays donné. Les documents-cadres préciseront les secteurs - en nombre limité pour chaque pays - sur lesquels les moyens de la coopération française sont concentrés. L'objectif est de disposer de DCP pour les trente premiers bénéficiaires de l'aide dans la ZSP à l'été 2005. Les DCP seront rendus publics dès leur adoption définitive.

Chaque année, une conférence d'orientation stratégique et de programmation, préparée par le co-secrétariat du CICID, réunira sous la présidence du ministre chargé de la coopération, les acteurs publics de l'aide française. Elle établira une programmation indicative des ressources allouées à chaque pays dans le cadre des documents-cadres de partenariat, qui seront validés à cette occasion, et procédera à une revue du portefeuille des opérations en cours . Cette programmation prendra en compte les résultats obtenus les années précédentes et les différents critères retenus pour l'allocation des ressources.

Votre rapporteur spécial approuve pleinement cette démarche de programmation rigoureuse, qui est au surplus cohérente avec l'esprit de la LOLF, consistant à fixer des objectifs et à analyser des résultats, pour une meilleure performance globale de l'aide. Afin que ces nouveaux documents ne deviennent pas, à terme, un facteur de ralentissement des actions, d'alourdissement des procédures et d'inflation rhétorique, à l'image de ce que sont devenus certains DSP, il importera que les priorités soient effectivement concentrées 8 ( * ) et que les revues de portefeuille soient exhaustives, approfondies et sévères. Il constate également que les perspectives de substitution des nouveaux DCP aux DSP ne sont pas précisées, bien qu'elles soient souhaitables.

d) Le fonctionnement du CICID

Des dispositions sont opportunément prises pour rendre l'activité du CICID plus visible, moins discontinue et qu'un meilleur suivi de l'application des orientations soit assuré : attribution de moyens humains au co-secrétariat, désignation d'un correspondant dans chaque ministère concerné, réunion mensuelle du co-secrétariat en présence de l'AFD et, si nécessaire, des ministères sectoriels concernés, réunion trimestrielle par laquelle le co-secrétariat rend compte de ses travaux au ministre délégué chargé de la coopération et du développement et aux responsables des deux programmes de la mission interministérielle APD.

Compte tenu du choix - ou de l'inertie - tendant à maintenir la complexité organisationnelle de notre dispositif d'APD, le renforcement du CICID était effectivement nécessaire.

3. Le renforcement de l'AFD comme opérateur-pivot de l'aide française

Des décisions importantes ont été prises s'agissant du rôle et de l'organisation de l'Agence, et font l'objet de développements dans le présent rapport. Quatre orientations seront mises en oeuvre : la clarification des rôles (convention-cadre et contrats d'objectifs) et le transfert progressif à l'AFD de responsabilités de gestion et de conduite d'opérations jusqu'à présent assurées par le FSP, une révision des statuts de l'Agence, la définition par la convention-cadre Etat/AFD des relations entre l'ambassadeur et les agences locales, et une évolution du dispositif d'assistance technique.

Votre rapporteur spécial constate que les moyens humains et financiers supplémentaires et les nouvelles marges de manoeuvre juridiques qui seront nécessairement octroyés à l'AFD marquent donc un ascendant important pour le ministère des finances, au détriment du Quai d'Orsay, gardien et coordinateur institutionnel de la politique étrangère de la France , à laquelle la coopération a pleinement vocation à participer. Ce nouveau partage des rôles constitue peut-être la rançon des lourdeurs de la DGCID et des difficultés que connaît le ministère pour assumer pleinement les lourdes responsabilités dont on l'investit en matière d'aide au développement... Le respect des prérogatives du MAE pourra néanmoins être relativement préservé si sa co-tutelle sur l'AFD est acceptée loyalement par le MINEFI exercée avec compétence, conviction et fermeté.

Dans ce contexte potentiellement propice à la marginalisation progressive du MAE, la réaffirmation du développement de l'aide budgétaire et de l'aide programme et l'extension de la zone d'intervention de l'AFD au-delà de la ZSP apparaissent presque accessoires, alors qu'il s'agit bien de nouvelles orientations déterminantes pour notre APD.

S'agissant de l'aide programme , votre rapporteur spécial conçoit bien qu'elle soit nécessaire dans certains cas et constitue un facteur d'accélération de la concertation entre bailleurs. Mais il y voit aussi et surtout une cause de dilution de l'influence française au profit de bailleurs apatrides, de diffusion des risques de détournement, d'accentuation de la pression sur nos moyens et d'augmentation de l'inertie dans des opérations de grande envergure . Il est néanmoins nécessaire de garder à l'esprit que le grand nombre d'intervenants français et internationaux au titre de la coopération nous commande de renforcer la cohérence de nos documents de programmation et l'harmonisation de nos procédures d'aide.

Votre rapporteur spécial a en outre pris connaissance de la prochaine implantation de l'Agence à Istanbul et d'un lourd programme d'investissements en Turquie (210 millions d'euros à l'horizon 2007, Proparco inclus). Cette évolution lui paraît révélatrice du pouvoir d'attraction des pays émergents sur nos administrations. Il souhaite vivement que ce nouveau vecteur d'aide, permis par la brèche ouverte par le CICID de décembre 2002, ne soit pas mis en oeuvre au détriment des pays les moins avancés, et singulièrement de l'Afrique subsaharienne.

* 1 L'économiste Daniel Cohen, dans un document de l'OCDE d'octobre 2000, intitulé « L'initiative PPTE : vraies et fausses promesses », considère ainsi que « le gros de la dette est une fiction qui ne correspond pas aux remboursements effectifs qui sont fait par ces pays ».

Il estime que l'évaluation de l'initiative PPTE est faussée par le fait que - contrairement à l'accord Brady - elle ne prend pas en compte la « valeur de marché » de la remise de dette. A partir d'une analyse économétrique des débiteurs à revenu intermédiaire des années 80, il estime que l'initiative PPTE serait en réalité dix fois moins généreuse que ce pourrait laisser penser sa valeur faciale comptable.

* 2 Le General Accounting Office des Etats-Unis considère en outre qu'en moyenne, la valeur réelle de la plupart des créances PPTE détenues par le Trésor américain n'excède pas 10 % de leur valeur nominale.

* 3 En 2005, les transports aux découverts de la Coface devraient représenter 40 % des allègements.

* 4 La dette totale des 27 pays ayant franchi le point de décision, et qui ont notamment bénéficié d'allègements intérimaires, a ainsi été réduite des deux tiers, passant en valeur actuelle nette de 77 milliards de dollars à 32 milliards de dollars. Sur la période 2001-2006, le service de la dette acquitté par ces pays devrait être diminué de 24 % par rapport au niveau atteint en 1998-1999. Le poids du service de la dette rapporté aux exportations a baissé de 16,9 % en 1998 à 9,8 % en 2003, et pourrait atteindre 7,9 % en 2006.

* 5 In « Debt relief, additionality anda id allocation in low-income countries », document de travail du FMI de septembre 2003.

* 6 Aucune opération n'a été réalisée en 2002, une seule en 2003, et des opérations de conversion en investissement de la dette algérienne étaient prévues d'ici la fin 2004.

* 7 Selon l'OCDE, cinq pays concentraient 70 % des investissements sur le continent africain en 2000, et les pays les moins avancés ne représentaient que 0,4 % du volume global.

* 8 Votre rapporteur spécial a en effet trop souvent constaté que les soi-disant priorités établies par certains postes étaient trop nombreuses pour être réellement significatives, et ne faisaient finalement que classer les secteurs d'intervention existants.